Il s'agit de la suite de la série sur l'éthique commencée ici il y a quelques mois. Je traite cette fois des critiques adressées aux morales arététiques, notamment à celle d'Aristote]
Relativisme?
Une première difficulté tient au relativisme et au danger d’ethnocentrisme que certains pensent inhérents et fatals aux approches arététiques. C’est que, de fait, il semble bien que les vertus prônées ici soient différentes de (et parfois contradictoires avec) celles qui sont prônées là.
À Sparte on vantait le courage, ailleurs la non-violence; ici, la polygamie, là le célibat; le savoir et la curiosité intellectuelle sont vantés ici et la modestie intellectuelle là. Que croire? Faut-il trancher? Comment? Et comment justifier autrement que par le hasard de la naissance l’adhésion à et la promotion d’un ensemble donné de vertus? Et si c’est le cas, ne nous trouvons-nous pas devant une forme inacceptable d’ethnocentrisme? En défendant telle liste de vertus, différente de telle autre, n’est-on pas simplement en train d’exprimer nos préjugés quant à ce qui est (socialement) acceptable (et que nous appelons des vertus) et ce qui est (socialement) inacceptable (et que nous appelons des vices)?
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Léonidas aux Thermopyles, tableau de L. David, (Musée du Louvre, 1814).
La cité de Sparte, située dans une région du Péloponnèse appelée Laconie, finit par conquérir et dominer toutes les cités environnantes. On l’appelait dans l’Antiquité la «dompteuse d'hommes» et l’adjectif «spartiate » rend toujours, en français, quelque chose de cette austérité et de cette rigueur qui fut pratiquée à Sparte.
La Cryptie est au nombre des institutions très singulières qu’on y trouvait et qui donne à méditer sur le relativisme moral. Plutarque la décrit ainsi: « Les chefs des jeunes gens envoyaient de temps à autre dans la campagne, tantôt ici, tantôt là, ceux qui passaient pour être les plus intelligents, sans leur laisser emporter autre chose que des poignards et les vivres nécessaires. Pendant le jour, ces jeunes gens, dispersés dans des endroits couverts, s'y tenaient cachés et se reposaient ; la nuit venue, ils descendaient sur les routes et égorgeaient ceux des hilotes [i.e. des esclaves . N.B.] qu'ils pouvaient surprendre. Souvent aussi, ils se rendaient dans les champs et tuaient les plus forts et les meilleurs. ( Plutarque, Lycurgue, XVII, 3-5)
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Voyons deux réponses que les défenseurs des éthiques de la vertu pourront donner à cette critique.
Ils pourront d’abord se rabattre sur l’idée que ces différences et contradictions sont plus apparentes que réelles et soutenir que, si on fait abstraction de certaines données contextuelles, historiques ou sociologiques, il y a une très forte convergence des vertus humaines, justement parce qu’elles reflètent la nature humaine. Les éthiques de la vertu conduisent ainsi à la naturalisation de l’éthique, si centrale dans les réflexions contemporaines — j’y reviendrai dans le prochain texte de cette série.
Mais ils pourront aussi assumer ces différences et proposer que l’apparition d’interprétations différentes des vertus au sein de diverses communautés est un fait éthique et politique capital qu’il faut prendre en compte : c’est la position de ces influents penseurs contemporains appelés communautaristes et dont je parlerai plus loin.
Incomplétude? Inconsistance?
Les partisans des vertus ont fait valoir que les morales utilitaristes et déontologiques, avec leur insistance sur la règle à suivre pour adopter une conduite dans une situation donnée, négligeaient déplorablement le caractère du sujet qui agit, ses motivations, sa formation et ainsi de suite et ont donc insisté sur les vertus et le caractère. Fort bien.
Mais ne reste-il pas vrai que bien des dilemmes moraux concernent précisément la question de savoir quoi faire et comment agir et que les vertus ne sont parfois guère utiles pour le déterminer?
Prenons ce jeune homme qui va voir Jean-Paul Sartre en 1940 et qui hésite entre participer à la résistance clandestine et rester auprès de sa mère, qui a besoin de lui. Lui dire : «Sois courageux»; ou : «Sois bon»; ou encore: «Fais ce qu’un être vertueux ferait», ne sera pas d’un grand secours!
Sans rien dire des cas où deux vertus entrent en conflit : votre ami est coupable d’un crime et votre vertu d’amitié incite à le protéger, mais votre vertu justice vous incite à le dénoncer!
Les théoriciens de la vertu pourront répondre que ces dilemmes sont bien réels, y compris pour toutes les autres théories éthiques. Ils ajouteront en outre que la référence à des êtres particulièrement vertueux, admirables, héroïques, peut aider à les résoudre. Je vous laisse juger de ces réponses.
Mais pour plusieurs, la conclusion de ces critiques est qu’invoquer les vertus est dans bien des cas vain et qu’en insistant exclusivement sur elles, les éthiques arététiques se révèlent irrémédiablement incomplètes et, ou inconsistantes.
Les communautaristes
Une dernière remarque, que je pense importante et très actuelle. Les éthiques de la vertu sont également défendues par des auteurs qui, en politique, sont très critiques du libéralisme, de sa recherche de la justice (qui est la vertu tenue par les libéraux pour la qualité suprême des institutions politiques), ainsi que de la conception du sujet politique que pose cette doctrine — les libéraux l’envisagent typiquement comme un être rationnel, calculateur, abstrait, sans référence à un genre (est-ce un homme ou une femme?), à une classe sociale, à une origine ethnique, etc.
Ces auteurs, appelés communautaristes, font valoir, contre la place accordée à la justice et à l’individu calculateur dans la tradition libérale, l’importance du bien et de la communauté et, contre le rejet moderne des traditions et de l’autorité, la rationalité des traditions, qui fournissent, disent-ils, un indispensable contexte au déploiement de la moralité (et de la rationalité).
On pourrait, je pense, voir dans ces idées une sorte de postmodernisme de droite. Elles impliquent en tout cas qu’il faille encourager le maintien de ces traditions de déploiement des vertus, veiller à leur autonomie, et ainsi de suite.
Mais que faire lorsque deux communautés valorisent des vertus non seulement différentes, mais aussi peu ou prou incompatibles, que ces communautés co-existent et qu’on souhaite permettre à chacune de ces vertus de fleurir.
Ce problème, posé par les communautaristes, est au coeur des débats actuels sur le pluralisme de nos sociétés, sur le multiculturalisme, et, en somme, sur l’accommodement raisonnable.
Au-delà des approches traditionnelles
Au cours des deux derniers siècles, ces trois théories éthiques que nous venons de survoler ont été particulièrement influentes en Occident. Mais, et cela depuis seulement quelques décennies, diverses nouvelles avenues ont été explorées pour penser l’éthique. La prochaine fois, je discuterai de deux d’entre elles.
La première est celle proposée par les féministes qui défendent typiquement une morale dite de la sollicitude; la deuxième regroupe ces diverses avenues désormais empruntées notamment par la sociobiologie et la psychologie évolutionniste et qui cherchent à «biologiser» l’éthique.
mercredi, septembre 24, 2008
INTRODUCTION À L'ÉTHIQUE, 9
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