Tout le monde a vu, la semaine dernière, ces images de Hugo Chavez, doigt tendu, menaçant, tandis qu’il expulsait l’ambassadeur des Etats-Unis avec ces mots très durs: «Allez au diable, yankees de merde!».
Les Etats-Unis ont aussitôt réagi en expulsant l’ambassadeur du Venezuela. C’est alors l’escalade : des sanctions contre le Venezuela sont annoncées par Washington, tandis que le Venezuela, de son côté, menace de couper l’approvisionnement en pétrole des Etats-Unis.
Il faut toujours se méfier de ces images spectaculaires. Souvent, ces icônes réductrices simplifient à outrance, voire déforment la réalité. C’était justement le cas ici.
Ce doigt tendu est un nouvel épisode d’un séculaire drame sanglant qui met face-à-face une région en quête d’autonomie et un pays impérialiste ayant adopté et implanté la «doctrine Monroe». Et l’épisode ne se comprend bien que si on le situe, d’une part dans le contexte des politiques récemment poursuivies par nombre de pays d’Amérique Latine, d’autre part relativement à ces tout récents, mais trop peu connus, événements survenus en Bolivie.
Le contexte : la «segunda independencia»
Dans la plupart des pays d’Amérique Latine, depuis quelques années déjà, des transformations politiques, économiques et sociales très profondes sont en cours. Cette «segunda independencia» se caractérise notamment par le fait que les pays coopèrent entre eux comme jamais auparavant, cherchent ensemble à affronter les nombreux problèmes internes que connaît la région et à promouvoir un développement indépendant des grandes puissances.
De plus, et c’est remarquable, ces transformations sont portées et rendues possibles par de vastes mouvements populaires, qui nourrissent un processus démocratique et une vie politique qui ne trouvent guère d’équivalent dans les démocraties libérales. L'élection de Michelle Bachelet, au Chili, celle de Luiz Inácio Lula da Silva, au Brésil ou de Chavez, au Venezuela en témoignent.
De telles politiques déplaisent bien entendu à Washington, comme à une certaine élite locale : c’est justement ce qu’illustrent parfaitement des événements récemment survenus en Bolivie.
Ce chaos bolivien savamment entretenu
Automne 2005, Bolivie. Il s’y déroule une élection qui mérite ce nom et que nous pouvons — surtout ces jours-ci! — envier aux boliviens. On aura en effet du mal à l’imaginer ici, mais des enjeux réels et importants sont soulevés par des citoyens qui les comprennent et qui en discutent avant de prendre position. Le résultat du scrutin qui s’ensuit est sans appel : les pauvres et les Indiens portent au pouvoir un des leurs, Evo Morales.
***
10 août 2008. Un référendum révocatoire confirme avec éclat l’appui du peuple bolivien au président.
Automne 2008. L’extrême droite et les groupes de régions dites «autonomistes» se déchaînent. Sabotage d’un gazoduc, saccage d’institutions publiques, attaques contre des radios communautaires, contre des organisations de défense des droits humains, agressions contre des personnes, utilisation de milices et de groupes armés, violences de toutes sortes. L’ambassadeur américain entretenait des liens avec certains de ces groupes : Morales l’expulse. Washington aurait hier encore réagi avec vigueur.
Mais les temps ont changé et Morales reçoit aujourd’hui l’appui du Honduras, du Nicaragua, de l’Équateur, de l’Argentine, du Paraguay, mais aussi et surtout du Brésil. Et du Venezuela, on nous l’a assez montré, conscient lui aussi qu’il s’agit de défendre la démocratie de l’Amérique Latine.
Il en résulte une sorte de cordon de protection entourant désormais ces zones pieusement appelées «autonomistes».
Attente et inquiétude
Dans les semaines et les mois qui viennent, tous ceux et toutes celles qui chérissent la liberté et la justice vont, avec attention mais aussi avec inquiétude, regarder de ce côté de la planète bleue. Le cordon va-t-il tenir? Telle est la question et l’enjeu est énorme. Pour apprécier la réponse qu’on lui donnera, il faut cependant regarder bien au-delà de Chavez et de sa petite phrase assassine.
Regardons donc ailleurs. En Bolivie notamment, et dans toute cette Amérique Latine qui fait la démonstration que la doctrine Monroe a, enfin, du plomb dans l’aile.
9 commentaires:
Et n'oublions pas le coup d'état raté en 2002 contre Chavez qui était clairement télécommandé par les américains.
Cher Diatribe Karma,
Un coup d'État fomenté par le Gouvernement américain? Allons donc, une telle chose est inimaginable
:-)
Normand B.
Ce qu'ils savent bien faire, les américains, c'est d'installer une pression qui pousse les chefs d'état à la paranoïa puis à la tentation de l'autocratie... Qui les rend du coup illégitimes.
On a quand même l'impression qu'ils n'ont plus les moyens de tenir le monde comme ils l'ont longtemps fait, et notamment l'Amérique du sud. Et tant mieux.
Bonjour, Jean-No,
«The jury is still out», comme on dit en anglais; mais, en effet: «On a quand même l'impression qu'ils n'ont plus les moyens de tenir le monde comme ils l'ont longtemps fait, et notamment l'Amérique du sud.»
De mon côté, je suis ce qui se passe là de très près: des promesse d'aube et de liberté s'y annoncent.
Normand
"des promesse d'aube et de liberté s'y annoncent"
Espérons-le, espérons-le.
La situation semble malheureusement viciée en Bolivie mais pendant ce temps, Chavez fait des miracles (Le volcan latino-américain, Textuel).
Avez-vous eu rapport de la visite de Mouterde et Khadit au Vénézuela cet été?
BONJOUR,
Avez-vous eu rapport de la visite de Mouterde et Khadit au Vénézuela cet été?
Khadir, peut-être? En tout cas, malheureusement, non.
Normand
Bonjour,
Il est dit que cet article sera inséré dans le journal "Le Devoir".
Petite question anodine : qui est/sont le(s) propriétaire(s) du "Devoir" ? Après avoir été sur leur site, il ne me semble pas qu'il s'agisse d'un journal anarchiste ou libertaire. (Remarque d'un "maudit Français" qui n'a pas une connaissance très grande du paysage médiatique canadien et québécois, mais je me soigne.)
D'avance merci pour une éventuelle réponse.
Les États-uniens ont cessé de s'occuper de l'Amérique latine le jour où ils ont tourné toute leur attention vers le Moyen-Orient. Du coup, cela démontre que leur gouvernement n'est pas aussi omniprésent sur la planète qu'on le pense. Et je crois que les États-Unis, malgré tous leurs milliards et leurs alliés (dont le Canada malheureusement), ne peuvent se permettre d'être sur plusieurs fronts en même temps. Disons qu'une grande opération comme celle qui a permis de renverser Allende au Chili et d'y placer Pinochet ne serait plus possible aujourd'hui.
Pour ce qui est de la Bolivie, l'armée et les conglomérats peuvent bien tenter un coup d'État, mais il risque d'y avoir un énorme "back slash" de la part de la population et ils ne pourront s'en sortir sans un support massif des États-Unis, support que ce pays n'est plus en mesure de fournir.
Le fait que les États-Unis n'ont plus qu'un seul ennemi et un seul front amène à croire qu'ils sont plus en mesure de voir ce qui se passe dans leur cours arrière. Ils ont pu contrôler le monde le temps d'une décennie, mais aujourd'hui leur pouvoir s'effrite, lentement, mais surement. De toute façon, les empires ne sont pas éternels et n'ont été bénéfiques pour leurs populations que pendant un certain temps. Ça c'est une leçon de l'Histoire. Croisons les doigts que l'empire américain ne nous entraine pas dans sa chute.
P.S. J'ai beau critiquer les américains, reste que je regarde certaines de leurs séries, voient leurs films (et pas toujours les meilleurs), écoute leur musique (quoique le heavy metal n'a jamais été exclusivement américain quand on pense à ses origines britanniques) et lis leur littérature (tourner surtout vers la science-fiction, mais je me permet de lire certains comics). Mais bon, je ne m'intéresse pas uniquement à cela; je ne serais pas entrain d'écrire sur ce blogue, n'est-ce pas?
Bonjour, Hnk,
Alternatives a, je pense, une entente avec Le Devoir en vertu de laquelle, une fois par mois un encart est inséré dans le journal. Il se peut que cet encart paraisse aussi ailleurs.
quand au devoir, il est le dernier quotidien indépendant du Québec. Faible tirage comparativement aux autres; plutôt centriste, voire de droite sur certains points; indépendantiste, aussi. Mais le journal que lisent les intellectuels et les décideurs.
Surtout, comme je vous disais, le dernier indépendant que nous ayons. Il a une structure administrative particulière: sauf erreur, la moitié des actions du journal sont remises au directeur (ou à la directrice). qui les rend à son départ. Mais je peux me tromper sur tout ça.
Normand B.
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