[Un texte écrit il y a deux ans et non publié. Faites-moi signe si vous souhaitez le reproduire ou l'utiliser. Il est cité ici sans les notes de bas de pages.]
Je n’ai jamais laissé ma scolarisation nuire à mon éducation.
Mark Twain
On désigne par «homeschooling» une variété de pratiques éducatives qu’il est prudent, au moins dans un premier temps, de définir essentiellement par la négative.
On dira alors que relèvent du homechooling ces nombreuses modalités par lesquelles l'éducation d'enfants d'âge scolaire n’est pas réalisée dans le cadre habituel de la fréquentation à temps plein d'un établissement d'enseignement, mais plutôt sous la supervision de leurs parents. Pour désigner ce phénomène, on parle le plus souvent, en français, d’«école à la maison», d’«instruction à la maison» ou «d’éducation à domicile ». Il conviendrait sans doute de préférer cette dernière expression, puisque la première entretient une confusion conceptuelle entre scolarisation et éducation que certaines théories et pratiques du «homeschooling» ont justement voulu dépasser en rappelant d’abord que la scolarisation n’est qu’un moyen de transmettre une éducation, ensuite que l’école commune et obligatoire, financée et contrôlée par l’État n’en est, a fortiori, qu’une des possibles modalités.
L’éducation à domicile est notamment pratiquée au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Canada, ainsi que dans de nombreux autres pays, où elle est toutefois beaucoup moins présents (parmi eux : la Grèce, la France, la Suisse, le Mexique, le Japon, la Russie ainsi que l’ Afrique du Sud). C’est cependant aux Etats-Unis qu’elle a fait le plus d’adeptes et c’est au seul cas américain qu’est consacré le présent article, qui a la modeste ambition de dresser un état des lieux.
***
Quelques données quantitatives
Même si cela tend à être moins vrai aujourd’hui, les données concernant le nombre d’enfants engagés dans des programmes d’éducation à domicile sont notoirement difficiles à établir avec assurance. Les plus crédibles d’entre elles invitent toutefois à penser que depuis qu’elle a commencé à être prônée il y a moins d’une quarantaine d’années, l’éducation à domicile, après des débuts modestes, a connu une forte croissance et est très rapidement passée de la marginalité à une indéniable reconnaissance sociale et politique, voire même à une certaine institutionnalisation.
Selon ces données, il y avait aux Etats-Unis, au milieu des années 70, entre 10 OOO et 15 000 enfants éduqués à domicile. Ce nombre était modestement porté à 50 000 en 1985 .
À compter du début des années 90, cependant, la croissance du mouvement s’accélère et on estimait en 1999 qu’il y avait 850 000 enfants de 5 à 17 ans éduqués à domicile, ce qui représentait 1, 7% des enfants de ces âges. La plus récente enquête sur le sujet a été menée par le U.S. Department of Education. Publiée en 2006, elle établit le nombre de ces enfants, pour 2003, à 1 096 000, ce qui représente 2,2 % des enfants de ces âges, une hausse de 29% par rapport à 1999 . Le nombre d’enfants concernés est supérieur à celui des élèves inscrits dans des Écoles à charte ajouté à celui des élèves qui participent à un programme public de bons d’étude — qui sont deux autres formes (marginales) de l’effort de privatisation de l’éducation aux Etats-Unis.
Le mouvement d’éducation à domicile américain comprend aujourd’hui non seulement un très grand nombre d’associations de toutes sortes, de sites Internet, de groupes de discussions et d’entraide, de blogues et ainsi de suite, mais aussi plusieurs magazines (par exemple The Old Schoolhouse , Classical Homeschooling Magazine , ou Practical Homeschooling ), une association consacrée à la défense des droits de ses membres (Homeschool Legal Defence Association ) sans oublier un institut de recherche (National Home Education Research Institute ). Il y a dix ans, un observateur le donnait pour le groupe d’intérêt dont le lobbying est parmi les plus efficaces auprès du Congrès et il y a tout lieu de croire que ce jugement peut être maintenu .
Pour pleinement apprécier à quel point son implantation est désormais solide ainsi que la popularité dont elle jouit à présent, il est indispensable de dire un mot de la genèse de l’idée d’éducation à domicile aux Etats-Unis.
Aux sources pédagogiques et idéologiques de l’éducation à domicile
Des critiques de l’école et de l’éducation qui s’y dispense formulées à partir de la fin des années 60 et émanant d’une part de la droite religieuse conservatrice, d’autre part d’une certaine gauche radicale, vont conjointement contribuer à la promotion de l’idée d’éducation à domicile.
Les premières ont d’abord et exemplairement été formulées par Raymond et Dorothy Moore, tous deux issus de la droite religieuse chrétienne. Dans le cadre de leurs premiers travaux, les Moore ont soutenu que la scolarisation des enfants commençait beaucoup trop tôt, qu’elle leur était globalement nuisible tant sur les plans physique, moral, intellectuel que sur celui de la socialisation et qu’elle ne devrait, en conséquence, ne débuter que vers 8 ou 10 ans — voire même 12 ans. Ce n’est qu’après qu’ils eurent atteint ces conclusions qu’ils commencèrent à imaginer la possibilité de l’éducation à domicile, pratique qu’ils ont promue dans des ouvrages parus à partir du milieu des années 80 et aussitôt devenus des best-sellers .
À la même époque, se répand au sein de la gauche une critique de l’école qui prend son point de départ dans sa dénonciation comme instance de reproduction des inégalités sociales. Cette critique, qui expose comme autant de leurres l’égalité des chances devant et dans l’école ainsi que sa prétendue neutralité, débouche bientôt sur la dénonciation de l’arbitraire des contenus culturels qui s’y transmettent, de la pédagogie traditionnelle elle-même ainsi que des relations entre l’élève et l’enseignant qu’elle institue et du rapport au savoir qu’elle induit chez l’élève. La critique de l’école se mue ainsi peu à peu en critique de ses principes, de ses finalités et de ses moyens, et débouche dès lors sur la radicale remise en question de son existence même.
Dans le monde francophone, Ivan Illich (1926-2002) est bien connu pour avoir défendu de semblables analyses au terme desquelles il prônera une «déscolarisation» de la société : l’école serait alors remplacée par la mise à disposition d’une multiplicité d’offres éducatives au sein de réseaux permettant leur libre-échange. Aux Etats-Unis, ces thèmes seront portés par John Holt (1923-1985) qui lance en 1977 le bimensuel Growing Without Schooling, lieu d’échange sur des pratiques d’éducation à domicile dans lesquelles quelques familles ont commencé à s’engager. Holt lui-même et une part de la gauche lyrique, libertaire ou plus radicale adoptent finalement ce qu’ils appelleront le «unschooling», c’est-à-dire la non-scolarisation.
Le mouvement va sortir de la relative marginalité où il se trouve encore à cette époque par la conjonction de deux facteurs. Le premier est la montée du néo-libéralisme et l’assaut soutenu qu’il lance contre les institutions publiques et en faveur de leur privatisation. Le deuxième est la montée la droite catholique pour laquelle l’éducation à domicile permet de soustraire les enfants de l’influence jugée néfaste de l’environnement libéral, laïque et humaniste de école.
Les données sociodémographiques
L’enquête menée en 2006 par le U.S. Department of Education confirme, pour l’essentiel, le maintien, en 2003, des grandes tendances lourdes concernant les caractéristiques sociodémographiques des adeptes de l’éducation à domicile qui avaient été observées par le même organisme en 1999.
C’est ainsi que ce sont d’abord des enfants Blancs qui la pratiquent (2,7% de la population), plutôt que des enfants Noirs (1,3%), ou des Hispaniques (0, 7%).
La pratique est en outre plus répandue dans les familles comprenant 3 enfants ou plus (62%) que dans celles qui en comptent deux (28%) ou un seul (10,1%). Ce sont encore massivement des familles comprenant deux parents qui l’adoptent (80, 8 %) plutôt que des familles comprenant un seul parent (17,9%) ou un tuteur (1,3%). Finalement, dans les familles composées de deux parents qui pratiquent l’éducation à domicile, on trouvera en 2003, comme en 1999, dans presque 7 cas sur dix, qu’un seul parent appartient à la population active sur le marché du travail.
Quoique sur un mode mineur, quelques changements quant aux revenus et à la scolarité des parents éduquant à domicile sont cependant apparus entre 1999 et 2003 et méritent d’être notés.
C’est ainsi que les parents ayant des revenus de $25 000 ou moins sont désormais moins nombreux à adopter l’éducation à domicile (25,8 %, plutôt que 30,9%), tandis ceux qui disposent de revenus supérieurs à 75 001 sont plus nombreux (21,7 %, plutôt que 17,4 %). De même, on notera une légère diminution de la proportion des parents éduquant à domicile ayant fait des études supérieures et une augmentation de ceux ayant obtenu, au mieux, un diplôme d’études secondaires (High School).
L’adoption d’un changement sur le plan méthodologique rend difficile la comparaison des données recueillies en 1999 et en 2006 quant aux motifs invoqués par les parents pour choisir l’éducation à domicile. Ceux qui ressortent en 2006 semblent toutefois largement conformes à ceux qui étaient avancés en 1999, alors que 48,9% des parents justifiaient leur choix par leur conviction de donner à la maison une meilleure éducation, 38,4% par des raisons religieuses et 25,4% par les carences de l’environnement scolaire pour l’apprentissage.
En 2006, on a demandé aux parents d’identifier, parmi toutes les motivations qu’ils ont indiquées, celle qui s’avère la plus importante dans leur décision de pratiquer l’éducation à domicile. Trois raisons ressortent tout particulièrement de cet exercice.
La première, invoquée comme la plus importante par 31 % des parents, est une inquiétude quant au climat et au milieu dans lequel se déroule l’éducation dans les écoles («concern about environment of other schools»).
La deuxième, invoquée comme la plus importante par 30 % des parents, est leur volonté de donner à leurs enfants une éducation morale et religieuse.
La troisième motivation, qu’invoquent 16,5% des parents, est leur insatisfaction quant à la formation intellectuelle (academic instruction) offerte dans les écoles. Des besoins particuliers de l’enfant (7%) ou des problèmes de santé physique ou mentale (7%) sont également invoqués.
Légalité et modalités de l’éducation à domicile
Les parents qui commencent leur expérience d’éducation à domicile peuvent consulter de très nombreux ouvrages destinés à les orienter dans leur nouvelle pratique et, s’il en était encore besoin, on trouverait dans leur prolifération un indice supplémentaire de sa popularité croissante.
Deux séries de questions y sont abordées de manière centrale en raison de l’importance qu’elles ont pour ces parents. La première concerne la légalité de l’éducation à domicile, la deuxième le curriculum et son implantation. Prenons-les tour à tour.
Légalité
Les promoteurs de l’éducation à domicile rappellent souvent, avec raison, qu’en se faisant les pédagogues et éducateurs de leurs enfants, ils renouent avec une tradition qui a longtemps été dominante. Aux Etats-Unis, par exemple, les premières lois de fréquentation scolaire obligatoire ne datent que de la deuxième moitié du XIXè siècle et il était avant elles courant pour des parents d’éduquer leurs enfants à la maison .
Le statut légal de l’éducation à domicile varie grandement d’un pays à l’autre. En Allemagne, elle est illégale; dans de nombreux pays, elle est légale mais encadrée à des degrés très divers selon les cas , ces différents encadrements correspondant à autant de manières de pondérer une volonté de satisfaire les demandes parentales, tout en protégeant les intérêts de l’enfant; dans d’autres pays encore, si elle n’est pas illégale, l’éducation à domicile reste socialement inacceptable et à toutes fins utiles inexistante.
Aux États-Unis l’éducation à domicile était toujours illégale dans 30 États en 1980. Elle est depuis 1993 légale dans tous les États, mais soumise à des contrôles et des exigences qui varient grandement d’un État à l’autre. Dans certains, l’éducation à domicile est fortement encadrée et les parents qui souhaitent la pratiquer pourront devoir satisfaire à une ou plusieurs exigences parmi lesquelles: informer les autorités scolaires de leur décision; faire approuver le curriculum qu’ils désirent adopter; accepter de subir périodiquement des inspections; convenir que leurs enfants auront à subir des examens standardisés; être eux-mêmes des enseignants diplômés. D’autres États, au contraire, ne demandent même pas à être informés de la décision des parents. Entre les premiers et les deuxièmes cas de figure, on trouvera des États qui, typiquement, se contentent de demander d’être informés de la décision des parents et que des évaluations des progrès de l’enfant soient fournies.
Modalités
Les curricula qu’utilisent les familles qui pratiquent l’éducation à domicile sont très variés et dépendent, en particulier, des exigences légales qu’elles doivent éventuellement satisfaire et des valeurs, des préférences et des philosophies éducationnelles des parents et des enfants. Le coût de ces curricula est lui aussi très varié et va de quelques centaines à quelques milliers de dollars. (Rappelons qu’aux États-Unis, en 2002-2003, la dépense annuelle moyenne pour un élève inscrit dans les écoles publiques primaires et secondaires était de 9 941$ .)
Certains parents, rejoignant les conclusions auxquelles Holt était parvenu, adoptent la non-scolarisation (unschooling) : en ce cas, l’environnement de l’enfant n’est pas structuré par un enseignant ou un curriculum, mais bien par lui-même, en fonction de ses besoins et intérêts — qui peuvent éventuellement l’amener à souhaiter un enseignant ou un curriculum.
D’autres optent pour des programmes scolaires «clé en mains» souvent appelés «in-a-box», qu’ils peuvent se procurer auprès d’écoles de correspondance, sur Internet ou d’institutions qui peuvent éventuellement les façonner sur mesure en vue de certaines études particulières. Ces programmes sont très variés à la fois par leurs contenus, leurs coûts que par les méthodes pédagogiques préconisés.
D’autres encore conçoivent leur propre curriculum, s’inspirant à toutes sortes de sources — Maria Montessori, Charlotte Manson, Rudolf Steiner, la pédagogie de projets, mais aussi l’Instruction Directe de Siegfried Engelman sont des références courantes. Les familles utilisent également les ressources publiques qui sont à leur disposition (bibliothèques, musées et ainsi de suite).
L’enquête de 2006 permet de dresser un portrait des sources les plus courantes du curriculum des familles pratiquant l’éducation à domicile en 2003. Ces données sont présentées dans le tableau qui suit.
Sources du curriculum ou des livres Nombre Pourcentage
Bibliothèque publique 854 000 77,9
Catalogue pour l’éducation à domicile, maison d’édition ou personne spécialiste 843 000 76,9
Librairie ou marchand de livres 753 000 68,7
Éditeur n’appartenant pas au mouvement d’éducation à domicile 653 000 59,6
Organisation appartenant au mouvement d’éducation à domicile 539 000 49, 2
Église, synagogue ou autre organisation religieuse 400 000 36, 5
Autres sources 284 000 26, 0
École publique ou district scolaire local 248 000 22, 6
École privée 184 000 16, 8
Tableau 1. Diverses sources de curriculum et de livres utilisés par des enfants éduqués à domicile (Source : NCES 2006-042, page 16)
Selon la même enquête, 41% des enfants pratiquant l’éducation à domicile utilisaient des ressources d’éducation à distance — c’est-à-dire : le courrier, Internet, le courriel, la radio, la vidéo et la télévision — et il est à prévoir que le développement d’Internet fera en sorte que ce type de moyen jouera un rôle de plus en plus important.
Enjeux éducationnels, philosophiques et politiques
Trois critiques récurrentes sont typiquement adressées à l’éducation à domicile et elles renvoient à autant d’enjeux incontournables que pose son existence.
La première accuse cette pratique de causer des torts académiques aux enfants en leur offrant une formation académique déficiente.
Faute de données fiables et en nombre suffisant, il est extrêmement difficile, en ce moment d’avoir, une vue d’ensemble crédible de l’efficacité de l’éducation à domicile sur le plan académique. Les données disponibles et en particulier les résultats aux test standardisés et aux examens d’entrée aux collèges et universités (SAT et ACT) (où certains enfants éduquées à la maison sont admis et performent bien) laissent toutefois penser que ceux et celles qui suivent un programme académique réussissent au moins aussi bien que les enfants scolarisés. Une vaste et longue recherche menée par Lawrence Rudner est arrivée à la conclusion que l’éducation à domicile semble, sur le plan académique, connaître de réel succès — mais il faut aussitôt ajouter que les parents des enfants éduqués à la maison et engagés dans un curriculum académique sont, par définition, particulièrement soucieux de la réussite de leurs enfants : ce qui invite à la plus grande prudence avant de conclure quoi que ce soit de recherches comparant leurs résultats à ceux des autres enfants. Il n’en reste pas moins que le sujet devra être étudié avec le plus grand sérieux en raison des nombreuses et importantes questions que soulève la réussite académique des enfants éduqués à domicile. Parmi elles, celle de savoir si, comme le suggèrent les travaux de Brian Ray, l’incidence négative sur la réussite académique des facteurs comme le faible revenu familial, la classe sociale, le genre, le niveau de scolarité des parents, la faible fréquentation des institutions culturelles et ainsi de suite est minorée par l’éducation à domicile .
Une deuxième objection argue que l’éducation dénie à l’enfant qui la pratique des occasions de contacts, de dialogue et d’interactions avec d’autres enfants provenant de multiples horizons économiques, culturels, religieux différents et qu’en ce sens, elle ne les prépare pas adéquatement à pleinement exercer leurs futurs rôles — de citoyens d’une démocratie libérale et pluraliste et de participants à son économie. Ses défenseurs rétorquent ici que ces enfants sont engagés dans plus d’activités extracurriculaires (sports, scoutisme, bénévolat et ainsi de suite) qui préparent plus et mieux que la scolarisation à l’exercice d’une véritable et active citoyenneté.
Mais il n’en demeure pas moins qu’à travers les rapports radicalement nouveaux qui s’instituent par l’éducation à domicile entre la famille et la collectivité, c’est la question de la définition des sphères publique et privée et de leurs relations qui est posée. Hegel, avec de nombreux autres, a défini politiquement l’école comme une « situation éthique particulière» et intermédiaire dans la mesure où elle fait passer l’enfant de la famille, où s’instituent des rapports personnels qui sont ceux du sentiment, de l'amour, de la confiance, au monde public, là où les rapports seront abstraits et à prétention universaliste. Cette double existence est préparée par l’école où l’enfant fait la rencontre d’autres qui lui sont d’abord étrangers et noue avec eux et elles des relations qui préparent la formation et la pratique des vertus sociales.
D’où la troisième critique, cette fois politique, de cette pratique et qui est avancée au nom de la solidarité sociale et du bien commun. On argue ici que l’éducation à domicile cause du tort au système public d’éducation et, partant, aux autres parents et à leurs enfants et qu’en tant que stratégie de sortie de la sphère publique, elle contribue à limiter la capacité des institutions publiques d’éducation à être des lieux de définition et de réalisation d’aspirations collectives et démocratiquement décidées. Ce faisant, tout autant que le symptôme d’une insatisfaction à l’endroit de l’école publique, elle en est une des causes et un des facteurs aggravants. Le philosophe et pédagogue américain John Dewey suggérait que les politiques scolaires devaient instituer pour tous ce que les meilleurs parents voudraient pour leurs enfants : avec l’éducation à domicile, les parents, quels qu’ils soient, veulent ce qu’ils considèrent être le meilleur, mais au seul bénéfice de leurs seuls enfants.
C’est ici que se place sans doute le plus grand défi que l’éducation à domicile pose au système public de la société américaine en même temps qu’aux valeurs philosophiques et politiques fondatrices des démocraties libérales — égalité, justice, sphères privé et publique, autonomie rationnelle, liberté — l’éducation s’avérant une fois de plus le laboratoire par excellence où elles sont mises à l’épreuve.
C’est ainsi que l’éducation à domicile contraint à examiner la question de savoir si une société se réclamant du libéralisme politique peut, sans contradiction, prétendre viser à assurer par l’éducation la future autonomie rationnelle des enfants et refuser aux adultes qu’ils deviennent et qui la composent d’assumer cette autonomie en prenant une décision relative à l’éducation de leurs propres enfants? De même, entre ceux des parents, des enfants et de la collectivité, quels intérêts doivent être pris en compte dans l’établissement de l’autorité d’éduquer et quelles responsabilités correspondent à cette autorité? Plus spécifiquement encore, existe-t-il un argumentaire qui permettrait, dans le cadre d’une société libérale, de fonder en justice l’autorité de dénier à des parents la liberté de faire à la maison l’éducation de leurs enfants dès lors qu’ils satisfont à des normes et à des exigences raisonnables?
Par sa seule existence, l’éducation à domicile soulève de tels enjeux et ce faisant, met l’école au défi.
lundi, février 02, 2009
L’ÉCOLE AU DÉFI. POLITIQUE DE L’ÉDUCATION À DOMICILE AUX ÉTATS-UNIS
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12 commentaires:
Quelques remarques de forme :
homechooling : homeschooling
Des critiques de l’école et de l’éducation qui s’y dispense : dispensent.
la montée la droite catholique : de la droite.
connaître de réel succès : un réel succès ou de réels succès.
Un commentaire sur le fond :
En France, une solution médiane si je puis dire, consiste à essayer d'impliquer davantage les parents dans le fonctionnement des établissement scolaires (au grand dam des enseignants). Le homeschooling répond certainement à un désir de plus grand contrôle de la part des parents, comme vous le soulignez, face à ce qui peut être vécu (ou fantasmé) comme une "boite noire" (l'institution).
Merci pour ce texte très intéressant !
Le versant politique de la question me semble particulièrement délicat, et en tous cas m'interroge. Je précise cependant que je parle dans un contexte français, et que ce qui suit n'aura peut-être guère de sens dans un contexte nord-américain qui m'est totalement étranger...
On connaît notamment depuis les travaux de Bourdieu le rôle fondamental que joue l'école dans la reproduction de la hiérarchie sociale et des rapports de domination, et surtout dans leur légitimation, en faisant croire que certains mériteraient d'occuper des positions sociales "supérieures" du fait de prétendues capacités intellectuelles, alors qu'on sait que la plus grande part de la réussite scolaire provient du capital scolaire des parents et de l'adéquation "naturelle" entre l'univers familial et les attentes du système scolaire. L'école devient donc une instance de reproduction (imparfaite mais bien réelle) du capital scolaire qui légitime ensuite, au nom d'une inexistante "égalité des chances", les inégalités de considération et de rémunérations qui suivent.
Par ailleurs, de nombreux auteurs ont bien pointé le caractère particulièrement violent de l'institution scolaire. En premier lieu vis-à-vis des élèves qui réussissent le moins, et à qui l'on renvoie dès le plus jeune âge et pendant des années une image fortement négative. Mais aussi plus généralement pour l'ensemble des enfants, qui se retrouvent dans un lieu clos, très réglementé, soumis à l'arbitraire de l'enseignant et du travail qu'ils doivent effectuer, et exposés au stress d'une évaluation continue, et parfois continuellement négative.
Face à cette violence, je comprends tout à fait la volonté de sortir les enfants de cette institution et de leur épargner cette épreuve dont on peut penser qu'elle est loin de n'avoir que des effets positifs.
Un des problèmes, il me semble, est que cette démarche n'est possible que pour une petite partie de la population : en résumé, celle qui peut trouver le temps d'éduquer ses enfants, donc qui parvient d'une manière ou d'une autre à trouver des revenus suffisants par ailleurs. Et surtout celle qui dispose du capital scolaire suffisant pour pouvoir se mettre en position "d'éducateur" et se substituer au système scolaire. Car au bout du compte, du moins en France, il y a quand même un "programme" officiel à suivre, et donc des savoirs et compétences proprement scolaires à transmettre, ce qui nécessite une familiarité et une aisance vis-à-vis de ces savoirs et compétences. Au final, j'imagine qu'on retrouvera beaucoup plus d'enfants éduqués à domicile dans des familles à fort capital scolaire que dans des familles populaires.
D'autre part, si l'éducation à domicile peut permettre de contourner et de lutter contre la violence de l'institution scolaire (seulement pour ses propres enfants, mais ce n'est déjà pas rien), elle ne permet pas en elle-même de lutter contre l'aspect "reproduction sociale" de l'école : au final l'objectif du diplôme demeure forcément (il pourrait difficilement en être autrement) et la légitimation de hiérarchies sociales arbitraires également. On pourra à juste titre objecter qu'on ne peut pas demander à une démarche individuelle de remettre en cause les fondements même d'un système social, mais il me semble quand même important de ne pas perdre de vue cet aspect de l'institution scolaire.
Si on additionne ces deux "limites", on aboutit au risque, en caricaturant fortement, de voir dans l'éducation à domicile une démarche réservée à une fraction de la population scolairement privilégiée et lui permettant d'assurer la reproduction de son propre capital scolaire "entre soi" et en laissant le reste de la population, et notamment les moins favorisés, se débrouiller avec une institution scolaire jugée néfaste.
Je ne veux pas dire par là que les personnes qui déscolarisent leurs enfants le font avec cet objectif. La plupart de ceux que je connais personnellement le font avant tout dans l'intérêt de leur enfant et car ils refusent de se soumettre à l'institution scolaire. Il s'agit en ce sens d'une démarche exigeante (en temps et en énergie) et courageuse (car le plus souvent socialement assez mal vu, y compris en France dans des milieux "progressistes"). Mais il reste pour moi ce dilemme entre d'une part la volonté de sortir ses propres enfants de l'école et d'expérimenter des formes alternatives d'apprentissages et d'éducation et d'autre part le risque de donner l'impression de "jouer perso" et de s'offrir une sorte "d'école sur mesure" laissant de côté tous ceux qui n'en ont pas scolairement les moyens.
Bonjour,
1°/
@ "NG" :
A bas l'Académie Française, et vive la réforme de l'orthographe. Pour en avoir discuté avec des non-francophones (en particulier des germanophones et des italophones), je sais que la chute vertigineuse du français comme langue étrangère (du moins en Europe), est due en grande partie à son orthographe surannée, irrationnelle et incompréhensible. La thèse selon laquelle l'orthographe fait "partie intégrante de l'identité de la langue française", complètement absurde sur le plan linguistique, est malheureusement dominante en France, et entretenue par un lobby puissant. Le même qui versera des larmes de crocodile sur l'omniprésence de l'anglais.
2°/
LA GIGUE DES PETITS MORTS
Trop lourd pour leurs pauvres guiboles
Plus morts que vivants
Mes enfants s’en vont à l’école
Du gouvernement
Par décision du ministère
De l’enseignement
Ils prennent la couleur austère
Des enterrements
Mes petits morts entre deux rives
D’hôpitaux blafards
Apprennent dans le poids des livres
Le cours du cafard
Padalia padadadadada
L’instituteur pâle et terne
A mes petits morts
Enseignera ce qui concerne
Le respect de l’or
Il faut multiplier les poires
Par le prix du lard
Combien de sang dans la baignoire
Pour faire un dollar
Mes petits morts vont à l’école
Tristes infiniment
S’incliner devant l’auréole
Du gouvernement
Padalia padadadadada
Plus tard la peur les fera taire
Ou mordre selon
Qu’on rectifiera leur salaire
A leur gré ou non
Ils vont recevoir pour algèbre :
"Le mépris d’abord"
Pour devise : "écraser le faible
Caresser le fort"
Mes petits morts vont à l’école
Sans étonnement
Célébrer l’amour du pétrole
Du gouvernement
Padalia padadadadada
Dans leurs jeux de mort se déchaîne
En fait d’exutoire
La gaieté des bœufs qu’on entraîne
Pour les abattoirs
Je frémis quand je considère
Qu’un avortement
Aurait privé d’un militaire
Le gouvernement
Sur leurs jambes devenues molles Incurablement
Mes enfants s’en vont à l’école
Du gouvernement
Padalia padadadadada
(Romain Bouteille, "Bon anniversaire", 1999.)
On peut écouter la chanson ici :
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1420
2NG. Merci pour les corrections (J'ai des lecteurs attentifs et j'en suis bien content!).Pour : Des critiques de l’école et de l’éducation qui s’y dispense. C'est de l'éducation qu'il est question et donc dispense, je pense.
Ici aussi, comme en France, la législation tend à accorder plus de place (qu'avant) aux parents dans divers aspects de la gestion et du fonctionnement de l'école.
Normand B.
: dispensent.
«@Julien. Merci de ce très riche commentaire, qui fait méditer.Moi aussi, je trouve particulièrement délicats biens des enjeux autour de cette pratique. Je me demande où ça en est en France?
Normand
@hnk: je file écouter la chanson!
Normand
@hnk : l'orthographe est la politesse de la langue.
@Normand : mon erreur (sur une phrase dont la structure est tout de même complexe et m'a demandé plusieurs lectures) ne me dispensera pas de continuer à vous lire avec le plus grand intérêt.
Bonjour,
Correctif :
La chanson de Romain Bouteille se trouve à la 33e minute de l'émission dont j'ai indiqué l'adresse dans mon précédent message. (Mais le reste de l'émission est aussi très intéressante.)
@NG.J'apprécie toujours qu'on apporte des corrections à mes textes. Et puis publier et être reu par des spécialistes de la langue rend très modeste;_)
@hnk Romain Bouteille. Le nom me dit quelque chose. en rapport à Coluche, je pense...
Normand
@normand: Merci !
Pour ce qui est de la situation en France, je ne saurais vraiment dire. Certains parlent de 30 à 40 000 enfants qui suivraient l'école à la maison, pour la plupart avec l'aide de cours par correspondances fournis par un organisme officiel (le CNED). Sur environ 6 500 000 enfants dans l'enseignement primaire, ça nous ferait du 0,6%. Une estimation très grossière, mais qui fait penser que le phénomène est moins fréquent qu'aux Etats-Unis. Je ne sais pas s'il existe des enquêtes sur les motivations à l'origine de ces déscolarisations.
Bonjour,
@ Normand :
Je ne connais de Romain Bouteille que cette chanson.
En ce qui concerne Coluche, je n'avais que 7 ans quand il est mort ; mais je crois que le portrait le plus fidèle en a été tracé par Guy Hocquenghem dans son livre "Lettre ouverte à ceux qui sont passés du Col Mao au Rotary".
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1456 (dans cette émission, on peut entendre parler Guy Hocquenghem en archive).
http://blog.agone.org/post/2008/10/24/a-propos-de-la-candidature-de-Coluche (le passage du livre de Hocquenghem concernant Coluche).
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