[Je poursuis ici la série sur l,Éthique commencée il y a quelques mois]
LES ÉTHIQUES FÉMINISTES
Imaginez la terrible situation suivante.
Alors que sa conjointe est atteinte d’un grave cancer et va mourir, M. Heinz apprend qu’un pharmacien a inventé un médicament à base de radium qui la sauverait. Il s’empresse donc d’aller le voir; mais le pharmacien demande $ 2 000 pour son médicament — qui ne lui a coûté que $ 200 à produire.
M. Heinz ne peut réunir que $ 1 000 et, après avoir expliqué sa situation au pharmacien, il propose de lui donner ce montant. Mais le pharmacien, bien décidé à s’enrichir avec sa découverte, refuse cette offre. M. Heinz promet alors de payer plus tard le reste de la somme. Le pharmacien refuse de nouveau. Désespéré, M. Heinz envisage de voler le médicament.
Serait-il juste qu’il le fasse?
Kohlberg et les stades du développement moral
Lawrence Kohlberg (1927-1987) a longuement étudié le développement moral des enfants en les interrogeant sur de semblables «dilemmes moraux». Ce qui l’intéressait, c’étaient non seulement les réponses données par les enfants, mais encore et surtout les justifications qu’ils avancent pour décider si une action était juste ou non.
Au terme de ses travaux, Kohlberg, très inspiré par Kant et par le psychologue Suisse Jean Piaget (1896-1980), a soutenu qu’il existait des stades du développement moral, faisant progressivement passer de l’hétéronomie à l’autonomie rationnelle. Voyons cela à grands traits.
Il existerait six stades divisés également en trois types de moralité. Au plus bas de l’échelle, celui de la moralité pré-conventionnelle, les jeunes enfants ont d’abord (stade 1) des jugements moraux très hétéronomes, justifiés par la peur des punitions ou l’anticipation de récompenses; un peu plus âgés (stade 2), ils restent égocentriques et pragmatiques et cherchent à combler leurs besoins (et parfois ceux des autres), mais dans une perspective «donnant-donnant».
La moralité dite conventionelle suit. Elle s’amorce par un moment (stade 3) dit «du bon petit garçon/de la bonne petite fille», où ce qui compte est de satisfaire les attentes du milieu, et se conclut sur un stade (4) orienté vers le respect de la loi et le maintien de l'ordre, vers l’autorité et les règles strictes et précises.
La moralité post-conventionelle, qui suit, est celle de l’autonomie et de la recherche de principes indépendants des groupes et même de mon éventuelle appartenance à un groupe. Le stade 5 est le moment légaliste du contrat social — généralement avec tendance utilitariste. Le dernier stade est orienté par et vers des principes éthiques universels, que l’individu reconnaît et vit comme autant d’exigences intérieures.
Prenez le dilemme de Heinz. Un enfant au stade 1 pourrait dire qu’il ne devrait pas voler le médicament parce qu’il pourrait aller en prison. Une personne parvenue à la moralité post-conventionelle pourrait dire qu’il peut le voler, parce que la vie d’une personne est plus importante que le profit que pourrait empocher une autre personne.
Ces travaux nous conduisent au véritable sujet que je veux aborder cette fois-ci, à savoir les éthiques féministes.
Les objections de Gilligan
Kohlberg avait en effet comme collaboratrice Carol Gilligan (1936) et celle-ci fera à propos de ses travaux plusieurs troublantes observations suggérant qu’ils sont biaisés en faveur des garçons.
Non seulement les échantillons étaient-ils majoritairement constitués de garçons, dira-t-elle, mais encore et surtout le système de notation retenu était biaisé en faveur de réponses faisant intervenir des principes et contre des réponses se situant plutôt sur un plan «relationnel». Gilligan pouvait ainsi expliquer une étonnante conclusion de Kohlberg, qui pensait avoir constaté qu’en moyenne les filles parviennent à des stades de développement moral inférieurs à ceux garçons.
Revenons au dilemme de Heinz. Des réponses typiques de garçons de 12 ans invoquent, en partie, des règles et des principes et semblent dès lors se situer aux stade 4, voire 5. Elles sont donc présumées plus élevées sur l’échelle (et «meilleures») que celles qui sont typiques des filles du même âge (et qui sont donc présumées inférieures), lesquelles refusent de faire de ce dilemme un froid conflit de règles et insistent pour le replacer dans un contexte interpersonnel.
Voici — par exemple et pour en juger — une réflexion caractéristique d’une jeune fille de 12 ans, que Kohlberg classerait sans doute, disons, au stade 3:
«Heinz ne devrait pas voler. Il doit exister une autre solution. Il pourrait emprunter l’argent à des amis, aller voir une banque, ou autre chose…. Il ne devrait pas voler, mais sa femme ne devrait pas mourir non plus…. S’il vole le médicament, il sauvera peut-être sa femme, mais il ira peut-être en prison et alors sa femme pourrait devenir plus malade encore et il ne pourrait plus obtenir d’autres doses de médicament … Lui et le pharmacien devraient discuter et trouver une manière de réunir l’argent.»
Kohlberg a pris ces critiques au sérieux et revu ses échelles et ses échantillons. Cela fait, les garçons et les filles arrivaient en moyenne aux mêmes stades.
Gilligan, elle, a tiré une tout autre conclusion de ces observations. Selon elle, c’est parce qu’elle présuppose que les morales fondées sur des principes (morales utilitaristes ou déontologiques qu’elle dira «masculines») sont supérieures, que l’échelle de Kohlberg situe les femmes à un niveau moral inférieur. Mais est-ce juste de présupposer cela?
Non, répond Gilligan, qui soutient que les femmes ont plutôt, typiquement, une autre manière de penser l’éthique, d’en parler (le très célèbre livre qu’elle écrira à ce sujet s’appelle d’ailleurs : D’une voix différente), et de la pratiquer, une manière moins axée sur les conséquences ou les principes que sur ce qu’elle nommera : la «sollicitude» (en anglais : care).
Les morales de la sollicitude («ethics of care»), contrastées aux morales déontologiques ou utilitaristes, cette idée qu’il existerait, en éthique, une voix féminine et différente, tout cela est aujourd’hui très discuté et débattu. On pourrait présenter les idées au cœur de ces morales de la sollicitude à travers une série d’oppositions entre des termes qui représenteraient respectivement les manières typiquement féminine et masculine d’envisager l’éthique : personnelle-impersonnelle; partiale-impartiale; privée-publique; compassion-équité; naturelle-contractuelle; émotion-raison; concrète-universelle; responsabilité-droits; relationnelle-individuelle; solidarité-autonomie.
Mais existe-t-il vraiment une telle voix féminine? Si oui, comment l’expliquer? Et d’abord d’où vient-elle? Enfin, qu’est-ce que tout cela signifie plus concrètement pour l’éthique?
Toutes les réponses à ces questions sont controversées, comme on le verra la prochaine fois.
Pour en savoir plus :
GILLIGAN, C., In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development, Harvard University Press Cambridge, 1982. Traduction française : Une si grande différence, Flammarion, Paris, 1986.
Affichage des articles dont le libellé est féminisme. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est féminisme. Afficher tous les articles
samedi, novembre 22, 2008
mercredi, septembre 24, 2008
INTRODUCTION À L'ÉTHIQUE, 9
Il s'agit de la suite de la série sur l'éthique commencée ici il y a quelques mois. Je traite cette fois des critiques adressées aux morales arététiques, notamment à celle d'Aristote]
Relativisme?
Une première difficulté tient au relativisme et au danger d’ethnocentrisme que certains pensent inhérents et fatals aux approches arététiques. C’est que, de fait, il semble bien que les vertus prônées ici soient différentes de (et parfois contradictoires avec) celles qui sont prônées là.
À Sparte on vantait le courage, ailleurs la non-violence; ici, la polygamie, là le célibat; le savoir et la curiosité intellectuelle sont vantés ici et la modestie intellectuelle là. Que croire? Faut-il trancher? Comment? Et comment justifier autrement que par le hasard de la naissance l’adhésion à et la promotion d’un ensemble donné de vertus? Et si c’est le cas, ne nous trouvons-nous pas devant une forme inacceptable d’ethnocentrisme? En défendant telle liste de vertus, différente de telle autre, n’est-on pas simplement en train d’exprimer nos préjugés quant à ce qui est (socialement) acceptable (et que nous appelons des vertus) et ce qui est (socialement) inacceptable (et que nous appelons des vices)?
***

Léonidas aux Thermopyles, tableau de L. David, (Musée du Louvre, 1814).
La cité de Sparte, située dans une région du Péloponnèse appelée Laconie, finit par conquérir et dominer toutes les cités environnantes. On l’appelait dans l’Antiquité la «dompteuse d'hommes» et l’adjectif «spartiate » rend toujours, en français, quelque chose de cette austérité et de cette rigueur qui fut pratiquée à Sparte.
La Cryptie est au nombre des institutions très singulières qu’on y trouvait et qui donne à méditer sur le relativisme moral. Plutarque la décrit ainsi: « Les chefs des jeunes gens envoyaient de temps à autre dans la campagne, tantôt ici, tantôt là, ceux qui passaient pour être les plus intelligents, sans leur laisser emporter autre chose que des poignards et les vivres nécessaires. Pendant le jour, ces jeunes gens, dispersés dans des endroits couverts, s'y tenaient cachés et se reposaient ; la nuit venue, ils descendaient sur les routes et égorgeaient ceux des hilotes [i.e. des esclaves . N.B.] qu'ils pouvaient surprendre. Souvent aussi, ils se rendaient dans les champs et tuaient les plus forts et les meilleurs. ( Plutarque, Lycurgue, XVII, 3-5)
***
Voyons deux réponses que les défenseurs des éthiques de la vertu pourront donner à cette critique.
Ils pourront d’abord se rabattre sur l’idée que ces différences et contradictions sont plus apparentes que réelles et soutenir que, si on fait abstraction de certaines données contextuelles, historiques ou sociologiques, il y a une très forte convergence des vertus humaines, justement parce qu’elles reflètent la nature humaine. Les éthiques de la vertu conduisent ainsi à la naturalisation de l’éthique, si centrale dans les réflexions contemporaines — j’y reviendrai dans le prochain texte de cette série.
Mais ils pourront aussi assumer ces différences et proposer que l’apparition d’interprétations différentes des vertus au sein de diverses communautés est un fait éthique et politique capital qu’il faut prendre en compte : c’est la position de ces influents penseurs contemporains appelés communautaristes et dont je parlerai plus loin.
Incomplétude? Inconsistance?
Les partisans des vertus ont fait valoir que les morales utilitaristes et déontologiques, avec leur insistance sur la règle à suivre pour adopter une conduite dans une situation donnée, négligeaient déplorablement le caractère du sujet qui agit, ses motivations, sa formation et ainsi de suite et ont donc insisté sur les vertus et le caractère. Fort bien.
Mais ne reste-il pas vrai que bien des dilemmes moraux concernent précisément la question de savoir quoi faire et comment agir et que les vertus ne sont parfois guère utiles pour le déterminer?
Prenons ce jeune homme qui va voir Jean-Paul Sartre en 1940 et qui hésite entre participer à la résistance clandestine et rester auprès de sa mère, qui a besoin de lui. Lui dire : «Sois courageux»; ou : «Sois bon»; ou encore: «Fais ce qu’un être vertueux ferait», ne sera pas d’un grand secours!
Sans rien dire des cas où deux vertus entrent en conflit : votre ami est coupable d’un crime et votre vertu d’amitié incite à le protéger, mais votre vertu justice vous incite à le dénoncer!
Les théoriciens de la vertu pourront répondre que ces dilemmes sont bien réels, y compris pour toutes les autres théories éthiques. Ils ajouteront en outre que la référence à des êtres particulièrement vertueux, admirables, héroïques, peut aider à les résoudre. Je vous laisse juger de ces réponses.
Mais pour plusieurs, la conclusion de ces critiques est qu’invoquer les vertus est dans bien des cas vain et qu’en insistant exclusivement sur elles, les éthiques arététiques se révèlent irrémédiablement incomplètes et, ou inconsistantes.
Les communautaristes
Une dernière remarque, que je pense importante et très actuelle. Les éthiques de la vertu sont également défendues par des auteurs qui, en politique, sont très critiques du libéralisme, de sa recherche de la justice (qui est la vertu tenue par les libéraux pour la qualité suprême des institutions politiques), ainsi que de la conception du sujet politique que pose cette doctrine — les libéraux l’envisagent typiquement comme un être rationnel, calculateur, abstrait, sans référence à un genre (est-ce un homme ou une femme?), à une classe sociale, à une origine ethnique, etc.
Ces auteurs, appelés communautaristes, font valoir, contre la place accordée à la justice et à l’individu calculateur dans la tradition libérale, l’importance du bien et de la communauté et, contre le rejet moderne des traditions et de l’autorité, la rationalité des traditions, qui fournissent, disent-ils, un indispensable contexte au déploiement de la moralité (et de la rationalité).
On pourrait, je pense, voir dans ces idées une sorte de postmodernisme de droite. Elles impliquent en tout cas qu’il faille encourager le maintien de ces traditions de déploiement des vertus, veiller à leur autonomie, et ainsi de suite.
Mais que faire lorsque deux communautés valorisent des vertus non seulement différentes, mais aussi peu ou prou incompatibles, que ces communautés co-existent et qu’on souhaite permettre à chacune de ces vertus de fleurir.
Ce problème, posé par les communautaristes, est au coeur des débats actuels sur le pluralisme de nos sociétés, sur le multiculturalisme, et, en somme, sur l’accommodement raisonnable.
Au-delà des approches traditionnelles
Au cours des deux derniers siècles, ces trois théories éthiques que nous venons de survoler ont été particulièrement influentes en Occident. Mais, et cela depuis seulement quelques décennies, diverses nouvelles avenues ont été explorées pour penser l’éthique. La prochaine fois, je discuterai de deux d’entre elles.
La première est celle proposée par les féministes qui défendent typiquement une morale dite de la sollicitude; la deuxième regroupe ces diverses avenues désormais empruntées notamment par la sociobiologie et la psychologie évolutionniste et qui cherchent à «biologiser» l’éthique.
Relativisme?
Une première difficulté tient au relativisme et au danger d’ethnocentrisme que certains pensent inhérents et fatals aux approches arététiques. C’est que, de fait, il semble bien que les vertus prônées ici soient différentes de (et parfois contradictoires avec) celles qui sont prônées là.
À Sparte on vantait le courage, ailleurs la non-violence; ici, la polygamie, là le célibat; le savoir et la curiosité intellectuelle sont vantés ici et la modestie intellectuelle là. Que croire? Faut-il trancher? Comment? Et comment justifier autrement que par le hasard de la naissance l’adhésion à et la promotion d’un ensemble donné de vertus? Et si c’est le cas, ne nous trouvons-nous pas devant une forme inacceptable d’ethnocentrisme? En défendant telle liste de vertus, différente de telle autre, n’est-on pas simplement en train d’exprimer nos préjugés quant à ce qui est (socialement) acceptable (et que nous appelons des vertus) et ce qui est (socialement) inacceptable (et que nous appelons des vices)?
***

Léonidas aux Thermopyles, tableau de L. David, (Musée du Louvre, 1814).
La cité de Sparte, située dans une région du Péloponnèse appelée Laconie, finit par conquérir et dominer toutes les cités environnantes. On l’appelait dans l’Antiquité la «dompteuse d'hommes» et l’adjectif «spartiate » rend toujours, en français, quelque chose de cette austérité et de cette rigueur qui fut pratiquée à Sparte.
La Cryptie est au nombre des institutions très singulières qu’on y trouvait et qui donne à méditer sur le relativisme moral. Plutarque la décrit ainsi: « Les chefs des jeunes gens envoyaient de temps à autre dans la campagne, tantôt ici, tantôt là, ceux qui passaient pour être les plus intelligents, sans leur laisser emporter autre chose que des poignards et les vivres nécessaires. Pendant le jour, ces jeunes gens, dispersés dans des endroits couverts, s'y tenaient cachés et se reposaient ; la nuit venue, ils descendaient sur les routes et égorgeaient ceux des hilotes [i.e. des esclaves . N.B.] qu'ils pouvaient surprendre. Souvent aussi, ils se rendaient dans les champs et tuaient les plus forts et les meilleurs. ( Plutarque, Lycurgue, XVII, 3-5)
***
Voyons deux réponses que les défenseurs des éthiques de la vertu pourront donner à cette critique.
Ils pourront d’abord se rabattre sur l’idée que ces différences et contradictions sont plus apparentes que réelles et soutenir que, si on fait abstraction de certaines données contextuelles, historiques ou sociologiques, il y a une très forte convergence des vertus humaines, justement parce qu’elles reflètent la nature humaine. Les éthiques de la vertu conduisent ainsi à la naturalisation de l’éthique, si centrale dans les réflexions contemporaines — j’y reviendrai dans le prochain texte de cette série.
Mais ils pourront aussi assumer ces différences et proposer que l’apparition d’interprétations différentes des vertus au sein de diverses communautés est un fait éthique et politique capital qu’il faut prendre en compte : c’est la position de ces influents penseurs contemporains appelés communautaristes et dont je parlerai plus loin.
Incomplétude? Inconsistance?
Les partisans des vertus ont fait valoir que les morales utilitaristes et déontologiques, avec leur insistance sur la règle à suivre pour adopter une conduite dans une situation donnée, négligeaient déplorablement le caractère du sujet qui agit, ses motivations, sa formation et ainsi de suite et ont donc insisté sur les vertus et le caractère. Fort bien.
Mais ne reste-il pas vrai que bien des dilemmes moraux concernent précisément la question de savoir quoi faire et comment agir et que les vertus ne sont parfois guère utiles pour le déterminer?
Prenons ce jeune homme qui va voir Jean-Paul Sartre en 1940 et qui hésite entre participer à la résistance clandestine et rester auprès de sa mère, qui a besoin de lui. Lui dire : «Sois courageux»; ou : «Sois bon»; ou encore: «Fais ce qu’un être vertueux ferait», ne sera pas d’un grand secours!
Sans rien dire des cas où deux vertus entrent en conflit : votre ami est coupable d’un crime et votre vertu d’amitié incite à le protéger, mais votre vertu justice vous incite à le dénoncer!
Les théoriciens de la vertu pourront répondre que ces dilemmes sont bien réels, y compris pour toutes les autres théories éthiques. Ils ajouteront en outre que la référence à des êtres particulièrement vertueux, admirables, héroïques, peut aider à les résoudre. Je vous laisse juger de ces réponses.
Mais pour plusieurs, la conclusion de ces critiques est qu’invoquer les vertus est dans bien des cas vain et qu’en insistant exclusivement sur elles, les éthiques arététiques se révèlent irrémédiablement incomplètes et, ou inconsistantes.
Les communautaristes
Une dernière remarque, que je pense importante et très actuelle. Les éthiques de la vertu sont également défendues par des auteurs qui, en politique, sont très critiques du libéralisme, de sa recherche de la justice (qui est la vertu tenue par les libéraux pour la qualité suprême des institutions politiques), ainsi que de la conception du sujet politique que pose cette doctrine — les libéraux l’envisagent typiquement comme un être rationnel, calculateur, abstrait, sans référence à un genre (est-ce un homme ou une femme?), à une classe sociale, à une origine ethnique, etc.
Ces auteurs, appelés communautaristes, font valoir, contre la place accordée à la justice et à l’individu calculateur dans la tradition libérale, l’importance du bien et de la communauté et, contre le rejet moderne des traditions et de l’autorité, la rationalité des traditions, qui fournissent, disent-ils, un indispensable contexte au déploiement de la moralité (et de la rationalité).
On pourrait, je pense, voir dans ces idées une sorte de postmodernisme de droite. Elles impliquent en tout cas qu’il faille encourager le maintien de ces traditions de déploiement des vertus, veiller à leur autonomie, et ainsi de suite.
Mais que faire lorsque deux communautés valorisent des vertus non seulement différentes, mais aussi peu ou prou incompatibles, que ces communautés co-existent et qu’on souhaite permettre à chacune de ces vertus de fleurir.
Ce problème, posé par les communautaristes, est au coeur des débats actuels sur le pluralisme de nos sociétés, sur le multiculturalisme, et, en somme, sur l’accommodement raisonnable.
Au-delà des approches traditionnelles
Au cours des deux derniers siècles, ces trois théories éthiques que nous venons de survoler ont été particulièrement influentes en Occident. Mais, et cela depuis seulement quelques décennies, diverses nouvelles avenues ont été explorées pour penser l’éthique. La prochaine fois, je discuterai de deux d’entre elles.
La première est celle proposée par les féministes qui défendent typiquement une morale dite de la sollicitude; la deuxième regroupe ces diverses avenues désormais empruntées notamment par la sociobiologie et la psychologie évolutionniste et qui cherchent à «biologiser» l’éthique.
Libellés :
Aristote,
communautarisme,
éthique,
féminisme,
Normand Baillargeon
Inscription à :
Articles (Atom)