vendredi, novembre 14, 2008

MARTIN GARDNER, LE SCEPTIQUE POLYMATHE - 4

Dieu et la religion

Ici, une surprise de taille attend ses lecteurs et lectrices : Martin Gardner est croyant, d’une foi évidemment très particulière. Athée moi-même, je ne me sens pas très assuré de pouvoir rendre pleinement justice à sa position et me contenterai donc ici de le citer brièvement et de renvoyer à ses écrits qui désire en apprendre plus.

Dans le débat entre athées et croyants, Gardner se dit d’accord avec Unamuno pour reconnaître que «les athées ont les meilleurs arguments». Comment alors justifier qu’il ait néanmoins la foi? Il explique, en substance, que c’est par une sorte de donquichottisme émotif, contre l’évidence et contre les probabilités, mais qui n’est pas non plus fortement contredit par la science ou par la logique, qu’il s’autorise ce saut de la foi, lequel est fait sur un sujet d’une extrême importance — l’existence de Dieu, l’immortalité — et lui procure de grandes satisfactions.

Quand Michael Shermer, à qui il expose ces idées, lui demandera si des personnes qui croient aux sottises nouvel-âgistes ne pourraient se prévaloir du même raisonnement pour défendre leurs croyances, Gardner répondra en réitérant ce que je viens de résumer et en ajoutant qu’il y a quelque chose de radicalement différent dans les deux cas puisque plusieurs des croyances nouvel-âgistes sont empiriquement réfutées .

Il affirmera encore, parlant de sa foi : « C’est une manière d’échapper à un état de profond désespoir. The Will to Believe, de William James, est la défense classique du droit de faire un tel «saut de la foi». Mon théisme est indépendant de tout mouvement religieux et se situe dans une tradition qui commence avec Platon et qui comprend Kant ainsi qu’une foule d’autres philosophes, jusqu’à Charles Peirce, William James et Miguel de Unamuno .» Pour un athée, pense Gardner, citant Chesterton, «l’univers est le plus exquis chef-d’œuvre jamais construit par personne».

Il est important de rappeler pour finir que Gardner a consacré de nombreuses pages à critiquer les religions et les cultes et certaines de leurs figures et personnalités les plus en vue et les plus charismatiques (Robert Maynard Hutchins, Mortimer Adler, and William F. Buckley, Jr.) en plus de consacrer des livres dévastateurs tout entiers à certaines d’entre elles (The Healing Revelations of Mary Baker Eddy: The Rise and Fall of Christian Science, 1993; Urantia: The Great Cult Mystery, 1995).


Pour s’orienter dans l’œuvre de Gardner


Je dois avouer ne pas savoir combien de livres Martin Gardner a écrits et que j’ignore aussi combien de ses articles n’ont toujours pas été réunis en volume.

Pour en rester aux livres, le catalogue de la Library of Congress répertorie 151 ouvrages à son nom. Sur amazon.com, la commande : Auteur : Martin Gardner, retourne 331 titres, ce qui comprend bien entendu les rééditions, nombreuses, de ses livres, mais pointe tout de même vers beaucoup d’ouvrages…D’autant qu’il ne faut pas oublier que Gardner a écrit sous des pseudonymes (Uriah Fuller, une plaisanterie en référence à Uri Geller, ou George Grothen en sont des exemples; mais aussi, comme vous le savez, Armand T. Ringer) et que certains de ses livres semblent avoir été des brochures peu répertoriées ou à petit tirage ou encore des textes diffusés uniquement dans des boutiques de magie spécialisées.

Quoiqu’il en soit, en 75 ans, entre sa requête à la revue Science and Invention et «The memory wars», Gardner a définitivement beaucoup, beaucoup, publié. Je n’ai évidemment pas tout lu — mais je pense avoir lu le principal.

Ces limites précisées, je me risque à proposer la liste qui suit. Elle comprend dix titres qui me semblent incontournables et dont la lecture donnerait, je pense, une bonne idée de l’étendue des talents et des intérêts de Gardner.

1. Fads and Fallacies in the Name of Science, Dover Publications, New York, 1957.

On l’a vu : c’est un point tournant de l’histoire du scepticisme contemporain. Un monument d’intelligence, d’humour et de finesse, qui n’a guère pris de rides. Il en existe une traduction française, malheureusement rare et parue sous un titre malhabile : Les magiciens démasqués. Santé et prospérité des pseudo-savants, Presses de la cité, Paris, 1966.

2. Aha! Gotcha. Paradoxes to Puzzle and Delight, W.F. Freeman and Company, New York, 1982. (Reprise de l’ouvrage édité par Scientific American en 1975.)

Différents paradoxes de logique, mais aussi sur les nombres, la géométrie, les probabilités, les statistiques et le temps. Il existe un autre volume similaire: Aha! Insight, Freeman and Company, et Scientific American, New york, 1978. Une version française de ce titre est disponible : Ha!ha! Ou l'éclair de la compréhension mathématique, Bibliothèque pour la science, Paris , 1979,

3. The Annotated Alice. The Definitive Edition, W. W. Norton and Co., 1999.

Le best-seller de Gardner — un million d’exemplaires vendus, dit-on. Il a raconté comment il avait suggéré à un éditeur de demander à Bertrand Russell de faire ce livre, avec notamment l’ambition d’expliquer aux lecteurs et lectrices les jeux et références à la logique et aux mathématiques dont regorge Alice… . Russell n’ayant pas pu (ou voulu) réaliser ce projet, c’est finalement Gardner qui a fait le livre.

4. The Whys of a Philosophical Scrivener, St. Martin's Griffin, 2ème édition, 1991.

Le traité de philosophie de Martin Gardner. Érudit, clair, pédagogique : un modèle à suivre pour quiconque veut exposer des idées difficiles.

5. The Colossal Book of Mathematics, W.W. Norton and Co., New York, London, 2001.

Véritable somme regroupant celles que Gardner considère être les cinquante meilleures de ses chroniques de la rubrique Mathematical Games du Scientific American — préalablement réunies en 15 volumes d’anthologie. On y traite d’algèbre, de géométrie, de topologie, de probabilités, et de bien d’autres sujets encore.

6. Famous poems of Bygone Days, Dover Publications, New York, 1995.

Une anthologie de célèbres poèmes (anglais et américains) éditée et annoté par Gardner. L’amateur de poésie pourra également lire, chez le même éditeur : Best Remembered Poems, 1992.

7. The Night is Large. Collected Essays, 1938-1995, St Martin’s Press, New York, 1996.

Le choix de Gardner dans les essais de Gardner. Les textes sont regroupés sous sept rubriques : sciences physiques; sciences sociales; pseudosciences; mathématiques; arts; philosophie; religion. Le titre est emprunté à une phrase de l’écrivain Lord Dunsany (1878-1957) : «Man is a small thing, and the night is large and full of wonder».

8. The Flight from Peter Fromm, Noonday Press, New York, 1973; rééd. Prometheus Books, 1994.

Roman «semi-autobiographique» racontant le parcours d’un jeune homme depuis le fondamentalisme religieux jusqu’au rationalisme sceptique. Roman d’éducation, en somme, magnifiquement écrit et indispensable pour connaître Gardner.

9. Relativity Simply explained, Illustrations de A. Ravielli, Dover books, 1996. Reprise de : The Relativity Explosition, Vintage Books, 1962.

La relativité restreinte puis la relativité générale expliquées par Gardner : vous allez enfin comprendre!

10. Encyclopedia of Impromptu Magic, Magic Inc., Chicago, 1978.

Gros volume cartonné de près de six cent pages dans lequel Gardner, qui a toute sa vie été un passionné de magie, réunit des centaines de tours de magie qu’on peut réaliser à l’improviste avec rien (ou si peu de chose). Une rareté que je vous souhaite de découvrir.


Ajoutons pour finir que l’on peut depuis peu acquérir un CD Rom préparé par la Mathematical Association of America et qui comprend tous les articles publiés par Gardner dans Scientific American de 1956 à 1986: Martin Gardner's Mathematical Games (2005).


On me permettra de terminer par un souhait.

Si l’on excepte les livres de mathématiques récréatives et de vulgarisation scientifique, tout le reste de l’œuvre de Gardner reste très peu, voire pas du tout, publié en français. Je pense qu’il est grand temps que voie le jour, dans la langue de Molière, l’anthologie représentative de son œuvre que Gardner mérite : elle ferait une large place à ses écrits sceptiques, à la philosophie et à la littérature.

J’espère qu’un éditeur francophone publiera un tel livre : ce faisant, il rendrait un fier service...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Si j'ai bien compris, l'argument de Gardner en faveur de l'existence de Dieu n'est qu'une reprise de celui de Blaise Pascal : à savoir, on ne peut pas prouver de manière scientifique l'existence de Dieu, on ne peut que la ressentir (ou pas).

Deuxièmement, peut-être qu'un éditeur francophone traduira les écrits de Gardner ; en tout cas, ce ne sera pas un éditeur français : la vie intellectuelle française a été ravagée de manière irréversible par le napalm de Lacan, Derrida, et co.

Normand Baillargeon a dit…

Bonjour,

Gardner est au fond fidéiste - un peu comme Kant.

Vous avez probablement raison pour ce qui est de la publication de ses textes.

Normand b.