[Billet pour le prochain numéro de Vivre le primaire, qui est justement consacré à cette question — si j'ai bien compris.]
La question de l’éventuelle professionnalisation des enseignantes et enseignants revient périodiquement dans l’actualité et elle suscite immanquablement des débats enflammés. Quel statut a ou devrait avoir le fait d’enseigner? Est-ce une vocation, un art, un métier, une profession? Un peu de tout cela? Autre chose encore? Le présent numéro revenant une fois de plus sur le sujet, je souhaite profiter de l’occasion pour montrer ce que la philosophie de l’éducation peut apporter à ce genre de débats.
Avant toute chose, à observer les discussions en cours, on remarque rapidement que les intervenants dans ce dossier ont souvent des conceptions bien différentes — et en certains cas radicalement opposées — de ce que signifie pour un métier donné d’être une profession et de ce que cela signifierait pour l’enseignement d’en être une.
D’autres intervenants, qui partagent globalement la même conception de ces choses, divergent néanmoins d’opinion sur l’opportunité de créer un ordre professionnel des enseignantes et enseignants.
Quant à ceux et celles qui pensent que l’heure de créer cet ordre est venue, ils ne s’entendent pas toujours sur ce qu’il conviendrait d’en attendre.
On mesure la distance qui sépare tous ces gens quand on examine certaines des motivations qui sont, sinon données, du moins décelables, pour accepter ou refuser un ordre professionnel pour les enseignantes et enseignants.
Certains par exemple y voient une occasion de nettoyer les écuries d’Augias et souscrivent, ou non, pour cette raison, à la création d’un ordre professionnel, qui ferait le ménage dans une profession où on trouverait trop de pommes pourries.
D’autres, remarquant que le mot profession est prestigieux, pensent et espèrent que la création d’un ordre professionnel redorera le blason des enseignantes, notamment auprès du grand public, auquel les enseignantes pourraient s’adresser avec une plus grande autorité quand des enjeux sociaux, politiques ou autres touchant l’enseignement et l’éducation seraient abordés.
La philosophie de l’éducation, qui est le lieu d’où je parle, n’offre aucune expertise particulière pour discuter bon nombre de ces questions. Par contre, elle peut, et c’est son rôle, aider à clarifier les concepts qui sont mis en jeu, leurs possibles relations, ainsi que les dimensions normatives des diverses options envisagées.
Je voudrais le montrer en m’intéressant ici au concept d’«enseigner».
Après avoir rappelé une très célèbre définition qui en a été récemment donnée dans le cadre de la philosophie analytique de l’éducation, j’indiquerai le lien que son adoption suggère de faire avec une certaine conception de la professionnalisation.
Enseigner
Enseigner est un de ces mots que chacun, à commencer par les enseignants, croit maîtriser parfaitement, mais qui offre de singulières résistances à qui tente de le définir précisément. Quand on se livre à l’exercice, on ressent très vite un singulier malaise, justement celui que provoquait Socrate chez ces experts supposés auxquels il demandait d’identifier l’objet de leur expertise (le courage pour le soldat, la beauté pour l’artiste, et ainsi de suite).
C’est qu’on ne peut définir enseigner en disant simplement ce qu’on enseigne (les mathématiques, l’anglais, etc.), le lieu où on enseigne (une école primaire, un collège, etc.) ou encore le niveau académique auquel on enseigne. La demande d’une définition nous enjoint de dire ce qu’ont en commun toutes ces variétés d’enseignement et qui fait qu’à chaque fois, éventuellement, on se retrouve devant une instance où on peut parler d’enseigner.
La difficulté de donner une telle définition est d’autant plus grande que le nombre des activités qui peuvent avec raison être considérées comme pouvant faire partie de l’acte d’enseigner est presqu’infini : parler, donner un exemple, répondre à une question, organiser une activité en laboratoire, monter une pièce de théâtre, se tenir debout sur une jambe en jonglant avec des bouteilles : dans ces cas et dans une infinité d’autres, la personne qui pose ces gestes pourra dire qu’elle enseigne — dans le dernier cas, dans une école de cirque. Le mot enseigner est pour cela dit «polymorphe» par les philosophes.
Enseigner, enfin, est un des ces mots qui désignent une activité ou un ensemble d’activités plutôt que le succès obtenu dans l’accomplissement d’une tâche et ne peut donc être défini par ce succès. Trouver, au contraire, est un mot-succès et qui se définit par la réussite d’une activité. Enseigner, à l’évidence, ne l’est pas, puisqu’on peut enseigner sans connaître le succès que vise cette activité.
Cette dernière observation nous met sur la piste de la définition désormais classique d’enseigner proposée par Israel Scheffler en philosophie de l’éducation et dont je vais librement m’inspirer ici.
Si on ne peut définir enseigner par le succès des activités nombreuses et variées que recouvre ce concept polymorphe, on peut néanmoins tenter de cerner l’intention qu’elles visent toutes.
Quelle est cette intention? Scheffler suggère, et je lui donne raison, que c’est de faire apprendre — la littérature, la chimie, la jonglerie et mille autres choses. Enseigner, c’est donc se livrer à un grand nombre d’activités variées avec l’intention de faire apprendre.
Est-ce suffisant? Sheffler a suggéré que non. Pour comprendre pourquoi, imaginez un enseignant qui couvrirait son tableau d’équations quadratiques devant des élèves n’ayant jamais fait d’algèbre et qui assurerait qu’il enseigne bel et bien, puisqu’il a l’intention de leur faire apprendre cette branche des mathématiques.
On voit tout de suite que le problème, ici, serait que les moyens employés sont tout à fait déraisonnables et ne tiennent aucun compte de ce que sont ces élèves et de ce qu’ils peuvent actuellement apprendre. Il faut donc compléter notre définition.
Scheffler propose en gros ceci: enseigner, c’est se livrer à un grand nombre d’activités variées avec l’intention de faire apprendre et en utilisant pour ce faire des moyens dont il est raisonnable de penser qu’ils permettront de faire apprendre.
Le nouveau critère que nous venons d’ajouter est volontairement souple et on aura deviné pourquoi : on ne peut — ni ne veut — exiger, parce que ce serait déraisonnable pour un mot-activité, que les moyens utilisés garantiront que les élèves apprendront. Mais on peut, raisonnablement, demander qu’il soit plausible de l’anticiper : d’où ce deuxième critère.
En avons-nous fini? Scheffler pense que non et il a proposé un troisième et dernier critère qui complète sa définition de ce que signifie enseigner. Pour le comprendre, imaginons un nouvel exemple de non-enseignement.
Cette fois, l’enseignant disposerait de données à ses yeux crédibles qui lui font penser que des choses comme des menaces ou des coups favorisent l’apprentissage des tables de multiplication. Menaçant ses élèves (ou pire : les frappant) il arguerait qu’il enseigne bien puisqu’il a l’intention de les leur faire apprendre et qu’il prend des moyens dont il est raisonnable d’attendre qu’ils atteindront ce but.
Il faut en convenir : tout le monde refuserait malgré tout d’appeler enseigner ce qui se passerait dans cette classe.
C’est que ce qui est acceptable en enseignement est limité par des frontières de faisabilité et de plausibilité, certes, mais aussi par des frontières éthiques.
Celles-ci, il est vrai, varient dans le temps et l’espace (la gifle était tolérée ici ou là, il n’y a pas si longtemps encore) et sont informées par nos conceptions idéologiques, sociales, politiques et philosophiques. Mais ces contraintes éthiques existent bien et elles sont portées par des institutions dans lesquelles l’enseignement prend typiquement place. C’est par elle et en leur nom que nous refusons désormais la violence faite aux enfants à l’école, mais aussi l’endoctrinement, le bourrage de crâne et ainsi de suite, qui nous apparaissent ne pas constituer des formes d’enseignement. Enfin, les actions posées quand on enseigne supposent une conception, nécessairement normative, de ce qu’éduquer veut dire et des savoirs qui méritent d’être appris.
Voici donc la définition à laquelle nous aboutissons: enseigner, c’est se livrer à un grand nombre d’activités variées avec l’intention de faire apprendre, en utilisant pour ce faire des moyens dont il est raisonnable de penser qu’il permettront de faire apprendre et cela dans le respect de limites définies par des normes et des valeurs portées par la société et (typiquement mais non nécessairement) incarnées dans des institutions où se déroulent ces activités, institutions dans lesquelles s’incarnent une vision de l’éducation ainsi qu’une détermination des savoirs que l’on acquiert pour être éduqué.
Le statut professionnel de l’enseignement
Si on accorde cette définition, l’enseignement peut-il être considéré comme une profession?
Tout dépend de ce qu’on entend par profession, bien entendu, et le fait qu’il peut l’être ne signifie pas qu’il doive l’être.
Ces restrictions posées, je pense néanmoins que la définition de Scheffler incite à suggérer un certain type de lien qui existe bien entre l’enseignement ainsi compris et divers aspects généralement reconnus des professions.
Voici comment.
Il y a, je le sais bien, d’interminables discussions sur la question de savoir ce que signifie précisément le mot profession. Mais admettons, ce qui est assez généralement reconnu, que les professions se caractérisent notamment par les traits suivants : la riche et vaste formation théorique de leurs praticiens; la complexité des situations où ceux-ci mettent en œuvre leur savoir; la présence dans leur pratique d’une très forte dimension normative intrinsèque (par exemple : le juste pour le droit, la santé pour la médecine, le vrai pour la science, la sécurité pour l’ingénierie); l’autonomie qui est conférée à ces professionnels; enfin, l’expertise qui leur est reconnue.
Je soumets que la définition de l’enseignement que j’ai proposée invite fortement à admettre que les enseignants sont et devraient être reconnus comme des professionnels.
En effet, leur formation leur transmet (ou devrait leur transmettre) un savoir théorique riche et complexe, leur permettant d’agir, avec une grande d’autonomie, dans des situations complexes où est présente une incontournable et très forte dimension normative. Enseigner, en fait, demande constamment de prendre des décisions prudentes et informées dans de telles complexes situations. En ce sens, enseigner est un geste professionnel et l’enseignement une profession.
Devait-il exister un ordre des enseignants pour le faire reconnaître? C’est là une autre question. Mais je pense que cette reconnaissance, sous une forme ou une autre, aiderait non seulement à revaloriser ce métier, qui en a besoin, mais aussi à rendre l’enseignement aux enseignantes, en retirant un peu de leur pouvoir aux bureaucrates, aux fonctionnaires, aux experts réels ou allégués et aux universitaires.
Cette reconnaissance devrait enfin s’accompagner, à mon sens, d’une exigence, de la part des enseignantes et enseignants, d’un net renforcement de leur formation théorique : je ne pense pas trahir de grand secret en disant que plusieurs d’entre elles et eux la jugent insuffisante.
Normand Baillargeon
[baillargeon.normand@uqam.ca]
vendredi, janvier 16, 2009
mercredi, janvier 14, 2009
ENTRETIEN AVEC PUTNAM (2/2)
[Ceci est un work in progress, merci de ne pas citer — d'autant que je ne l'ai pas encore envoyé à M. Putnam. Voici la suite et fin de l'entretien avec Hilary Putam, qui paraîtra dans le prochain numéro de Médiane. Si vous pouvez l'améliorer, ne vous gênez pas. Je n'ai pas reproduit ici les notes de bas de page.]
Présentation
Nous poursuivons ici la publication de l’entretien que Hilary Putnam (né en 1926), professeur émérite à la Harvard University, de Boston, a accordé à Normand Baillargeon le 3 janvier 2008. La première partie de cet entretien a paru dans le précédent numéro de Médiane.
À la fois mathématicien et philosophe, Hilary Putnam est l’auteur d’une œuvre considérable, où il aborde tour à tour la métaphysique, la philosophie de l’esprit, la philosophie des mathématiques, la philosophie du langage et la philosophie des sciences, mais aussi les mathématiques et l’informatique. Cette œuvre majeure et incontournable a eu de profondes répercussions dans de nombreuses disciplines philosophiques et scientifiques.
Nous reprenons la conversation sur le thème du fonctionnalisme.
Le fonctionnalisme
— Je voudrais maintenant aborder certaines de vos théories philosophiques par lesquelles vous avez fait de si importantes contributions à la discipline. Commençons, si vous le voulez bien, par ce fonctionnalisme, cette immensément célèbre et influente théorie de l’esprit que vous avez mise de l’avant, et dont vous êtes cependant devenu vous-même critique. De quoi s’agit-il exactement?
— J’ai raconté précédemment comment mon parcours m’a doté d’une double formation, l’une en mathématiques et l’autre en philosophie. Le domaine des mathématiques dans lequel je travaillais dans les années cinquante et soixante était celui de la récursivité et de la calculabilité. En tant que mathématicien je connaissais donc fort bien le travail de Turing, ainsi que les machines de Turing . Ce que le fonctionnalisme va mettre de l’avant se comprend très bien depuis cette perspective. Pour l’essentiel, il s’agit de l’idée que l’on ne devrait pas concevoir les états mentaux — croire telle ou telle proposition, douter de quelque chose, vouloir quelque chose et ainsi de suite — comme des états du cerveau (ce que suggérait par exemple J. J. C. Smart ), mais plutôt comme la réalisation (implantation) d’états d’un programme (software). Ceci dit, ma critique du fonctionnalisme ne signifie pas que je le répudie. Je pense toujours que le fonctionnalisme constitue une intéressante porte d’entrée dans les problèmes de la philosophie de l’esprit en cette ère post-informatique en laquelle nous vivons. Mais c’est aussi une position trop simple et trop réductionniste.
— Pouvez-vous nous donner une idée des raisons pour lesquelles vous soutenez à présent ce point de vue critique contre votre théorie fonctionnaliste, laquelle a pourtant suscité énormément d’intérêt et qui semble encore très prometteuse à plusieurs philosophes et chercheurs en science cognitives?
— Je donnerai deux arguments. Le premier reprend un argument qui était soulevé contre l’ancienne théorie de l’identité du cerveau et de l’esprit, qui soutenait que les états mentaux sont des états du cerveau, concernait leur possible multiple réalisation (multiple realisability). Prenez par exemple la croyance qu’il y a plusieurs églises à Vienne. On a toutes les raisons de penser qu’elle peut être réalisée par plusieurs états cérébraux différents, par différents états physiques, neuronaux, par différentes configurations neuronales. Mais le fait est que cet argument peut être retourné contre le fonctionnalisme. Puisqu’il n’y a pas de raison de croire qu’il n’y a qu’un seul programme impliqué, on retrouve donc cette possible multiple réalisation (mutiple realisability) au niveau computationnel. Et c’est là une des raisons pour lesquelles je pense qu’un fonctionnalisme inspiré de la machine de Turing constitue une trop grande simplification. Une deuxième raison importante concerne une autre de mes théories qui a recueilli bien des suffrages mais que plusieurs pensent incompatible avec le fonctionnalisme. Il s’agit de ce qu’on appelle l’externalisme sémantique.
— On le voit sur ces exemples et le reste de vos travaux et de votre parcours le confirme parfaitement: vous êtes un penseur qui n’a jamais hésité à revenir sur ses propres idées pour en faire la critique (parfois très sévère), critique a en certains cas conduit à abandonner vos propres théories et à leur remplacement par de nouvelles idées. Daniel C. Dennett, vous le savez, a d’ailleurs malicieusement fait de votre prénom un nom ainsi défini : «Hilary : Un bref mais significatif moment du parcours intellectuel d’un éminent philosophe. ‘Ah, voilà ce que je pensais il y a trois ou quatre hilaries’ ». Vous êtes également un philosophe qui est très à l’écoute des critiques que l’on adresse à son travail. Justement : je serais curieux de savoir si la célèbre expérience de pensée de la Chambre chinoise [voir encadré], imaginée par John Searle, a joué un rôle dans votre retour critique sur les thèses fonctionnalistes?
***
La chambre chinoise
Cette expérience a été imaginée par John Searle (1932) et vise à prouver que la version dite forte de la théorie de l’esprit, défendue dans le cadre des travaux menée en Intelligence Artificielle, est fausse.
Searle nous demande d’imaginer une personne enfermée dans une pièce hermétiquement close, à l’exception d’une fente pratiquée dans un des murs : cette pièce, c’est la chambre chinoise.
Par la fente, de l’extérieur, sont introduits des bouts de papier couverts de signes qui sont incompréhensibles à la personne se trouvant dans la chambre chinoise. Quand elle en reçoit un, cette personne consulte un immense registre dans lequel elle repère les signes se trouvant sur la feuille : y correspondent d’autres signes, qu’elle recopie sur une nouvelle feuille de papier, qu’elle envoie, toujours par la fente, à l’extérieur de la chambre chinoise.
Pourquoi cette chambre s’appelle-t-elle chinoise? C’est que les signes reçus et envoyés sont du chinois, une langue qu’ignore totalement la personne dans la chambre. Mais à l’extérieur, une personne parlant cette langue a posé une question en chinois et a reçu, après un délai plus ou moins long, une réponse pleinement satisfaisante. La questionneuse pourrait donc croire que la chambre (ou quoi que ce soit qui s’y trouve ou la constitue) parle chinois. Et pourtant non, comme on vient de le voir.
Vous aurez compris la signification de cette analogie. La personne dans la pièce représente l’unité centrale de l’ordinateur; les instructions qu’elle consulte dans le registre représentent le programme; les bouts de papier qui entrent et sortent sont respectivement les inputs et les outputs. La chambre chinoise fait exactement ce que ferait un ordinateur programmé pour parler chinois et elle le fait comme lui. Mais c’est sans les comprendre qu’elle manipule des symboles.
N.B.
***
— Je dois avouer que non; mais je dois aussi ajouter que je suis probablement moins hostile à cette expérience de pensée que bien d’autres. D’autant que j’avais moi-même déployé un argument similaire quelques années auparavant, dans un mes articles sur le fonctionnalisme. Mon désaccord avec Searle, que je respecte énormément par ailleurs, est qu’il pense que son expérience de pensée montre que le programme est sans importance (irrelevant), alors que je soutiens que cette conclusion ne s’ensuit pas. Ce qui s’ensuit est que le hardware est lui aussi important (relevant) — ce dont Searle convient — mais aussi que les gens eux-mêmes peuvent être indispensables, que ce qui est nécessaire pour produire de la conscience pourrait bien être un certain type de programme réalisé dans un certain type de hardware ou de matériau.
Philosophie du langage, réalisme et sémantique
— Si vous le permettez, abordons maintenant d’autres aspects de vos travaux. Je voudrais d’abord revenir sur votre philosophie du langage et sur certaines de vos théories en ce domaine, qui nous conduisent à la frontière de l’épistémologie et de la sémantique. Ici encore, vous avez passablement modifié vos positions. Commençons donc par le commencement. Quel a été ici votre point de départ?
— Ma première position est exposée dans un article d’épistémologie intitulé : What théories are not (Ce que les théories ne sont pas), qui a exercé un très grande influence à l’époque dans l’amorce du déclin de l’influence du positivisme logique en philosophie des sciences, et dans un texte de la fin des années cinquante intitulé The Analytic and the Synthetic . Dans ces textes et d’autres qui ont suivi, prend forme ce qui deviendra une sémantique réaliste des termes théoriques, c’est-à-dire de concepts comme gène, électron, ou atome. Je soutenais que ces termes ont cette propriété en vertu de laquelle leur référence est préservée à travers les changements de théories. En d’autres termes, que même si Bohr avait une théorie de l’atome bien différente en 1904 et en 1934, on ne peut néanmoins dire qu’il parlait de quelque chose d’entièrement différent à ces deux dates. Une sémantique positiviste, au contraire, identifie signification et mode de vérification : et puisque les modes de vérification en physique changent, parfois même radicalement, avec les théories, il s’ensuit que, pour quelqu’un comme Carnap , il n’est pas possible de dire que le Bohr de 1904 et celui de 1934 réfèrent à la même chose quand ils parlent d’électrons.
— On serait ici tenté de conclure, et cela pourra sembler très étrange à certains, que l’épistémologie positiviste peut conduire à Thomas Kuhn et à cette idée de paradigme, où les concepts deviennent incommensurables, justement, quand on passe d’un paradigme à un autre.
— Cette filiation est juste. Kuhn donnait à entendre que Carnap était à l’opposé de lui, qu’il était en quelque sorte son ennemi intellectuel: mais en fait, c’est Carnap lui-même qui a choisi The Structure of Scientific Revolutions pour parution dans The International Encyclopaedia of Unified Science . L’ouvrage l’enthousiasmait. Cela se comprend et tient notamment à cette non-préservation de la référence des termes théoriques que Kuhn et lui ont en commun. Mes premiers efforts ont donc, on le voit, cherché à définir non certes une sémantique complète, mais à tout le moins une sémantique qui soit compatible avec le réalisme.
— L’étape suivante, si je ne m’abuse, se produit au MIT, autour notamment de Chomsky .
— En effet. Quelques années plus tard, j’étais donc au MIT, où se trouvait Chomsky, de même que deux de mes anciens étudiants, Jerry Fodor et Jerrold Katz . Nous discutions constamment et c’est à ce moment-là que j’ai travaillé à une sémantique des langues naturelles. Katz et Fodor la voulaient intimement liée à la linguistique de Chomsky, mais je pensais pour ma part que cela ne fonctionnerait pas. J’ai résumé leur position, à laquelle j’ai brièvement adhéré, par le slogan : « Connaître la signification d’un mot, c’est connaître un ensemble de règles sémantiques. » Je me suis alors demandé quelles étaient les règles sémantiques qui fixeraient la signification d’un mot comme « or ».
— Puis, plus tard, « eau »!
— (rires) En effet. Et je me suis alors rendu compte que l’environnement a énormément à voir avec la signification des mots que j’emploie. Cela a été le début de mon travail en vue d’une sémantique générale, lequel aboutira à The meaning of meaning , quelques années plus tard. Je suggère que la signification est un phénomène transactionnel (meaning is transactionnal). Posséder un concept, à tout le moins pour ce qui est de ceux qu’on exprime par des noms, des noms d’espèces naturelles, — les concepts logiques sont autre chose — c’est avoir une capacité à renvoyer au monde (a world involving capacity). La signification du nom est en partie déterminée par ce qui lui correspond dans le monde et pas uniquement par ce qui se passe dans ma tête. Sur ce point, qui est ce qu’on appelle l’externalisme, je n’ai pas changé d’avis. De même, j’ai toujours défendu un réalisme scientifique, même durant les douze ans (au cours des années 70 et 80) durant lesquelles j’ai défendu un réalisme interne, que j’ai abandonné depuis. Cela m’embête d’ailleurs d’être encore parfois décrit comme un réalisme interne.
— À certains égards, les idées auxquelles vous aboutissez alors, par la place qu’elles font à ce qu’on pourrait appeler la dimension sociale du langage, peuvent être rapprochées de celles de Dewey voire de Wittgenstein. Ces rapprochements vous semblent-ils plausibles?
— En partie. Les philosophes tendent à parler du langage comme d’un outil, disons un marteau, dont une personne peut se servir. Dans The meaning of meaning, je suggérais qu’il est peut être plutôt comme un bateau à vapeur dont le fonctionnement suppose le concours de plusieurs personnes.
— Et si je peux insister à propos de Wittgenstein : quelle influence a-t-il eu sur vous?
— Je l’ai lu très tôt. J’admirais sa volonté d’aborder des questions que d’autres ne traitaient pas, mais j’ai d’abord été plutôt hostile à ses idées. Ce n’est que dans les années 80 que j’ai développé plus de sympathie pour elles.
— Pourriez-vous résumer votre position actuelle sur ces questions dont nous venons de discuter?
— Pour aller à l’essentiel, je soutiens que le réalisme, c’est-à-dire l’idée que nos concepts renvoient à quelque chose de réel et cernent (pick up) des aspects réels du monde, d’une part, et la reconnaissance de l’activité conceptuelle de l’autre, et donc de l’idée que, parfois, exactement les mêmes aspects de la nature peuvent être décrits en des mots qui semblent absolument incompatibles, que ces deux idées, elles, ne sont pas incompatibles. En d’autres termes, un réaliste n’est pas contraint d’adhérer à l’idée que les « unités », pour ainsi dire, en lesquelles se découpe le réel, correspondent à des noms et à des verbes. La Mécanique Quantique — plus exactement : la dualité invoqué dans la théorie des cordes— en fournit un exemple quand elle suggère que le même système peut être décrit comme étant composé d’un type de particules ou d’un autre type de particules, comme étant composé de x dimensions spatiales ou d’un nombre différent de ces dimensions, ces deux descriptions étant traduisibles l’une dans l’autre. Il existe par ailleurs un type de réalisme métaphysique que je pense erroné et pour lequel, semble-t-il, les structures des langues indo-européennes correspondent à la structure du réel. C’est une erreur, mais le fait que je le reconnaisse ne fait pas de moi un anti-réaliste.
Le pragmatisme
— Devant le parcours qui a été le vôtre, certains seront tentés de suggérer que vous aboutissez à des positions qui sont à certains égards proches des pragmatistes en général et de Dewey en particulier . Que pensez-vous de ce jugement?
— Tout d’abord, je dois rappeler mon désaccord avec la théorie de la vérité avancée par les pragmatistes, qui est une forme d’antiréalisme. J’ai cependant diverses affinités avec certains pragmatistes. Depuis mes Dewey Lectures de 1994, je travaille sur la philosophie de la perception et c’est chez William James que j’ai d’abord trouvé cette suggestion que le réalisme naïf n’est pas réfuté par la science ou la philosophie ou incompatible avec elles. Mais je ne peux adhérer à la position métaphysique du monisme neutre — cette expression est de Bertrand Russell et non de James lui-même. Dewey adhérait lui aussi à cette idée de James et il l’a défendue dans un bref article de The Encyclopedia of Unified Science. Voilà donc une idée — la défense du réalisme naïf et le refus des sense-data que je partage avec certains pragmatistes, la tâche de la philosophie étant alors de défendre le réalisme naïf de l’homme ou de la femme ordinaire qui, lui, est pré-philosophique. Une autre idée concerne l’éthique, un sujet auquel je me suis sérieusement intéressé. À Harvard, où j’enseigne, l’éthique a longtemps été restreinte au kantisme et à l’utilitarisme et j’étais très mal à l’aise avec l’idée que le menu, en éthique, puisse se réduire à cela. Dewey a selon moi une vision bien plus ouverte et pluraliste.
— L’éthique est justement le sujet de certains de vos récents ouvrages . J’aimerais, si vous le voulez, revenir sur un thème au fond très deweyen qu’on retrouve dans ces ouvrages, à savoir l’effondrement (collapse) de la distinction fait/valeur, en d’autres termes de la guillotine de Hume.
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La Guillotine de Hume
David Hume (1711 –1776) a écrit un court passage qui compte parmi les plus célèbres et influents de toute l’histoire de l’éthique. Il y décrit un sophisme selon lui courant et qui nous fait illusoirement passer de ce qui est à ce qui doit être.
Voici ce passage (Traité de la nature humaine, L. III, section 1):
« Dans chacun des systèmes de moralité que j'ai rencontrés jusqu'ici, j'ai toujours remarqué que l'auteur procède pendant un certain temps selon la manière ordinaire de raisonner, établit l'existence d'un Dieu ou fait des observations sur les affaires humaines, quand, tout à coup, j'ai la surprise de constater qu'au lieu des copules habituelles, «est» et «n'est pas», je ne rencontre pas de proposition qui ne soit liée par un «doit» ou un «ne doit pas». C'est un changement imperceptible, mais il est néanmoins de la plus grande importance. Car, puisque ce «doit» ou ce «ne doit pas» expriment une certaine relation ou affirmation nouvelle, il est nécessaire qu'elle soit soulignée et expliquée, et qu'en même temps soit donnée une raison de ce qui semble tout à fait inconcevable, à savoir, de quelle manière cette relation nouvelle peut être déduite d'autres relations qui en découlent du tout au tout. Mais comme les auteurs ne prennent habituellement pas cette précaution, je me permettrai de la recommander aux lecteurs et je suis convaincu que cette petite attention renversera tous les systèmes courants de moralité et nous fera voir que la distinction du vice et de la vertu n'est pas fondée sur les seules relations entre objets et qu'elle n'est pas perçue par la raison. »
Traduction : Normand Baillargeon
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— Certains ont suggéré que Hume est un objectiviste ou encore un cognitiviste en éthique : mais je le tiens pour un non-cognitiviste. La distinction être/devoir être (is/ought) est problématique même pour l’époque à laquelle Hume écrit. S’il n’y avait littéralement aucune influence de l’être sur le devoir être, alors, en ce cas, l’inférence : faire x est bien; faire toute autre chose que x est mal; vous devez donc faire x; serait invalide. Hume lui-même ne soutiendrait pas que cette déduction est invalide. Dans son célèbre passage, Hume ne pouvait faire simplement une remarque grammaticale; mais après le tournant linguistique de la philosophie, il est devenu très difficile de voir ce qu’il voulait dire et on a tenté de faire entrer de force dans le langage des propositions ce qu’il exprimait dans le langage psychologiste de son époque. On en arrive ainsi à penser qu’il a voulu dire qu’on ne peut dériver de phrase normative d’une ou de phrases déclaratives ne contenant que des termes factuels : mais cela présuppose qu’il existe une distinction nette et précise entre termes factuels et termes évaluatifs — ou entre termes d’observation, pour parler comme les positivistes, et termes évaluatifs. Mais que dire alors de : « J’ai vu John voler un sac à main. »? Quels termes sont observationnels? Je ne suis pas ici en train de soutenir que les jugements de valeur sont simplement des faits; mais je pense qu’évaluer et décrire sont des actes de langage bien différents, que les mêmes mots peuvent souvent être utilisés pour accomplir les deux et que l’idée même que tout se ramène à des types de mots ou des types de propositions est extrêmement artificielle.
— Un exemple serait ici le bienvenu.
— Quand un historien dit : « Vlad l’Empaleur était très cruel », il se peut fort bien qu’ils écrivent alors un fait historique plus qu’il ne juge Vlad l’empaleur. Mais, d’un autre côté, quand un homme politique contemporain adversaire de Vlad disait la même chose, il l’évaluait et le jugeait. Plusieurs de nos mots sont ainsi enchevêtrés (entangled), en ce sens que l’on peut les utiliser de ces deux manières. D’autres ne peuvent être utilisés de manière sensée que d’un point de vue éthique — ce qui était déjà reconnu par Socrate : utiliser correctement le mot « courageux », qui ne peut pas simplement signifier « Qui ne connaît pas la peur », puisque ce peut être le cas d’un fou qu’on ne dirait pas courageux, suppose que le mot soit appréhendé d’un point de vue éthique.
— Voilà donc un premier lieu d’enchevêtrement où se joue l’effondrement de la distinction fait/valeur. Je suppose qu’il y en a d’autres.
— Un autre concerne la science, la physique par exemple : elle ne présuppose certes pas des valeurs éthiques, mais elle présuppose bien des valeurs épistémiques — comme la cohérence ou la simplicité, qui sont des termes d’évaluation. En ce sens, la physique elle-même est un lieu d’enchevêtrement de faits et de valeurs et non pas cette science dont serait totalement absentes les valeurs et dont Carnap rêvait en imaginant une physique pratiquée algorithmiquement sur le modèle de l’exécution d’un programme informatique.
— Quelle vision de l’éthique a-t-on dès lors que l’on se place dans cette perspective?
— L’éthique présuppose des intérêts et leur déploiement dans l’histoire. Ce que nous appelons aujourd’hui l’éthique, a contrario d’une position réaliste qui pose son a-historicité, n’est ni inscrit dans nos gênes et n’a pas non plus toujours existé. Les plus anciennes éthiques que nous connaissons sont d’ailleurs ce que j’aime à appeler des éthiques machistes, celles qui posent que ce qui est bien est ce que ferait un guerrier gorgé de testostérone (rires). Depuis trois millénaires, nous nous sommes progressivement éloignés de ce point de vue et avons reconnu d’autres idéaux, qui sont autant d’intérêts, l’éthique pouvant reposer sur un grand nombre d’entre eux. L’intérêt kantien pour des principes universalisables est l’un d’entre eux, mais ce n’est pas le seul; l’intérêt aristotélicien pour l’accomplissement humain (human florishing) avec sa reconnaissance de ce qu’il peut se réaliser de diverses manières — et donc qu’il existe diverses formes d’accomplissement humain — en est un autre; et il y en a bien d’autres, centrées sur la compassion, l’égalité, etc. Il est hélas caractéristique des éthiciens de prendre l’un de ces intérêts et de faire comme s’il était l’unique intérêt. Je pense plutôt que l’éthique repose sur plusieurs intérêts qui sont parfois en conflit les uns avec les autres, mais qui dans l’ensemble concordent.
La philosophie et la culture populaire
— Aussi bien dans le monde francophone que dans le monde anglophone, on semble assister ces dernières années à un accroissement de l’intérêt du grand public pour la philosophie. En témoigne le grand nombre d’ouvrages et de revues qui lui sont destinés. Sentez-vous cela vous aussi? Qu’en pensez-vous?
— J’espère que cet intérêt pour la bonne philosophie est réel. Il faut se souvenir que des gens avec lesquels je suis en profond désaccord, comme G. W. Bush, en appellent eux aussi à la philosophie, mais à de la philosophie d’un genre terrifiant. Les néo-conservateurs sont par exemple très influencés par Ayn Rand et brandissent Atlas Shrugged comme une espèce de bible. C’était d’ailleurs le cas d’Alan Greenspan . La philosophie ne disparaîtra pas et si la bonne philosophie disparaît, la mauvaise prendra la place devenue libre.
— Vous êtes vous-même présent dans ce mouvement de pénétration de la philosophie dans la culture populaire, notamment avec votre célèbre expérience de pensée du cerveau dans une cuve qui a influencé le scénario de The Matrix.
— J’en suis content. Je connais même une personne qui possède dans son bureau une reproduction en plastique d’un cerveau dans une cuve. (rires)
***
ET SI VOUS ÉTIEZ UN CERVEAU DANS UNE CUVE?
Imaginée par Putnam, cette expérience de pensée est une manière de version contemporaine du Malin Génie du doute hyperbolique cartésien. Voici comment il la présente :
«Imaginez qu’un être humain (vous pouvez supposer qu’il s’agit de vous) a subi une opération réalisée par un savant maléfique. Le cerveau de cette personne (votre cerveau) a été retiré de son corps (le vôtre) et placé dans une cuve contenant des éléments nutritifs qui le maintiennent en vie. Les terminaisons neuronales ont été reliées à un ordinateur super puissant qui fait croire à la personne dont c’est le cerveau que tout est parfaitement normal. Il lui semble qu’elle croise des gens, qu’il y a des objets, un ciel et ainsi de suite; mais en réalité tout ce dont cette personne (vous) a l’expérience est le résultat d’impulsions électroniques qui vont de l’ordinateur aux terminaisons nerveuses. L’ordinateur est si adroit que si la personne essaie de soulever sa main, le feedback qu’il envoie fera en sorte que la personne «verra» et «sentira» que sa main est levée. De plus, en modifiant le programme, le savant maléfique peut faire en sorte que sa victime aura l’expérience (ou l’hallucination) de n’importe quelle situation ou de n’importe quel environnement. Il peut encore effacer la mémoire du cerveau de sorte que la personne croira avoir toujours été dans tel environnement. Il pourra même faire en sorte que la victime croie être assise et être en train de lire ces mots qui évoquent cette amusante mais profondément absurde suggestion qu’il existe une savant maléfique qui retire les cerveaux des corps et les place dans une cuve contenant des éléments nutritifs où ils sont maintenus en vie. […]»
PUTNAM, Hilary, «Brains in a Vat», dans : Reason, Truth and History, Cambridge University Press.
Traduction : Normand Baillargeon
***
Le judaïsme et la foi
— Depuis quelques années déjà, vous vous êtes rapprochés du judaïsme. Comment cela s’est-il fait?
— Le judaïsme est un héritage qui me vient de ma mère. Quand mes enfants ont souhaité,— c’était en 1975 pour le premier d’entre eux — avoir une Bar Mitzvah, j’ai joint une congrégation et c’est devenu une dimension importante de ma vie. Une chose que je trouve remarquable dans le judaïsme est cette emphase mise sur l’étude; une autre est cette littérature qui remonte à trois millénaires et qui continue de me fasciner.
— On ne peut donc s’empêcher de vous demander votre point de vue sur la religion.
— Je dirais que je suis religieux mais sans adhérer au surnaturalisme. Je viens tout juste de faire paraître un livre qui porte notamment sur des juifs existentialistes du XXème siècle : Martin Buber, Emmanuel Lévinas, et d’autres . Même si ce n’est pas le sujet du livre, j’y décris ma propre position. Je dirais que je me situe quelque part entre John Dewey et Martin Buber. Je ne pense pas que la croyance en Dieu en tant qu’être surnaturel soit nécessaire à la religion — ce qui est bien sûr une position avec laquelle nombre de croyants seront en profond désaccord. Par contre, ce à quoi j’accorde de l’importance dans les traditions théistiques, c’est à l’idée de Dieu comme idéal — ce que Dewey décrivait comme la foi commune (the common faith ). Cela me paraît compatible avec la conception dialogique de Dieu que développe Buber, dans la mesure où le fait de concevoir Dieu comme personnalité idéale permet d’imaginer l’entretien d’un dialogue avec Lui. Bien des philosophes jugent cela trop anthropocentrique et préfèrent donc une position transcendentaliste, qui fait de Dieu un principe métaphysique. Mais on ne tire guère de réconfort d’un principe métaphysique (rires). Comme Dewey, je préfère une manière d’interpréter la religion qui préserve le naturalisme.
— Professeur Putnam je vous remercie chaleureusemnt d’avoir accordé et entretien à Médiane et de votre grande générosité tout au long de ces échanges.
— Cela m’a fait plaisir.
Bibliographie
Quelques ouvrages de Putnam en français
Raison, vérité et histoire, Éditions de Minuit, Paris, 1984.
Représentation et réalité, Gallimard, NRF-Essais, Paris, 1990.
Le Réalisme à visage humain, Paris, Seuil, 1994.
Fait/Valeur : la fin d'un dogme - et autres essais, Éditions de l'Éclat, Combas, 2004.
Quelques autres écrits majeurs
Mathematics, Matter and Method. Philosophical Papers, vol. 1, Cambridge, Cambridge University Press, 1975.
Mind, Language and Reality. Philosophical Papers, vol. 2, Cambridge, Cambridge University Press, 1975.
Realism and Reason. Philosophical Papers, vol. 3, Cambridge University Press, Cambridge, 1983.
Pragmatism: An Open Question, Blackwell, Oxford, 1995.
Ethics Without Ontology, Harvard University Press, Cambridge, 2004.
Jewish Philosophy as a Guide to Life: Rosenzweig, Buber, Levinas, Wittgenstein, Indiana University Press, Bloomington, 2008.
Quelques écrits consacrés à Putnam
BEN-MENAHEM, Yemina, Hilary Putnam, Contemporary Philosophy In Focus, CUP, Cambridge, 2005.
CLARCK, Peter, & HALE, Bob, (Éds.), Reading Putnam, Blackwell, Oxford, 1994.
PESSIN, Andrew & SANFORD C., Goldberg, (Éds.), The Twin Earth Chronicles, New York, Paragon House, 1995.
TIERCELIN, Claudine, Hilary Putnam, L’héritage pragmatiste, Philosophies, PUF, Paris,2002.
Présentation
Nous poursuivons ici la publication de l’entretien que Hilary Putnam (né en 1926), professeur émérite à la Harvard University, de Boston, a accordé à Normand Baillargeon le 3 janvier 2008. La première partie de cet entretien a paru dans le précédent numéro de Médiane.
À la fois mathématicien et philosophe, Hilary Putnam est l’auteur d’une œuvre considérable, où il aborde tour à tour la métaphysique, la philosophie de l’esprit, la philosophie des mathématiques, la philosophie du langage et la philosophie des sciences, mais aussi les mathématiques et l’informatique. Cette œuvre majeure et incontournable a eu de profondes répercussions dans de nombreuses disciplines philosophiques et scientifiques.
Nous reprenons la conversation sur le thème du fonctionnalisme.
Le fonctionnalisme
— Je voudrais maintenant aborder certaines de vos théories philosophiques par lesquelles vous avez fait de si importantes contributions à la discipline. Commençons, si vous le voulez bien, par ce fonctionnalisme, cette immensément célèbre et influente théorie de l’esprit que vous avez mise de l’avant, et dont vous êtes cependant devenu vous-même critique. De quoi s’agit-il exactement?
— J’ai raconté précédemment comment mon parcours m’a doté d’une double formation, l’une en mathématiques et l’autre en philosophie. Le domaine des mathématiques dans lequel je travaillais dans les années cinquante et soixante était celui de la récursivité et de la calculabilité. En tant que mathématicien je connaissais donc fort bien le travail de Turing, ainsi que les machines de Turing . Ce que le fonctionnalisme va mettre de l’avant se comprend très bien depuis cette perspective. Pour l’essentiel, il s’agit de l’idée que l’on ne devrait pas concevoir les états mentaux — croire telle ou telle proposition, douter de quelque chose, vouloir quelque chose et ainsi de suite — comme des états du cerveau (ce que suggérait par exemple J. J. C. Smart ), mais plutôt comme la réalisation (implantation) d’états d’un programme (software). Ceci dit, ma critique du fonctionnalisme ne signifie pas que je le répudie. Je pense toujours que le fonctionnalisme constitue une intéressante porte d’entrée dans les problèmes de la philosophie de l’esprit en cette ère post-informatique en laquelle nous vivons. Mais c’est aussi une position trop simple et trop réductionniste.
— Pouvez-vous nous donner une idée des raisons pour lesquelles vous soutenez à présent ce point de vue critique contre votre théorie fonctionnaliste, laquelle a pourtant suscité énormément d’intérêt et qui semble encore très prometteuse à plusieurs philosophes et chercheurs en science cognitives?
— Je donnerai deux arguments. Le premier reprend un argument qui était soulevé contre l’ancienne théorie de l’identité du cerveau et de l’esprit, qui soutenait que les états mentaux sont des états du cerveau, concernait leur possible multiple réalisation (multiple realisability). Prenez par exemple la croyance qu’il y a plusieurs églises à Vienne. On a toutes les raisons de penser qu’elle peut être réalisée par plusieurs états cérébraux différents, par différents états physiques, neuronaux, par différentes configurations neuronales. Mais le fait est que cet argument peut être retourné contre le fonctionnalisme. Puisqu’il n’y a pas de raison de croire qu’il n’y a qu’un seul programme impliqué, on retrouve donc cette possible multiple réalisation (mutiple realisability) au niveau computationnel. Et c’est là une des raisons pour lesquelles je pense qu’un fonctionnalisme inspiré de la machine de Turing constitue une trop grande simplification. Une deuxième raison importante concerne une autre de mes théories qui a recueilli bien des suffrages mais que plusieurs pensent incompatible avec le fonctionnalisme. Il s’agit de ce qu’on appelle l’externalisme sémantique.
— On le voit sur ces exemples et le reste de vos travaux et de votre parcours le confirme parfaitement: vous êtes un penseur qui n’a jamais hésité à revenir sur ses propres idées pour en faire la critique (parfois très sévère), critique a en certains cas conduit à abandonner vos propres théories et à leur remplacement par de nouvelles idées. Daniel C. Dennett, vous le savez, a d’ailleurs malicieusement fait de votre prénom un nom ainsi défini : «Hilary : Un bref mais significatif moment du parcours intellectuel d’un éminent philosophe. ‘Ah, voilà ce que je pensais il y a trois ou quatre hilaries’ ». Vous êtes également un philosophe qui est très à l’écoute des critiques que l’on adresse à son travail. Justement : je serais curieux de savoir si la célèbre expérience de pensée de la Chambre chinoise [voir encadré], imaginée par John Searle, a joué un rôle dans votre retour critique sur les thèses fonctionnalistes?
***
La chambre chinoise
Cette expérience a été imaginée par John Searle (1932) et vise à prouver que la version dite forte de la théorie de l’esprit, défendue dans le cadre des travaux menée en Intelligence Artificielle, est fausse.
Searle nous demande d’imaginer une personne enfermée dans une pièce hermétiquement close, à l’exception d’une fente pratiquée dans un des murs : cette pièce, c’est la chambre chinoise.
Par la fente, de l’extérieur, sont introduits des bouts de papier couverts de signes qui sont incompréhensibles à la personne se trouvant dans la chambre chinoise. Quand elle en reçoit un, cette personne consulte un immense registre dans lequel elle repère les signes se trouvant sur la feuille : y correspondent d’autres signes, qu’elle recopie sur une nouvelle feuille de papier, qu’elle envoie, toujours par la fente, à l’extérieur de la chambre chinoise.
Pourquoi cette chambre s’appelle-t-elle chinoise? C’est que les signes reçus et envoyés sont du chinois, une langue qu’ignore totalement la personne dans la chambre. Mais à l’extérieur, une personne parlant cette langue a posé une question en chinois et a reçu, après un délai plus ou moins long, une réponse pleinement satisfaisante. La questionneuse pourrait donc croire que la chambre (ou quoi que ce soit qui s’y trouve ou la constitue) parle chinois. Et pourtant non, comme on vient de le voir.
Vous aurez compris la signification de cette analogie. La personne dans la pièce représente l’unité centrale de l’ordinateur; les instructions qu’elle consulte dans le registre représentent le programme; les bouts de papier qui entrent et sortent sont respectivement les inputs et les outputs. La chambre chinoise fait exactement ce que ferait un ordinateur programmé pour parler chinois et elle le fait comme lui. Mais c’est sans les comprendre qu’elle manipule des symboles.
N.B.
***
— Je dois avouer que non; mais je dois aussi ajouter que je suis probablement moins hostile à cette expérience de pensée que bien d’autres. D’autant que j’avais moi-même déployé un argument similaire quelques années auparavant, dans un mes articles sur le fonctionnalisme. Mon désaccord avec Searle, que je respecte énormément par ailleurs, est qu’il pense que son expérience de pensée montre que le programme est sans importance (irrelevant), alors que je soutiens que cette conclusion ne s’ensuit pas. Ce qui s’ensuit est que le hardware est lui aussi important (relevant) — ce dont Searle convient — mais aussi que les gens eux-mêmes peuvent être indispensables, que ce qui est nécessaire pour produire de la conscience pourrait bien être un certain type de programme réalisé dans un certain type de hardware ou de matériau.
Philosophie du langage, réalisme et sémantique
— Si vous le permettez, abordons maintenant d’autres aspects de vos travaux. Je voudrais d’abord revenir sur votre philosophie du langage et sur certaines de vos théories en ce domaine, qui nous conduisent à la frontière de l’épistémologie et de la sémantique. Ici encore, vous avez passablement modifié vos positions. Commençons donc par le commencement. Quel a été ici votre point de départ?
— Ma première position est exposée dans un article d’épistémologie intitulé : What théories are not (Ce que les théories ne sont pas), qui a exercé un très grande influence à l’époque dans l’amorce du déclin de l’influence du positivisme logique en philosophie des sciences, et dans un texte de la fin des années cinquante intitulé The Analytic and the Synthetic . Dans ces textes et d’autres qui ont suivi, prend forme ce qui deviendra une sémantique réaliste des termes théoriques, c’est-à-dire de concepts comme gène, électron, ou atome. Je soutenais que ces termes ont cette propriété en vertu de laquelle leur référence est préservée à travers les changements de théories. En d’autres termes, que même si Bohr avait une théorie de l’atome bien différente en 1904 et en 1934, on ne peut néanmoins dire qu’il parlait de quelque chose d’entièrement différent à ces deux dates. Une sémantique positiviste, au contraire, identifie signification et mode de vérification : et puisque les modes de vérification en physique changent, parfois même radicalement, avec les théories, il s’ensuit que, pour quelqu’un comme Carnap , il n’est pas possible de dire que le Bohr de 1904 et celui de 1934 réfèrent à la même chose quand ils parlent d’électrons.
— On serait ici tenté de conclure, et cela pourra sembler très étrange à certains, que l’épistémologie positiviste peut conduire à Thomas Kuhn et à cette idée de paradigme, où les concepts deviennent incommensurables, justement, quand on passe d’un paradigme à un autre.
— Cette filiation est juste. Kuhn donnait à entendre que Carnap était à l’opposé de lui, qu’il était en quelque sorte son ennemi intellectuel: mais en fait, c’est Carnap lui-même qui a choisi The Structure of Scientific Revolutions pour parution dans The International Encyclopaedia of Unified Science . L’ouvrage l’enthousiasmait. Cela se comprend et tient notamment à cette non-préservation de la référence des termes théoriques que Kuhn et lui ont en commun. Mes premiers efforts ont donc, on le voit, cherché à définir non certes une sémantique complète, mais à tout le moins une sémantique qui soit compatible avec le réalisme.
— L’étape suivante, si je ne m’abuse, se produit au MIT, autour notamment de Chomsky .
— En effet. Quelques années plus tard, j’étais donc au MIT, où se trouvait Chomsky, de même que deux de mes anciens étudiants, Jerry Fodor et Jerrold Katz . Nous discutions constamment et c’est à ce moment-là que j’ai travaillé à une sémantique des langues naturelles. Katz et Fodor la voulaient intimement liée à la linguistique de Chomsky, mais je pensais pour ma part que cela ne fonctionnerait pas. J’ai résumé leur position, à laquelle j’ai brièvement adhéré, par le slogan : « Connaître la signification d’un mot, c’est connaître un ensemble de règles sémantiques. » Je me suis alors demandé quelles étaient les règles sémantiques qui fixeraient la signification d’un mot comme « or ».
— Puis, plus tard, « eau »!
— (rires) En effet. Et je me suis alors rendu compte que l’environnement a énormément à voir avec la signification des mots que j’emploie. Cela a été le début de mon travail en vue d’une sémantique générale, lequel aboutira à The meaning of meaning , quelques années plus tard. Je suggère que la signification est un phénomène transactionnel (meaning is transactionnal). Posséder un concept, à tout le moins pour ce qui est de ceux qu’on exprime par des noms, des noms d’espèces naturelles, — les concepts logiques sont autre chose — c’est avoir une capacité à renvoyer au monde (a world involving capacity). La signification du nom est en partie déterminée par ce qui lui correspond dans le monde et pas uniquement par ce qui se passe dans ma tête. Sur ce point, qui est ce qu’on appelle l’externalisme, je n’ai pas changé d’avis. De même, j’ai toujours défendu un réalisme scientifique, même durant les douze ans (au cours des années 70 et 80) durant lesquelles j’ai défendu un réalisme interne, que j’ai abandonné depuis. Cela m’embête d’ailleurs d’être encore parfois décrit comme un réalisme interne.
— À certains égards, les idées auxquelles vous aboutissez alors, par la place qu’elles font à ce qu’on pourrait appeler la dimension sociale du langage, peuvent être rapprochées de celles de Dewey voire de Wittgenstein. Ces rapprochements vous semblent-ils plausibles?
— En partie. Les philosophes tendent à parler du langage comme d’un outil, disons un marteau, dont une personne peut se servir. Dans The meaning of meaning, je suggérais qu’il est peut être plutôt comme un bateau à vapeur dont le fonctionnement suppose le concours de plusieurs personnes.
— Et si je peux insister à propos de Wittgenstein : quelle influence a-t-il eu sur vous?
— Je l’ai lu très tôt. J’admirais sa volonté d’aborder des questions que d’autres ne traitaient pas, mais j’ai d’abord été plutôt hostile à ses idées. Ce n’est que dans les années 80 que j’ai développé plus de sympathie pour elles.
— Pourriez-vous résumer votre position actuelle sur ces questions dont nous venons de discuter?
— Pour aller à l’essentiel, je soutiens que le réalisme, c’est-à-dire l’idée que nos concepts renvoient à quelque chose de réel et cernent (pick up) des aspects réels du monde, d’une part, et la reconnaissance de l’activité conceptuelle de l’autre, et donc de l’idée que, parfois, exactement les mêmes aspects de la nature peuvent être décrits en des mots qui semblent absolument incompatibles, que ces deux idées, elles, ne sont pas incompatibles. En d’autres termes, un réaliste n’est pas contraint d’adhérer à l’idée que les « unités », pour ainsi dire, en lesquelles se découpe le réel, correspondent à des noms et à des verbes. La Mécanique Quantique — plus exactement : la dualité invoqué dans la théorie des cordes— en fournit un exemple quand elle suggère que le même système peut être décrit comme étant composé d’un type de particules ou d’un autre type de particules, comme étant composé de x dimensions spatiales ou d’un nombre différent de ces dimensions, ces deux descriptions étant traduisibles l’une dans l’autre. Il existe par ailleurs un type de réalisme métaphysique que je pense erroné et pour lequel, semble-t-il, les structures des langues indo-européennes correspondent à la structure du réel. C’est une erreur, mais le fait que je le reconnaisse ne fait pas de moi un anti-réaliste.
Le pragmatisme
— Devant le parcours qui a été le vôtre, certains seront tentés de suggérer que vous aboutissez à des positions qui sont à certains égards proches des pragmatistes en général et de Dewey en particulier . Que pensez-vous de ce jugement?
— Tout d’abord, je dois rappeler mon désaccord avec la théorie de la vérité avancée par les pragmatistes, qui est une forme d’antiréalisme. J’ai cependant diverses affinités avec certains pragmatistes. Depuis mes Dewey Lectures de 1994, je travaille sur la philosophie de la perception et c’est chez William James que j’ai d’abord trouvé cette suggestion que le réalisme naïf n’est pas réfuté par la science ou la philosophie ou incompatible avec elles. Mais je ne peux adhérer à la position métaphysique du monisme neutre — cette expression est de Bertrand Russell et non de James lui-même. Dewey adhérait lui aussi à cette idée de James et il l’a défendue dans un bref article de The Encyclopedia of Unified Science. Voilà donc une idée — la défense du réalisme naïf et le refus des sense-data que je partage avec certains pragmatistes, la tâche de la philosophie étant alors de défendre le réalisme naïf de l’homme ou de la femme ordinaire qui, lui, est pré-philosophique. Une autre idée concerne l’éthique, un sujet auquel je me suis sérieusement intéressé. À Harvard, où j’enseigne, l’éthique a longtemps été restreinte au kantisme et à l’utilitarisme et j’étais très mal à l’aise avec l’idée que le menu, en éthique, puisse se réduire à cela. Dewey a selon moi une vision bien plus ouverte et pluraliste.
— L’éthique est justement le sujet de certains de vos récents ouvrages . J’aimerais, si vous le voulez, revenir sur un thème au fond très deweyen qu’on retrouve dans ces ouvrages, à savoir l’effondrement (collapse) de la distinction fait/valeur, en d’autres termes de la guillotine de Hume.
***
La Guillotine de Hume
David Hume (1711 –1776) a écrit un court passage qui compte parmi les plus célèbres et influents de toute l’histoire de l’éthique. Il y décrit un sophisme selon lui courant et qui nous fait illusoirement passer de ce qui est à ce qui doit être.
Voici ce passage (Traité de la nature humaine, L. III, section 1):
« Dans chacun des systèmes de moralité que j'ai rencontrés jusqu'ici, j'ai toujours remarqué que l'auteur procède pendant un certain temps selon la manière ordinaire de raisonner, établit l'existence d'un Dieu ou fait des observations sur les affaires humaines, quand, tout à coup, j'ai la surprise de constater qu'au lieu des copules habituelles, «est» et «n'est pas», je ne rencontre pas de proposition qui ne soit liée par un «doit» ou un «ne doit pas». C'est un changement imperceptible, mais il est néanmoins de la plus grande importance. Car, puisque ce «doit» ou ce «ne doit pas» expriment une certaine relation ou affirmation nouvelle, il est nécessaire qu'elle soit soulignée et expliquée, et qu'en même temps soit donnée une raison de ce qui semble tout à fait inconcevable, à savoir, de quelle manière cette relation nouvelle peut être déduite d'autres relations qui en découlent du tout au tout. Mais comme les auteurs ne prennent habituellement pas cette précaution, je me permettrai de la recommander aux lecteurs et je suis convaincu que cette petite attention renversera tous les systèmes courants de moralité et nous fera voir que la distinction du vice et de la vertu n'est pas fondée sur les seules relations entre objets et qu'elle n'est pas perçue par la raison. »
Traduction : Normand Baillargeon
***
— Certains ont suggéré que Hume est un objectiviste ou encore un cognitiviste en éthique : mais je le tiens pour un non-cognitiviste. La distinction être/devoir être (is/ought) est problématique même pour l’époque à laquelle Hume écrit. S’il n’y avait littéralement aucune influence de l’être sur le devoir être, alors, en ce cas, l’inférence : faire x est bien; faire toute autre chose que x est mal; vous devez donc faire x; serait invalide. Hume lui-même ne soutiendrait pas que cette déduction est invalide. Dans son célèbre passage, Hume ne pouvait faire simplement une remarque grammaticale; mais après le tournant linguistique de la philosophie, il est devenu très difficile de voir ce qu’il voulait dire et on a tenté de faire entrer de force dans le langage des propositions ce qu’il exprimait dans le langage psychologiste de son époque. On en arrive ainsi à penser qu’il a voulu dire qu’on ne peut dériver de phrase normative d’une ou de phrases déclaratives ne contenant que des termes factuels : mais cela présuppose qu’il existe une distinction nette et précise entre termes factuels et termes évaluatifs — ou entre termes d’observation, pour parler comme les positivistes, et termes évaluatifs. Mais que dire alors de : « J’ai vu John voler un sac à main. »? Quels termes sont observationnels? Je ne suis pas ici en train de soutenir que les jugements de valeur sont simplement des faits; mais je pense qu’évaluer et décrire sont des actes de langage bien différents, que les mêmes mots peuvent souvent être utilisés pour accomplir les deux et que l’idée même que tout se ramène à des types de mots ou des types de propositions est extrêmement artificielle.
— Un exemple serait ici le bienvenu.
— Quand un historien dit : « Vlad l’Empaleur était très cruel », il se peut fort bien qu’ils écrivent alors un fait historique plus qu’il ne juge Vlad l’empaleur. Mais, d’un autre côté, quand un homme politique contemporain adversaire de Vlad disait la même chose, il l’évaluait et le jugeait. Plusieurs de nos mots sont ainsi enchevêtrés (entangled), en ce sens que l’on peut les utiliser de ces deux manières. D’autres ne peuvent être utilisés de manière sensée que d’un point de vue éthique — ce qui était déjà reconnu par Socrate : utiliser correctement le mot « courageux », qui ne peut pas simplement signifier « Qui ne connaît pas la peur », puisque ce peut être le cas d’un fou qu’on ne dirait pas courageux, suppose que le mot soit appréhendé d’un point de vue éthique.
— Voilà donc un premier lieu d’enchevêtrement où se joue l’effondrement de la distinction fait/valeur. Je suppose qu’il y en a d’autres.
— Un autre concerne la science, la physique par exemple : elle ne présuppose certes pas des valeurs éthiques, mais elle présuppose bien des valeurs épistémiques — comme la cohérence ou la simplicité, qui sont des termes d’évaluation. En ce sens, la physique elle-même est un lieu d’enchevêtrement de faits et de valeurs et non pas cette science dont serait totalement absentes les valeurs et dont Carnap rêvait en imaginant une physique pratiquée algorithmiquement sur le modèle de l’exécution d’un programme informatique.
— Quelle vision de l’éthique a-t-on dès lors que l’on se place dans cette perspective?
— L’éthique présuppose des intérêts et leur déploiement dans l’histoire. Ce que nous appelons aujourd’hui l’éthique, a contrario d’une position réaliste qui pose son a-historicité, n’est ni inscrit dans nos gênes et n’a pas non plus toujours existé. Les plus anciennes éthiques que nous connaissons sont d’ailleurs ce que j’aime à appeler des éthiques machistes, celles qui posent que ce qui est bien est ce que ferait un guerrier gorgé de testostérone (rires). Depuis trois millénaires, nous nous sommes progressivement éloignés de ce point de vue et avons reconnu d’autres idéaux, qui sont autant d’intérêts, l’éthique pouvant reposer sur un grand nombre d’entre eux. L’intérêt kantien pour des principes universalisables est l’un d’entre eux, mais ce n’est pas le seul; l’intérêt aristotélicien pour l’accomplissement humain (human florishing) avec sa reconnaissance de ce qu’il peut se réaliser de diverses manières — et donc qu’il existe diverses formes d’accomplissement humain — en est un autre; et il y en a bien d’autres, centrées sur la compassion, l’égalité, etc. Il est hélas caractéristique des éthiciens de prendre l’un de ces intérêts et de faire comme s’il était l’unique intérêt. Je pense plutôt que l’éthique repose sur plusieurs intérêts qui sont parfois en conflit les uns avec les autres, mais qui dans l’ensemble concordent.
La philosophie et la culture populaire
— Aussi bien dans le monde francophone que dans le monde anglophone, on semble assister ces dernières années à un accroissement de l’intérêt du grand public pour la philosophie. En témoigne le grand nombre d’ouvrages et de revues qui lui sont destinés. Sentez-vous cela vous aussi? Qu’en pensez-vous?
— J’espère que cet intérêt pour la bonne philosophie est réel. Il faut se souvenir que des gens avec lesquels je suis en profond désaccord, comme G. W. Bush, en appellent eux aussi à la philosophie, mais à de la philosophie d’un genre terrifiant. Les néo-conservateurs sont par exemple très influencés par Ayn Rand et brandissent Atlas Shrugged comme une espèce de bible. C’était d’ailleurs le cas d’Alan Greenspan . La philosophie ne disparaîtra pas et si la bonne philosophie disparaît, la mauvaise prendra la place devenue libre.
— Vous êtes vous-même présent dans ce mouvement de pénétration de la philosophie dans la culture populaire, notamment avec votre célèbre expérience de pensée du cerveau dans une cuve qui a influencé le scénario de The Matrix.
— J’en suis content. Je connais même une personne qui possède dans son bureau une reproduction en plastique d’un cerveau dans une cuve. (rires)
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ET SI VOUS ÉTIEZ UN CERVEAU DANS UNE CUVE?
Imaginée par Putnam, cette expérience de pensée est une manière de version contemporaine du Malin Génie du doute hyperbolique cartésien. Voici comment il la présente :
«Imaginez qu’un être humain (vous pouvez supposer qu’il s’agit de vous) a subi une opération réalisée par un savant maléfique. Le cerveau de cette personne (votre cerveau) a été retiré de son corps (le vôtre) et placé dans une cuve contenant des éléments nutritifs qui le maintiennent en vie. Les terminaisons neuronales ont été reliées à un ordinateur super puissant qui fait croire à la personne dont c’est le cerveau que tout est parfaitement normal. Il lui semble qu’elle croise des gens, qu’il y a des objets, un ciel et ainsi de suite; mais en réalité tout ce dont cette personne (vous) a l’expérience est le résultat d’impulsions électroniques qui vont de l’ordinateur aux terminaisons nerveuses. L’ordinateur est si adroit que si la personne essaie de soulever sa main, le feedback qu’il envoie fera en sorte que la personne «verra» et «sentira» que sa main est levée. De plus, en modifiant le programme, le savant maléfique peut faire en sorte que sa victime aura l’expérience (ou l’hallucination) de n’importe quelle situation ou de n’importe quel environnement. Il peut encore effacer la mémoire du cerveau de sorte que la personne croira avoir toujours été dans tel environnement. Il pourra même faire en sorte que la victime croie être assise et être en train de lire ces mots qui évoquent cette amusante mais profondément absurde suggestion qu’il existe une savant maléfique qui retire les cerveaux des corps et les place dans une cuve contenant des éléments nutritifs où ils sont maintenus en vie. […]»
PUTNAM, Hilary, «Brains in a Vat», dans : Reason, Truth and History, Cambridge University Press.
Traduction : Normand Baillargeon
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Le judaïsme et la foi
— Depuis quelques années déjà, vous vous êtes rapprochés du judaïsme. Comment cela s’est-il fait?
— Le judaïsme est un héritage qui me vient de ma mère. Quand mes enfants ont souhaité,— c’était en 1975 pour le premier d’entre eux — avoir une Bar Mitzvah, j’ai joint une congrégation et c’est devenu une dimension importante de ma vie. Une chose que je trouve remarquable dans le judaïsme est cette emphase mise sur l’étude; une autre est cette littérature qui remonte à trois millénaires et qui continue de me fasciner.
— On ne peut donc s’empêcher de vous demander votre point de vue sur la religion.
— Je dirais que je suis religieux mais sans adhérer au surnaturalisme. Je viens tout juste de faire paraître un livre qui porte notamment sur des juifs existentialistes du XXème siècle : Martin Buber, Emmanuel Lévinas, et d’autres . Même si ce n’est pas le sujet du livre, j’y décris ma propre position. Je dirais que je me situe quelque part entre John Dewey et Martin Buber. Je ne pense pas que la croyance en Dieu en tant qu’être surnaturel soit nécessaire à la religion — ce qui est bien sûr une position avec laquelle nombre de croyants seront en profond désaccord. Par contre, ce à quoi j’accorde de l’importance dans les traditions théistiques, c’est à l’idée de Dieu comme idéal — ce que Dewey décrivait comme la foi commune (the common faith ). Cela me paraît compatible avec la conception dialogique de Dieu que développe Buber, dans la mesure où le fait de concevoir Dieu comme personnalité idéale permet d’imaginer l’entretien d’un dialogue avec Lui. Bien des philosophes jugent cela trop anthropocentrique et préfèrent donc une position transcendentaliste, qui fait de Dieu un principe métaphysique. Mais on ne tire guère de réconfort d’un principe métaphysique (rires). Comme Dewey, je préfère une manière d’interpréter la religion qui préserve le naturalisme.
— Professeur Putnam je vous remercie chaleureusemnt d’avoir accordé et entretien à Médiane et de votre grande générosité tout au long de ces échanges.
— Cela m’a fait plaisir.
Bibliographie
Quelques ouvrages de Putnam en français
Raison, vérité et histoire, Éditions de Minuit, Paris, 1984.
Représentation et réalité, Gallimard, NRF-Essais, Paris, 1990.
Le Réalisme à visage humain, Paris, Seuil, 1994.
Fait/Valeur : la fin d'un dogme - et autres essais, Éditions de l'Éclat, Combas, 2004.
Quelques autres écrits majeurs
Mathematics, Matter and Method. Philosophical Papers, vol. 1, Cambridge, Cambridge University Press, 1975.
Mind, Language and Reality. Philosophical Papers, vol. 2, Cambridge, Cambridge University Press, 1975.
Realism and Reason. Philosophical Papers, vol. 3, Cambridge University Press, Cambridge, 1983.
Pragmatism: An Open Question, Blackwell, Oxford, 1995.
Ethics Without Ontology, Harvard University Press, Cambridge, 2004.
Jewish Philosophy as a Guide to Life: Rosenzweig, Buber, Levinas, Wittgenstein, Indiana University Press, Bloomington, 2008.
Quelques écrits consacrés à Putnam
BEN-MENAHEM, Yemina, Hilary Putnam, Contemporary Philosophy In Focus, CUP, Cambridge, 2005.
CLARCK, Peter, & HALE, Bob, (Éds.), Reading Putnam, Blackwell, Oxford, 1994.
PESSIN, Andrew & SANFORD C., Goldberg, (Éds.), The Twin Earth Chronicles, New York, Paragon House, 1995.
TIERCELIN, Claudine, Hilary Putnam, L’héritage pragmatiste, Philosophies, PUF, Paris,2002.
Libellés :
Hilary Putnam,
Médiane,
Normand Baillargeon
lundi, janvier 12, 2009
DÉMOCRATIE ET CHOIX COLLECTIFS
[ Un texte en cours pour la rubrique Friandise Intellectuelle dans la revue de philosophie Médiane]
La démocratie est une institution à laquelle la plupart des gens se disent volontiers très attachés.
Pressés de dire pourquoi, certains répondront que la démocratie fait en sorte que les choix et les préférences des individus sont tous également pris en compte, avant d’être comptabilisés de manière impartiale afin de produire un choix collectif donné, dont on voudra dire qu’il est politiquement juste puisqu’il reflète ou traduit ces préférences.
Une telle réponse met l’accent sur un aspect procédural de la démocratie et cette réponse ne satisfait pas tout le monde. D’autres argueront en effet que cet argument est insuffisant, puisqu’un choix obtenu selon cette procédure peut néanmoins fort bien être un mauvais choix — d’aucuns, comme Platon, suggérant même que ce sera très vraisemblablement, voire nécessairement le cas. Mais laissons là ce débat et convenons que cet argument procédural et cher à bien des gens exprime une raison valable d’un profond attachement à la démocratie.
En ce cas, comment, précisément, parvient-on de la sorte à passer des choix individuels à ce choix collectif qu’on déclare démocratique?
Cette question et de nombreuses autres qui s’y rattachent sont centrales pour un champ d’études désormais florissant appelé théorie des choix sociaux. Il est situé à la frontière de nombreuses disciplines comme les mathématiques, l’économie, la politique et la philosophie et on y étudie justement, entre autres choses, les règles par lesquelles est réalisée l’agrégation des choix individuels de manière à produire un ou des choix collectifs.
Avant d’étudier la théorie des choix sociaux, on ne soupçonne pas à quel point cette agrégation peut être problématique. Nous le verrons ici en exposant d’abord un fameux paradoxe dû à Condorcet, qui est un des précurseurs de la théorie des choix sociaux.
Au XXe siècle, ce résultat a été généralisé par l’économiste et mathématicien Kenneth Arrow en un célèbre théorème qui porte désormais son nom. Nous rappellerons très brièvement les grandes lignes de ses conclusions, avant de montrer, sur un exemple précis, comment, conformément à ce que démontre Arrow, il est possible que des manières différentes mais raisonnables de procéder à l’agrégation des choix individuels génère des choix collectifs différents, voire incompatibles.
Le paradoxe de Condorcet
Marie Jean Antoine Caritat, Marquis de Condorcet (1743-1794) était le plus jeune des Philosophes et il sera le seul d'entre eux à prendre part, activement — et ce sera très activement — à la Révolution Française.
Condorcet a été philosophe, théoricien de l’éducation, révolutionnaire et cette débordante activité a parfois fait oublier qu’il a d'abord dû sa notoriété à un Essai sur le calcul intégral publié en 1765.
Chez Condorcet, le mathématicien n’est jamais bien loin du révolutionnaire ou du philosophe et c’est ainsi qu’il imaginera une «mathématique sociale» qui applique l’outil mathématique à la résolution de problèmes sociaux ou politiques. Le fameux paradoxe qui porte son nom est apparu dans le cadre de ces travaux.
Notons d’abord que personne ne nie que le choix collectif exprime de manière claire et indubitable les choix individuels quand il s’agit, pour un groupe de personnes, de choisir entre deux options — c’est le cas d’un référendum où on répond par oui ou par non, ou encore d’une élection dans laquelle il s’agit de choisir entre deux candidats.
Les ennuis commencent, comme le remarque Condorcet, quand il y a plus de deux options.
Voici comment cela peut se produire.
Imaginons qu'un comité de sélection composé de trois personnes : A, B, et C, ait à choisir un candidat parmi trois postulants : x, y, et z.
Les choix de chacun sont ordonnés et sont les suivants:
VOTANTS ORDRE DE PRÉFÉRENCE
A x, y, z
B y, z, x
C z, x, y
Examinons attentivement ce résultat.
Dans deux cas sur trois, x bat y.
Dans deux cas sur trois, y bat z : en d'autres termes, x bat donc y, qui lui-même bat z.
Or, dans deux cas sur trois également, z bat x!
Le principe de transitivité (qui nous permet de dire, par exemple, que si l'ensemble x est plus grand que l'ensemble y et cet ensemble y plus grand que l'ensemble z, alors, nécessairement, l'ensemble x est plus grand que l'ensemble z) n'est pas respecté et il y a là quelque chose de profondément troublant.
Condorcet, comme bien d’autres après lui, va donc chercher à définir un mode de scrutin qui garantisse que le paradoxe ne se produise pas et qui permette donc de toujours et sans contradiction ou ambigüité possibles agréger les choix individuels en choix collectifs démocratiques et justes qui les expriment.
Le théorème d’impossibilité d’Arrow
Ce que démontre le théorème d’impossibilité d’Arrow, formulé en 1951 par Kenneth Arrow (1921) et qui lui a valu le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel en 1972, c’est qu’un tel mode de scrutin ne peut pas exister.
Plus précisément, en considérant les cas où nous avons au moins 3 options parmi lesquelles deux individus et plus doivent choisir, Arrow montre qu’il n’existe pas de fonction de choix social satisfaisant les quatre conditions suivantes, que je me contenterai ici d’énumérer : universalité; non-dictature; unanimité; et indifférence des options non-pertinentes. Ce qu’il importe surtout de comprendre, c’est qu’Arrow ne dit pas que nous n’avons pas encore fait preuve d’assez d’ingénuité pour élaborer un tel mode de scrutin : plus radicalement, il démontre mathématiquement qu’un tel mode de scrutin ne peut pas exister, du moins dès lors qu’on admet ces conditions et contraintes qu’il semble impossible de lui refuser.
Le théorème est difficile à démontrer; mais le genre de problèmes dont Arrow démontre qu’on ne peut garantir qu’ils ne surviendront pas pourra être illustré par l’exemple qui suit, où divers mode de scrutin déclarent tour à tour vainqueurs les différents candidats.
Un exemple
Nous supposerons une élection où s’affrontent cinq candidats. Les électeurs se sont prononcés en exprimant leurs préférences comme suit :
18 personnes préfèrent A à D à E à C à B
12 personnes préfèrent B à E à D à C à A
10 personnes préfèrent C à B à E à D à A
9 personnes préfèrent D à C à E à B à A
4 personnes préfèrent E à B à D à C à A
2 personnes préfèrent E à C à D à B à A
Supposons que vous favorisez le candidat A.
En ce cas, vous souhaiterez que l’élection se fasse à la pluralité des voix, qui comptabilise les votes de première position : cette méthode donne la victoire à la personne qui en a recueilli le plus. Avec cette méthode, dans le cas que nous examinons, A l’emporte avec ses 18 votes.
Mais supposons que vous favorisez le candidat B.
En ce cas, vous souhaiterez qu’on retienne les deux candidats qui ont obtenu le plus de votes de première place et qu’on détermine le gagnant en procédant à un deuxième tour avec ces deux-là comme seuls candidats. Ici, ce nouveau vote opposera A (avec ses 18 votes de première positon) et B, avec ses 12 votes de première position. Et B l’emportera si les préférences se maintiennent, puisque 37 personnes préfèrent B à A tandis que seulement 18 préfèrent A à B.
Mais il se peut que vous préféreriez que C soit élue.
En ce cas, voici une manière de faire en sorte que le résultat du vote favorise cette candidate — c’est cette fois un peu plus complexe. Vous proposerez qu’on élimine d’abord le candidat ayant reçu le moins de votes de première place, soit E et qu’on ajuste en conséquence les votes de première place. De cette manière, A reçoit toujours 18 votes, tandis que B en a 16; C en a 12 ; et D en obtient 9. Nous éliminons ensuite une nouvelle fois celui des quatre candidats restants qui a obtenu le moins de votes de première place (soit D) et ajustons de nouveau les votes en conséquences. C reçoit alors 21 voix. Nous éliminons encore les candidats avec le moins de voix. Et ainsi de suite. En bout de piste, C l’emporte.
Vous aimeriez que D l’emporte?
Faites valoir qu’il est bien peu démocratique de ne tenir compte que des votes de première place et que les préférences telles qu’elles sont qu’ordonnées devraient être prises en considération. Pour cela, accordons 5 points à un vote de première place; 4 à un vote de deuxième place; et ainsi de suite, en accordant 1 point à un vote de cinquième place. En ce cas, D l’emporte avec ses 191, points obtenus de la manière suivante: (4 x 18) + (3 X 12) + (2 X 10) + (5 X 9) + (3 X 4) + (3 X 2) = 191.
La victoire de E vous arrangerait? Proposez ceci, que Condorcet favorisait.
Le gagnant, direz vous, est celui ou celle qui l’emporte quand on met en compétition deux candidats l’un contre l’autre. Dans ce cas, E l’emporte contre tous les autres et il mérite donc d’être déclaré gagnant — on dit de E qu’il est le «gagnant de Condorcet».
Les nombres ont été ici sciemment pensés (par le mathématicien contemporain William F. Lucas s’inspirant des travaux de Jean-Charles Borda (1733 -1799) et de Condorcet — j’ai suivi pour ma part l’exposé qu’en donne John Allen Paulos dans : Beyond Numeracy, Vintage Books, New York, 1992, pages 262-265.) pour produire les effets qu’on a vus et les cas de figure ne sont pas toujours aussi dramatiques, bien entendu.
Mais cet exemple montre bien les redoutables problèmes que l’on rencontre quand on cherche à choisir un système électoral et à déterminer ce qu’est, exactement, le choix collectif. Quel que soit le système retenu, il sera possible qu’il introduise de telles anomalies. Et comme Arrow l’a montré, dès lors que les conditions qu’il énonçait sont satisfaites, il n’existe pas de méthode infaillible de dérivation des choix collectifs en agrégeant les préférences individuelles.
De quoi rester un moment sagement dubitatif quand des politiciens invoquent l’intérêt de la nation, des économistes la loi du marché, des publicitaires ce que désirent les québécois ou des administrateurs la volonté de la communauté universitaire.
Et mille autres choses encore, bien entendu.
La démocratie est une institution à laquelle la plupart des gens se disent volontiers très attachés.
Pressés de dire pourquoi, certains répondront que la démocratie fait en sorte que les choix et les préférences des individus sont tous également pris en compte, avant d’être comptabilisés de manière impartiale afin de produire un choix collectif donné, dont on voudra dire qu’il est politiquement juste puisqu’il reflète ou traduit ces préférences.
Une telle réponse met l’accent sur un aspect procédural de la démocratie et cette réponse ne satisfait pas tout le monde. D’autres argueront en effet que cet argument est insuffisant, puisqu’un choix obtenu selon cette procédure peut néanmoins fort bien être un mauvais choix — d’aucuns, comme Platon, suggérant même que ce sera très vraisemblablement, voire nécessairement le cas. Mais laissons là ce débat et convenons que cet argument procédural et cher à bien des gens exprime une raison valable d’un profond attachement à la démocratie.
En ce cas, comment, précisément, parvient-on de la sorte à passer des choix individuels à ce choix collectif qu’on déclare démocratique?
Cette question et de nombreuses autres qui s’y rattachent sont centrales pour un champ d’études désormais florissant appelé théorie des choix sociaux. Il est situé à la frontière de nombreuses disciplines comme les mathématiques, l’économie, la politique et la philosophie et on y étudie justement, entre autres choses, les règles par lesquelles est réalisée l’agrégation des choix individuels de manière à produire un ou des choix collectifs.
Avant d’étudier la théorie des choix sociaux, on ne soupçonne pas à quel point cette agrégation peut être problématique. Nous le verrons ici en exposant d’abord un fameux paradoxe dû à Condorcet, qui est un des précurseurs de la théorie des choix sociaux.
Au XXe siècle, ce résultat a été généralisé par l’économiste et mathématicien Kenneth Arrow en un célèbre théorème qui porte désormais son nom. Nous rappellerons très brièvement les grandes lignes de ses conclusions, avant de montrer, sur un exemple précis, comment, conformément à ce que démontre Arrow, il est possible que des manières différentes mais raisonnables de procéder à l’agrégation des choix individuels génère des choix collectifs différents, voire incompatibles.
Le paradoxe de Condorcet
Marie Jean Antoine Caritat, Marquis de Condorcet (1743-1794) était le plus jeune des Philosophes et il sera le seul d'entre eux à prendre part, activement — et ce sera très activement — à la Révolution Française.
Condorcet a été philosophe, théoricien de l’éducation, révolutionnaire et cette débordante activité a parfois fait oublier qu’il a d'abord dû sa notoriété à un Essai sur le calcul intégral publié en 1765.
Chez Condorcet, le mathématicien n’est jamais bien loin du révolutionnaire ou du philosophe et c’est ainsi qu’il imaginera une «mathématique sociale» qui applique l’outil mathématique à la résolution de problèmes sociaux ou politiques. Le fameux paradoxe qui porte son nom est apparu dans le cadre de ces travaux.
Notons d’abord que personne ne nie que le choix collectif exprime de manière claire et indubitable les choix individuels quand il s’agit, pour un groupe de personnes, de choisir entre deux options — c’est le cas d’un référendum où on répond par oui ou par non, ou encore d’une élection dans laquelle il s’agit de choisir entre deux candidats.
Les ennuis commencent, comme le remarque Condorcet, quand il y a plus de deux options.
Voici comment cela peut se produire.
Imaginons qu'un comité de sélection composé de trois personnes : A, B, et C, ait à choisir un candidat parmi trois postulants : x, y, et z.
Les choix de chacun sont ordonnés et sont les suivants:
VOTANTS ORDRE DE PRÉFÉRENCE
A x, y, z
B y, z, x
C z, x, y
Examinons attentivement ce résultat.
Dans deux cas sur trois, x bat y.
Dans deux cas sur trois, y bat z : en d'autres termes, x bat donc y, qui lui-même bat z.
Or, dans deux cas sur trois également, z bat x!
Le principe de transitivité (qui nous permet de dire, par exemple, que si l'ensemble x est plus grand que l'ensemble y et cet ensemble y plus grand que l'ensemble z, alors, nécessairement, l'ensemble x est plus grand que l'ensemble z) n'est pas respecté et il y a là quelque chose de profondément troublant.
Condorcet, comme bien d’autres après lui, va donc chercher à définir un mode de scrutin qui garantisse que le paradoxe ne se produise pas et qui permette donc de toujours et sans contradiction ou ambigüité possibles agréger les choix individuels en choix collectifs démocratiques et justes qui les expriment.
Le théorème d’impossibilité d’Arrow
Ce que démontre le théorème d’impossibilité d’Arrow, formulé en 1951 par Kenneth Arrow (1921) et qui lui a valu le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel en 1972, c’est qu’un tel mode de scrutin ne peut pas exister.
Plus précisément, en considérant les cas où nous avons au moins 3 options parmi lesquelles deux individus et plus doivent choisir, Arrow montre qu’il n’existe pas de fonction de choix social satisfaisant les quatre conditions suivantes, que je me contenterai ici d’énumérer : universalité; non-dictature; unanimité; et indifférence des options non-pertinentes. Ce qu’il importe surtout de comprendre, c’est qu’Arrow ne dit pas que nous n’avons pas encore fait preuve d’assez d’ingénuité pour élaborer un tel mode de scrutin : plus radicalement, il démontre mathématiquement qu’un tel mode de scrutin ne peut pas exister, du moins dès lors qu’on admet ces conditions et contraintes qu’il semble impossible de lui refuser.
Le théorème est difficile à démontrer; mais le genre de problèmes dont Arrow démontre qu’on ne peut garantir qu’ils ne surviendront pas pourra être illustré par l’exemple qui suit, où divers mode de scrutin déclarent tour à tour vainqueurs les différents candidats.
Un exemple
Nous supposerons une élection où s’affrontent cinq candidats. Les électeurs se sont prononcés en exprimant leurs préférences comme suit :
18 personnes préfèrent A à D à E à C à B
12 personnes préfèrent B à E à D à C à A
10 personnes préfèrent C à B à E à D à A
9 personnes préfèrent D à C à E à B à A
4 personnes préfèrent E à B à D à C à A
2 personnes préfèrent E à C à D à B à A
Supposons que vous favorisez le candidat A.
En ce cas, vous souhaiterez que l’élection se fasse à la pluralité des voix, qui comptabilise les votes de première position : cette méthode donne la victoire à la personne qui en a recueilli le plus. Avec cette méthode, dans le cas que nous examinons, A l’emporte avec ses 18 votes.
Mais supposons que vous favorisez le candidat B.
En ce cas, vous souhaiterez qu’on retienne les deux candidats qui ont obtenu le plus de votes de première place et qu’on détermine le gagnant en procédant à un deuxième tour avec ces deux-là comme seuls candidats. Ici, ce nouveau vote opposera A (avec ses 18 votes de première positon) et B, avec ses 12 votes de première position. Et B l’emportera si les préférences se maintiennent, puisque 37 personnes préfèrent B à A tandis que seulement 18 préfèrent A à B.
Mais il se peut que vous préféreriez que C soit élue.
En ce cas, voici une manière de faire en sorte que le résultat du vote favorise cette candidate — c’est cette fois un peu plus complexe. Vous proposerez qu’on élimine d’abord le candidat ayant reçu le moins de votes de première place, soit E et qu’on ajuste en conséquence les votes de première place. De cette manière, A reçoit toujours 18 votes, tandis que B en a 16; C en a 12 ; et D en obtient 9. Nous éliminons ensuite une nouvelle fois celui des quatre candidats restants qui a obtenu le moins de votes de première place (soit D) et ajustons de nouveau les votes en conséquences. C reçoit alors 21 voix. Nous éliminons encore les candidats avec le moins de voix. Et ainsi de suite. En bout de piste, C l’emporte.
Vous aimeriez que D l’emporte?
Faites valoir qu’il est bien peu démocratique de ne tenir compte que des votes de première place et que les préférences telles qu’elles sont qu’ordonnées devraient être prises en considération. Pour cela, accordons 5 points à un vote de première place; 4 à un vote de deuxième place; et ainsi de suite, en accordant 1 point à un vote de cinquième place. En ce cas, D l’emporte avec ses 191, points obtenus de la manière suivante: (4 x 18) + (3 X 12) + (2 X 10) + (5 X 9) + (3 X 4) + (3 X 2) = 191.
La victoire de E vous arrangerait? Proposez ceci, que Condorcet favorisait.
Le gagnant, direz vous, est celui ou celle qui l’emporte quand on met en compétition deux candidats l’un contre l’autre. Dans ce cas, E l’emporte contre tous les autres et il mérite donc d’être déclaré gagnant — on dit de E qu’il est le «gagnant de Condorcet».
Les nombres ont été ici sciemment pensés (par le mathématicien contemporain William F. Lucas s’inspirant des travaux de Jean-Charles Borda (1733 -1799) et de Condorcet — j’ai suivi pour ma part l’exposé qu’en donne John Allen Paulos dans : Beyond Numeracy, Vintage Books, New York, 1992, pages 262-265.) pour produire les effets qu’on a vus et les cas de figure ne sont pas toujours aussi dramatiques, bien entendu.
Mais cet exemple montre bien les redoutables problèmes que l’on rencontre quand on cherche à choisir un système électoral et à déterminer ce qu’est, exactement, le choix collectif. Quel que soit le système retenu, il sera possible qu’il introduise de telles anomalies. Et comme Arrow l’a montré, dès lors que les conditions qu’il énonçait sont satisfaites, il n’existe pas de méthode infaillible de dérivation des choix collectifs en agrégeant les préférences individuelles.
De quoi rester un moment sagement dubitatif quand des politiciens invoquent l’intérêt de la nation, des économistes la loi du marché, des publicitaires ce que désirent les québécois ou des administrateurs la volonté de la communauté universitaire.
Et mille autres choses encore, bien entendu.
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paradoxe de Condorcet,
Théorème d'arrow,
vote
vendredi, décembre 26, 2008
RÉFORME: NOUVELLE CONFIRMATION QUE ÇA NE VA PAS BIEN
Un article de Daphnée Dion-Viens, dans Le Soleil du 26 décembre.
***
(Québec) Au primaire, les résultats des élèves en français continuent de se détériorer, confirmant la tendance observée depuis la mise en place de la réforme en 2000.
Le taux de réussite des élèves de sixième année à l'épreuve d'écriture a encore chuté entre 2005 et 2006, passant de 83 % à 81 %. En 2000, ils étaient pourtant 90 % à réussir cet examen.
Les chiffres de 2006 sont les résultats les plus récents compilés par le ministère de l'Éducation. Le document de travail remis au Soleil fait aussi état d'un écart grandissant entre filles et garçons : 89 % des écolières ont réussi l'épreuve de français, contre 74 % pour leurs camarades de classe. En 2005, 78 % des garçons obtenaient la note de passage, contre... 89 % en 2000.
Ces résultats confirment la tendance observée entre 2000 et 2005, qui a fait l'objet d'un rapport remis il y a deux ans à la Table de pilotage sur le renouveau pédagogique. À la lumière de ces résultats décevants, Québec avait alors annoncé un important virage afin de «réformer la réforme».
Depuis, la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a aussi présenté en février un plan d'action pour l'amélioration de l'enseignement du français, qui a reçu un accueil plutôt favorable. La plupart des 22 mesures comprises dans ce plan sont en vigueur depuis septembre.
Les résultats détaillés de l'année 2006 nous apprennent que c'est l'orthographe qui a donné le plus de fil à retordre aux élèves : 77 % ont réussi ce critère en 2005 contre 68 % en 2006. Les erreurs les plus fréquentes sont d'ordre grammatical, peut-on lire dans le document. Pour réussir cet examen, l'élève doit faire moins de 10?% de fautes dans un texte.
Parmi les cinq éléments évalués (vocabulaire, syntaxe et ponctuation, pertinence et suffisance des idées, organisation du texte, orthographe), la syntaxe et la ponctuation est le seul critère qui a été mieux réussi qu'en 2005, même si le score reste inférieur à celui de 2000. Le rapport du ministère stipule que «les taux de réussite constituent une base valable de comparaison pour les trois années retenues étant donné que les conditions d'échantillonnage et de correction sont les mêmes». Il recommande «d'apporter des correctifs nécessaires pour favoriser une meilleure réussite chez les élèves».
Résultats décevants
À la Fédération des syndicats de l'enseignement, on juge ces résultats décevants. La porte-parole, Sylvie Lemieux, a réitéré «l'urgence de poursuivre la réforme de la réforme en cours», notamment en revoyant les programmes de français afin de mettre l'accent sur l'acquisition de connaissances.
Fin octobre, le ministère publiait un premier document précisant les connaissances à acquérir en orthographe et en conjugaison au primaire. D'autres documents du même genre suivront au cours des prochains mois.
Parmi les mesures comprises dans le plan d'action de la ministre Courchesne, on trouve aussi des séances de lecture quotidienne, la rédaction d'un texte par semaine de même que l'embauche de nouveaux bibliothécaires et de conseillers pédagogiques en français. Les exigences de réussite à l'épreuve d'écriture de sixième année seront aussi rehaussées, notamment en orthographe.
***
(Québec) Au primaire, les résultats des élèves en français continuent de se détériorer, confirmant la tendance observée depuis la mise en place de la réforme en 2000.
Le taux de réussite des élèves de sixième année à l'épreuve d'écriture a encore chuté entre 2005 et 2006, passant de 83 % à 81 %. En 2000, ils étaient pourtant 90 % à réussir cet examen.
Les chiffres de 2006 sont les résultats les plus récents compilés par le ministère de l'Éducation. Le document de travail remis au Soleil fait aussi état d'un écart grandissant entre filles et garçons : 89 % des écolières ont réussi l'épreuve de français, contre 74 % pour leurs camarades de classe. En 2005, 78 % des garçons obtenaient la note de passage, contre... 89 % en 2000.
Ces résultats confirment la tendance observée entre 2000 et 2005, qui a fait l'objet d'un rapport remis il y a deux ans à la Table de pilotage sur le renouveau pédagogique. À la lumière de ces résultats décevants, Québec avait alors annoncé un important virage afin de «réformer la réforme».
Depuis, la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a aussi présenté en février un plan d'action pour l'amélioration de l'enseignement du français, qui a reçu un accueil plutôt favorable. La plupart des 22 mesures comprises dans ce plan sont en vigueur depuis septembre.
Les résultats détaillés de l'année 2006 nous apprennent que c'est l'orthographe qui a donné le plus de fil à retordre aux élèves : 77 % ont réussi ce critère en 2005 contre 68 % en 2006. Les erreurs les plus fréquentes sont d'ordre grammatical, peut-on lire dans le document. Pour réussir cet examen, l'élève doit faire moins de 10?% de fautes dans un texte.
Parmi les cinq éléments évalués (vocabulaire, syntaxe et ponctuation, pertinence et suffisance des idées, organisation du texte, orthographe), la syntaxe et la ponctuation est le seul critère qui a été mieux réussi qu'en 2005, même si le score reste inférieur à celui de 2000. Le rapport du ministère stipule que «les taux de réussite constituent une base valable de comparaison pour les trois années retenues étant donné que les conditions d'échantillonnage et de correction sont les mêmes». Il recommande «d'apporter des correctifs nécessaires pour favoriser une meilleure réussite chez les élèves».
Résultats décevants
À la Fédération des syndicats de l'enseignement, on juge ces résultats décevants. La porte-parole, Sylvie Lemieux, a réitéré «l'urgence de poursuivre la réforme de la réforme en cours», notamment en revoyant les programmes de français afin de mettre l'accent sur l'acquisition de connaissances.
Fin octobre, le ministère publiait un premier document précisant les connaissances à acquérir en orthographe et en conjugaison au primaire. D'autres documents du même genre suivront au cours des prochains mois.
Parmi les mesures comprises dans le plan d'action de la ministre Courchesne, on trouve aussi des séances de lecture quotidienne, la rédaction d'un texte par semaine de même que l'embauche de nouveaux bibliothécaires et de conseillers pédagogiques en français. Les exigences de réussite à l'épreuve d'écriture de sixième année seront aussi rehaussées, notamment en orthographe.
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Normand Baillargeon,
réforme de l'éducation (québec)
mardi, décembre 23, 2008
INTERNET COMME MIRAGE PÉDAGOGIQUE
[Article paru dans le dernier numéro de la revue À Bâbord]
Je suis très loin d’être un technophobe et j’utilise au contraire beaucoup et apprécie énormément l’ordinateur, Internet, de nombreux logiciels et des tas d’innovations de l’ère numérique. Tout cela, je le reconnais, a souvent rendu ma vie et certaines des tâches que j’accomplis plus faciles.
Pourtant, ce n’est pas sans un grand malaise que j’entends certaines personnes vanter les bienfaits pédagogiques qu’il faut attendre de toutes ces innovations. Je l’avoue : j’ai très souvent de sérieux doutes et de grandes réserves devant les promesses que me font tous ces technophiles.
L’expérience m’a montré que ces doutes sont sains, à la fois sur un plan pédagogique et sur un plan économique, puisque ces technologies coûtent typiquement très cher. Sans nier qu’on trouvera des avantages à certains modestes usages faits en classe de ces nouvelles technologies, je pense que bien souvent les promesses qu’on nous fait miroiter, spécialement pour l’enseignement primaire et secondaire, sont des mirages pour lesquels on dépense des sommes importantes qui seraient mieux investies ailleurs.
Mais c’est là un vaste sujet et c’est pourquoi je voudrais m’attarder ici à une seule idée, bien précise, qui est avancée par certains de ces technophiles. Je pense que si on examine cette idée de près, en particulier à la lumière de ce que nos savons en psychologie cognitive, de très sérieux bémols s’imposent.
***
Cette idée est que l’existence d’Internet comme source quasi illimitée d’informations forcerait à complètement réévaluer l’importance qui était autrefois accordée en éducation à la transmission de connaissances, de faits et d’informations. «Internet», dit en ce sens Michel serres, «nous force à être intelligent».
Après tout, vous expliquera-t-on, il sera toujours possible d’aller sur Internet chercher une information qui vous manque, de sorte que c’est perdre un précieux temps scolaire et pédagogique que de vouloir enseigner aux enfants des faits aisément accessibles et qui risquent, de surcroît, d’être vite périmés. Le plus sage et le plus efficace est plutôt d’apprendre aux enfants à raisonner, à synthétiser, à être créatif, à faire preuve d’esprit critique, à questionner, bref de développer chez eux ces habiletés cognitives de haut niveau qui sont celles des experts — sans oublier bien entendu celle qui consiste à chercher de l’information, notamment sur Internet.
En somme, et on invoquera ici Montaigne, une tête bien faite est le but que doit viser l’éducateur : et le moyen de faire une telle tête n’est surtout pas de la remplir de connaissances, d’informations et de «simples faits» vite périmés, mais de développer, par la pratique, ces indispensables habiletés de haut niveau que l’élève pourra ensuite utiliser dans différents contextes — c’est-à-dire transférer — et cela tout au long de sa vie.
Donnons un exemple : dans une discussion sur la possibilité de la vie extra-terrestre, qui ignore ce qu’est une planète, mais sait penser de manière critique, pourra toujours consulter Internet et lire la définition; par contre, qui sait ce qu’est une planète mais ne sait pas penser de manière critique, celui-là ne l’apprendra pas sur Internet et ce «simple fait» qu’il connaît, outre qu’il est toujours révisable (ne vient-on d’ailleurs pas justement d’exclure Pluton du nombre des planètes?) ne lui sera d’aucun secours.
***
Si ces idées sont aussi répandues, c’est qu’elles sont terriblement séductrices et à première vue plausibles. Quelle efficacité et quelle économie de temps ne promettent-elles pas au pédagogue dont le temps est si limité! Et quelle joie de pouvoir contourner ce pénible obstacle de faits, de dates, de noms et de définitions, qu’il faut toutes péniblement apprendre, pour aussitôt accéder à la joie de comprendre, de résoudre des problèmes et de penser par soi-même.
En me fondant sur divers écrits de E.D. Hirsch, je voudrais avancer quelques arguments qui suggèrent que ces idées sont un mirage pédagogique d’autant dangereux qu’il est séduisant.
***
Pour commencer, et cela semblera un formidable paradoxe, le fait est qu’il faut du savoir pour apprendre et ce n’est que parce qu’on sait déjà beaucoup qu’on peut apprendre. En établissant cela, la psychologie cognitive a confirmé ce que soupçonnait Platon. Ce point est capital. Il implique en pratique qu’une définition qu’on consulte ne peut être comprise que si on connait déjà une très grande part de ce qu’on y lira et que c’est l’expert, , qui sait déjà beaucoup de choses, et non le novice, qui en apprendra plus, plus vite et mieux.
La psychologie cognitive suggère aussi pourquoi il en est ainsi. Nous accédons au monde à travers une sorte de fenêtre à travers laquelle un nombre limité d’items peut être traité. On estime en fait à 7 plus ou moins deux le nombre de ces items que peut contenir ce qu’on appelle notre mémoire de travail: après quoi, nous sommes intellectuellement débordés. Cette limitation est cependant surmontée par un processus qui permet de regrouper des items pour en faire un seul. Or ce qui permet cette synthèse, ce sont justement des savoirs, de «simples faits», mémorisés et connus.
Enfin, lorsque nos habiletés cognitives supérieures peuvent se mettre en œuvre parce que des savoirs préalables existent et ont permis de surmonter les limitations de notre mémoire de travail, ces habiletés sont spécifiques à un domaine de savoir. Ce qui signifie qu’elles ne seront transférables qu’à proportion que là où on les transpose des savoirs qu’on possède sont pertinents.
Ces trois séries d’arguments convergent et ils sont décisifs contre l’idée qu’il existerait des capacités intellectuelles de haut niveau transversales qu’on pourrait exercer et développer pour elles-mêmes. Les experts sont toujours savants et leur expertise, qui dépend de leur savoir, est spécifique à un domaine donné.
Considérez la célèbre expérience menée dans les années 60 par A.D. van De Groot, qui était lui-même un joueur d’échecs et s’intéressait justement à l’expertise dans ce domaine.
On montre à des joueurs d’échec, durant un bref moment (entre 5 et 10 secondes), un échiquier comprenant 25 pièces du jeu placées selon une configuration possible d’une partie. On leur demande ensuite de reconstituer de mémoire ce qu’ils ont vu.
Il se trouve que les différents taux de succès à cet exercice sont parfaitement corrélés avec le statut du joueur. C’est ainsi que les grands maîtres ne se trompent pour ainsi dire jamais dans leur reconstitution de la partie; que les joueurs un peu moins bien classés font quelques erreurs; et ainsi de suite, jusqu’aux novices qui ne placent correctement que quelques pièces.
On pourrait penser que les grands maîtres ont des facultés intellectuelles extraordinaires — et que c’est ce qui fait d’eux de grands maîtres. Mais il n’en est rien. La mémoire de travail des grands maîtres, en particulier, est la même que la nôtre. Ils ont cependant accès à un très riche répertoire de savoirs — et connaissent un très très grand nombre de positions possibles des pièces durant une partie — qui leur permet de mémoriser une partie donnée en un bref coup d’œil. Et les novices, quant à eux, ne replacent correctement … eh oui : qu’entre 5 et 9 pièces.
De Groot a ensuite montré à ses sujets des positions aléatoires de pièces, i.e. ne constituant pas une configuration possible d’une partie : comme on pouvait s’y attendre, les grands maîtres eux-mêmes ne plaçaient plus correctement que quelques pièces. (Combien? Entre 5 et 9, mais vous l’aviez deviné).
Ce type d’expérience a été reproduite un grand nombre de fois et dans de nombreux domaines (médecine, physique, musique etc.) avec, à chaque fois, le même résultat.
***
Revenons à notre discussion sur la vie extra-terrestre. Notre penseur critique formé aux hautes habiletés cognitives ignore ce qu’est une planète. Il va donc sur Internet et trouve :
«Une planète se distingue d'une étoile essentiellement par le fait qu'elle n'a pas de source d'énergie interne durable sur des milliards d'années. Une telle source durable d'énergie ne peut être que d'origine nucléaire. Une planète est donc un corps sans énergie nucléaire interne. Les calculs montrent que les réactions thermonucléaires ne peuvent s'amorcer qu'au-dessus d’environ 13 fois la masse de Jupiter. Cette valeur fixe donc la limite au-dessus de laquelle une astre ne peut plus, selon la présente définition, être appelé "planète".»(Exemple de Hirsch, traduction libre: N. Baillargeon)
Sans de nombreuses connaissances de toutes sortes et notamment de «simples faits» et des «briques de connaissances», cette définition est incompréhensible.
La morale pédagogique de tout cela est limpide: il y a en éducation de supposés raccourcis qui donnent du retard et qui sont autant de séduisants mirages auxquels il faut, avec fermeté, savoir résister. Un riche bagage de connaissances générales, un riche vocabulaire qui en témoigne : loin d’être de «simples faits», ces précieuses possessions sont d’indispensables préalables au développement des capacités intellectuelles de haut niveau et constituent un des meilleurs garants de la réussite scolaire.
Pour finir : contrairement à ce qu’on lui fait souvent dire, Montaigne, qui était sage, n’a jamais bêtement opposé tête bien faite à tête bien pleine et il savait parfaitement que la seconde est indispensable si on veut la première.
Une lecture
HIRSCH, E.D. Jr, The Schools we Need and Why we don’t have them, Doubleday, New York, 1999.
«You Can Always Look It Up — Or Can You?», Common Knowledge, Volume 13, #2/3, Spring/Summer 2000.
Je suis très loin d’être un technophobe et j’utilise au contraire beaucoup et apprécie énormément l’ordinateur, Internet, de nombreux logiciels et des tas d’innovations de l’ère numérique. Tout cela, je le reconnais, a souvent rendu ma vie et certaines des tâches que j’accomplis plus faciles.
Pourtant, ce n’est pas sans un grand malaise que j’entends certaines personnes vanter les bienfaits pédagogiques qu’il faut attendre de toutes ces innovations. Je l’avoue : j’ai très souvent de sérieux doutes et de grandes réserves devant les promesses que me font tous ces technophiles.
L’expérience m’a montré que ces doutes sont sains, à la fois sur un plan pédagogique et sur un plan économique, puisque ces technologies coûtent typiquement très cher. Sans nier qu’on trouvera des avantages à certains modestes usages faits en classe de ces nouvelles technologies, je pense que bien souvent les promesses qu’on nous fait miroiter, spécialement pour l’enseignement primaire et secondaire, sont des mirages pour lesquels on dépense des sommes importantes qui seraient mieux investies ailleurs.
Mais c’est là un vaste sujet et c’est pourquoi je voudrais m’attarder ici à une seule idée, bien précise, qui est avancée par certains de ces technophiles. Je pense que si on examine cette idée de près, en particulier à la lumière de ce que nos savons en psychologie cognitive, de très sérieux bémols s’imposent.
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Cette idée est que l’existence d’Internet comme source quasi illimitée d’informations forcerait à complètement réévaluer l’importance qui était autrefois accordée en éducation à la transmission de connaissances, de faits et d’informations. «Internet», dit en ce sens Michel serres, «nous force à être intelligent».
Après tout, vous expliquera-t-on, il sera toujours possible d’aller sur Internet chercher une information qui vous manque, de sorte que c’est perdre un précieux temps scolaire et pédagogique que de vouloir enseigner aux enfants des faits aisément accessibles et qui risquent, de surcroît, d’être vite périmés. Le plus sage et le plus efficace est plutôt d’apprendre aux enfants à raisonner, à synthétiser, à être créatif, à faire preuve d’esprit critique, à questionner, bref de développer chez eux ces habiletés cognitives de haut niveau qui sont celles des experts — sans oublier bien entendu celle qui consiste à chercher de l’information, notamment sur Internet.
En somme, et on invoquera ici Montaigne, une tête bien faite est le but que doit viser l’éducateur : et le moyen de faire une telle tête n’est surtout pas de la remplir de connaissances, d’informations et de «simples faits» vite périmés, mais de développer, par la pratique, ces indispensables habiletés de haut niveau que l’élève pourra ensuite utiliser dans différents contextes — c’est-à-dire transférer — et cela tout au long de sa vie.
Donnons un exemple : dans une discussion sur la possibilité de la vie extra-terrestre, qui ignore ce qu’est une planète, mais sait penser de manière critique, pourra toujours consulter Internet et lire la définition; par contre, qui sait ce qu’est une planète mais ne sait pas penser de manière critique, celui-là ne l’apprendra pas sur Internet et ce «simple fait» qu’il connaît, outre qu’il est toujours révisable (ne vient-on d’ailleurs pas justement d’exclure Pluton du nombre des planètes?) ne lui sera d’aucun secours.
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Si ces idées sont aussi répandues, c’est qu’elles sont terriblement séductrices et à première vue plausibles. Quelle efficacité et quelle économie de temps ne promettent-elles pas au pédagogue dont le temps est si limité! Et quelle joie de pouvoir contourner ce pénible obstacle de faits, de dates, de noms et de définitions, qu’il faut toutes péniblement apprendre, pour aussitôt accéder à la joie de comprendre, de résoudre des problèmes et de penser par soi-même.
En me fondant sur divers écrits de E.D. Hirsch, je voudrais avancer quelques arguments qui suggèrent que ces idées sont un mirage pédagogique d’autant dangereux qu’il est séduisant.
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Pour commencer, et cela semblera un formidable paradoxe, le fait est qu’il faut du savoir pour apprendre et ce n’est que parce qu’on sait déjà beaucoup qu’on peut apprendre. En établissant cela, la psychologie cognitive a confirmé ce que soupçonnait Platon. Ce point est capital. Il implique en pratique qu’une définition qu’on consulte ne peut être comprise que si on connait déjà une très grande part de ce qu’on y lira et que c’est l’expert, , qui sait déjà beaucoup de choses, et non le novice, qui en apprendra plus, plus vite et mieux.
La psychologie cognitive suggère aussi pourquoi il en est ainsi. Nous accédons au monde à travers une sorte de fenêtre à travers laquelle un nombre limité d’items peut être traité. On estime en fait à 7 plus ou moins deux le nombre de ces items que peut contenir ce qu’on appelle notre mémoire de travail: après quoi, nous sommes intellectuellement débordés. Cette limitation est cependant surmontée par un processus qui permet de regrouper des items pour en faire un seul. Or ce qui permet cette synthèse, ce sont justement des savoirs, de «simples faits», mémorisés et connus.
Enfin, lorsque nos habiletés cognitives supérieures peuvent se mettre en œuvre parce que des savoirs préalables existent et ont permis de surmonter les limitations de notre mémoire de travail, ces habiletés sont spécifiques à un domaine de savoir. Ce qui signifie qu’elles ne seront transférables qu’à proportion que là où on les transpose des savoirs qu’on possède sont pertinents.
Ces trois séries d’arguments convergent et ils sont décisifs contre l’idée qu’il existerait des capacités intellectuelles de haut niveau transversales qu’on pourrait exercer et développer pour elles-mêmes. Les experts sont toujours savants et leur expertise, qui dépend de leur savoir, est spécifique à un domaine donné.
Considérez la célèbre expérience menée dans les années 60 par A.D. van De Groot, qui était lui-même un joueur d’échecs et s’intéressait justement à l’expertise dans ce domaine.
On montre à des joueurs d’échec, durant un bref moment (entre 5 et 10 secondes), un échiquier comprenant 25 pièces du jeu placées selon une configuration possible d’une partie. On leur demande ensuite de reconstituer de mémoire ce qu’ils ont vu.
Il se trouve que les différents taux de succès à cet exercice sont parfaitement corrélés avec le statut du joueur. C’est ainsi que les grands maîtres ne se trompent pour ainsi dire jamais dans leur reconstitution de la partie; que les joueurs un peu moins bien classés font quelques erreurs; et ainsi de suite, jusqu’aux novices qui ne placent correctement que quelques pièces.
On pourrait penser que les grands maîtres ont des facultés intellectuelles extraordinaires — et que c’est ce qui fait d’eux de grands maîtres. Mais il n’en est rien. La mémoire de travail des grands maîtres, en particulier, est la même que la nôtre. Ils ont cependant accès à un très riche répertoire de savoirs — et connaissent un très très grand nombre de positions possibles des pièces durant une partie — qui leur permet de mémoriser une partie donnée en un bref coup d’œil. Et les novices, quant à eux, ne replacent correctement … eh oui : qu’entre 5 et 9 pièces.
De Groot a ensuite montré à ses sujets des positions aléatoires de pièces, i.e. ne constituant pas une configuration possible d’une partie : comme on pouvait s’y attendre, les grands maîtres eux-mêmes ne plaçaient plus correctement que quelques pièces. (Combien? Entre 5 et 9, mais vous l’aviez deviné).
Ce type d’expérience a été reproduite un grand nombre de fois et dans de nombreux domaines (médecine, physique, musique etc.) avec, à chaque fois, le même résultat.
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Revenons à notre discussion sur la vie extra-terrestre. Notre penseur critique formé aux hautes habiletés cognitives ignore ce qu’est une planète. Il va donc sur Internet et trouve :
«Une planète se distingue d'une étoile essentiellement par le fait qu'elle n'a pas de source d'énergie interne durable sur des milliards d'années. Une telle source durable d'énergie ne peut être que d'origine nucléaire. Une planète est donc un corps sans énergie nucléaire interne. Les calculs montrent que les réactions thermonucléaires ne peuvent s'amorcer qu'au-dessus d’environ 13 fois la masse de Jupiter. Cette valeur fixe donc la limite au-dessus de laquelle une astre ne peut plus, selon la présente définition, être appelé "planète".»(Exemple de Hirsch, traduction libre: N. Baillargeon)
Sans de nombreuses connaissances de toutes sortes et notamment de «simples faits» et des «briques de connaissances», cette définition est incompréhensible.
La morale pédagogique de tout cela est limpide: il y a en éducation de supposés raccourcis qui donnent du retard et qui sont autant de séduisants mirages auxquels il faut, avec fermeté, savoir résister. Un riche bagage de connaissances générales, un riche vocabulaire qui en témoigne : loin d’être de «simples faits», ces précieuses possessions sont d’indispensables préalables au développement des capacités intellectuelles de haut niveau et constituent un des meilleurs garants de la réussite scolaire.
Pour finir : contrairement à ce qu’on lui fait souvent dire, Montaigne, qui était sage, n’a jamais bêtement opposé tête bien faite à tête bien pleine et il savait parfaitement que la seconde est indispensable si on veut la première.
Une lecture
HIRSCH, E.D. Jr, The Schools we Need and Why we don’t have them, Doubleday, New York, 1999.
«You Can Always Look It Up — Or Can You?», Common Knowledge, Volume 13, #2/3, Spring/Summer 2000.
Libellés :
éducation,
Internet,
Normand Baillargeon
MICHAEL SHERMER DÉMONTRE COMMENT S'Y PRENNENT DES CHARLATANS (1/2)
Amusant et instructif!
dimanche, décembre 21, 2008
DÉCÈS DE CAROL CHOMSKY
Carol Chomsky, l'épouse de Noam, est décédée vendredi.
Une notice nécrologique se trouve ici.
Elle était elle aussi linguiste et a fait de la recherche sur l'apprentissage de la lecture.
Ils formaient un couple très uni et je suis bien triste pour Noam.
Une notice nécrologique se trouve ici.
Elle était elle aussi linguiste et a fait de la recherche sur l'apprentissage de la lecture.
Ils formaient un couple très uni et je suis bien triste pour Noam.
UNE MINUTE DE SILENCE
[Billet Amère Amérique, pour Siné-Hebdo]
«Ces gens-là n’ont jamais entendu de Heavy Metal : alors ils ne peuvent pas le supporter».
C’était en mai 2003 et le Sergent Mark Hadsell expliquait au magazine Newsweek le nouvel instrument de torture imaginé par des psys travaillant pour la CIA et utilisé en Irak, en Afghanistan, à Cuba et ailleurs.
Eh oui : il s’agit de la musique.
La révélation a quelque chose d’un peu surréaliste, qui invite d’abord à la rigolade, du genre : «Moi aussi, forcé d’écouter Chantal Goya durant plus de trente secondes, j’avoue tout ce qu’on veut et même le reste.» Ou encore : «Si on veut me torturer de la sorte, au moins que ce soit avec du Coltrane, qui est comme chacun sait le plus grand musicien de tous les temps : j’en redemanderai.»
Mais la réalité est terrifiante et il n’y a vraiment pas de quoi rire. Le sergent Hadsell continuait : «Vous leur faites jouer de la musique pendant 24 heures : le cerveau et le corps deviennent alors dysfonctionnels, la pensée ralentit, la volonté se brise. C’est à ce moment là qu’on arrive et qu’on leur parle».
Ces programmes de «bombardement acoustique» ont été développés par la CIA en complicité avec la Grande Bretagne et le Canada — en partie à Montréal même. On les appelle «No touch torture», la torture sans toucher. Ceux qui ont goûté à ces heures interminables durant lesquelles, privés de sommeil, ils ont dû écouter de la musique jouée à fond la caisse, disent que c’est pire que tout. Binyam Mohamed, par exemple, trouvait moins pénible de se faire couper le pénis avec une lame de rasoir.
Certains musiciens dont les œuvres sont utilisées de la sorte s’en félicitent. Pour un peu ils attendraient la compil : Ze Best of the CIA, en s’inquiétant de savoir si leurs droits d’auteur ont bien été payés.
D’autres se taisent, lâchement.
Mais d’autres, heureusement, protestent. En attendant de trouver un band punk progressiste irakien dont on pourrait jouer l’album à tue-tête devant la Maison Blanche ou d’avoir la chance de lancer une chaussure sur un psy mélomane ou un tortionnaire, il est possible de joindre sa signature à celles des nombreux protestataires qui ont déjà signé une pétition qui a été mis en ligne. Ça se trouve à : http://www.zerodb.org/
Les musiciens sensibles à cette cause peuvent aussi faire observer une minute de silence en concert.
Il reste que réussir à faire une pince à arracher le cerveau avec de la musique, c’est un peu comme transformer la pluie en acide, la planète en serre, les océans en dépotoir et des civils vivants en soldats morts.
Hélas : on sait faire tout ça.
«Ces gens-là n’ont jamais entendu de Heavy Metal : alors ils ne peuvent pas le supporter».
C’était en mai 2003 et le Sergent Mark Hadsell expliquait au magazine Newsweek le nouvel instrument de torture imaginé par des psys travaillant pour la CIA et utilisé en Irak, en Afghanistan, à Cuba et ailleurs.
Eh oui : il s’agit de la musique.
La révélation a quelque chose d’un peu surréaliste, qui invite d’abord à la rigolade, du genre : «Moi aussi, forcé d’écouter Chantal Goya durant plus de trente secondes, j’avoue tout ce qu’on veut et même le reste.» Ou encore : «Si on veut me torturer de la sorte, au moins que ce soit avec du Coltrane, qui est comme chacun sait le plus grand musicien de tous les temps : j’en redemanderai.»
Mais la réalité est terrifiante et il n’y a vraiment pas de quoi rire. Le sergent Hadsell continuait : «Vous leur faites jouer de la musique pendant 24 heures : le cerveau et le corps deviennent alors dysfonctionnels, la pensée ralentit, la volonté se brise. C’est à ce moment là qu’on arrive et qu’on leur parle».
Ces programmes de «bombardement acoustique» ont été développés par la CIA en complicité avec la Grande Bretagne et le Canada — en partie à Montréal même. On les appelle «No touch torture», la torture sans toucher. Ceux qui ont goûté à ces heures interminables durant lesquelles, privés de sommeil, ils ont dû écouter de la musique jouée à fond la caisse, disent que c’est pire que tout. Binyam Mohamed, par exemple, trouvait moins pénible de se faire couper le pénis avec une lame de rasoir.
Certains musiciens dont les œuvres sont utilisées de la sorte s’en félicitent. Pour un peu ils attendraient la compil : Ze Best of the CIA, en s’inquiétant de savoir si leurs droits d’auteur ont bien été payés.
D’autres se taisent, lâchement.
Mais d’autres, heureusement, protestent. En attendant de trouver un band punk progressiste irakien dont on pourrait jouer l’album à tue-tête devant la Maison Blanche ou d’avoir la chance de lancer une chaussure sur un psy mélomane ou un tortionnaire, il est possible de joindre sa signature à celles des nombreux protestataires qui ont déjà signé une pétition qui a été mis en ligne. Ça se trouve à : http://www.zerodb.org/
Les musiciens sensibles à cette cause peuvent aussi faire observer une minute de silence en concert.
Il reste que réussir à faire une pince à arracher le cerveau avec de la musique, c’est un peu comme transformer la pluie en acide, la planète en serre, les océans en dépotoir et des civils vivants en soldats morts.
Hélas : on sait faire tout ça.
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torture
mardi, décembre 16, 2008
«GITMO»
[Texte pour le prochain Hors Série du Monde Libertaire.]
«GITMO»
Quand on a demandé à Ghandi ce qu’il pensait de la civilisation occidentale, il aurait répondu que ce serait une bonne idée. Le spectacle de ce que l’Association américaine de défense des libertés civiles (ACLU) appelle la « mascarade juridique » qui se déroule depuis janvier 2002 à la prison de Guantánamo, familièrement appelé Gitmo, l’aurait conforté dans cette conviction.
Tout le monde a peu ou prou entendu parler de cette effroyable prison et des échos des horribles traitements infligés aux prisonniers sont parvenus jusque dans les grands médias. C’est tout particulièrement le cas ces jours-ci, alors que Gitmo est au coeur de l’actualité d’une part en raison de la décision de cinq accusés notables de plaider coupables aux accusations pesant contre eux (il s’agit du cerveau présumé des attentats du 11 septembre, Khaled Cheikh Mohammed, et de quatre coaccusés), d’autre part en raison de l’intention annoncée d’Obama de fermer Guantánamo.
Les deux événements, on peut le présumer, sont liés : les autorités américaines souhaitent en effet vraisemblablement en finir avec ces cinq prisonniers avant l’arrivée d’Obama au pouvoir, espérant en outre que ces aveux militeront dans l’opinion contre la fermeture de la sinistre prison.
L’heure est donc particulièrement propice à un retour sur l’histoire de Guantánamo et à un rappel des raisons qui militent pour sa fermeture, certes, mais aussi pour la restitution de ce territoire à Cuba. C’est que la prison de Guantánamo, on ne le dit pas assez, est logée sur une base militaire navale américaine située sur l’île de Cuba où elle se trouve de manière aussi illégitime que les actions qui s’y déroulent sont illégales.
Un peu d’histoire
Rappeler comment s’explique l’étonnante présence de cette base militaire à cet endroit devrait être la toile de fond de toute discussion sérieuse de Gitmo et, on le verra, devrait aussi orienter les actions militantes entreprises contre cette sordide prison.
Tout remonte à 1898, alors les Etats-Unis interviennent dans la Guerre d’indépendance cubaine. Ces «libérateurs» occupent l’île durant les années qui suivent et la transforment ensuite en cette sorte de terrain de jeu pour touristes qu’elle restera jusqu’à la révolution.
Dès 1898, les Etats-Unis étaient partis de Guantánamo, une ville située sur une baie comprenant un port, pour envahir Porto Rico. En 1903, un document que l’on voudra faire passer pour un traité est signé entre les occupants et des «représentants» des occupés : selon cette «entente» Cuba cède aux Etats-Unis la Baie de Guantánamo, et lui accorde, en échange de quelque 3000 euros par an — toujours scrupuleusement payés depuis par les Etats-Unis, mais pas encaissés par Cuba depuis 1960 — la pleine souveraineté sur ce territoire de quelque 120 km2 .
À la fin 2001, dans cet après 11 septembre durant lequel le Gouvernement américain jouissait encore d’un certain capital de sympathie dans l’opinion et alors qu’il mettait en branle sa «guerre conte le terrorisme» qui a eu pour prévisible effet d’accroître le terrorisme, l’administration Bush prend des mesures qui vont aboutir au Military Commission Act de 2006 et permettre de détenir et d’interroger des prisonniers soupçonnés de terrorisme. C’est dans ce cadre qu’un centre de détention est mis en place à Guantánamo.
Le système fonctionne physiquement hors des Etats-Unis, mais aussi et surtout en dehors du système juridique américain et des conventions de droit international. Cela signifie que dans les tribunaux de ces commissions militaires, qui ne sont ni des tribunaux civils ni des tribunaux militaires, aucune procédure légale usuelle n’est respectée et la règle du droit est ignorée.
C’est ainsi que les prisonniers n’ont pas droit à des enquêtes et à des audiences préliminaires; qu’on n’y applique pas la présomption d’innocence, mais plutôt la présomption de culpabilité; que ce qu’on peut y admettre en preuve est beaucoup plus large et radicalement différent de ce qu’on accepte dans les tribunaux usuels : par exemple, des ouï-dire et même des ouï-dire de ouï-dire pourront être acceptés en preuve, (autrement dit : j’ai entendu dire de X que Y aurait dit…); que des éléments de preuve pourront être retenus même si les sources et les moyens ayant permis de les obtenir ne sont pas dévoilés; c’est ainsi encore que les prisonniers ignorent typiquement la preuve retenue contre eux, voire les charges qui pèsent contre eux; et que, pour finir, certaines informations pourront être transmises à la poursuite, mais pas à la défense.
Il faut encore rappeler que des aveux obtenus par la force sont admissibles en preuve à Gitmo: la notion de torture a d’ailleurs été revue afin de permettre de retenir en preuve des aveux obtenus par des interrogatoires dits « musclés » : la douleur que cause la torture, mais pas l’interrogatoire, suggère-t-on sans rire, entraîne soit une mort appréhendée, soit la défaillance d’un organe. Les méthodes employées à Gitmo ont été spécifiquement conçues par le Pentagone et leur utilisation encouragée avec garantie de protection légale aux bourreaux par le Justice Department, cela dans deux mémorandums aujourd’hui répudiés par lui.
Un large consensus des observateurs est désormais acquis sur le fait qu’à côté de ces nombreux innocents avérés ou présumés, on trouve à Guantànamo une poignée de terroristes présumés contre lesquels des accusations sérieuses pourraient être portées et que ceux-là devraient être jugés devant des tribunaux civils, le seul lieu où ils auraient droit à un procès minimalement équitable. En ce sens, les aveux des cinq évoqués plus haut sont sans valeur.
***
Quelques chiffres
La cellule type à Guantánamo fait 2 mètres X 2, 4 mètres
En date du 11 janvier 2008, des personnes étaient emprisonnées depuis 2 190 jours à Guantánamo sans que des accusations n’aient été portées contre elles
Mohammed Ismail Agha avait 13 ans à son arrivée à Guantánamo en 2002. Il a été relâché et renvoyé en Afghanistan en 2004. Il est la plus jeune personne à avoir été emprisonnée à Guantánamo. La plus âgée avait 98 ans.
Depuis son ouverture le 11 janvier 2002, 775 personnes ont été détenues à Guantánamo
Plus de 500 détenus ont été relâchés
255 personnes s’y trouvent toujours
5 sont mortes alors qu’elles s’y trouvaient
10 ont été accusées d’un quelconque crime
2 procès seulement ont été menés à terme
5% des détenus de Guantánamo ont été arrêtés par les Etats-Unis; 86% ont été livrés aux Etats-Unis par des citoyens agfhans ou pakistanais, en échange de fortes primes qu’on leur avait promises.
****
En attendant, ce système de non-droit a été toléré par bien des pays tandis que d’autres pouvaient dans le même souffle tenter de s’en distancer et encourager leurs services secrets à profiter de l’occasion pour tenter de recueillir des informations.
Un cas particulièrement traite le montre parfaitement, à savoir celui d’Omar Khadr, qu’on peut voir interrogé sur le film suivant par deux agents du Service canadien du renseignement de sécurité en février 2003: [http://ca.youtube.com/watch?v=UfdwfjlkZqY]
Le cas Khadr
Khadr avait alors … 16 ans; il est arrivé à Gitmo à 15 ans. Et comme il est citoyen canadien, son cas fait du Canada le dernier pays occidental à abandonner un de ses citoyens à Guantanamo, où sont allégrement violées toutes les lois qu’on peut nommer, y compris les conventions de Genève et le Pacte International relatif aux droit civils et politiques.
Son histoire mérite d’être rappelée.
Son père, réputé proche de Ben Laden, l’aurait élevé pour être un martyr du Jihad. En 2002, il est en Afghanistan dans un bâtiment que bombarde l’armée américaine. Quand tout est fini, un soldat y pénètre et est accueilli par une grenade. On découvre l’enfant vivant.
Il est sérieusement blessé et supplie, sans succès, qu’on l’achève. On le soigne plutôt et on l’interroge. Voilà la version officielle.
Mais on y a récemment ouvert de sérieuses brèches. Pour commencer, Khadr a toujours soutenu avoir été torturé en Afghanistan. Or cet automne, Damien Corcetti, le soldat qui l’a « interrogé », a confirmé les propos de l’enfant.
De plus, les autorités ont toujours soutenu que Khadr était le dernier survivant dans l’édifice bombardé et que c’est donc nécessairement lui qui a lancé la grenade qui a tué le soldat qui y pénétrait. Or un rapport militaire exhumé par la télé canadienne indique qu’un autre homme vivait encore et que c’est lui qui aurait lancé la grenade.
Reste que l’enfer de Khadr ne faisait que commencer. On aurait dû le traiter comme un enfant soldat. Il sera plutôt, comme je l’ai dit, transféré à la prison de Guantanamo, où il est depuis 2002. Comme tant d’autres, il a été torturé, privé de sommeil, psychologiquement et physiquement supplicié, privé d’assistance juridique.
La cause est pourtant entendue : le droit international aurait voulu qu’il soit traité en mineur et donc ou rapatrié dans son pays pour y être jugé ou libéré. Le Canada, par lâcheté devant son puissant voisin du Sud, par aveuglement volontaire devant ses assurances répétées que Khadr est traité humainement n’a, depuis six ans, rien fait pour faire respecter le droit international.
Une nécessaire mobilisation
L’occupation de la Baie de Guantánamo par les Etats-Unis, puisque c’est bien de cela dont il s’agit, cette occupation qui leur permet de contrôler un important port de Cuba et, partant, un crucial point de contact avec le monde extérieur, est illégitime et illégale.
Elle l’est d’abord parce que le présumé traité qui l’autoriserait ne saurait être sérieusement considéré comme tel; elle l’est ensuite parce que cette supposée entente n’a de toute façon jamais signifié que ce territoire pouvait être utilisé pour contrevenir au droit international et pour servir de lieu de détention illégale et de torture.
L’action contre Gitmo devrait donc en ce moment figurer très haut sur la liste des priorités des militantes et des militants. Les actions entreprises devraient, à mon avis, s’orienter dans deux directions.
La première est d’exercer, par tous les moyens et notamment via nos gouvernements respectifs, une pression assez forte sur Obama et son entourage pour assurer que les agissements et tractations de dernière minute de l’administration Bush ne feront pas en sorte que le nouveau président revienne sur sa promesse de fermer Guantánamo. Il y a des raisons d’espérer gagner ce combat et la dénonciation de Gitmo a déjà permis de nombreuses percées en ce sens : c’est ainsi que le mois dernier, un juge américain a, pour la première fois, reconnu que des détenus y étaient illégalement enfermés et ordonné leur libération.
La deuxième visée de l’action militante devrait être de profiter de cette mobilisation pour rappeler ce qu’est vraiment Guantánamo, comment il se fait que les États-Unis s’y trouvent et, partant, pourquoi il est souhaitable et légitime d’exiger que ce territoire soit rendu à son légitime propriétaire, le peuple cubain.
C’est là un énorme travail, sans doute : mais il ne comprend rien que des personnes déterminées ne peuvent accomplir.
Comme toujours, les premiers gestes à poser sont d’informer afin de mobiliser.
Des ressources :
Le Blog du Collectif Guantánamo France : [ http://chroniquedeGuantánamo.blogspot.com/]
Des textes et actions d’Amnesty International :[ http://asiapacific.amnesty.org/pages/Guantánamobay-index-fra ]
Le site de Human Rights Watch sur Guantánamo : [http://www.hrw.org/en/category/topic/counterterrorism/Guantánamo]
WORTHINGTON, Andy, The Guantánamo Files. The Stories of the 774 Detainees in America’s Illegal Prison, Pluto Press, 2007.
«GITMO»
Quand on a demandé à Ghandi ce qu’il pensait de la civilisation occidentale, il aurait répondu que ce serait une bonne idée. Le spectacle de ce que l’Association américaine de défense des libertés civiles (ACLU) appelle la « mascarade juridique » qui se déroule depuis janvier 2002 à la prison de Guantánamo, familièrement appelé Gitmo, l’aurait conforté dans cette conviction.
Tout le monde a peu ou prou entendu parler de cette effroyable prison et des échos des horribles traitements infligés aux prisonniers sont parvenus jusque dans les grands médias. C’est tout particulièrement le cas ces jours-ci, alors que Gitmo est au coeur de l’actualité d’une part en raison de la décision de cinq accusés notables de plaider coupables aux accusations pesant contre eux (il s’agit du cerveau présumé des attentats du 11 septembre, Khaled Cheikh Mohammed, et de quatre coaccusés), d’autre part en raison de l’intention annoncée d’Obama de fermer Guantánamo.
Les deux événements, on peut le présumer, sont liés : les autorités américaines souhaitent en effet vraisemblablement en finir avec ces cinq prisonniers avant l’arrivée d’Obama au pouvoir, espérant en outre que ces aveux militeront dans l’opinion contre la fermeture de la sinistre prison.
L’heure est donc particulièrement propice à un retour sur l’histoire de Guantánamo et à un rappel des raisons qui militent pour sa fermeture, certes, mais aussi pour la restitution de ce territoire à Cuba. C’est que la prison de Guantánamo, on ne le dit pas assez, est logée sur une base militaire navale américaine située sur l’île de Cuba où elle se trouve de manière aussi illégitime que les actions qui s’y déroulent sont illégales.
Un peu d’histoire
Rappeler comment s’explique l’étonnante présence de cette base militaire à cet endroit devrait être la toile de fond de toute discussion sérieuse de Gitmo et, on le verra, devrait aussi orienter les actions militantes entreprises contre cette sordide prison.
Tout remonte à 1898, alors les Etats-Unis interviennent dans la Guerre d’indépendance cubaine. Ces «libérateurs» occupent l’île durant les années qui suivent et la transforment ensuite en cette sorte de terrain de jeu pour touristes qu’elle restera jusqu’à la révolution.
Dès 1898, les Etats-Unis étaient partis de Guantánamo, une ville située sur une baie comprenant un port, pour envahir Porto Rico. En 1903, un document que l’on voudra faire passer pour un traité est signé entre les occupants et des «représentants» des occupés : selon cette «entente» Cuba cède aux Etats-Unis la Baie de Guantánamo, et lui accorde, en échange de quelque 3000 euros par an — toujours scrupuleusement payés depuis par les Etats-Unis, mais pas encaissés par Cuba depuis 1960 — la pleine souveraineté sur ce territoire de quelque 120 km2 .
À la fin 2001, dans cet après 11 septembre durant lequel le Gouvernement américain jouissait encore d’un certain capital de sympathie dans l’opinion et alors qu’il mettait en branle sa «guerre conte le terrorisme» qui a eu pour prévisible effet d’accroître le terrorisme, l’administration Bush prend des mesures qui vont aboutir au Military Commission Act de 2006 et permettre de détenir et d’interroger des prisonniers soupçonnés de terrorisme. C’est dans ce cadre qu’un centre de détention est mis en place à Guantánamo.
Le système fonctionne physiquement hors des Etats-Unis, mais aussi et surtout en dehors du système juridique américain et des conventions de droit international. Cela signifie que dans les tribunaux de ces commissions militaires, qui ne sont ni des tribunaux civils ni des tribunaux militaires, aucune procédure légale usuelle n’est respectée et la règle du droit est ignorée.
C’est ainsi que les prisonniers n’ont pas droit à des enquêtes et à des audiences préliminaires; qu’on n’y applique pas la présomption d’innocence, mais plutôt la présomption de culpabilité; que ce qu’on peut y admettre en preuve est beaucoup plus large et radicalement différent de ce qu’on accepte dans les tribunaux usuels : par exemple, des ouï-dire et même des ouï-dire de ouï-dire pourront être acceptés en preuve, (autrement dit : j’ai entendu dire de X que Y aurait dit…); que des éléments de preuve pourront être retenus même si les sources et les moyens ayant permis de les obtenir ne sont pas dévoilés; c’est ainsi encore que les prisonniers ignorent typiquement la preuve retenue contre eux, voire les charges qui pèsent contre eux; et que, pour finir, certaines informations pourront être transmises à la poursuite, mais pas à la défense.
Il faut encore rappeler que des aveux obtenus par la force sont admissibles en preuve à Gitmo: la notion de torture a d’ailleurs été revue afin de permettre de retenir en preuve des aveux obtenus par des interrogatoires dits « musclés » : la douleur que cause la torture, mais pas l’interrogatoire, suggère-t-on sans rire, entraîne soit une mort appréhendée, soit la défaillance d’un organe. Les méthodes employées à Gitmo ont été spécifiquement conçues par le Pentagone et leur utilisation encouragée avec garantie de protection légale aux bourreaux par le Justice Department, cela dans deux mémorandums aujourd’hui répudiés par lui.
Un large consensus des observateurs est désormais acquis sur le fait qu’à côté de ces nombreux innocents avérés ou présumés, on trouve à Guantànamo une poignée de terroristes présumés contre lesquels des accusations sérieuses pourraient être portées et que ceux-là devraient être jugés devant des tribunaux civils, le seul lieu où ils auraient droit à un procès minimalement équitable. En ce sens, les aveux des cinq évoqués plus haut sont sans valeur.
***
Quelques chiffres
La cellule type à Guantánamo fait 2 mètres X 2, 4 mètres
En date du 11 janvier 2008, des personnes étaient emprisonnées depuis 2 190 jours à Guantánamo sans que des accusations n’aient été portées contre elles
Mohammed Ismail Agha avait 13 ans à son arrivée à Guantánamo en 2002. Il a été relâché et renvoyé en Afghanistan en 2004. Il est la plus jeune personne à avoir été emprisonnée à Guantánamo. La plus âgée avait 98 ans.
Depuis son ouverture le 11 janvier 2002, 775 personnes ont été détenues à Guantánamo
Plus de 500 détenus ont été relâchés
255 personnes s’y trouvent toujours
5 sont mortes alors qu’elles s’y trouvaient
10 ont été accusées d’un quelconque crime
2 procès seulement ont été menés à terme
5% des détenus de Guantánamo ont été arrêtés par les Etats-Unis; 86% ont été livrés aux Etats-Unis par des citoyens agfhans ou pakistanais, en échange de fortes primes qu’on leur avait promises.
****
En attendant, ce système de non-droit a été toléré par bien des pays tandis que d’autres pouvaient dans le même souffle tenter de s’en distancer et encourager leurs services secrets à profiter de l’occasion pour tenter de recueillir des informations.
Un cas particulièrement traite le montre parfaitement, à savoir celui d’Omar Khadr, qu’on peut voir interrogé sur le film suivant par deux agents du Service canadien du renseignement de sécurité en février 2003: [http://ca.youtube.com/watch?v=UfdwfjlkZqY]
Le cas Khadr
Khadr avait alors … 16 ans; il est arrivé à Gitmo à 15 ans. Et comme il est citoyen canadien, son cas fait du Canada le dernier pays occidental à abandonner un de ses citoyens à Guantanamo, où sont allégrement violées toutes les lois qu’on peut nommer, y compris les conventions de Genève et le Pacte International relatif aux droit civils et politiques.
Son histoire mérite d’être rappelée.
Son père, réputé proche de Ben Laden, l’aurait élevé pour être un martyr du Jihad. En 2002, il est en Afghanistan dans un bâtiment que bombarde l’armée américaine. Quand tout est fini, un soldat y pénètre et est accueilli par une grenade. On découvre l’enfant vivant.
Il est sérieusement blessé et supplie, sans succès, qu’on l’achève. On le soigne plutôt et on l’interroge. Voilà la version officielle.
Mais on y a récemment ouvert de sérieuses brèches. Pour commencer, Khadr a toujours soutenu avoir été torturé en Afghanistan. Or cet automne, Damien Corcetti, le soldat qui l’a « interrogé », a confirmé les propos de l’enfant.
De plus, les autorités ont toujours soutenu que Khadr était le dernier survivant dans l’édifice bombardé et que c’est donc nécessairement lui qui a lancé la grenade qui a tué le soldat qui y pénétrait. Or un rapport militaire exhumé par la télé canadienne indique qu’un autre homme vivait encore et que c’est lui qui aurait lancé la grenade.
Reste que l’enfer de Khadr ne faisait que commencer. On aurait dû le traiter comme un enfant soldat. Il sera plutôt, comme je l’ai dit, transféré à la prison de Guantanamo, où il est depuis 2002. Comme tant d’autres, il a été torturé, privé de sommeil, psychologiquement et physiquement supplicié, privé d’assistance juridique.
La cause est pourtant entendue : le droit international aurait voulu qu’il soit traité en mineur et donc ou rapatrié dans son pays pour y être jugé ou libéré. Le Canada, par lâcheté devant son puissant voisin du Sud, par aveuglement volontaire devant ses assurances répétées que Khadr est traité humainement n’a, depuis six ans, rien fait pour faire respecter le droit international.
Une nécessaire mobilisation
L’occupation de la Baie de Guantánamo par les Etats-Unis, puisque c’est bien de cela dont il s’agit, cette occupation qui leur permet de contrôler un important port de Cuba et, partant, un crucial point de contact avec le monde extérieur, est illégitime et illégale.
Elle l’est d’abord parce que le présumé traité qui l’autoriserait ne saurait être sérieusement considéré comme tel; elle l’est ensuite parce que cette supposée entente n’a de toute façon jamais signifié que ce territoire pouvait être utilisé pour contrevenir au droit international et pour servir de lieu de détention illégale et de torture.
L’action contre Gitmo devrait donc en ce moment figurer très haut sur la liste des priorités des militantes et des militants. Les actions entreprises devraient, à mon avis, s’orienter dans deux directions.
La première est d’exercer, par tous les moyens et notamment via nos gouvernements respectifs, une pression assez forte sur Obama et son entourage pour assurer que les agissements et tractations de dernière minute de l’administration Bush ne feront pas en sorte que le nouveau président revienne sur sa promesse de fermer Guantánamo. Il y a des raisons d’espérer gagner ce combat et la dénonciation de Gitmo a déjà permis de nombreuses percées en ce sens : c’est ainsi que le mois dernier, un juge américain a, pour la première fois, reconnu que des détenus y étaient illégalement enfermés et ordonné leur libération.
La deuxième visée de l’action militante devrait être de profiter de cette mobilisation pour rappeler ce qu’est vraiment Guantánamo, comment il se fait que les États-Unis s’y trouvent et, partant, pourquoi il est souhaitable et légitime d’exiger que ce territoire soit rendu à son légitime propriétaire, le peuple cubain.
C’est là un énorme travail, sans doute : mais il ne comprend rien que des personnes déterminées ne peuvent accomplir.
Comme toujours, les premiers gestes à poser sont d’informer afin de mobiliser.
Des ressources :
Le Blog du Collectif Guantánamo France : [ http://chroniquedeGuantánamo.blogspot.com/]
Des textes et actions d’Amnesty International :[ http://asiapacific.amnesty.org/pages/Guantánamobay-index-fra ]
Le site de Human Rights Watch sur Guantánamo : [http://www.hrw.org/en/category/topic/counterterrorism/Guantánamo]
WORTHINGTON, Andy, The Guantánamo Files. The Stories of the 774 Detainees in America’s Illegal Prison, Pluto Press, 2007.
Libellés :
Guantanamo,
Monde ibertaire,
Normand Baillargeon
lundi, décembre 15, 2008
LE GÉNIE DE DARWIN, AVEC R. DAWKINS
Superbe émission.
Libellés :
Charles Darwin,
Normand Baillargeon,
Richard Dawkins
dimanche, décembre 14, 2008
LA RÉFORME DE L'ÉDUCATION: ARTICLE DU DEVOIR
Résultats québécois aux tests internationaux en sciences et mathématiques - Il faut continuer à réformer la réforme, disent les enseignants
Stéphane Baillargeon
Édition du vendredi 12 décembre 2008
Mots clés : Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ), Réforme scolaire, Éducation, Québec (province)
La Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ) ne se dit pas surpris par la dégringolade des élèves québécois du secondaire aux tests internationaux en sciences et en mathématiques, et l'attribue à un autre effet pervers de la réforme des programmes scolaires. Le syndicat lie aussi la légère remontée du côté du primaire aux correctifs apportés depuis quelque temps à la même refonte générale des balises programmatiques.
«Après avoir insisté pendant plusieurs années sur les redressements nécessaires à apporter, nous ne pouvons que demander une fois de plus au gouvernement qu'il poursuive les travaux amorcés pour réformer la réforme, dit le communiqué émis hier. Par ailleurs, le ministère de l'Éducation devra mieux baliser l'intégration des élèves en difficulté dans les classes ordinaires et en établir les limites, diminuer le nombre des élèves par classe et revoir la politique d'évaluation des apprentissages.»
L'enquête internationale sur les mathématiques et les sciences (TEIMS 2007), dont les résultats viennent de paraître, permet de comparer les résultats des élèves du deuxième secondaire de
49 pays. En sciences, les jeunes adolescents québécois (une des premières de la réforme) tombent du 10e au 19e rang et obtiennent leur plus bas score provincial depuis 1995. En mathématiques, le recul fait passer le groupe de la sixième à la huitième place.
La tendance se renverse avec les petits Québécois de quatrième année, qui réussissent mieux que leur aînés du test mondial de 2003. Cette cohorte du primaire gagne quelques points en maths (de 506 à 519) et en sciences (de 500 à 517), sans atteindre les scores de 1995. Les résultats se situant entre 475 et 549 sont considérés par les enquêteurs comme intermédiaires, sur une échelle prévoyant aussi un rendement inférieur (bas) et deux niveaux supérieurs (élevé et avancé).
Les chercheurs Normand Péladeau et Steve Bissonnette, cités hier dans Le Soleil, estiment qu'effectivement les modifications apportées à la réforme québécoise au cours des dernières années pourraient expliquer le renversement de tendance. Des changements permettent par exemple maintenant aux enseignants de choisir plus librement la matière transmise.
Fait à noter, par contraste, le rendement des élèves de 4e et de 8e année de l'Ontario n'a pratiquement pas bougé depuis 1995. Les scores de ces jeunes voisins s'avèrent d'ailleurs généralement similaires à ceux du Québec en mathématiques au primaire, mais inférieurs au secondaire. En sciences, les Ontariens obtiennent de meilleurs résultats que les Québécois. Dans tous les cas, quelques pays asiatiques (Hong Kong, Singapour, Japon, Corée, Chine-Taipei) occupent les positions de tête.
L'Alberta et la Colombie-Britannique ont également participé à l'étude. Le projet Tendances de l'enquête internationale sur les mathématiques et les sciences découle d'une enquête mondiale coordonnée par l'Association internationale l'évaluation des acquis scolaires (IEA).
Le ministère de l'Éducation n'a émis aucun commentaire.
Stéphane Baillargeon
Édition du vendredi 12 décembre 2008
Mots clés : Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ), Réforme scolaire, Éducation, Québec (province)
La Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ) ne se dit pas surpris par la dégringolade des élèves québécois du secondaire aux tests internationaux en sciences et en mathématiques, et l'attribue à un autre effet pervers de la réforme des programmes scolaires. Le syndicat lie aussi la légère remontée du côté du primaire aux correctifs apportés depuis quelque temps à la même refonte générale des balises programmatiques.
«Après avoir insisté pendant plusieurs années sur les redressements nécessaires à apporter, nous ne pouvons que demander une fois de plus au gouvernement qu'il poursuive les travaux amorcés pour réformer la réforme, dit le communiqué émis hier. Par ailleurs, le ministère de l'Éducation devra mieux baliser l'intégration des élèves en difficulté dans les classes ordinaires et en établir les limites, diminuer le nombre des élèves par classe et revoir la politique d'évaluation des apprentissages.»
L'enquête internationale sur les mathématiques et les sciences (TEIMS 2007), dont les résultats viennent de paraître, permet de comparer les résultats des élèves du deuxième secondaire de
49 pays. En sciences, les jeunes adolescents québécois (une des premières de la réforme) tombent du 10e au 19e rang et obtiennent leur plus bas score provincial depuis 1995. En mathématiques, le recul fait passer le groupe de la sixième à la huitième place.
La tendance se renverse avec les petits Québécois de quatrième année, qui réussissent mieux que leur aînés du test mondial de 2003. Cette cohorte du primaire gagne quelques points en maths (de 506 à 519) et en sciences (de 500 à 517), sans atteindre les scores de 1995. Les résultats se situant entre 475 et 549 sont considérés par les enquêteurs comme intermédiaires, sur une échelle prévoyant aussi un rendement inférieur (bas) et deux niveaux supérieurs (élevé et avancé).
Les chercheurs Normand Péladeau et Steve Bissonnette, cités hier dans Le Soleil, estiment qu'effectivement les modifications apportées à la réforme québécoise au cours des dernières années pourraient expliquer le renversement de tendance. Des changements permettent par exemple maintenant aux enseignants de choisir plus librement la matière transmise.
Fait à noter, par contraste, le rendement des élèves de 4e et de 8e année de l'Ontario n'a pratiquement pas bougé depuis 1995. Les scores de ces jeunes voisins s'avèrent d'ailleurs généralement similaires à ceux du Québec en mathématiques au primaire, mais inférieurs au secondaire. En sciences, les Ontariens obtiennent de meilleurs résultats que les Québécois. Dans tous les cas, quelques pays asiatiques (Hong Kong, Singapour, Japon, Corée, Chine-Taipei) occupent les positions de tête.
L'Alberta et la Colombie-Britannique ont également participé à l'étude. Le projet Tendances de l'enquête internationale sur les mathématiques et les sciences découle d'une enquête mondiale coordonnée par l'Association internationale l'évaluation des acquis scolaires (IEA).
Le ministère de l'Éducation n'a émis aucun commentaire.
Libellés :
le Devoir,
réforme de l'éducation (québec),
Stéphane Baillargeon
PETIT QUESTIONNAIRE SUR LA BIBLE POUR CÉLÉBRER DIGNEMENT NOËL
Nowel, le Petit Jésus, le joyeux temps de fêtes, les cadeaux et tout ça et tout ça.
Mais connaissez-vous bien La Bible sur quoi se fonde le christianisme?
Ce petit questionnaire vous aidera à le savoir.
1. Nowell est un moment propice au rappel des commandements que Dieu nous a données et auxquels nos actions doivent se conformer. Dans Exode 34, on s’en souviendra, Dieu fait venir Moïse et lui ordonne de tailler deux tables de pierre pour qu’il puisse y graver ses dix commandements: «L'Éternel dit à Moïse: Écris ces paroles; car c'est conformément à ces paroles que je traite alliance avec toi et avec Israël.», Exode 34 : 27.
Justement : quel est le dixième de ces commandements?
A. Tu ne tueras point
B. Tu ne convoiteras point la voiture de ton voisin
C. Tu ne déroberas point.
D. Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère
E. Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain
Réponse : D
Non? Si. Répétons donc et apprenons par cœur la parole de Dieu : «Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère.»
Ce qui est terriblement utile à savoir de nos jours, on en conviendra, et qui constitue un conseil dont la grande sagesse morale n’échappera à personne, sinon aux mécréants avec lesquels, de toute façon, il ne faut pas perdre son temps.
«Mais les autres réponses, alors?», dites-vous, curieux galopins.
J’avoue d’abord une innocente facétie: la réponse B n’apparaît nulle part dans la Bible, et je l’ai inventé de toutes pièces. Si, si : juré craché. Amusant, non?
Les réponses A, C et E, par contre, apparaissent bien dans la Bible: elle sont dans Exode 20.13, qui donne une autre (comment est-ce possible? Dieu se trompe-t-il dans un cas ou un autre? Fichtre! À l’aide, à moi, au secours, théologiens!) liste de dix commandements, une liste que les protestants et les catholiques citent de préférence à Exode 34, on se demande pourquoi.
D’autant, on va le voir, qu’Exode 34 est la liste qui devrait être considérée comme «officielle». J’y viens. En attendant, notez que, dans le commandement E, la femme, le serviteur et la servante de notre prochain, au même titre que son bœuf ou son âne, font partie des choses qui lui appartiennent. Cela aussi, c’est très bon à savoir, même si certaines femmes sont du mal à l’admettre.
À présent les commandements.
Moïse va d’abord (Exode 20 : 2-17) sur le Mont Sinaï et en redescend pour réciter de mémoire une liste de dix commandements, parmi lesquels la réponse E. Puis, plus tard, il reçoit de Dieu des tablettes comprenant les commandements («Lorsque l'Éternel eut achevé de parler à Moïse sur la montagne de Sinaï, il lui donna les deux tables du témoignage, tables de pierre, écrites du doigt de Dieu», Exode 31 :18) .
Mais, coup de théâtre et manque de bol pour ce texte écrit du doigt même de dieu, en redescendant du Mont, Moïse aperçoit ses ouailles en pleine bamboula, se fâche et brise les tablettes écrites du doigt de Dieu. C’est écrit : «Et, comme il approchait du camp, il vit le veau et les danses. La colère de Moïse s'enflamma; il jeta de ses mains les tables, et les brisa au pied de la montagne». Exode 32 : 19).
Quel sale caractère, ce Moïse, tout de même!
Bref : on n’a toujours pas les authentiques et définitifs commandements de Dieu écrits de son doigt et tout est donc à recommencer pour Dieu, qui n’a pas que ça à faire.
Moïse repart donc sur le mont Sinaï. Là, Dieu lui dit: « Taille deux tables de pierre comme les premières, et j'y écrirai les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées.», Exode 34-1). La bonne liste! Enfin! Du doigt même de Dieu! Alléluia! Pourvu que Moïse se pique pas encore une fois uen de ses colères. Mais non. Ouf! Et paf : on trouve sur cette liste définitive le dixième commandement. Rappelez-vous en bien, c’est très précieux : «Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère.»
Quand on songe qu’il y a de nos jours des impies qui ne font pas cuire de chevreaux dans le lait de leur mère parce qu’ils ne font pas cuire de chevreaux du tout, cela sous le fallacieux prétexte qu’ils refusent de faire souffrir des animaux et sont donc végétariens. Mécréants. Immoraux. Abjects personnages.
Qu’on se décide enfin à respecter les dix commandements et on va voir ce qu’on va voir.
2. Les jeunes font souvent des excès durant le temps des fêtes. Supposons donc un fils indocile et rebelle, qui n’écoute ni père ni mère, chenapan qui ne s’amende pas même après avoir été châtié. Que faire? La sagesse de la Bible est ici précieuse, car elle nous le dit très exactement.
Que recommande-t-elle, selon vous?
A. De lui faire consulter un psychothérapeute d’obédience rogérienne
B. De le faire lapider jusqu’à ce que mort s’ensuive
C. De faire lancer sur lui des cailloux par la foule jusqu’à ce qu’il meure
D. De demander à un groupe de gens assemblés à cette fin de projeter sur ce jeune homme des pierres certes lourdes mais qu’on peut néanmoins tenir dans la main et cela jusqu’à ce qu’on puisse constater qu’il est bel et bien décédé, bien fait pour lui, l’avait qu’à faire un peu attention et c’est tout
E. Qu’on le trucide en projetant sur lui de cette matière minérale solide, dure, qui se rencontre à l’intérieur ou à la surface de l’écorce terrestre en masses compactes.
Réponse : Il faut le lapider.
Mais partant de là, les plus éminents spécialistes de l’herméneutique biblique ont sur le sujet des avis quelque peu divergents, qui feront que certains d’entre eux inclinent à accepter B comme seule bonne réponse, tandis que d’autres accepteraient volontiers C ou encore D, voire même, pour certains exégètes particulièrement pointilleux, E et seulement E. Mais il s’agit là de savants débats qu’il vaut mieux, pour le croyant, laisser aux seuls spécialistes. Le texte dont ils discutent, quoiqu’il en soit, est le suivant:
«Si un homme a un fils indocile et rebelle, n'écoutant ni la voix de son père, ni la voix de sa mère, et ne leur obéissant pas même après qu'ils l'ont châtié, le père et la mère le prendront, et le mèneront vers les anciens de sa ville et à la porte du lieu qu'il habite. Ils diront aux anciens de sa ville: Voici notre fils qui est indocile et rebelle, qui n'écoute pas notre voix, et qui se livre à des excès et à l'ivrognerie. Et tous les hommes de sa ville le lapideront, et il mourra.» (Deutéronome 21 : 18-21)
Même le profane mesurera l’extraordinaire complexité que pose l’interprétation de ce passage.
Quant à la réponse A, il s’agit, cette fois encore, d’une innocente facétie de votre serviteur.
3. Le temps des fêtes est aussi, hélas, celui où bien des gens s’endettent plus que de raison. Heureusement, La Bible nous indique une manière commode et facile de renflouer nos coffres. Saurez vous la reconnaître :
A. En vendant sa fille comme esclave
B. En militant pour obtenir un meilleur salaire
C. En faisant du temp^s supplémentaire
D. En priant
E. En mendiant
La bonne réponse est A, avec une précision cependant : «Si un homme vend sa fille pour être esclave, elle ne sortira point comme sortent les esclaves.» ( Exode 21 : 7)
Dire qu’il y a des gens quoi vendent leur fille comme esclave et qui la laissent néanmoins sortir comme les esclaves!
On déplorera seulement que La Bible néglige de préciser le prix juste et raisonnable que l’on peut demander pour sa fille que l’on vend en esclavage. Mais des théologiens travaillent sur la question, du moins je suppose.
4. En cette période de bombance , d’agapes et de festins, le croyant sera soucieux de se nourrir conformément à la parole de dieu. Quel aliment parmi les suivants est-il autorisé à consommer :
A. Du porc
B. Des coquillages
C. Du lièvre
D. Des sauterelles
E. Aucune de ces réponses
Réponse : D
Du moins si l’on juge raisonnable de suivre l’exemple de Jean, tel que nous le rapporte Matthieu (3 : 4) : «Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.»
Le porc est défendu : «Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas: vous le regarderez comme impur.» (Lévitique 11 : 7)
Les coquillages aussi : «Mais vous aurez en abomination tous ceux qui n'ont pas des nageoires et des écailles, parmi tout ce qui se meut dans les eaux et tout ce qui est vivant dans les eaux, soit dans les mers, soit dans les rivières. Vous les aurez en abomination, vous ne mangerez pas de leur chair, et vous aurez en abomination leurs corps morts.» (Lévitique 11 : 10-11)
Quant au lièvre, n’en parlons pas : «Vous ne mangerez pas le lièvre, qui rumine, mais qui n'a pas la corne fendue: vous le regarderez comme impur.» (Lévitique 11 : 6)
Sauterelles grillées au réveillon : Youppi! Un délice. Et la satisfaction de suivre la parole de Dieu. Mais on les trouve où, au Québec, en décembre?
5. Les excès de sauterelles rendent malades certaines personnes. Heureusement, cette fois encore, La Bible est là pour nous indiquer quoi faire en cas de maladie. Si vous avez une indigestion de sauterelles ou quelque maladie que ce soit, vous devez :
A. Consulter un médecin compétent
B. Aller à l’hôpital le plus proche
C. Vous faire examiner
D. Vous faire enduire d’huile par les anciens qui prieront pour vous
E. Prendre les médicaments appropriés
La bonne réponse est D, évidemment, comme nous l’enseigne Jacques 5 : 14;15 : « Quelqu'un parmi vous est-il malade ? Qu'il appelle les anciens de l'Eglise, et que les anciens prient pour lui, en l'oignant d'huile au nom du Seigneur; la prière de la foi sauvera le malade , et le Seigneur le relèvera ; et s'il a commis des péchés, il lui sera pardonné .» Je me demande si de l’huile synthétique est acceptable.
6. Le temps de fêtes est un période durant laquelle ont lieu de nombreuses réceptions. Est-il acceptable pour un croyant de recevoir chez lui un non croyant?
A. Oui
B. Non
La réponse est évidemment non, selon 2 Jean 10-11 : «Si quelqu'un vient à vous et n'apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne lui dites pas: Salut! car celui qui lui dit: Salut! participe à ses mauvaises oeuvres.»
[ Ce questionnaire reprend des questions et des réponses proposées par la Freedom from religion Foundation, que j’ai adaptées]
Mais connaissez-vous bien La Bible sur quoi se fonde le christianisme?
Ce petit questionnaire vous aidera à le savoir.
1. Nowell est un moment propice au rappel des commandements que Dieu nous a données et auxquels nos actions doivent se conformer. Dans Exode 34, on s’en souviendra, Dieu fait venir Moïse et lui ordonne de tailler deux tables de pierre pour qu’il puisse y graver ses dix commandements: «L'Éternel dit à Moïse: Écris ces paroles; car c'est conformément à ces paroles que je traite alliance avec toi et avec Israël.», Exode 34 : 27.
Justement : quel est le dixième de ces commandements?
A. Tu ne tueras point
B. Tu ne convoiteras point la voiture de ton voisin
C. Tu ne déroberas point.
D. Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère
E. Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain
Réponse : D
Non? Si. Répétons donc et apprenons par cœur la parole de Dieu : «Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère.»
Ce qui est terriblement utile à savoir de nos jours, on en conviendra, et qui constitue un conseil dont la grande sagesse morale n’échappera à personne, sinon aux mécréants avec lesquels, de toute façon, il ne faut pas perdre son temps.
«Mais les autres réponses, alors?», dites-vous, curieux galopins.
J’avoue d’abord une innocente facétie: la réponse B n’apparaît nulle part dans la Bible, et je l’ai inventé de toutes pièces. Si, si : juré craché. Amusant, non?
Les réponses A, C et E, par contre, apparaissent bien dans la Bible: elle sont dans Exode 20.13, qui donne une autre (comment est-ce possible? Dieu se trompe-t-il dans un cas ou un autre? Fichtre! À l’aide, à moi, au secours, théologiens!) liste de dix commandements, une liste que les protestants et les catholiques citent de préférence à Exode 34, on se demande pourquoi.
D’autant, on va le voir, qu’Exode 34 est la liste qui devrait être considérée comme «officielle». J’y viens. En attendant, notez que, dans le commandement E, la femme, le serviteur et la servante de notre prochain, au même titre que son bœuf ou son âne, font partie des choses qui lui appartiennent. Cela aussi, c’est très bon à savoir, même si certaines femmes sont du mal à l’admettre.
À présent les commandements.
Moïse va d’abord (Exode 20 : 2-17) sur le Mont Sinaï et en redescend pour réciter de mémoire une liste de dix commandements, parmi lesquels la réponse E. Puis, plus tard, il reçoit de Dieu des tablettes comprenant les commandements («Lorsque l'Éternel eut achevé de parler à Moïse sur la montagne de Sinaï, il lui donna les deux tables du témoignage, tables de pierre, écrites du doigt de Dieu», Exode 31 :18) .
Mais, coup de théâtre et manque de bol pour ce texte écrit du doigt même de dieu, en redescendant du Mont, Moïse aperçoit ses ouailles en pleine bamboula, se fâche et brise les tablettes écrites du doigt de Dieu. C’est écrit : «Et, comme il approchait du camp, il vit le veau et les danses. La colère de Moïse s'enflamma; il jeta de ses mains les tables, et les brisa au pied de la montagne». Exode 32 : 19).
Quel sale caractère, ce Moïse, tout de même!
Bref : on n’a toujours pas les authentiques et définitifs commandements de Dieu écrits de son doigt et tout est donc à recommencer pour Dieu, qui n’a pas que ça à faire.
Moïse repart donc sur le mont Sinaï. Là, Dieu lui dit: « Taille deux tables de pierre comme les premières, et j'y écrirai les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées.», Exode 34-1). La bonne liste! Enfin! Du doigt même de Dieu! Alléluia! Pourvu que Moïse se pique pas encore une fois uen de ses colères. Mais non. Ouf! Et paf : on trouve sur cette liste définitive le dixième commandement. Rappelez-vous en bien, c’est très précieux : «Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère.»
Quand on songe qu’il y a de nos jours des impies qui ne font pas cuire de chevreaux dans le lait de leur mère parce qu’ils ne font pas cuire de chevreaux du tout, cela sous le fallacieux prétexte qu’ils refusent de faire souffrir des animaux et sont donc végétariens. Mécréants. Immoraux. Abjects personnages.
Qu’on se décide enfin à respecter les dix commandements et on va voir ce qu’on va voir.
2. Les jeunes font souvent des excès durant le temps des fêtes. Supposons donc un fils indocile et rebelle, qui n’écoute ni père ni mère, chenapan qui ne s’amende pas même après avoir été châtié. Que faire? La sagesse de la Bible est ici précieuse, car elle nous le dit très exactement.
Que recommande-t-elle, selon vous?
A. De lui faire consulter un psychothérapeute d’obédience rogérienne
B. De le faire lapider jusqu’à ce que mort s’ensuive
C. De faire lancer sur lui des cailloux par la foule jusqu’à ce qu’il meure
D. De demander à un groupe de gens assemblés à cette fin de projeter sur ce jeune homme des pierres certes lourdes mais qu’on peut néanmoins tenir dans la main et cela jusqu’à ce qu’on puisse constater qu’il est bel et bien décédé, bien fait pour lui, l’avait qu’à faire un peu attention et c’est tout
E. Qu’on le trucide en projetant sur lui de cette matière minérale solide, dure, qui se rencontre à l’intérieur ou à la surface de l’écorce terrestre en masses compactes.
Réponse : Il faut le lapider.
Mais partant de là, les plus éminents spécialistes de l’herméneutique biblique ont sur le sujet des avis quelque peu divergents, qui feront que certains d’entre eux inclinent à accepter B comme seule bonne réponse, tandis que d’autres accepteraient volontiers C ou encore D, voire même, pour certains exégètes particulièrement pointilleux, E et seulement E. Mais il s’agit là de savants débats qu’il vaut mieux, pour le croyant, laisser aux seuls spécialistes. Le texte dont ils discutent, quoiqu’il en soit, est le suivant:
«Si un homme a un fils indocile et rebelle, n'écoutant ni la voix de son père, ni la voix de sa mère, et ne leur obéissant pas même après qu'ils l'ont châtié, le père et la mère le prendront, et le mèneront vers les anciens de sa ville et à la porte du lieu qu'il habite. Ils diront aux anciens de sa ville: Voici notre fils qui est indocile et rebelle, qui n'écoute pas notre voix, et qui se livre à des excès et à l'ivrognerie. Et tous les hommes de sa ville le lapideront, et il mourra.» (Deutéronome 21 : 18-21)
Même le profane mesurera l’extraordinaire complexité que pose l’interprétation de ce passage.
Quant à la réponse A, il s’agit, cette fois encore, d’une innocente facétie de votre serviteur.
3. Le temps des fêtes est aussi, hélas, celui où bien des gens s’endettent plus que de raison. Heureusement, La Bible nous indique une manière commode et facile de renflouer nos coffres. Saurez vous la reconnaître :
A. En vendant sa fille comme esclave
B. En militant pour obtenir un meilleur salaire
C. En faisant du temp^s supplémentaire
D. En priant
E. En mendiant
La bonne réponse est A, avec une précision cependant : «Si un homme vend sa fille pour être esclave, elle ne sortira point comme sortent les esclaves.» ( Exode 21 : 7)
Dire qu’il y a des gens quoi vendent leur fille comme esclave et qui la laissent néanmoins sortir comme les esclaves!
On déplorera seulement que La Bible néglige de préciser le prix juste et raisonnable que l’on peut demander pour sa fille que l’on vend en esclavage. Mais des théologiens travaillent sur la question, du moins je suppose.
4. En cette période de bombance , d’agapes et de festins, le croyant sera soucieux de se nourrir conformément à la parole de dieu. Quel aliment parmi les suivants est-il autorisé à consommer :
A. Du porc
B. Des coquillages
C. Du lièvre
D. Des sauterelles
E. Aucune de ces réponses
Réponse : D
Du moins si l’on juge raisonnable de suivre l’exemple de Jean, tel que nous le rapporte Matthieu (3 : 4) : «Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.»
Le porc est défendu : «Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas: vous le regarderez comme impur.» (Lévitique 11 : 7)
Les coquillages aussi : «Mais vous aurez en abomination tous ceux qui n'ont pas des nageoires et des écailles, parmi tout ce qui se meut dans les eaux et tout ce qui est vivant dans les eaux, soit dans les mers, soit dans les rivières. Vous les aurez en abomination, vous ne mangerez pas de leur chair, et vous aurez en abomination leurs corps morts.» (Lévitique 11 : 10-11)
Quant au lièvre, n’en parlons pas : «Vous ne mangerez pas le lièvre, qui rumine, mais qui n'a pas la corne fendue: vous le regarderez comme impur.» (Lévitique 11 : 6)
Sauterelles grillées au réveillon : Youppi! Un délice. Et la satisfaction de suivre la parole de Dieu. Mais on les trouve où, au Québec, en décembre?
5. Les excès de sauterelles rendent malades certaines personnes. Heureusement, cette fois encore, La Bible est là pour nous indiquer quoi faire en cas de maladie. Si vous avez une indigestion de sauterelles ou quelque maladie que ce soit, vous devez :
A. Consulter un médecin compétent
B. Aller à l’hôpital le plus proche
C. Vous faire examiner
D. Vous faire enduire d’huile par les anciens qui prieront pour vous
E. Prendre les médicaments appropriés
La bonne réponse est D, évidemment, comme nous l’enseigne Jacques 5 : 14;15 : « Quelqu'un parmi vous est-il malade ? Qu'il appelle les anciens de l'Eglise, et que les anciens prient pour lui, en l'oignant d'huile au nom du Seigneur; la prière de la foi sauvera le malade , et le Seigneur le relèvera ; et s'il a commis des péchés, il lui sera pardonné .» Je me demande si de l’huile synthétique est acceptable.
6. Le temps de fêtes est un période durant laquelle ont lieu de nombreuses réceptions. Est-il acceptable pour un croyant de recevoir chez lui un non croyant?
A. Oui
B. Non
La réponse est évidemment non, selon 2 Jean 10-11 : «Si quelqu'un vient à vous et n'apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne lui dites pas: Salut! car celui qui lui dit: Salut! participe à ses mauvaises oeuvres.»
[ Ce questionnaire reprend des questions et des réponses proposées par la Freedom from religion Foundation, que j’ai adaptées]
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jeudi, décembre 11, 2008
ENTRETIEN AVEC PACO SUR CHOMSKY ET CIE ET SUR L'ANARCHISME
Il se trouve ici.
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lundi, décembre 08, 2008
KHADR À GUANTANAMO
[Chronique Amère Amérique pour Siné Hebdo]
Quel est le dernier pays occidental à abandonner un de ses citoyens au système illégal de Guantanamo où sont allégrement violées les conventions de Genève?
Si vous avez répondu le Canada, vous gagnez un costume d’enfant Afghan. C’est que le prisonnier en question est un canadien né de parents afghans, arrivé à Guantanamo à … 15 ans!
Il s’appelle Omar Khadr. Son père, réputé proche de Ben Laden, l’aurait élevé pour être un martyr du Jihad. En 2002, il est en Afghanistan dans un bâtiment que bombarde l’armée américaine. Quand tout est fini, un soldat y pénètre et est accueilli par une grenade. On découvre l’enfant vivant.
Il est sérieusement blessé et supplie, sans succès, qu’on l’achève. On le soigne plutôt et on l’interroge. Voilà la version officielle.
Mais on y a récemment ouvert de sérieuses brèches. Pour commencer, Khadr a toujours soutenuavoir été torturé en Afghanistan. Or cet automne, Damien Corcetti, le soldat qui l’a « interrogé », a confirmé les propos de l’enfant.
Il faut dire que la notion de torture est bien élastique chez les Ricains. On vient même, Guantanamo oblige, de la re-peaufiner pour permettre de retenir en preuve des aveux obtenus par des interrogatoires dits musclés. La douleur que cause la torture, mais pas l’interrogatoire, entraîne soit une mort appréhendée, soit la défaillance d’un organe. Sic.
Deuxio, les autorités ont toujours soutenu que Khadr était le dernier survivant dans l’édifice bombardé et que c’est donc nécessairement lui qui a lancé la grenade qui a tué le soldait qui y pénétrait. Or un rapport militaire exhumé par la télé canadienne indique qu’un autre homme vivait encore et que c’est lui qui aurait lancé la grenade
Reste que l’enfer de Khadr ne faisait que commencer. On aurait dû le traiter comme un enfant soldat. Il est plutôt transféré à la prison de Guantanamo, à Cuba. Il y est depuis 2002. Il a aujourd’hui 22 ans. Il a été torturé, privé de sommeil, psychologiquement et physiquement supplicié, privé d’assistance juridique, comme en fait foi une terrifiante vidéo rendue publique cet été. Khadr avait 16 ans lors de son tournage.
La cause est pourtant entendue : le droit international aurait voulu qu’il soit traité en mineur et donc ou rapatrié dans son pays pour y être jugé ou libéré. Le Canada, par lâcheté devant son puissant voisin du Sud, par aveuglement volontaire devant ses assurances répétées que Khadr est traité humainement n’a, depuis six ans, rien fait pour faire respecter le droit international.
Amnistie International mène en ce moment une importante campagne pour faire rapatrier Khadr. Le temps presse. Vous pouvez aider.
En attendant, si Obama ferme Guantanamo en janvier, comme il dit vouloir le faire, le Canada aura l’air malin avec ce jeune homme qui, sortant de là mais n’ayant nulle part où aller, demandera l’asile politique à Cuba.
Quel est le dernier pays occidental à abandonner un de ses citoyens au système illégal de Guantanamo où sont allégrement violées les conventions de Genève?
Si vous avez répondu le Canada, vous gagnez un costume d’enfant Afghan. C’est que le prisonnier en question est un canadien né de parents afghans, arrivé à Guantanamo à … 15 ans!
Il s’appelle Omar Khadr. Son père, réputé proche de Ben Laden, l’aurait élevé pour être un martyr du Jihad. En 2002, il est en Afghanistan dans un bâtiment que bombarde l’armée américaine. Quand tout est fini, un soldat y pénètre et est accueilli par une grenade. On découvre l’enfant vivant.
Il est sérieusement blessé et supplie, sans succès, qu’on l’achève. On le soigne plutôt et on l’interroge. Voilà la version officielle.
Mais on y a récemment ouvert de sérieuses brèches. Pour commencer, Khadr a toujours soutenuavoir été torturé en Afghanistan. Or cet automne, Damien Corcetti, le soldat qui l’a « interrogé », a confirmé les propos de l’enfant.
Il faut dire que la notion de torture est bien élastique chez les Ricains. On vient même, Guantanamo oblige, de la re-peaufiner pour permettre de retenir en preuve des aveux obtenus par des interrogatoires dits musclés. La douleur que cause la torture, mais pas l’interrogatoire, entraîne soit une mort appréhendée, soit la défaillance d’un organe. Sic.
Deuxio, les autorités ont toujours soutenu que Khadr était le dernier survivant dans l’édifice bombardé et que c’est donc nécessairement lui qui a lancé la grenade qui a tué le soldait qui y pénétrait. Or un rapport militaire exhumé par la télé canadienne indique qu’un autre homme vivait encore et que c’est lui qui aurait lancé la grenade
Reste que l’enfer de Khadr ne faisait que commencer. On aurait dû le traiter comme un enfant soldat. Il est plutôt transféré à la prison de Guantanamo, à Cuba. Il y est depuis 2002. Il a aujourd’hui 22 ans. Il a été torturé, privé de sommeil, psychologiquement et physiquement supplicié, privé d’assistance juridique, comme en fait foi une terrifiante vidéo rendue publique cet été. Khadr avait 16 ans lors de son tournage.
La cause est pourtant entendue : le droit international aurait voulu qu’il soit traité en mineur et donc ou rapatrié dans son pays pour y être jugé ou libéré. Le Canada, par lâcheté devant son puissant voisin du Sud, par aveuglement volontaire devant ses assurances répétées que Khadr est traité humainement n’a, depuis six ans, rien fait pour faire respecter le droit international.
Amnistie International mène en ce moment une importante campagne pour faire rapatrier Khadr. Le temps presse. Vous pouvez aider.
En attendant, si Obama ferme Guantanamo en janvier, comme il dit vouloir le faire, le Canada aura l’air malin avec ce jeune homme qui, sortant de là mais n’ayant nulle part où aller, demandera l’asile politique à Cuba.
Libellés :
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Normand Baillargeon,
Omar Khadr,
siné hebdo
samedi, décembre 06, 2008
CHOMSKY SUR LES RÉCENTES ÉLECTIONS AMÉRICAINES
Une contribution à la discussion, parfois enflammée, qui se poursuit ici.
Libellés :
Élections,
Noam Chomsky,
Obama
vendredi, décembre 05, 2008
LE PRINCIPE DES TIROIRS
[Texte en cours pour une chronique de jeux mathématiques à paraître]
Imaginez que vous vouliez ranger des objets dans des tiroirs, en plaçant un seul objet par tiroir. Vous avez 9 objets et neuf tiroirs : tout va bien. Mais si vous avez 10 objets à placer et toujours neuf tiroirs, vous n’y arriverez pas puisqu’un tiroir contiendra deux objets.
Le mathématicien allemand Peter-Gustav Lejeune-Dirichlet (1805-1859) a fait cette observation en 1834 et aussitôt remarqué tout ce qu’on pouvait tirer ce qu’on appelle désormais le principe de Dirichlet — en anglais le pigeon hole principle.
Pour vous convaincre de la puissance de ce principe, considérez la question suivante : y a-t-il à Montréal deux personnes qui ont exactement le même nombre de cheveux?
La question peut à première vue sembler impossible à résoudre sans de longs et fastidieux comptages. Mais grâce aux tiroirs de Dirichlet, on peut prouver que la réponse est nécessairement oui.
Commençons par estimer le nombre maximal de cheveux qu’une personne peut avoir. Pour nous aider — on pourrait compter, mais ce serait long! — rappelons qu’on a, selon la région du cuir chevelu, entre 200 et 300 cheveux par cm². Partant de là et de la surface de cuir chevelu que nous avons en moyenne, on pourra estimer entre 120 000 à 150 000 le nombre de cheveux qui composent une chevelure. Mais soyons excessifs et prudents et doublons ce dernier nombre : disons donc qu’une personne peut avoir entre 1 et 300 000 cheveux — nous mettons de côté les chauves.
Disons qu’on estime, et c’est un nombre ridiculement minimal, qu’il y a un million de personnes à Montréal. Avec ces seules données, grâce au principe des tiroirs, on peut être certain que deux personnes habitant Montréal ont exactement le même nombre de cheveux.
Voici pourquoi.
Ces personnes sont les objets à placer dans les tiroirs; les tiroirs sont les diverses possibilités de nombres de cheveux. Il y a donc 300 000 tiroirs (de 1 à 300 000 cheveux possibles) et un million d’objets (les personnes qui habitent Montréal). La conclusion s’impose d’elle-même.
Voici comment.
Considérons une première personne. Elle a, disons, 3 cheveux et on la range donc dans le tiroir correspondant. Une deuxième personne a 124 566 cheveux : elle va donc dans ce tiroir, différent du précédent. On place de la sorte les 300 000 premières personnes — qui, manque de chance, ont toutes un nombre différent de cheveux — dans les 300 000 tiroirs qui, dès lors, sont tous occupés. MAIS il reste des personnes à placer (il en reste même 700 000!) : de sorte que, nécessairement, la personne suivante va être rangée dans un tiroir déjà occupé. Elle aura donc le même nombre de cheveux qu’une autre personne. Il y a donc, nécessairement, deux — et même bien plus que deux — personnes qui ont le même nombre de cheveux à Montréal.
Si on y pense, c’est un résultat vraiment spectaculaire, obtenu par le seul raisonnement. Il donne une idée de la puissance du principe des tiroirs. On peut ainsi être d’avance certain que, dans des conditions que vous formulerez aisément, nous arriverons au travail à la même minute plus d’une fois durant notre vie; que plusieurs sapins dans les Laurentides ont exactement le même nombre d’épines; que, toujours sous certaines conditions usuelles (relatives au nombre de candidats et au total des points qu’on peut obtenir), plusieurs élèves auront les même résultat à un examen donné.
Quand on connaît le principe des tiroirs, on le voit à l’œuvre partout!
[à suivre...]
Imaginez que vous vouliez ranger des objets dans des tiroirs, en plaçant un seul objet par tiroir. Vous avez 9 objets et neuf tiroirs : tout va bien. Mais si vous avez 10 objets à placer et toujours neuf tiroirs, vous n’y arriverez pas puisqu’un tiroir contiendra deux objets.
Le mathématicien allemand Peter-Gustav Lejeune-Dirichlet (1805-1859) a fait cette observation en 1834 et aussitôt remarqué tout ce qu’on pouvait tirer ce qu’on appelle désormais le principe de Dirichlet — en anglais le pigeon hole principle.
Pour vous convaincre de la puissance de ce principe, considérez la question suivante : y a-t-il à Montréal deux personnes qui ont exactement le même nombre de cheveux?
La question peut à première vue sembler impossible à résoudre sans de longs et fastidieux comptages. Mais grâce aux tiroirs de Dirichlet, on peut prouver que la réponse est nécessairement oui.
Commençons par estimer le nombre maximal de cheveux qu’une personne peut avoir. Pour nous aider — on pourrait compter, mais ce serait long! — rappelons qu’on a, selon la région du cuir chevelu, entre 200 et 300 cheveux par cm². Partant de là et de la surface de cuir chevelu que nous avons en moyenne, on pourra estimer entre 120 000 à 150 000 le nombre de cheveux qui composent une chevelure. Mais soyons excessifs et prudents et doublons ce dernier nombre : disons donc qu’une personne peut avoir entre 1 et 300 000 cheveux — nous mettons de côté les chauves.
Disons qu’on estime, et c’est un nombre ridiculement minimal, qu’il y a un million de personnes à Montréal. Avec ces seules données, grâce au principe des tiroirs, on peut être certain que deux personnes habitant Montréal ont exactement le même nombre de cheveux.
Voici pourquoi.
Ces personnes sont les objets à placer dans les tiroirs; les tiroirs sont les diverses possibilités de nombres de cheveux. Il y a donc 300 000 tiroirs (de 1 à 300 000 cheveux possibles) et un million d’objets (les personnes qui habitent Montréal). La conclusion s’impose d’elle-même.
Voici comment.
Considérons une première personne. Elle a, disons, 3 cheveux et on la range donc dans le tiroir correspondant. Une deuxième personne a 124 566 cheveux : elle va donc dans ce tiroir, différent du précédent. On place de la sorte les 300 000 premières personnes — qui, manque de chance, ont toutes un nombre différent de cheveux — dans les 300 000 tiroirs qui, dès lors, sont tous occupés. MAIS il reste des personnes à placer (il en reste même 700 000!) : de sorte que, nécessairement, la personne suivante va être rangée dans un tiroir déjà occupé. Elle aura donc le même nombre de cheveux qu’une autre personne. Il y a donc, nécessairement, deux — et même bien plus que deux — personnes qui ont le même nombre de cheveux à Montréal.
Si on y pense, c’est un résultat vraiment spectaculaire, obtenu par le seul raisonnement. Il donne une idée de la puissance du principe des tiroirs. On peut ainsi être d’avance certain que, dans des conditions que vous formulerez aisément, nous arriverons au travail à la même minute plus d’une fois durant notre vie; que plusieurs sapins dans les Laurentides ont exactement le même nombre d’épines; que, toujours sous certaines conditions usuelles (relatives au nombre de candidats et au total des points qu’on peut obtenir), plusieurs élèves auront les même résultat à un examen donné.
Quand on connaît le principe des tiroirs, on le voit à l’œuvre partout!
[à suivre...]
mardi, décembre 02, 2008
FRANCE-QUÉBEC : LA «TOTAL»
[C'est paru dans Siné-Hebdo]
Cousins français, jusqu’à Montréal, dans nos médias, on nous inflige presque quotidiennement Sarkozy et Carla : permettez, retour des choses, que je vous parle de Paul Desmarais et de Power Corporation, histoire que vous compreniez un peu ce qu’on endure.
D’autant que ceux-là sont copains comme cochons, au point où Nicolas dit devoir en partie sa présidence à Paul. C’est-y pas beau, ça, comme amitié France-Québec?
Flash-back.
Au bord du découragement pour cause de carrière politique stagnante, Sarko se voit un jour offrir de voyager sur l’avion privé de Paul. Il fait alors la connaissance du créateur de Power, l’homme le plus riche du Québec.
Paul l’incite à ne pas lâcher, le conseille, l’invite à son domaine de Sagard, qu’il aime à décrire à son copain Albert Frère comme «à peine plus petit que la Belgique».
On y trouve de la grande bouffe, des spectacles privés d’artistes comme ceux du Cirque du Soleil ou Robert Charlebois, on y pratique (salauds!) la chasse à l’ours et à l’orignal: Sarko s’y refait un moral d’enfer et repart guilleret vers la présidence.
Celle-ci acquise, il n’oubliera pas son nouvel ami : Paul est présent à la réception au Fouquet’s en mai 2007 et reçoit en 2008 de Nicolas la Grand-Croix de la Légion d’honneur, un de ces affreux bout de tissu affublé d’une médaille dont ces gens-là raffolent.
Ce n’est qu’un début et Sarko aura bien d’autres occasions de prouver sa reconnaissance. Power est en effet, et entre autres, actionnaire de la pétrolière française Total, de la cimenterie Lafarge et du Groupe Suez.
Ces jours-ci, Power et Total font du tourisme pétrolifère au Soudan. En soudanais, tourisme et pétrole se disent d’un même mot : morts — prononcer : morts.
On a une idée de ce dont sont capables Total et Power en regardant ce qu’ils font en Birmanie — en birman, Birmanie se dit : Myanmar, et droits de l’homme : gégène. Ou en se rappelant que si le chemin de fer qui relie Qinghai au Tibet est doté de trains, c’est notamment grâce à Power Coporation. En mandarin, droit de l’homme se dit : balle dans la tête.
Une bien belle amitié et une bien belle histoire, je trouve et qui vaut bien celle de Sarko et Carla. Pas vous? Ah bon.
Tous gens-là, qu’on imagine sans trop en souffrir étouffées en avalant leurs médailles, étaient faits pour bien s’entendre, sous la bannière du profit et de l’exploitation. Unissez-vous? Il y a déjà longtemps que les capitalistes de tous les pays l’ont fait.
Oh, j’oubliais de vous dire: Paul est aussi un magnat de la presse au Québec, où il possède des tas de médias… ceux-là même où on nous parle inlassablement de Sarko et Carla. Mais jamais de Total et de Power.
Cousins français, jusqu’à Montréal, dans nos médias, on nous inflige presque quotidiennement Sarkozy et Carla : permettez, retour des choses, que je vous parle de Paul Desmarais et de Power Corporation, histoire que vous compreniez un peu ce qu’on endure.
D’autant que ceux-là sont copains comme cochons, au point où Nicolas dit devoir en partie sa présidence à Paul. C’est-y pas beau, ça, comme amitié France-Québec?
Flash-back.
Au bord du découragement pour cause de carrière politique stagnante, Sarko se voit un jour offrir de voyager sur l’avion privé de Paul. Il fait alors la connaissance du créateur de Power, l’homme le plus riche du Québec.
Paul l’incite à ne pas lâcher, le conseille, l’invite à son domaine de Sagard, qu’il aime à décrire à son copain Albert Frère comme «à peine plus petit que la Belgique».
On y trouve de la grande bouffe, des spectacles privés d’artistes comme ceux du Cirque du Soleil ou Robert Charlebois, on y pratique (salauds!) la chasse à l’ours et à l’orignal: Sarko s’y refait un moral d’enfer et repart guilleret vers la présidence.
Celle-ci acquise, il n’oubliera pas son nouvel ami : Paul est présent à la réception au Fouquet’s en mai 2007 et reçoit en 2008 de Nicolas la Grand-Croix de la Légion d’honneur, un de ces affreux bout de tissu affublé d’une médaille dont ces gens-là raffolent.
Ce n’est qu’un début et Sarko aura bien d’autres occasions de prouver sa reconnaissance. Power est en effet, et entre autres, actionnaire de la pétrolière française Total, de la cimenterie Lafarge et du Groupe Suez.
Ces jours-ci, Power et Total font du tourisme pétrolifère au Soudan. En soudanais, tourisme et pétrole se disent d’un même mot : morts — prononcer : morts.
On a une idée de ce dont sont capables Total et Power en regardant ce qu’ils font en Birmanie — en birman, Birmanie se dit : Myanmar, et droits de l’homme : gégène. Ou en se rappelant que si le chemin de fer qui relie Qinghai au Tibet est doté de trains, c’est notamment grâce à Power Coporation. En mandarin, droit de l’homme se dit : balle dans la tête.
Une bien belle amitié et une bien belle histoire, je trouve et qui vaut bien celle de Sarko et Carla. Pas vous? Ah bon.
Tous gens-là, qu’on imagine sans trop en souffrir étouffées en avalant leurs médailles, étaient faits pour bien s’entendre, sous la bannière du profit et de l’exploitation. Unissez-vous? Il y a déjà longtemps que les capitalistes de tous les pays l’ont fait.
Oh, j’oubliais de vous dire: Paul est aussi un magnat de la presse au Québec, où il possède des tas de médias… ceux-là même où on nous parle inlassablement de Sarko et Carla. Mais jamais de Total et de Power.
lundi, décembre 01, 2008
CHOMSKY: 80 BALAIS !
Noam Chomsky, qui a énormément compté pour tant de gens dont moi, aura 80 ans le 7 décembre prochain.
Un site permet de lui laisser un mot et de lui souhaiter un joyeux anniversaire.
Rebel without a pause...
Un site permet de lui laisser un mot et de lui souhaiter un joyeux anniversaire.
Rebel without a pause...
Libellés :
Noam Chomsky,
Normand Baillargeon
JE VAIS ALLER VOTER! NON? SI!...
...et ça va me faire tout drôle, je dois l'avouer.
Je dois dire que je ne suis pas un anti-votard systématique et qu'il m'est arrivé de voter — à des référendums, par exemple, ou lorsque je pensais que mon vote pouvait faire une différence. Ce ne m'est toutefois arrivé que très, très rarement.
Cette fois, je vais aller voter pour Québec Solidaire. Et je vais voter sans me boucher le nez, ce qui est déjà énorme
Les idées que ces gens-là défendent sont très largement proches de beaucoup des miennes; ils apportent déjà un souffle neuf et important à la vie politique québécoise. Il est crucial que cela continue et il est donc de la plus haute importance que, lors de cette élection, Québec solidaire fasse le plein de votes , pour assurer la pérennité de son action, pour faire en sorte que ses idées soient toujours présentes et discutées.
Rêvons: un, ou deux, ou trois candidatEs de Québec solidaire est ou sont éluEs. Cela fera un réel changement dans la dynamique de la vie politique et parlementaire du Québec.
Imaginez qu'on entende parler, à chaque jour, dans les grands médias, d'idées neuves qui n'y sont que très rarement évoquées. Une importante porte vers un réel changement serait ouverte. Et je rappelle qu'aux dernières élections, Amir Khadir et Françoise David sont passé tout près du but.
Le 8, je vais donc aller voter pour QS, sans gêne aucune et sans penser que je trahis mes idées et idéaux libertaires.
Le site Internet de Québec Solidaire se trouve ici: prenez le temps d'aller voir ce qu'ils préconisent
Je dois dire que je ne suis pas un anti-votard systématique et qu'il m'est arrivé de voter — à des référendums, par exemple, ou lorsque je pensais que mon vote pouvait faire une différence. Ce ne m'est toutefois arrivé que très, très rarement.
Cette fois, je vais aller voter pour Québec Solidaire. Et je vais voter sans me boucher le nez, ce qui est déjà énorme
Les idées que ces gens-là défendent sont très largement proches de beaucoup des miennes; ils apportent déjà un souffle neuf et important à la vie politique québécoise. Il est crucial que cela continue et il est donc de la plus haute importance que, lors de cette élection, Québec solidaire fasse le plein de votes , pour assurer la pérennité de son action, pour faire en sorte que ses idées soient toujours présentes et discutées.
Rêvons: un, ou deux, ou trois candidatEs de Québec solidaire est ou sont éluEs. Cela fera un réel changement dans la dynamique de la vie politique et parlementaire du Québec.
Imaginez qu'on entende parler, à chaque jour, dans les grands médias, d'idées neuves qui n'y sont que très rarement évoquées. Une importante porte vers un réel changement serait ouverte. Et je rappelle qu'aux dernières élections, Amir Khadir et Françoise David sont passé tout près du but.
Le 8, je vais donc aller voter pour QS, sans gêne aucune et sans penser que je trahis mes idées et idéaux libertaires.
Le site Internet de Québec Solidaire se trouve ici: prenez le temps d'aller voir ce qu'ils préconisent
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