samedi, novembre 29, 2008

MICHEL LAPIERRE: CRITIQUE DU VOLTAIRINE

Un texte de Michel Lapierre sur le Voltairine De Cleyre que Chantal Santerre et moi avons publié avec plusieurs collaborateurs pour la traduction des textes.Je viens de le trouver en lisant Le Devoir de ce matin

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Michel Lapierre
Édition du samedi 29 et du dimanche 30 novembre 2008

Mots clés : D'espoir et de raison, Voltairine de Cleyre, Livre, France (pays), Québec (province)

Pionnière de l'anarchisme américain, Voltairine de Cleyre (1866-1912) s'oppose au pouvoir de l'État, de la religion, de l'homme sur la femme. Deux ans avant de mourir, elle s'attaque encore au matérialisme historique. Ce qui la rend originale et peu doctrinaire. «L'idée de la domination absolue de la matière est une erreur, écrit-elle, aussi dangereuse que le concept de l'esprit comme existant en dehors de toutes relations avec l'extérieur.»

Cette intellectuelle inclassable, née à Leslie (Michigan) d'un père d'origine française, admirateur de Voltaire comme on le devine, et d'une mère américaine, les Québécois Normand Baillargeon et Chantal Santerre ont le mérite de la faire découvrir au lectorat francophone. Jusqu'à ce jour, on trouvait seulement dans des publications de langue anglaise les oeuvres de Voltairine de Cleyre, sa biographie et les nombreuses études sur le sujet.

Intitulé D'espoir et de raison, le recueil d'«écrits d'une insoumise», réunis et présentés par les deux chercheurs, comprend 16 essais importants et 14 poèmes. Substantielle, l'introduction historique et critique regorge de précieux renseignements.

Normand Baillargeon et Chantal Santerre y comparent Voltairine de Cleyre à une militante native de Russie, Emma Goldman (1869-1940), figure plus connue de l'anarchisme et du féminisme américains. En dépit de leurs divergences, les deux femmes se vouaient une admiration mutuelle.

En 1893, Voltairine de Cleyre déclarait: «Mademoiselle Goldman est une communiste; je suis une individualiste. Elle veut détruire le droit de propriété; je souhaite l'affirmer. Je mène mon combat contre le privilège et l'autorité, par quoi le droit à la propriété, qui est le véritable droit de l'individu, est supprimé.» Plus tard, elle nuancera sa position en se félicitant des «énormes progrès» de la pensée communiste aux États-Unis.

Il n'en demeure pas moins qu'en 1903 Voltairine de Cleyre précise: «Je ne suis pas disciple de cette école dont la doctrine est d'enseigner que la volonté humaine est inexistante et que le monde matériel détermine tout... Je crois en l'individu.» Elle pense que l'anarchisme s'inscrit dans une tradition américaine axée sur l'attachement à la liberté individuelle et qu'il «est la conclusion logique de trois siècles de révolte».

En retraçant les étapes de cette longue marche vers l'affirmation de la volonté personnelle, Voltairine de Cleyre n'hésite pas à évoquer le souvenir des quakers, de Jefferson, de «transcendentalistes» aussi différents qu'Emerson et Thoreau, sans oublier les «cris barbares» whitmaniens qu'elle affectionne. Ce qui la préoccupe n'est pas tant l'unité des démarches que la présence diffuse d'un esprit d'affranchissement sans cesse approfondi.

Ses références à l'histoire intellectuelle des États-Unis donnent une résonance toute particulière à un humour féroce, propre à son pays. En 1902, à un sénateur qui offre 1000 $ pour obtenir la permission de tirer sur un anarchiste, elle écrit: «Il vous suffira de payer votre déplacement jusque chez moi (mon adresse est indiquée plus bas) pour me tirer dessus...»

Pour Voltairine de Cleyre, si l'Amérique individualiste qui s'enivre du principe de la liberté reste incapable de concevoir, une seconde, l'idée soeur de la destruction de tout pouvoir coercitif, c'est qu'elle a cessé d'être l'Amérique.

mercredi, novembre 26, 2008

NAUSÉE ...

J'ai regardé un peu le débat des chefs, hier soir et lu les journaux, ce matin. Et je me demande bien ce qui est le plus ignoble: ces supposés débats, d'une sidérale vacuité, où les chefs nous sont présentés et vendus comme des savonnettes; ou alors les savants commentaires de ceux et celles qui décortiquent à présent leurs propos, se demandant gravement qui a gagné.

Je n'arrive tout simplement pas à accorder le moindre sérieux ou la moindre attention à ce que dit ou pense tout ce beau monde.

Misère...Nausée..

Heureusement qu'il y avait aussi Françoise David et Québec Solidaire qui avaient des choses intéressantes à dire depuis leur site Internet.

Élections, piège à cons...(Presque toujours)

samedi, novembre 22, 2008

INTRODUCTION À L'ÉTHIQUE - 10

[Je poursuis ici la série sur l,Éthique commencée il y a quelques mois]

LES ÉTHIQUES FÉMINISTES

Imaginez la terrible situation suivante.

Alors que sa conjointe est atteinte d’un grave cancer et va mourir, M. Heinz apprend qu’un pharmacien a inventé un médicament à base de radium qui la sauverait. Il s’empresse donc d’aller le voir; mais le pharmacien demande $ 2 000 pour son médicament — qui ne lui a coûté que $ 200 à produire.

M. Heinz ne peut réunir que $ 1 000 et, après avoir expliqué sa situation au pharmacien, il propose de lui donner ce montant. Mais le pharmacien, bien décidé à s’enrichir avec sa découverte, refuse cette offre. M. Heinz promet alors de payer plus tard le reste de la somme. Le pharmacien refuse de nouveau. Désespéré, M. Heinz envisage de voler le médicament.

Serait-il juste qu’il le fasse?

Kohlberg et les stades du développement moral


Lawrence Kohlberg (1927-1987) a longuement étudié le développement moral des enfants en les interrogeant sur de semblables «dilemmes moraux». Ce qui l’intéressait, c’étaient non seulement les réponses données par les enfants, mais encore et surtout les justifications qu’ils avancent pour décider si une action était juste ou non.

Au terme de ses travaux, Kohlberg, très inspiré par Kant et par le psychologue Suisse Jean Piaget (1896-1980), a soutenu qu’il existait des stades du développement moral, faisant progressivement passer de l’hétéronomie à l’autonomie rationnelle. Voyons cela à grands traits.

Il existerait six stades divisés également en trois types de moralité. Au plus bas de l’échelle, celui de la moralité pré-conventionnelle, les jeunes enfants ont d’abord (stade 1) des jugements moraux très hétéronomes, justifiés par la peur des punitions ou l’anticipation de récompenses; un peu plus âgés (stade 2), ils restent égocentriques et pragmatiques et cherchent à combler leurs besoins (et parfois ceux des autres), mais dans une perspective «donnant-donnant».

La moralité dite conventionelle suit. Elle s’amorce par un moment (stade 3) dit «du bon petit garçon/de la bonne petite fille», où ce qui compte est de satisfaire les attentes du milieu, et se conclut sur un stade (4) orienté vers le respect de la loi et le maintien de l'ordre, vers l’autorité et les règles strictes et précises.

La moralité post-conventionelle, qui suit, est celle de l’autonomie et de la recherche de principes indépendants des groupes et même de mon éventuelle appartenance à un groupe. Le stade 5 est le moment légaliste du contrat social — généralement avec tendance utilitariste. Le dernier stade est orienté par et vers des principes éthiques universels, que l’individu reconnaît et vit comme autant d’exigences intérieures.

Prenez le dilemme de Heinz. Un enfant au stade 1 pourrait dire qu’il ne devrait pas voler le médicament parce qu’il pourrait aller en prison. Une personne parvenue à la moralité post-conventionelle pourrait dire qu’il peut le voler, parce que la vie d’une personne est plus importante que le profit que pourrait empocher une autre personne.

Ces travaux nous conduisent au véritable sujet que je veux aborder cette fois-ci, à savoir les éthiques féministes.

Les objections de Gilligan

Kohlberg avait en effet comme collaboratrice Carol Gilligan (1936) et celle-ci fera à propos de ses travaux plusieurs troublantes observations suggérant qu’ils sont biaisés en faveur des garçons.

Non seulement les échantillons étaient-ils majoritairement constitués de garçons, dira-t-elle, mais encore et surtout le système de notation retenu était biaisé en faveur de réponses faisant intervenir des principes et contre des réponses se situant plutôt sur un plan «relationnel». Gilligan pouvait ainsi expliquer une étonnante conclusion de Kohlberg, qui pensait avoir constaté qu’en moyenne les filles parviennent à des stades de développement moral inférieurs à ceux garçons.

Revenons au dilemme de Heinz. Des réponses typiques de garçons de 12 ans invoquent, en partie, des règles et des principes et semblent dès lors se situer aux stade 4, voire 5. Elles sont donc présumées plus élevées sur l’échelle (et «meilleures») que celles qui sont typiques des filles du même âge (et qui sont donc présumées inférieures), lesquelles refusent de faire de ce dilemme un froid conflit de règles et insistent pour le replacer dans un contexte interpersonnel.

Voici — par exemple et pour en juger — une réflexion caractéristique d’une jeune fille de 12 ans, que Kohlberg classerait sans doute, disons, au stade 3:

«Heinz ne devrait pas voler. Il doit exister une autre solution. Il pourrait emprunter l’argent à des amis, aller voir une banque, ou autre chose…. Il ne devrait pas voler, mais sa femme ne devrait pas mourir non plus…. S’il vole le médicament, il sauvera peut-être sa femme, mais il ira peut-être en prison et alors sa femme pourrait devenir plus malade encore et il ne pourrait plus obtenir d’autres doses de médicament … Lui et le pharmacien devraient discuter et trouver une manière de réunir l’argent.»

Kohlberg a pris ces critiques au sérieux et revu ses échelles et ses échantillons. Cela fait, les garçons et les filles arrivaient en moyenne aux mêmes stades.

Gilligan, elle, a tiré une tout autre conclusion de ces observations. Selon elle, c’est parce qu’elle présuppose que les morales fondées sur des principes (morales utilitaristes ou déontologiques qu’elle dira «masculines») sont supérieures, que l’échelle de Kohlberg situe les femmes à un niveau moral inférieur. Mais est-ce juste de présupposer cela?

Non, répond Gilligan, qui soutient que les femmes ont plutôt, typiquement, une autre manière de penser l’éthique, d’en parler (le très célèbre livre qu’elle écrira à ce sujet s’appelle d’ailleurs : D’une voix différente), et de la pratiquer, une manière moins axée sur les conséquences ou les principes que sur ce qu’elle nommera : la «sollicitude» (en anglais : care).

Les morales de la sollicitude («ethics of care»), contrastées aux morales déontologiques ou utilitaristes, cette idée qu’il existerait, en éthique, une voix féminine et différente, tout cela est aujourd’hui très discuté et débattu. On pourrait présenter les idées au cœur de ces morales de la sollicitude à travers une série d’oppositions entre des termes qui représenteraient respectivement les manières typiquement féminine et masculine d’envisager l’éthique : personnelle-impersonnelle; partiale-impartiale; privée-publique; compassion-équité; naturelle-contractuelle; émotion-raison; concrète-universelle; responsabilité-droits; relationnelle-individuelle; solidarité-autonomie.

Mais existe-t-il vraiment une telle voix féminine? Si oui, comment l’expliquer? Et d’abord d’où vient-elle? Enfin, qu’est-ce que tout cela signifie plus concrètement pour l’éthique?

Toutes les réponses à ces questions sont controversées, comme on le verra la prochaine fois.

Pour en savoir plus :

GILLIGAN, C., In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development, Harvard University Press Cambridge, 1982. Traduction française : Une si grande différence, Flammarion, Paris, 1986.

jeudi, novembre 20, 2008

LE CATALOGUE DE L'EXPO PRÉVERT

À défaut de voir l'exposition, j'ai lu le catalogue. Ci-après, un compte-rendu rédigé pour Le Devoir.

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Quand Jacques Prévert est né, le 4 février 1900, les fées des arts se sont penchées sur son berceau. Elles lui ont dit l’avenir et il était très beau. «Tu vivras une longue vie durant laquelle tu connaîtras l’amour et l’amitié», dit la première, Fée Nicotine, réglant ainsi le plus important et faisant de la sorte une promesse qu’elle ne fait pas souvent.

«Tu feras du théâtre», annonça une deuxième.

«Tu seras scénariste et dialoguiste de film», reprit une autre.

«Tu écriras de nombreuses chansons», dit une quatrième.

«Tu plublieras plusieurs recueils de poèmes», dit encore une autre.

«Tu feras des collages sublimes et troublants», dit une dernière.

La Fée Ressentiment, une fée malingre et méchante, se tenait en retrait, ne sachant plus que dire. Croyant enfin avoir trouvé, elle s’avança : «Tu seras…». Toutes les autres retenaient leur souffle. «Tu seras… po-pu-lai-re! Et tu le seras dans tout ce que tu feras!».

Les autres fées éclatèrent de rire. Populaire? Qu’y a -t-il de mal à cela quand on a le génie de Prévert?

Loin de m’inquiéter, la popularité de Prévert me rassure. Elle prouve que le peuple a son génie à lui, celui-là même qui lui a permis de reconnaître Shakespeare ou Molière, à défaut de lui avoir permis d’éviter de tomber sous le charme de quelques autres, dont nous tairons le nom.

Et pour bien mettre les choses au clair, une fée qui n’avait pas encore parlé s’avança pour dire : «Et dans tous les domaines où tu œuvreras, tu laisseras des chefs-d’œuvre qui parleront à tout le monde de ta voix qui ne ressemble à celle de personne et les plus grands, dans chacun de ces domaines, diront de toi que tu es leur égal. Et pour faire bonne mesure, en plus de tout ce que mes collègues ont dit, tu travailleras aussi avec les plus grands peintres et les plus grands photographes, qui seront tes amis».

La Fée Ressentiment s’éloigna, confuse.

***

Trente et un ans après sa mort, survenue en 1977, la ville de Paris rend hommage à Prévert à travers une exposition réalisée avec la précieuse collaboration de sa petite-fille, Eugénie Bachelot-Prévert.

L’exposition, qui se tient à l’Hôtel de ville de Paris, du 24 octobre 2008 au 28 février 2009, trace le large portrait du parcours de celui qui a emprunté en toute liberté tant de sentiers de la création. Et puisque son héritière a généreusement ouverts ses coffres aux trésors, on a la chance, comme en témoigne ce luxueux catalogue, de découvrir des documents rarement vus, voire inédits.

L’ouvrage, tout comme l’exposition dont il est issu, se décline d’abord sur un mode chronologique : on découvre pour commencer l’enfance et l’adolescence de Prévert, puis son passage chez les surréalistes.

On aborde ensuite les genres que Prévert va pratiquer, tour à tour ou simultanément. C’est d’abord l’épisode du Groupe Octobre et du théâtre d’agit-prop — pour agitation propagande!

Vient ensuite le cinéma, où Prévert signe de nombreux chefs-d’œuvre. Puis la poésie et la chanson, avec le recueil Paroles et tous ceux qui lui succéderont.

Un chapitre revient sur les nombreux liens de Prévert avec tant de photographes (et pas les moindres : Doisneau, Izis, Villers, Brassaï et bien d’autres) et des peintres (ici encore, de très grosses pointures : Picasso, Chagall, Miro, par exemple). Le livre se termine sur ces collages que Prévert réalise jusqu’à la fin de sa vie et qui font aujourd’hui les délices des collectionneurs.

On trouvera encore, dans ces pages, des entretiens avec de nombreux compagnons de route de Prévert, de collaborateurs et de témoins de sa vie, une somptueuse iconographie, des textes de spécialistes, sans oublier une bibliographie et une filmographie.

Si vous connaissez un amoureux de Prévert, il vous suffira de glisser ce livre dans son petit soulier pour être certain de le combler de joie.

BACHELOT-PRÉVERT, Eugénie, et BINH, N.T., Jacques Prévert. Paris la Belle, Flammarion, Paris, 2008.

mercredi, novembre 19, 2008

DES NOUVELLES DE LA RÉFORME DE l'ÉDUCATION- ARTICLE DE J-P. PINEAULT

Échec au cœur de la réforme
Jean-Philippe Pineault
Journal de Montréal
19/11/2008 08h54

Le cœur de la réforme qui met de l'avant le programme controversé de la pédagogie par projets est un «échec », révèle une étude dont le Journal a obtenu copie.


L'enquête, réalisée par des chercheurs de l'Université de Montréal pour le compte du Comité de gestion de la taxe scolaire de l'île de Montréal, révèle que dans les écoles où les enseignants font très souvent des projets de groupe, la proportion d'élèves qui obtiennent un diplôme au secondaire s'élève à peine à 55 %.

À l'inverse, dans les établissements où les enseignants boudent cette nouvelle méthode, le taux de diplomation atteint 86 %.

«C'est vrai que c'est embêtant pour ceux qui mettent de l'avant ces méthodes pédagogiques », affirme Pierre Lapointe, l'un des coauteurs de l'étude et professeur à l'Université de Montréal, qui ajoute que «sur le plan politique, cette étude peut être effectivement agaçante pour plusieurs».

Le chercheur est toutefois d'avis que cela ne remet pas en cause la réforme. «Ça continue d'alimenter la controverse, mais on ne peut pas penser qu'un nouveau programme a juste des effets positifs », dit-il.

Enseignement traditionnel

L'enseignement traditionnel obtient une bien meilleure note. Dans les écoles où les profs pratiquent très souvent l'enseignement magistral, la proportion d'élèves obtenant un diplôme atteint 76 % tandis qu'elle est de 67 % dans les établissements où on ne le pratique qu'occasionnellement.

«Ce sont des résultats assez troublants. La réforme a échoué dans ses fondements », juge Steve Bissonnette, professeur de psychoéducation et de psychologie à l'Université du Québec en Outaouais.

Virage à 180 degrés

Robert Comeau, professeur associé au Département d'histoire de l'UQAM, qui a dirigé le collectif Contre la réforme pédagogique qui vient d'être publié, est d'avis qu'il faut effectuer un virage à 180 degrés.

«Le problème, en ce moment, c'est qu'on essaie de changer des morceaux à la pièce, comme les bulletins. C'est la base de la réforme qu'il faut changer », dit-il.

François Paquette, vice-président de la Fédération des comités de parents, est d'avis que l'étude «questionne la pédagogie par projets », mais estime que la réforme ne doit pas être jetée à la poubelle pour autant.

# Pour leur étude, les chercheurs ont eu recours à des données de quatre cohortes d'élèves entrés à l'école entre 1998 et 2001, totalisant 72 698 jeunes de l'île de Montréal. De plus, 212 enseignants ont répondu à un questionnaire et 30 directions d'école ont été interviewées.

AUTRES CONSTATATIONS RÉSULTANT DE L'ÉTUDE

DÉMÉNAGEMENT DANGEREUX

50%

Si vous pensez aider votre enfant en lui offrant une nouvelle école, vous faites erreur. La proportion d'élèves ayant changé d'école une fois pendant leur secondaire et qui obtiennent leur diplôme est de 50 %. Leurs camarades qui ont fait toutes leurs études dans le même établissement décrochent leur diplôme dans une proportion de 66 %.

INTERRUPTION DES ÉTUDES

9%

Les élèves qui interrompent leurs études secondaires pendant une année sont pratiquement assurés de ne pas obtenir leur diplôme. À peine 9 % des jeunes ayant fait une pause pendant leur cursus scolaire obtiennent en effet leur diplôme à l'âge de 20 ans ou moins.

PLUS DE CHANCES AU PRIVÉ

64%

Les élèves qui fréquentent un établissement privé ont cinq fois plus de chances d'obtenir un diplôme que ceux inscrits dans le réseau public. Près de 90 % des jeunes obtiennent un diplôme après cinq ans, comparativement à 64 % à l'école publique.

LES PROFS ONT UN IMPACT

57%

Les enseignants qui encouragent positivement leurs étudiants ont un impact indéniable sur leur réussite. Dans les écoles où les profs rapportent ne jamais faire de renforcement social, le taux de diplomation s'élève à 57 %, tandis qu'il est de 81 % dans les établissements où les enseignants disent adopter très souvent cette stratégie.

ENVIRONNEMENT POSITIF

53%

Les élèves des écoles où l'environnement dans les classes est perçu positivement ont plus de chances d'obtenir leur diplôme. Dans les établissements où les enseignants affirment que le climat éducatif est très favorable, le taux de diplomation atteint 79 %. Par contre, il est de 53 % dans les écoles où leurs collègues ont un avis opposé.

Source : Rapport sur l'environnement éducatif dans les écoles publiques et la diplomation des élèves de l'île de Montréal

ENSEIGNEMENT TRADITIONNEL ET PÉDAGOGIE PAR PROJETS

L'ENSEIGNEMENT MAGISTRAL
# Le prof utilise un enseignement plus traditionnel où il enseigne lui-même des notions et concepts. Les élèves réalisent par la suite des exercices pour s'assurer de leur bonne compréhension.

LA PÉDAGOGIE PAR PROJETS
# L'élève intègre plusieurs de ses apprentissages dans différentes matières en réalisant un projet. Épaulé par l'enseignant, l'élève prend en charge son apprentissage.

Source : Ministère de l'Éducation, du Loisir et des Sports

RECHERCHÉS : PAUVRES VOTANT POUR DES PAUVRES

[Une chronique de la série Amère Amérique, parue dans Siné Hebdo]

Ouf! Enfin! Ça y est!

Le long calvaire des élections canadiennes, avec ses discours pitoyables, ses slogans creux et tous ces commentaires et analyses s’adressant exclusivement à notre cerveau reptilien a pris fin il y a quelques jours.

Le Canada a reporté au pouvoir le gouvernement minoritaire du Parti conservateur : mieux – ou plutôt pire : il l’a renforcé.

Ami des pétrolières, ennemi de Kyoto, grand défenseurs des corporations, champion des réductions d’impôts, le Parti Conservateur s’est cette fois surpassé en annonçant des coupures dans les subventions aux arts et à la culture et la possibilité de peines de prison à vie pour des jeunes contrevenants de 14 ans et plus.

Prochaine étape : le peloton d’exécution pour les porteurs de couches culottes non-réglementaires.

Et ces délirants ont pourtant été élus.

D’où les inévitables questions, inlassablement posées: Comment se fait-il que les pauvres votent pour les riches? Que les Américains votent pour Bush? Les Français pour Sarkozy? Les pauvres pour les banques? Comment le feu se fait-il aimer du brûlé? Le soufflet de la joue? Bécassine de Pif le Chien (mais là, je ne suis pas certain….)

On connaît une part de la réponse à ces questions. Elle fait intervenir le bourrage de crâne, la manipulation médiatique, la démagogie, les firmes de relations publiques, les mensonges, la fraude électorale et mille autres techniques de fabrication des consentements.

Mais cette explication, qui invite la gauche à réagir en informant et en démontant les mensonges médiatiques, n’a jamais prétendu être le dernier mot de l’affaire. Que faudrait-il lui ajouter?

Dans un article de la revue Edge [www.edge.com] qui fait grand bruit, Jonathan Haidt suggère que la gauche se confine à deux dimensions de la moralité, l’empathie et l’équité, et les défend rationnellement; tandis que la droite, en faisant massivement appel aux émotions, insiste sur la loyauté à son groupe d’appartenance, le respect pour l’autorité, le sacré.

Mais n’y a selon moi rien de neuf à remarquer que la droite, depuis Bush jusqu’aux fascismes de tout poil, est attachée à la famille, à un chef fort et charismatique, au petit jésus et aux rassemblements de Nuremberg.

Mon avis est plutôt que la gauche s’est avérée extraordinairement incapable, depuis plusieurs décennies, à proposer des modèles, notamment sur le plan économique, qui soient à la fois intellectuellement crédibles et moralement souhaitables.

C’est cette absence d’une alternative, bien plus que les raisons que donne Haidt, qui explique le repli vers un vote conservateur, en même temps que le cynisme ambiant qui proclame partout qu’on ne peut rien changer.

Il faut à la gauche des modèles nouveaux, il lui faut de l’imagination et des idées. C’est de ces carences que nous souffrons le plus. Ce n’est qu'en les comblant que Pif le Chien retrouvera le goût de mordre.

Quelles idées par exemple, dites-vous?

Vous ai-je déjà parlé d’autogestion?

D’économie participative?

La prochaine fois, alors…

OBAMA: PAR-DELÀ L'EUPHORIE

[Ce texte paraîtra dans Le Monde Libertaire, auquel je collaborerai dorénavant une fois par mois.]

Tout le mode a pu constater qu’une véritable «obamamanie» déferle sur le monde depuis l’élection de Barak Hussein Obama au poste de 44e président des Etats-Unis.
On peut dans une certaine mesure comprendre la grande euphorie avec laquelle cette victoire a été accueillie dans divers milieux.

Elle trouve sa source à la fois dans les immenses espoirs suscités par la campagne menée par ce charismatique orateur; dans le fort taux de participation à l’élection, en particulier au sein des communautés autres que blanches et parmi les jeunes; dans le soupir de soulagement lancé par tous ceux qui redoutaient l’élection du sordide candidat républicain et de sa délirante co-listière, tous deux d’une ignorance et d’une imbécillité à faire frémir; du bonheur, enfin, pour tous les progressistes, de voir un afro-américain porté aux «plus hautes fonctions» (si on peut dire) — et cela quarante ans seulement après les combats menés dans le cadre du mouvement pour les droits civils.

«C’est un moment historique», ont aussitôt décrété de nombreux observateurs, pendant que de son côté le documentariste Michael Moore avouait, comme d’innombrables autres progressistes, avoir pleuré de joie à l’annonce de cette victoire.

Cette belle unanimité est néanmoins bien suspecte et par-delà la vive émotion et le réel bonheur qu’on ressent inévitablement devant l’élection d’un membre d’une minorité qui a si longtemps été outrageusement discriminée, humiliée et brimée, la question se pose : que peut-on raisonnablement attendre de la présidence d’Obama?
Il est crucial pour tout le monde de répondre à cette question froidement et sans s’illusionner.

Mon avis est que de nombreux facteurs invitent à très fortement tempérer — pour ne pas dire plus — les espoirs que d’aucuns mettent dans le nouveau président.
Je voudrais ici exposer certains de ces facteurs qui me paraissent les plus significatifs. Je les présenterai sous deux rubriques, selon qu’ils concernent le processus électoral américain lui-même ou plus spécifiquement le contenu de la compagne menée par Obama ainsi que les premiers gestes qu’il a posés après son élection.

Après quoi, je suggérerai quelques principes et orientations dont j’estime qu’elles devraient guider l’action des forces progressistes aux Etats-Unis et ailleurs durant l’ère Obama, si du moins elles veulent faire mentir mes sombres prédictions — je l’avoue sans ambages : je serais enchanté que cela se produise.

Le mirage électoraliste

Rappelons d’abord aux Obamaphiles que si Obama a été élu, il n’en demeure pas moins que près de la moitié des votards (46%) ont choisi le tandem McCain-Palin.
De plus, et surtout, Obama a non seulement été élu, ce qui est déjà problématique, mais il l’a été par un système électoral qui a été spécifiquement conçu, comme le disait déjà James Madison, un des pères fondateurs du pays, «afin de protéger la riche minorité de la majorité». Il est crucial de s’en souvenir.

C’est ainsi que les élections américaines proposent essentiellement aux gens de choisir entre deux partis qui représentent deux interprétations largement similaires des intérêts des institutions économiques dominantes. Certes, des différences existent et il arrive qu’elles fassent une différence. Mais pour l’essentiel, on retrouve bien cette large uniformité de points de vue, de valeurs et de préoccupations.

Ceux-ci étant par définition très éloignés des points de vue, valeurs et préoccupations de l’immense majorité de la population, ces derniers sont dès lors ignorés ou marginalisés durant le processus électoral, les élections américaines devenant donc, dans une très substantielle mesure, des opérations de relations publiques, s’efforçant de garder à la marge le public tout en lui faisant croire que ce qui est discuté est néanmoins important et le concerne. Ce n’est pas une mince tâche.

En bout de piste, les candidats sont vendus et présentés selon les mêmes techniques et procédés qui servent à vendre du savon à lessive.

Obama a-t-il changé tout cela? Si on regarde par-delà l’habile rhéteur et le formatage auquel on l’a soumis, rien ne permet de penser qu’il a échappé aux effets déterminants qu’imposent les conditions structurelles d’une campagne électorale aux Etats-Unis. Pour s’en convaincre, on peut examiner la campagne qu’il a menée et les gestes qu’il a posés depuis qu’elle s’est terminée.

L’écran à fantasmes

Noam Chomsky a décrit la campagne d’Obama comme une «blanck slate», c’est-à-dire comme un tableau vierge sur lequel chacun a été invité à écrire ce qu’il voulait.
C’est ainsi que des mots pouvant recouvrir à peu près tout ce qu’on voudra ont été ainsi lancés (par exemple : «espoir», «changement», «on le peut») par lesquels, puisque ce pouvait être n’importe quoi, chacun a entendu ce qu’il voulait bien y entendre. La campagne d’Obama, — certes pas entièrement mais dans une substantielle mesure surtout pour des enjeux cruciaux et polémiques en matière de politique étrangère et intérieure — a ainsi consisté à présenter une sorte d’ «écran à fantasmes» sur lequel chacun a pu projeter ce qu’il a voulu.

Il est d’ailleurs frappant de constater combien sont diverses et parfois diamétralement opposées les interprétations de ce qu’il a défendu ou soutenu et des politiques qu’il disait entendre suivre s’il était élu.

Certains ont vu en lui le président qui assurera la continuité des politiques unilatéralistes, tandis que des progressistes ont vu un beau risque; des pacifistes le voient comme la chance de terminer la guerre en Irak, mais des faucons comme celle de continuer celle en Afghânistân; on lui a attribué l’ambition de mettre fin aux pires excès du réjectionnisme de la politique américaine envers Israël, mais aussi celle de n’y rien changer; on a vu en lui ici le nouveau Kennedy, là le nouveau Bush première version, ailleurs encore le nouveau Reagan.

En attendant que la realpolitik ne tranche, ce qui ne saurait tarder, des faits têtus persistent.

C’est ainsi que les Etats-Unis ne sont pas soudainement entrés dans une phase post-raciste et que l’arrivée d’un couple Noir à la Maison-Blanche ne change pas le fait que les Noirs sont toujours sous-représentés dans tous les postes décisionnels et qu’ils forment toujours une part disproportionnée de la population carcérale — près d'un homme Noir entre 20 et 34 ans sur 20 est en prison aux Etats-Unis — où avec quelque 2 320 000 prisonniers, c’est près de 1% de la population qui est incarcérée.

C’est encore ainsi que Etats-Unis ne sont pas soudainement entrés dans une phase plus démocratique de leur histoire et que le gouvernement reste encore «cette ombre projetée sur la société par les grandes corporations» dont paraît John Dewey. (Le caractère profondément anti-démocratique en a été une fois de plus mis en évidence dans le récent renflouement à hauteur de 700$ milliards des banques et autres institutions financières : massivement rejeté par l’immense majorité de la population, les mesures préconisées ont néanmoins été mises en place.)

C’est à des réalités comme celles-là que les promesses d’Obama doivent être rapportées. Considérez par exemple ce modeste projet qu’il a annoncé et qui permettrait d’assurer une couverture en santé à des millions d’Américains qui en sont privés : ce projet est loin d’être mis en marche et plus encore d’être implanté. Mais on peut être certain que la «grande ombre» des corporations pharmaceutiques et des compagnies d’assurance (avec d’autres) vont exercer d’énormes pressions pour qu’il n’aboutisse pas.

De même, la fin de la guerre en Afghanistan n’est absolument pas une chose acquise, bien au contraire, et Obama a même parlé d’augmenter le nombre de soldats qui y sont déployés. Quant à la promesse du retrait des troupes américaines d’Iraq à l’été 2010, absolument rien ne garantit qu’elle sera tenue.

Ce n’est qu’en janvier qu’Obama annoncera la composition de son équipe et les grandes orientations de sa politique. Mais ce qu’on en devine déjà n’est guère encourageant.
Au moment où j’écris ces lignes, on annonce la nomination de Rahm Emanuel comme secrétaire général de la Maison Blanche : le choix pour ce poste crucial de cet ex conseiller politique de Bill Clinton n’annonce rien de bon. Emanuel est en effet un néolibéral bon teint qui a joué un rôle crucial dans l’imposition de l’accord de libre échange nord-américain (ALENA) aux environnementalistes et aux syndicats, un partisan de la «guerre au terrorisme» et de la présence américaine en Afghanistan : bref, un faucon doublé d’un ardent défenseur de l’hégémonie des corporations.

De même pour les autres personnes dont il s’entoure déjà : le Président élu vient ainsi de se présenter à sa première conférence de presse avec une équipe de conseillers économiques qu’aucun de ses prédécesseurs n’aurait reniée — on n’y trouve d’ailleurs personne qui soit issu du monde du travail. Parmi elles, Paul Volcker, qui pourrait être appelé à jouer un rôle significatif, peut-être même celui de Treasury Secreteray : incarnation des pires excès néolibéraux, si on peut se permettre ce pléonasme, il a été un des personnages clés de l’administration Reagan et on lui doit notamment la croissance démente des taux d’intérêts durant les années 80.

Au poste de secrétaire à la défense, le nom de Richard Holbrooke circule, dont on se souviendra comme la personne qui, sous l’administration Carter, a autorisé l’envoi d’armes à l’Indonésie pour lui permettre de continuer l’Occupation du Timor Oriental qui avait fait 200 000 victimes. Circule aussi celui de Madeleine Albright, celle-là même qui affirmait en 2001 que la mort d’un demi-million d’enfants en Irak suite aux sanctions imposées par les Etats-Unis est quelque chose qui «valait le coût».
À la défense, la rumeur place en ce moment Robert Gates : cette fois encore, ce sera «business as usual».

Que va-t-il arriver en janvier et février prochains? La question reste ouverte. De son côté, Michael Albert, de Z Magazine, s’est risqué à une prédiction: «Je soupçonne, écrivait-il, qu’hélas, dès la première semaine de son entrée en fonction — littéralement : dès la première semaine — les choix de collaborateurs et de personnel que fera Obama vont très clairement montrer que sans un militantisme massif contraignant à des actions différentes, le changement ne sera que superficiel».
Des événements récents comme ceux que j’ai rapportés lui donnent pour l’instant raison. Mais c’est la condition qu’Albert introduit dans sa prédiction qui est me semble capitale : «sans un militantisme massif contraignant à des actions différentes».


Au-delà des élections

L’histoire nous a inlassablement appris que le pouvoir n’a jamais rien cédé et ne cèdera jamais rien si ce n’est par la force.

Cette fois encore, il ne cèdera rien sans elle et l’ère Obama sera donc, dans une substantielle mesure, ce que par leur action sur le terrain les militantes et les militants en feront. Les pressions qu’ils et elles exerceront pourront seules faire en sorte qu’Obama, comme n’importe quel autre élu aux Etats-Unis ou ailleurs, tienne les promesses faites au peuple plutôt que celles faites aux corporations, aux élites et à tous ceux qu’Adam Smith appelait déjà «les maîtres».

Dans les cruciales semaines à venir il va donc s’agir, pour les progressistes américains, pour les pacifistes, pour les activistes mobilisés contre les guerres en cours, pour les syndicats et les mouvements liés au monde du travail et aux regroupements communautaires, de maintenir vivante et même d’accroître la mobilisation populaire qui a fait élire Obama et de rappeler, surtout à tous ceux-là pour qui voter est l’aboutissement de leur engagement politique, qu’avec cette élection, les combats, loin de se terminer, commencent. Réussiront-ils?

Je l’ignore. Mais entre pessimisme de la raison et optimisme de la volonté, je le souhaite ardemment.

lundi, novembre 17, 2008

COUVERTURE: ZELF DENKEN!

...et pendant que je suis sur le sujet des couvertures, voici celle du Petit cours d'autodéfense intellectuelle en Néerlandais.

J'ai passé un très bon moment aux Pays-Bas; et je posterais volontiers le Power Point de mon exposé au Congrès Sceptique si je savais comment faire...

NOUVELLE ÉDITION DE: L'ORDRE ...

Je reçois ce matin une nouvelle édition de L'ordre moins le pouvoir destinée à la France et aux pays européens. J'ai bien aimé la nouvelle couverture:


SALON DU LIVRE DE MONTRÉAL

Je serai au Salon du livre de MontréalJeudi le 20 novembre, de 20 à 21 heures, pour le Tagore paru au Noroît; samedi, le 22 novembre, de 16 à 17 heures, pour le même livre; et de 15 à 16 heures pour Sève et sang, paru à Mémoire d'encrier.

Si vous passez par là, je serais content de vous serrer la pince.

vendredi, novembre 14, 2008

MARTIN GARDNER, LE SCEPTIQUE POLYMATHE - 4

Dieu et la religion

Ici, une surprise de taille attend ses lecteurs et lectrices : Martin Gardner est croyant, d’une foi évidemment très particulière. Athée moi-même, je ne me sens pas très assuré de pouvoir rendre pleinement justice à sa position et me contenterai donc ici de le citer brièvement et de renvoyer à ses écrits qui désire en apprendre plus.

Dans le débat entre athées et croyants, Gardner se dit d’accord avec Unamuno pour reconnaître que «les athées ont les meilleurs arguments». Comment alors justifier qu’il ait néanmoins la foi? Il explique, en substance, que c’est par une sorte de donquichottisme émotif, contre l’évidence et contre les probabilités, mais qui n’est pas non plus fortement contredit par la science ou par la logique, qu’il s’autorise ce saut de la foi, lequel est fait sur un sujet d’une extrême importance — l’existence de Dieu, l’immortalité — et lui procure de grandes satisfactions.

Quand Michael Shermer, à qui il expose ces idées, lui demandera si des personnes qui croient aux sottises nouvel-âgistes ne pourraient se prévaloir du même raisonnement pour défendre leurs croyances, Gardner répondra en réitérant ce que je viens de résumer et en ajoutant qu’il y a quelque chose de radicalement différent dans les deux cas puisque plusieurs des croyances nouvel-âgistes sont empiriquement réfutées .

Il affirmera encore, parlant de sa foi : « C’est une manière d’échapper à un état de profond désespoir. The Will to Believe, de William James, est la défense classique du droit de faire un tel «saut de la foi». Mon théisme est indépendant de tout mouvement religieux et se situe dans une tradition qui commence avec Platon et qui comprend Kant ainsi qu’une foule d’autres philosophes, jusqu’à Charles Peirce, William James et Miguel de Unamuno .» Pour un athée, pense Gardner, citant Chesterton, «l’univers est le plus exquis chef-d’œuvre jamais construit par personne».

Il est important de rappeler pour finir que Gardner a consacré de nombreuses pages à critiquer les religions et les cultes et certaines de leurs figures et personnalités les plus en vue et les plus charismatiques (Robert Maynard Hutchins, Mortimer Adler, and William F. Buckley, Jr.) en plus de consacrer des livres dévastateurs tout entiers à certaines d’entre elles (The Healing Revelations of Mary Baker Eddy: The Rise and Fall of Christian Science, 1993; Urantia: The Great Cult Mystery, 1995).


Pour s’orienter dans l’œuvre de Gardner


Je dois avouer ne pas savoir combien de livres Martin Gardner a écrits et que j’ignore aussi combien de ses articles n’ont toujours pas été réunis en volume.

Pour en rester aux livres, le catalogue de la Library of Congress répertorie 151 ouvrages à son nom. Sur amazon.com, la commande : Auteur : Martin Gardner, retourne 331 titres, ce qui comprend bien entendu les rééditions, nombreuses, de ses livres, mais pointe tout de même vers beaucoup d’ouvrages…D’autant qu’il ne faut pas oublier que Gardner a écrit sous des pseudonymes (Uriah Fuller, une plaisanterie en référence à Uri Geller, ou George Grothen en sont des exemples; mais aussi, comme vous le savez, Armand T. Ringer) et que certains de ses livres semblent avoir été des brochures peu répertoriées ou à petit tirage ou encore des textes diffusés uniquement dans des boutiques de magie spécialisées.

Quoiqu’il en soit, en 75 ans, entre sa requête à la revue Science and Invention et «The memory wars», Gardner a définitivement beaucoup, beaucoup, publié. Je n’ai évidemment pas tout lu — mais je pense avoir lu le principal.

Ces limites précisées, je me risque à proposer la liste qui suit. Elle comprend dix titres qui me semblent incontournables et dont la lecture donnerait, je pense, une bonne idée de l’étendue des talents et des intérêts de Gardner.

1. Fads and Fallacies in the Name of Science, Dover Publications, New York, 1957.

On l’a vu : c’est un point tournant de l’histoire du scepticisme contemporain. Un monument d’intelligence, d’humour et de finesse, qui n’a guère pris de rides. Il en existe une traduction française, malheureusement rare et parue sous un titre malhabile : Les magiciens démasqués. Santé et prospérité des pseudo-savants, Presses de la cité, Paris, 1966.

2. Aha! Gotcha. Paradoxes to Puzzle and Delight, W.F. Freeman and Company, New York, 1982. (Reprise de l’ouvrage édité par Scientific American en 1975.)

Différents paradoxes de logique, mais aussi sur les nombres, la géométrie, les probabilités, les statistiques et le temps. Il existe un autre volume similaire: Aha! Insight, Freeman and Company, et Scientific American, New york, 1978. Une version française de ce titre est disponible : Ha!ha! Ou l'éclair de la compréhension mathématique, Bibliothèque pour la science, Paris , 1979,

3. The Annotated Alice. The Definitive Edition, W. W. Norton and Co., 1999.

Le best-seller de Gardner — un million d’exemplaires vendus, dit-on. Il a raconté comment il avait suggéré à un éditeur de demander à Bertrand Russell de faire ce livre, avec notamment l’ambition d’expliquer aux lecteurs et lectrices les jeux et références à la logique et aux mathématiques dont regorge Alice… . Russell n’ayant pas pu (ou voulu) réaliser ce projet, c’est finalement Gardner qui a fait le livre.

4. The Whys of a Philosophical Scrivener, St. Martin's Griffin, 2ème édition, 1991.

Le traité de philosophie de Martin Gardner. Érudit, clair, pédagogique : un modèle à suivre pour quiconque veut exposer des idées difficiles.

5. The Colossal Book of Mathematics, W.W. Norton and Co., New York, London, 2001.

Véritable somme regroupant celles que Gardner considère être les cinquante meilleures de ses chroniques de la rubrique Mathematical Games du Scientific American — préalablement réunies en 15 volumes d’anthologie. On y traite d’algèbre, de géométrie, de topologie, de probabilités, et de bien d’autres sujets encore.

6. Famous poems of Bygone Days, Dover Publications, New York, 1995.

Une anthologie de célèbres poèmes (anglais et américains) éditée et annoté par Gardner. L’amateur de poésie pourra également lire, chez le même éditeur : Best Remembered Poems, 1992.

7. The Night is Large. Collected Essays, 1938-1995, St Martin’s Press, New York, 1996.

Le choix de Gardner dans les essais de Gardner. Les textes sont regroupés sous sept rubriques : sciences physiques; sciences sociales; pseudosciences; mathématiques; arts; philosophie; religion. Le titre est emprunté à une phrase de l’écrivain Lord Dunsany (1878-1957) : «Man is a small thing, and the night is large and full of wonder».

8. The Flight from Peter Fromm, Noonday Press, New York, 1973; rééd. Prometheus Books, 1994.

Roman «semi-autobiographique» racontant le parcours d’un jeune homme depuis le fondamentalisme religieux jusqu’au rationalisme sceptique. Roman d’éducation, en somme, magnifiquement écrit et indispensable pour connaître Gardner.

9. Relativity Simply explained, Illustrations de A. Ravielli, Dover books, 1996. Reprise de : The Relativity Explosition, Vintage Books, 1962.

La relativité restreinte puis la relativité générale expliquées par Gardner : vous allez enfin comprendre!

10. Encyclopedia of Impromptu Magic, Magic Inc., Chicago, 1978.

Gros volume cartonné de près de six cent pages dans lequel Gardner, qui a toute sa vie été un passionné de magie, réunit des centaines de tours de magie qu’on peut réaliser à l’improviste avec rien (ou si peu de chose). Une rareté que je vous souhaite de découvrir.


Ajoutons pour finir que l’on peut depuis peu acquérir un CD Rom préparé par la Mathematical Association of America et qui comprend tous les articles publiés par Gardner dans Scientific American de 1956 à 1986: Martin Gardner's Mathematical Games (2005).


On me permettra de terminer par un souhait.

Si l’on excepte les livres de mathématiques récréatives et de vulgarisation scientifique, tout le reste de l’œuvre de Gardner reste très peu, voire pas du tout, publié en français. Je pense qu’il est grand temps que voie le jour, dans la langue de Molière, l’anthologie représentative de son œuvre que Gardner mérite : elle ferait une large place à ses écrits sceptiques, à la philosophie et à la littérature.

J’espère qu’un éditeur francophone publiera un tel livre : ce faisant, il rendrait un fier service...

mercredi, novembre 12, 2008

MARTIN GARDNER, LE SCEPTIQUE POLYMATHE - 3

Littérature

On a parfois décrit les chroniques mathématiques de Gardner comme des ponts lancés entre la culture littéraire et la culture scientifique. Il n’y a rien de bien étonnant, dès lors, à apprendre que l’architecte de ces ponts aime passionnément la littérature.

Mais peu de gens savent à quel point celle-ci occupe une part importante de la production de Gardner. Pour en rester aux seuls livres, et sans viser l’exhaustivité, voici les principaux de ces écrits.

Gardner est d’abord lui-même romancier, ayant comme on l’a vu signé un «roman semi-autobiographique» (The Flight from Peter Fromm, 1973). Il a aussi rédigé une suite au célèbre livre de L. Frank Baum, The Wonderful Wizard of Oz , qu’il a intitulée : Visitors from Oz. The Wild Adventures of Dorothy, the Scarecrow, and the Tin Woodman (1998).

Il a aussi présenté et annoté des ouvrages d’écrivains qu’il aime particulièrement : L. Frank Baum et son Oz (The Annotated Wizard of Oz, 2000); G.K. Chesterton, un autre de ses écrivains préférés (The Man Who Was Thursday (1999) ainsi que Innocence of Father Brown (1987)); Samuel Taylor Coleridge, (The Rime of the Ancient Mariner; 2003); et Lewis Carroll, dont il a savamment édité les Alice (édition définitive, 1999), mais aussi le savoureux et moins connu : The Hunting of the Snark (1962).

Il a encore préparé une anthologie de textes parodiant l’immensément célèbre poème Casey at the Bat (1967); ainsi que deux anthologies de poèmes parues chez Dover: Best Remembered Poems (1992) et Famous Poems from Bygone Days (1995).

En 2001, il publiait une troisième anthologie de poésie, où il réunit cette fois des parodies de poèmes célèbres (Poetic Parodies, 2001). L’ouvrage regorge de trouvailles où des auteurs, connus ou moins connus, s’amusent à composer des pastiches, souvent hilarants, de poèmes toujours familiers des amateurs de poésie anglophone.

Voici, à titre d’exemple retenu ici pour sa brièveté, un poème de Robert Frost suivi de sa parodie , par un certain Armand T. Ringer:

Fire and Ice

Some say the world will end in fire,
Some say in ice.
From what I have tasted of desire
I hold those who favor fire.
But if I had to perish twice,
I think I know enough of hate
To say that for destruction ice
Is also great
And would suffice


(Robert Frost)

Warm and Cold


Some say that booze is best when warm.
Some say on ice.
I hold with those who favor warm,
But if I had to drink it twice
I think I know enough of late
To say that for one’s pleasure ice
Is also great
And would suffice

(Armand T. Ringer)

Si on se rappelle ce qu’est une anagramme, on conviendra que ce monsieur Ringer a décidément autant de talent et d’humour que l’éditeur de l’ anthologie où paraît son texte …

dimanche, novembre 09, 2008

MARTIN GARDNER, LE SCEPTIQUE POLYMATHE - 2

Modeste survol d’une œuvre immense

Examinant dans son ensemble l’œuvre de Gardner, ce qui frappe d’abord, c’est la grande variété de ses intérêts, qui ne s’est jamais démentie tout au long de sa carrière.

Gardner est en fait une sorte de polymathe, c’est-à-dire une de ces personnes cultivant l’ambition de faire un tour le plus complet possible de l’expérience et du savoir humains.

Pour survoler cette oeuvre, diversifiée et abondante, et sans prétendre tout couvrir, on pourra ici commodément la ventiler sous cinq rubriques.

Jeux et divertissements mathématiques

C’est souvent par ce seul volet de son oeuvre que l’on connaît Gardner. Il faut dire qu’il est probablement la personne qui a le plus fait, durant la deuxième moitié du XX ème siècle, pour populariser les mathématiques en général et les «mathématiques récréatives» en particulier.

Son travail sur ces deux plans lui a valu une très grande estime de la part des mathématiciennes et mathématiciens ainsi que des pédagogues et vulgarisateurs scientifiques. Pourtant, et on sera peut-être étonné de l’apprendre, Martin Gardner, qui expose clairement tant de notions de mathématiques, n’a aucun diplôme dans cette discipline et n’a vraisemblablement approché les sciences formelles à l’université que par le biais de ses études en philosophie — durant lesquelles on peut présumer qu’il a appris un peu de logique. Gardner en a tiré la leçon qu’il n’y a rien de tel pour apprendre quelque chose que de devoir écrire sur ce quelque chose.

Tout commence en décembre 1956, alors que Gardner publie un premier article dans Scientific American sur des aspects ludiques de la géométrie combinatoire. On lui demande alors de tenir chronique sur les jeux mathématiques et il accepte. La célèbre rubrique Mathematical Games du Scientific American est née. Gardner y mettra un terme en 1981; elle sera alors reprise par Douglas Hofstadter, qui nommera joliment sa chronique Metamagical Themas, une anagramme de Mathematical Games.

Les nombreux ouvrages où sont réunies ces chroniques permettent de constater que, prises dans leur ensemble, elles offrent un assez vaste survol des mathématiques. Le parcours qu’elles proposent conduit les lecteurs, avec les années, de textes portant sur des notions élémentaires (qui sont le niveau de connaissance des mathématiques de Gardner lorsqu’il a commencé sa chronique) à des textes toujours aussi clairs, mais abordant des sujets de plus en plus complexes, jusqu’à traiter de développements récents, parfois pointus, auxquels Gardner a le grand mérite d’avoir initié un vaste public (les fractales, les polyominos, la crypto-analyse ainsi que de très nombreux autres sujets).

Dans le cadre de ces chroniques, Gardner invente un personnage fameux, le docteur Matrix, dont il conte les aventures. Il s’y permet même quelques canulars retentissants, dissertant par exemple sur un traité concernant des pyramides qui permettent de conserver leurs fils aux lames de rasoirs; ou prétendant, dans un numéro d’avril comme il se doit, que d’éminents problèmes non résolus viennent de trouver leurs solutions. Plus drôle encore, le docteur Matrix proposera une preuve bidon que la millionième décimale de Pi est 5 : or, quand on la déterminera, plus tard, à l’université Stanford, elle s’avèrera être… 5!

Les amoureux de mathématiques récréatives sont aussi redevables à Gardner d’avoir fait redécouvrir et connaître au grand public les œuvres de deux des plus grands inventeurs d’énigmes du siècle dernier : l’américain Sam Loyd (1841-1911) et le britannique Henry Ernest Dudeney (1857-1930), dont il a édité les oeuvres.


Science et philosophie


Gardner a étudié en philosophie à l’université et cette discipline est restée au centre de ses intérêts. «La philosophie me fournit une excuse pour m’occuper d’un peu de tout», dira-t-il, restant bien modeste sur ce qu’il a accompli : «Bien que mes intérêts soient variés, ils dépassent rarement un niveau élémentaire. Je donne l’impression d’en savoir plus que je n’en sais parce que je fais beaucoup de recherche, que j’écris clairement et que je maintiens à jour des fiches sur tout ce qui m’intéresse ».

Ayant été formé au contact de Carnap, il n’est pas étonnant que l’on retrouve chez lui ces qualités intellectuelles qu’on trouvait chez le premier; pas étonnant non plus que la science et l’épistémologie y occupent une grande place. Gardner s’est en fait avéré un fort habile vulgarisateur scientifique et philosophique, produisant plusieurs ouvrages s’adressant à un large public —certains sont destinés aux adultes, d’autres aux plus jeunes.

Faute de pouvoir traiter, même sommairement, tous ses écrits et ses positions philosophiques, je me contenterai d’en énumérer trois ici, particulièrement importantes et qu’il a défendues avec brio

La première. Gardner a d’abord soutenu la double thèse du réalisme extérieur et de la vérité correspondance. Cette thèse, il la défendra en particulier contre l’instrumentalisme, contre le pragmatisme, contre le relativisme et contre les conceptions de la vérité comme cohérence. Durant les années 90, il a repris le flambeau pour attaquer, au nom du réalisme extérieur et de la vérité correspondance, les thèses post-modernistes qui envahissaient alors les départements universitaires, en particulier de sciences sociales, de littérature et de philosophie.

La deuxième. Gardner défend depuis toujours un platonisme (ou réalisme) mathématique : il soutient donc que les êtres mathématiques existent indépendamment de notre pensée, qui les découvre.

La troisième. Gardner s’est défini comme mystériste, entendant par là qu’il pense qu’il y a un profond et peut-être insoluble et irréductible mystère concernant l’esprit humain et la conscience, et qui dépasse peut-être les capacités de l’esprit humain. Gardner attribue une version ou une autre de cette position à divers auteurs, parmi lesquels : Noam Chomsky, Roger Penrose et Thomas Nagel.

Le mouvement sceptique

En 1952, Martin Gardner publie, chez Putnam, un livre intitulé : In the Name of Science. C’est un ouvrage étonnant et neuf.

Dans un style remarquable par sa grande clarté, l’auteur propose une information riche concernant toute une série de croyances, dont plusieurs sont alors fort populaires, mais qui sont aussi plus ou moins délirantes et qui prennent appui sur une base prétendue scientifique. Il examine ces croyances à la loupe et argumente pas à pas pour démontrer en quoi elles sont irrationnelles, erronées ou problématiques, et convie ses lecteurs à un exercice dont l’humour n’est pas absent.

Parmi les sujets traités : la dianétique de l’Église de scientologie; les OVNIs; le accumulateurs d’orgone de Wilhelm Reich; l’astronomie d’Immanuel Velikovsky; la «pyramidologie»; l’Atlantide; la perception extrasensorielle; et plusieurs autres encore.

L’ouvrage ne connaît guère de succès. Quatre ans plus tard, il est repris par Dover sous le titre : Fads and Fallacies in the Name of Science. Il devient vite un best-seller en lequel plusieurs voient le document fondateur du mouvement sceptique moderne anglophone. Le livre est encore disponible aujourd’hui, en format de poche et toujours chez Dover.

Un quart de siècle plus tard, en 1976, Gardner sera, avec plusieurs autres comme Carl Sagan, Isaac Asimov, Philip Klass, Paul Kurtz, Ray Hyman, James Randi et Sidney Hook, un des membres fondateurs du CSICOP (Committee for the Scientific Investigation of Claims of the Paranormal, ou Comité pour l’examen scientifique des allégations du paranormal). Cette célèbre et sérieuse organisation qui, comme on sait, existe toujours, encourage l’examen critique, scientifique et responsable des allégations paranormales ou parascientifiques (fringe-science) et veut faire connaître les résultats de ces examens à la communauté scientifique et au grand public. De 1983 à 2002 Gardner a tenu une chronique dans Skeptical Inquirer, le magazine du mouvement — elle sera d’abord intitulée Notes from a Psi-Watcher, puis Notes from a Fringe-Watcher. Comme on l’a vu, il vient d’y effectuer un retour.

Sa vaste connaissance de la magie, qui est une des grandes passions de sa vie, a certainement été ici d’un certain secours dans le travail de «détection de poutine» auquel Gardner s’est livré si longtemps et avec succès et panache.

Tout en reconnaissant qu’il y a un certain plaisir à démonter les croyances irrationnelles et en ne niant pas que c’est aussi une manière d’apprendre en douceur la vraie science indispensable à ce travail, Gardner a cependant avoué — et on le comprend! — avoir pris beaucoup plus de plaisir à écrire ses livres sur la science que ceux où il se livre au «déboulonnage» (debunking), ajoutant même regretter, en un sens, d’y avoir consacré autant de temps.

Mais il ajoutait aussi : «Une des raisons de s’y livrer [au déboulonnage ] est que la mauvaise science contribue au décervelage de notre pays. Des croyances sont adoptées par les leaders politiques et cela cause un tort considérable à la société. On le voit en ce moment même [note de N.B. : nous sommes en 1998] avec la montée de la droite religieuse, qui domine de larges pans du Parti Républicain. Je pense que le fondamentaliste et pentecôtiste Pat Robertson est un bien plus grand danger pour les Etats-Unis que, disons, Jesse Helms, qui sera vite oublié .»

En justification du travail des sceptiques, Gardner citera aussi la nécessité de contrer certaines conceptions pseudo-scientifiques dangereuses et destructrices, par exemple celles concernant les races ou les pseudo-médecines. Il rappellera pour finir le mot de Voltaire : «Si nous croyons les absurdités, nous allons commettre des atrocités »

jeudi, novembre 06, 2008

STUPID DESIGN!

CHEZ MASBOURIAN

L'entrevue sur Houdini et Voltairine est ici, en deuxième heure de l'émission.

MARTIN GARDNER, LE SCEPTIQUE POLYMATHE -1

Par son ampleur et par sa lucidité,
par les lumières qu’elle apporte sur des questions
difficiles et importantes,
la contribution de Martin Gardner à la vie intellectuelle contemporaine est exemplaire.

Noam Chomsky

Le scepticisme est un vaste fleuve d’idées qui a irrigué la pensée occidentale depuis les sceptiques de l’Antiquité jusqu’à nos jours.

Durant ce long développement, le scepticisme a pris des formes diverses. Pour les sceptiques de l’Antiquité grecque, il a surtout été un moyen d’atteindre, devant le chaos du monde et l’incertitude de nos jugements, un idéal moral de tranquillité de l’âme (appelé ataraxie); il fut plus tard, par exemple chez Montaigne, une attitude de réserve devant l’incertitude du savoir et la diversité des mœurs et des opinions; au XVII ème siècle, il fut un puissant aiguillon et un précieux allié de la pensée scientifique naissante; de tout temps, mais plus encore depuis le Siècle des Lumières, il a été une arme redoutable pour combattre le dogmatisme et l’obscurantisme, notamment religieux.

Au XX ème siècle, alors que la science empirique et expérimentale est constituée depuis déjà trois siècles, le scepticisme se fait volontiers son critique compagnon de route: il devient pourfendeur des croyances irrationnelles et de la pseudoscience, à laquelle il peut arriver même à des scientifiques de céder. Il propose ainsi une indispensable hygiène de l’esprit. À ce titre, il intéresse à la fois le scientifique et le citoyen et peut prétendre apporter une précieuse contribution à la santé et à la vigueur du débat démocratique. Ce mouvement sceptique intervient dans l’espace public, dénonce, parfois avec humour mais toujours avec sérieux et compétence, les théories et idées pseudoscientifiques, paranormales et plus généralement irrationalistes.

Martin Gardner est sans aucun doute une des personnes qui ont le plus contribué au développement du mouvement sceptique contemporain et à la définition de ses caractères les plus spécifiques et originaux. Il n’est pas excessif de soutenir que quiconque participe à ce mouvement ou en a simplement appris quelque chose, a contracté une certaine dette envers lui.

Mais Gardner, qui est aujourd’hui un homme âgé (il est né le 21 octobre 1914 à Tulsa, Oklahoma), demeure la personne discrète qu’il a toujours été et reste, dans toute la variété de ses intérêts, étrangement peu connu, parfois même au sein du mouvement sceptique. Il faut dire que lui-même a déjà affirmé que sa vie ne présente pas grand intérêt, puisqu’elle est «tout entière vécue dans [s]a tête»!

Les pages qui suivent tirent toutes leurs informations des écrits de ou sur Gardner (1) et vous invitent à une rencontre avec ce monument de la pensée critique, avec l’espoir que vous aurez, après les avoir parcourues, l’irrésistible envie de le lire — ou de le relire.

Fragments biographiques

Le plus récent texte publié de Marin Gardner est peut-être «Mr Beloc objects», paru dans le dernier numéro de Skeptical Inquirer (novembre/décembre 2008) — Gardner a longtemps tenu une chronique dans cette pubication. Son premier texte publié l’a été il y a près de … 76 ans, puisqu’il est paru en avril 1930. Gardner n’a alors que 16 ans et est étudiant au secondaire. Cette première publication est bien modeste : il s’agit d’une simple demande envoyée à un chroniqueur de la revue Science and Invention. Mais on y pressent déjà le passionné de magie et d’énigmes qu’il deviendra, en même temps que l’homme désireux de vérifier ce qu’on lui dit et qui annonce le sceptique qu’il sera.

Pour mémoire, voici ce document:

J’ai récemment lu un article sur la calligraphie et les faussaires dans lequel on affirmait que, pour faire disparaître l’encre, ceux-ci ne l’enlevaient pas vraiment, mais la décoloraient plutôt; et que l’encre ainsi traitée pouvait réapparaître facilement par un procédé dit de « fumage », bien connu de tous les experts. Pouvez-vous me décrire ce procédé? M’indiquer quels produits chimiques sont employés? Et aussi me dire comment on procède ? (2)


Comment ce jeune homme curieux est-il devenu Gardner? Voici quelques éléments de réponse à cette question.

Martin Gardner est né d’une mère fervente méthodiste et d’un père panthéiste. Athée au début du secondaire, il va se convertir et même devenir fondamentaliste avant de perdre définitivement la foi au catholicisme et de parvenir à une forme bien particulière de foi. Il raconte longuement un «parcours spirituel» qui ressemble au sien dans ce qu’il décrira comme un «roman semi autobiographique» : The Flight from Peter Fromm, où on assiste au cheminement d’un jeune homme qui s’arrache au fondamentalisme.

Le jeune Gardner ambitionne d’aller étudier à Caltech pour devenir physicien. Mais pour y être admis il doit avoir complété deux années d’études supérieures. Il s’inscrit donc pour cette raison à l’Université de Chicago — il est de la classe de 1936.

Son passage dans cette université, alors dirigée par Robert Maynard Hutchins, le marquera. Inspiré par Mortimer Adler, Hutchins, le jeune et controversé recteur, y prône une éducation libérale pour tous, une éducation sans spécialisation et centrée notamment sur les savoirs disciplinaires fondamentaux et la fréquentation des grands textes de la tradition occidentale.

Non seulement Gardner va-t-il découvrir à l’université de Chicago la vie intellectuelle et en particulier la philosophie, mais il va aussi y perdre la foi en le christianisme. Quand il est entré à l’université, il était un protestant fondamentaliste, doutant même de la théorie de l’évolution. Un cours de géologie le convainc de son erreur; bien d’autres cours plus tard, il a entièrement perdu sa foi en le christianisme. « […] mon fondamentalisme, constatera-t-il, et c’est incroyable, résista trois ans à l’Université de Chicago, qui était alors un château fort de l’humanisme laïque. […] L’érosion de mes convictions a été plus lente que ne l’avait été ma conversion ».

Après la guerre et quatre années passées dans la Marine, où il est timonier, Gardner serait sans doute retourné travailler pour les presses de l’université de Chicago s’il n’avait vendu un article au magazine Esquire. Cela le décidera à tenter sa chance comme auteur.

Un autre événement important de sa vie intellectuelle survient ensuite, alors qu’il s’inscrit à un cours de philosophie des sciences donné par Rudolf Carnap (1891-1970). Carnap a été un des membres fondateurs du célèbre Cercle de Vienne, qui réunissait des philosophes, des mathématiciens, des logiciens et des scientifiques autour du projet commun de produire une épistémologie rigoureuse et informée de la science faite ou en train de se faire. Sous la bannière du positivisme (on dira aussi : de l’empirisme) logique, ces penseurs proposent notamment une distinction entre propositions analytiques et a priori, pouvant être ou non valides (ce qu’on reconnaît en les analysant) et propositions synthétiques et a posteriori, pouvant ou non être vraies, ce qu’on détermine par l’expérience. Cette distinction débouche sur un critère de signification par lequel les membres du cercle espèrent pouvoir distinguer entre science et pseudoscience — c’est ce qu’on appellera le problème de la démarcation —, entre discours sensé et discours vide ou insensé. Ils concluront que les questions métaphysiques sont vides de sens. Si on doit reconnaître que ces travaux ont leurs faiblesses, en particulier un empirisme par trop naïf, il faut aussi constater que ces penseurs sont rigoureux, savants, informés, exigeants, amoureux de la vérité et du savoir. Gardner découvre avec bonheur ces qualités chez Carnap et elles se retrouveront dans ses propres écrits. En attendant, il convainc Carnap de le laisser enregistrer son cours et de lui confier le soin de tirer un livre de ces enregistrements. Le livre paraîtra et il en existe une édition française (Les fondements philosophiques de la physique, Armand Colin) : il reste une des bonnes introductions à son sujet.

À compter de cette date, Gardner commence à réunir ses célèbres fiches de lecture, qu’il conserve et classe dans des boîtes de souliers. Souvent, il découpe directement le passage qui l’intéresse dans son exemplaire du livre, qu’il abandonne ensuite, ne gardant ainsi que l’essentiel d’un ouvrage. Bientôt, 25 boîtes de chaussures sont sa plus précieuse — et presque sa seule — possession.

Avant d’en venir à un sommaire et inévitablement incomplet survol de ce qu’il tirera de ses boîtes et de leurs successeurs, deux dernières remarques.

La première pour rappeler que des personnes qui partagent ses passions et ses intérêts, notamment pour la magie et les mathématiques (surtout récréatives), se réunissent (aux deux ans, semble-t-il) lors d’événements appelés "Gatherings for Gardner". Le premier s’est tenu en 1993 et on peut trouver de l’information sur ces Gatherings à : [http://www.g4g4.com/index.html].

La dernière, pour souligner qu’un astéroïde (2587) porte, en son honneur, le nom de Gardner.


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(1) Outre les textes que je citerai, j’ai bénéficié, pour écrire ces pages, du collage d’extraits préparé par Dana Richards sous le titre : «Martin Gardner : A Documentary», dans : Mathemagician and Pied Puzzler : A Collection in Tribute to Martin Gardner, Natick, Mass. , A K Peters, 1999. Pages 3-13.

(2) GARDNER, Martin, «Now It Is, Now It Isn’t», Science and Invention, Avril 1930, p. 1119.