jeudi, novembre 20, 2008

LE CATALOGUE DE L'EXPO PRÉVERT

À défaut de voir l'exposition, j'ai lu le catalogue. Ci-après, un compte-rendu rédigé pour Le Devoir.

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Quand Jacques Prévert est né, le 4 février 1900, les fées des arts se sont penchées sur son berceau. Elles lui ont dit l’avenir et il était très beau. «Tu vivras une longue vie durant laquelle tu connaîtras l’amour et l’amitié», dit la première, Fée Nicotine, réglant ainsi le plus important et faisant de la sorte une promesse qu’elle ne fait pas souvent.

«Tu feras du théâtre», annonça une deuxième.

«Tu seras scénariste et dialoguiste de film», reprit une autre.

«Tu écriras de nombreuses chansons», dit une quatrième.

«Tu plublieras plusieurs recueils de poèmes», dit encore une autre.

«Tu feras des collages sublimes et troublants», dit une dernière.

La Fée Ressentiment, une fée malingre et méchante, se tenait en retrait, ne sachant plus que dire. Croyant enfin avoir trouvé, elle s’avança : «Tu seras…». Toutes les autres retenaient leur souffle. «Tu seras… po-pu-lai-re! Et tu le seras dans tout ce que tu feras!».

Les autres fées éclatèrent de rire. Populaire? Qu’y a -t-il de mal à cela quand on a le génie de Prévert?

Loin de m’inquiéter, la popularité de Prévert me rassure. Elle prouve que le peuple a son génie à lui, celui-là même qui lui a permis de reconnaître Shakespeare ou Molière, à défaut de lui avoir permis d’éviter de tomber sous le charme de quelques autres, dont nous tairons le nom.

Et pour bien mettre les choses au clair, une fée qui n’avait pas encore parlé s’avança pour dire : «Et dans tous les domaines où tu œuvreras, tu laisseras des chefs-d’œuvre qui parleront à tout le monde de ta voix qui ne ressemble à celle de personne et les plus grands, dans chacun de ces domaines, diront de toi que tu es leur égal. Et pour faire bonne mesure, en plus de tout ce que mes collègues ont dit, tu travailleras aussi avec les plus grands peintres et les plus grands photographes, qui seront tes amis».

La Fée Ressentiment s’éloigna, confuse.

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Trente et un ans après sa mort, survenue en 1977, la ville de Paris rend hommage à Prévert à travers une exposition réalisée avec la précieuse collaboration de sa petite-fille, Eugénie Bachelot-Prévert.

L’exposition, qui se tient à l’Hôtel de ville de Paris, du 24 octobre 2008 au 28 février 2009, trace le large portrait du parcours de celui qui a emprunté en toute liberté tant de sentiers de la création. Et puisque son héritière a généreusement ouverts ses coffres aux trésors, on a la chance, comme en témoigne ce luxueux catalogue, de découvrir des documents rarement vus, voire inédits.

L’ouvrage, tout comme l’exposition dont il est issu, se décline d’abord sur un mode chronologique : on découvre pour commencer l’enfance et l’adolescence de Prévert, puis son passage chez les surréalistes.

On aborde ensuite les genres que Prévert va pratiquer, tour à tour ou simultanément. C’est d’abord l’épisode du Groupe Octobre et du théâtre d’agit-prop — pour agitation propagande!

Vient ensuite le cinéma, où Prévert signe de nombreux chefs-d’œuvre. Puis la poésie et la chanson, avec le recueil Paroles et tous ceux qui lui succéderont.

Un chapitre revient sur les nombreux liens de Prévert avec tant de photographes (et pas les moindres : Doisneau, Izis, Villers, Brassaï et bien d’autres) et des peintres (ici encore, de très grosses pointures : Picasso, Chagall, Miro, par exemple). Le livre se termine sur ces collages que Prévert réalise jusqu’à la fin de sa vie et qui font aujourd’hui les délices des collectionneurs.

On trouvera encore, dans ces pages, des entretiens avec de nombreux compagnons de route de Prévert, de collaborateurs et de témoins de sa vie, une somptueuse iconographie, des textes de spécialistes, sans oublier une bibliographie et une filmographie.

Si vous connaissez un amoureux de Prévert, il vous suffira de glisser ce livre dans son petit soulier pour être certain de le combler de joie.

BACHELOT-PRÉVERT, Eugénie, et BINH, N.T., Jacques Prévert. Paris la Belle, Flammarion, Paris, 2008.

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