La question a été posée par N. Carr dans un article de la revue The Atlantic, en 2008.
Il mérite réflexion et je suis tombé dessus en préparant un texte sur les usages du numérique en éducation, sujet sur lequel, sans aucunement nier des avantages évidents à ces technologies, je reste sur bien des plans sceptique, surtout compte tenu des coûts qui leur sont associés. J'y vois, souvent, une manière de naiveté positiviste qui attend de la technologie des solutions qu'elle ne peut donner à des problèmes qui sont plus profonds et d'un autre ordre. Quoiqu'il en soit, l'article de Carr a suscité bien des discussions dont on trouve écho ici.
À ce propos, Massimo Pigliucci vient de publier sur son blogue un texte qui me semble intéressant en ce qu'il suggère une manière par laquelle la thèse de la stupidité induite par Google trouve un début d'explication.
Pour suivre et apprécier son argumentaire, on peut tenter cette petite expérience sur ses amis.
Vous annoncez qu'il (ou elle) devra trouver la règle qui permet de construire une suite donnée. Vous leur en donnerez les premiers chiffres; puis, ils pourront risquer une nombre: s'il poursuivent la suite, vous répondrez: oui; sinon, vous leur direz: non. Ils peuvent recommencer autant de fois qu'ils le souhaitent. Quand ils croient avoir trouvé la règle, ils l'annoncent. Vous donnez ensuite le début de la suite: 2, 4, 6, 8.
Vos amis diront probablement: 10, 12, 14. Et, très vite, ils concluront que la suite en question est celle des nombres pairs.
Mais, pensez-y, ce n'est pas nécessairement le cas. En fait, ici, la règle était que le nombre suivant doit être plus grand que le nombre qui le précède. De sorte que si votre ami vous avait dit: 8 1/4; ou 13; ou 245; ou 3999; vous auriez à chaque fois répondu: oui. Et s'il avait dit: 7, vous auriez dit: non.
C'est bien entendu la raison pour laquelle on ne dit pas ces choses qui est intéressante. Ce qui semble se produire est qu'on trouve vite l'hypothèse qu'il faut poursuivre la suite en ajoutant 2 et qu'on s'y confine. Pour trouver la bonne règle, il aurait fallu envisager des hypothèses autres que celles avec laquelle on est parti. Mais on ne le fait généralement pas et on interprète toutes les données à la lumière de cette hypothèse.
Des lecteurs auront reconnu l'expérience rapportée par P. C. Wason dans : On the failure to eliminate hypotheses in a conceptual task (1960). Un expression destinée à devenir célèbre y apparaissait: biais de confirmation. Elle signifie que nous recherchons, remarquons et nous souvenons de ce qui conforte ce que nous croyons déjà.
Revenons à Google armés de cette idée.
Massimo donne un bel exemple. X a entendu dire que le féminisme a été créé par la CIA dans le but de contrôler le monde. Délirant, non? Certes. Mais X rentre chez lui et met dans Google: CIA feminism. Il trouve ceci. Et le premier lien donne des tas de preuves que ce complot est bien réel. Ce lien renvoie à d'autres liens, qui tous confortent la même idée.
Mais , direz-vous, X va avoir l'idée de mettre dans Google: CIA feminism debunk. Sans doute. Comme d'autres ont l'idée de dire, après 8: 217.
Massimo ajoute que le nouvel algorithme de recherche de Google risque d'empirer les choses.
Ce n'est là qu'une goutte d'eau dans l'argumentaire du papier que je médite; mais je la trouve jolie.
dimanche, janvier 31, 2010
samedi, janvier 30, 2010
CHOMSKY: C'EST FAIT
J'ai donc eu hier la chance de passer une quarantaine de minutes avec Chomsky. Il a été, comme toujours, exemplaire de clarté, d'intelligence et de générosité.
Nous avons parlé de l'université, mais aussi, plus généralement, d'éducation.
Il me semble qu'il a dit des choses nouvelles qui seront les bienvenues à la fois dans le livre sur l'université qui s'en vient et pour une autre, qui proposera un ou deux texte de Chomsky sur l'éducation et dont j'ai le bonheur de m'occuper depuis peu.
Je repars avec la bande audio de l'entretien, mais aussi avec la bande video: je devrais mettre ça en ligne sur un site Internet que je compte faire pour ces deux ouvrages.
Retour à la maison.
Nous avons parlé de l'université, mais aussi, plus généralement, d'éducation.
Il me semble qu'il a dit des choses nouvelles qui seront les bienvenues à la fois dans le livre sur l'université qui s'en vient et pour une autre, qui proposera un ou deux texte de Chomsky sur l'éducation et dont j'ai le bonheur de m'occuper depuis peu.
Je repars avec la bande audio de l'entretien, mais aussi avec la bande video: je devrais mettre ça en ligne sur un site Internet que je compte faire pour ces deux ouvrages.
Retour à la maison.
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Université
jeudi, janvier 28, 2010
DÉCÈS DE HOWARD ZINN
Howard Zinn est décédé. Je l'apprends alors que je suis en route pour Boston. Un homme et une oeuvre remarquables. Tristesse et silence.
On peut lire sur Zinn et son décès ici, et ici et on peut voir Zinn et l'entendre ici)
On peut lire sur Zinn et son décès ici, et ici et on peut voir Zinn et l'entendre ici)
Libellés :
Howard Zinn,
Normand Baillargeon
lundi, janvier 25, 2010
DEUX COURTES RECENSIONS
[Pour le prochain numéro d'À Bâbord]
POUPART, Jean-François, Gallimard chez les nazis, Collection Essai libre, Poètes de Brousse, Montréal, 2009.
CATELLIER, Maxime, La mort du Canada. Suivi de : Lettre à Jean Benoît, Collection Essai libre, Poètes de Brousse, Montréal, 2009.
La maison d’édition Poètes de Brousse lance une nouvelle collection appelée Essai libre, qu’elle voue à la «critique intuitive en matière d’art, de littérature, d’histoire et de société». On lui souhaite une longue vie, aussi riche que celle qu’annoncent les deux premiers titres qui y paraissent.
Ce sont là des livres courts, mordants et qui mettent une écriture aux indéniables qualités littéraires au service de coups de sang fort bienvenus dans le paysage souvent trop lisse et plat de notre vie littéraire et intellectuelle.
Poupart prend prétexte de la célébration des 100 ans de le NRF pour revenir sur ce qu’a été, pour l’institution littéraire, la «toile noire» de l’occupation, de la collaboration et de l’épuration. Tant de compromissions, de bassesses, de lâchetés des uns et des autres, que Poupart rappelle méticuleusement. Un exemple entre mille : des propriétaires Juifs de maisons d’édition, comme Calmann-Lévy, ayant dû ‘céder’ leur entreprise, Gallimard se propose aussitôt pour racheter et explique que sa maison à lui «est aryenne à capitaux aryens». P. 25). L’ouvrage rappelle bien d’autres parcours d’écrivain connus — Sartre, Camus, Pagnol, Montherlant etc, souvent gênants, tristes ou pire encore. En bout de piste, quel terrifiant vacarme fait aujourd’hui, dans les pages de ce livre, ce «grand silence entretenu par les écrivains, les intellectuels, les éditeurs» (p.29).
Et comment nous, aurions-nous agi et réagi? Au nom de quoi? Le livre soulève ces questions et quelques autres. Et risque quelques réponses.
Maxime Catellier est poète et son pamphlet, La mort du Canada, est écrit en vers, ce qui est déjà assez exceptionnel pour être noté.
C’est une charge en règle mais inspirée et lyrique devant laquelle je m’efface volontiers pour en citer un extrait représentatif : «au Québec de l’Amérique/ où on lave plus blanc que blanc/ l’amnésie est féroce et le rêve éteint/où l’on s’émeut devant une fleur de lys/ ce symbole arriéré de la royauté française/ et une croix qui parle au nom/ de tous les analphabètes de notre histoire/une croix qui efface derrière elle/ des siècles d’ignorance et qui nous aveugle.
Je m’ennuie de la parole/qui mettait en danger/ à chaque syllabe/ l’ordre du monde écrit-il, plus loin. Ce qu’il nous donne à lire en donne une idée.
Catellier est un proche de Jean Benoît (1922), l’artiste surréaliste québécois exilé depuis 1948 à Paris. Il publie ici, en complément de son pamphlet, une belle lettre qu’il lui faisait parvenir. Elle ne dépareille en rien le livre et le complète au contraire merveilleusement: c’est que la même poésie y palpite.
Vous ai-je dit que l’avant-propos de ce livre m’a énormément ému? Voilà. Vous savez tout. Ce jeune homme (26 ans!) est à suivre.
POUPART, Jean-François, Gallimard chez les nazis, Collection Essai libre, Poètes de Brousse, Montréal, 2009.
CATELLIER, Maxime, La mort du Canada. Suivi de : Lettre à Jean Benoît, Collection Essai libre, Poètes de Brousse, Montréal, 2009.
La maison d’édition Poètes de Brousse lance une nouvelle collection appelée Essai libre, qu’elle voue à la «critique intuitive en matière d’art, de littérature, d’histoire et de société». On lui souhaite une longue vie, aussi riche que celle qu’annoncent les deux premiers titres qui y paraissent.
Ce sont là des livres courts, mordants et qui mettent une écriture aux indéniables qualités littéraires au service de coups de sang fort bienvenus dans le paysage souvent trop lisse et plat de notre vie littéraire et intellectuelle.
Poupart prend prétexte de la célébration des 100 ans de le NRF pour revenir sur ce qu’a été, pour l’institution littéraire, la «toile noire» de l’occupation, de la collaboration et de l’épuration. Tant de compromissions, de bassesses, de lâchetés des uns et des autres, que Poupart rappelle méticuleusement. Un exemple entre mille : des propriétaires Juifs de maisons d’édition, comme Calmann-Lévy, ayant dû ‘céder’ leur entreprise, Gallimard se propose aussitôt pour racheter et explique que sa maison à lui «est aryenne à capitaux aryens». P. 25). L’ouvrage rappelle bien d’autres parcours d’écrivain connus — Sartre, Camus, Pagnol, Montherlant etc, souvent gênants, tristes ou pire encore. En bout de piste, quel terrifiant vacarme fait aujourd’hui, dans les pages de ce livre, ce «grand silence entretenu par les écrivains, les intellectuels, les éditeurs» (p.29).
Et comment nous, aurions-nous agi et réagi? Au nom de quoi? Le livre soulève ces questions et quelques autres. Et risque quelques réponses.
Maxime Catellier est poète et son pamphlet, La mort du Canada, est écrit en vers, ce qui est déjà assez exceptionnel pour être noté.
C’est une charge en règle mais inspirée et lyrique devant laquelle je m’efface volontiers pour en citer un extrait représentatif : «au Québec de l’Amérique/ où on lave plus blanc que blanc/ l’amnésie est féroce et le rêve éteint/où l’on s’émeut devant une fleur de lys/ ce symbole arriéré de la royauté française/ et une croix qui parle au nom/ de tous les analphabètes de notre histoire/une croix qui efface derrière elle/ des siècles d’ignorance et qui nous aveugle.
Je m’ennuie de la parole/qui mettait en danger/ à chaque syllabe/ l’ordre du monde écrit-il, plus loin. Ce qu’il nous donne à lire en donne une idée.
Catellier est un proche de Jean Benoît (1922), l’artiste surréaliste québécois exilé depuis 1948 à Paris. Il publie ici, en complément de son pamphlet, une belle lettre qu’il lui faisait parvenir. Elle ne dépareille en rien le livre et le complète au contraire merveilleusement: c’est que la même poésie y palpite.
Vous ai-je dit que l’avant-propos de ce livre m’a énormément ému? Voilà. Vous savez tout. Ce jeune homme (26 ans!) est à suivre.
samedi, janvier 23, 2010
DES NOUVELLES ET QUELQUES TRUCS
Le colloque sur la laïcité de la revue À Bâbord s'est tenu à l'UQAM hier. Il y avait foule et je suis très content du résultat. Le collectif de la revue auquel j'appartiens, et qui édite seul et sans subvention cette publication depuis 7 ans, a cette fois encore fait du très bon boulot. Merci à toute l'équipe. Le Devoir a fait état du colloque ce matin . Je vais en tirer un livre - l'éditeur est trouvé.
Une histoire surréaliste. Sur des viseurs utilisés par des soldats américains et anglais en Irak et en Afghanistan sont inscrites des références à des versets de la Bible. Le fabriquant est en effet profondément croyant. Donc la trajectoire de la balle qui tue telle personne a notamment été déterminée par un viseur sur lequel est gravé, par exemple, Jean 8: 12: " Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres. Pincez-moi, quelqu'un. L'histoire est couverte ici .
Je termine le livre que j'édite des Écrits sur l'université de Noam Chomsky. Une merveilleuse et généreuse équipe de bénévoles m'a aidé en traduisant les textes. Ces personnes que je ne peux trop remercier sont:Dominique Dorn, Nicolas Guilmain, Marie-Andrée Dionne,Marc-André Vallé, Johanne Rondeau, Thierry Thomas et Lila Roussel . J'ai très hâte que le livre sorte - en France, chez Raison d'agir, et aux PUQ, au Québec. Jesuis très heureux (et bien chanceux) que Chomsky m'accorde un entretien, qu'on placera en postface au livre. Je le rencontre vendredi prochain, au MIT et j'ai 30 minutes. Ça veut dire que je vais devoir penser très sérieusement aux questions à lui poser. Si vous avez des idées - le sujet étant bien entendu l'université - ne vous gênez pas. Je me demande aussi si Écrits sur l'université est le meilleur titre qui soit _ je ne suis pas doué pour trouver de bons titres.
À ce propos, le Cahier de l'Herne sur Chomsky qu'ont dirigé Jean Bricmont et Julie Franck est sorti en traduction anglaise. J'ai acheté ma copie jeudi, à Montréal.Bravo à Jean et Julie.
Humour et Philosophie, un collectif que j'ai dirigé avec Christian Boissinot, sort sous peu. J'y ai parlé d'humour et mathématiques. Je crains que bien des gens ne sautent mon texte, rien qu'au vu du titre...(quand je vous disais...)
Avec deux camarades du collectif d'À bâbord, je coordonne un dossier sur le monde numérique. Le Monde diplomatique semble avoir eu une idée similaire et vient de sortir: Internet, révolution culturelle que je vais me procurer. Ma contribution au dossier portera sur l'éducation et consistera à mettre des bémols à la pente 'technophilique' que je décèle chez certains acteurs du domaine.
À part ça, je termine mon Anthologie de l'athéisme et de la libre pensée (on en est aux demandes de droits) et je corrige les épreuves de ces Stéréoïdes pour la philosophie que je dois sortir (probablement ) en avril. Après quoi, je me consacre tout entier à une Introduction par les textes à la philosophie de l'éducation. Je veux l'avoir finie avant de partir pour Paris où je veux me consacrer à mon cher Condorcet.
À ce propos, je redécouvre d'ailleurs en ce moment les charmes de l'administration française (soit dit sans malice ou méchanceté). Pour accéder à certains documents, je dois en effet, si j'ai bien lu et bien compris, être présenté à une personne par deux académiciens. Non? Si!Le seul que je connaisse un tout petit peu est Michel Serres. Je vais donc le contacter. Et il m'en faut un ou une autre. Fichtre!
Je retourne travailler...
Une histoire surréaliste. Sur des viseurs utilisés par des soldats américains et anglais en Irak et en Afghanistan sont inscrites des références à des versets de la Bible. Le fabriquant est en effet profondément croyant. Donc la trajectoire de la balle qui tue telle personne a notamment été déterminée par un viseur sur lequel est gravé, par exemple, Jean 8: 12: " Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres. Pincez-moi, quelqu'un. L'histoire est couverte ici .
Je termine le livre que j'édite des Écrits sur l'université de Noam Chomsky. Une merveilleuse et généreuse équipe de bénévoles m'a aidé en traduisant les textes. Ces personnes que je ne peux trop remercier sont:Dominique Dorn, Nicolas Guilmain, Marie-Andrée Dionne,Marc-André Vallé, Johanne Rondeau, Thierry Thomas et Lila Roussel . J'ai très hâte que le livre sorte - en France, chez Raison d'agir, et aux PUQ, au Québec. Jesuis très heureux (et bien chanceux) que Chomsky m'accorde un entretien, qu'on placera en postface au livre. Je le rencontre vendredi prochain, au MIT et j'ai 30 minutes. Ça veut dire que je vais devoir penser très sérieusement aux questions à lui poser. Si vous avez des idées - le sujet étant bien entendu l'université - ne vous gênez pas. Je me demande aussi si Écrits sur l'université est le meilleur titre qui soit _ je ne suis pas doué pour trouver de bons titres.
À ce propos, le Cahier de l'Herne sur Chomsky qu'ont dirigé Jean Bricmont et Julie Franck est sorti en traduction anglaise. J'ai acheté ma copie jeudi, à Montréal.Bravo à Jean et Julie.
Humour et Philosophie, un collectif que j'ai dirigé avec Christian Boissinot, sort sous peu. J'y ai parlé d'humour et mathématiques. Je crains que bien des gens ne sautent mon texte, rien qu'au vu du titre...(quand je vous disais...)
Avec deux camarades du collectif d'À bâbord, je coordonne un dossier sur le monde numérique. Le Monde diplomatique semble avoir eu une idée similaire et vient de sortir: Internet, révolution culturelle que je vais me procurer. Ma contribution au dossier portera sur l'éducation et consistera à mettre des bémols à la pente 'technophilique' que je décèle chez certains acteurs du domaine.
À part ça, je termine mon Anthologie de l'athéisme et de la libre pensée (on en est aux demandes de droits) et je corrige les épreuves de ces Stéréoïdes pour la philosophie que je dois sortir (probablement ) en avril. Après quoi, je me consacre tout entier à une Introduction par les textes à la philosophie de l'éducation. Je veux l'avoir finie avant de partir pour Paris où je veux me consacrer à mon cher Condorcet.
À ce propos, je redécouvre d'ailleurs en ce moment les charmes de l'administration française (soit dit sans malice ou méchanceté). Pour accéder à certains documents, je dois en effet, si j'ai bien lu et bien compris, être présenté à une personne par deux académiciens. Non? Si!Le seul que je connaisse un tout petit peu est Michel Serres. Je vais donc le contacter. Et il m'en faut un ou une autre. Fichtre!
Je retourne travailler...
mercredi, janvier 20, 2010
L'ÉNIGME D'EINSTEIN
[Jeu pour le prochain numéro d'À Bâbord]
Il y a cinq maisons peintes de 5 couleurs différentes. Dans chaque maison vit une personne de nationalité différente. Chacun des 5 propriétaires boit un certain type de boisson, joue à un certain sport et garde un certain animal domestique. Aucun propriétaire ne boit la même boisson qu’un autre, ne joue au même sport qu’un autre ou n’a le même animal domestique qu’un autre.
La question qu’on vous pose est : À qui appartient le poisson?
***
On ne prête qu’aux riches, dit-on. Comme on a dû attribuer d’idées à Einstein, si tel est le cas!
Prenez justement l’énigme que vous venez de lire.
La légende veut que ce soit le célèbre physicien qui l’ait inventée, et cela durant son enfance; elle veut aussi qu’il s’agisse de l’énigme du genre la plus difficile au monde; et que seulement 2 personnes sur cent soient capables de la résoudre.
Tout cela est douteux. Mais ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’une bien belle énigme, qui se résout avec pour seuls outils de la patience et de la logique.
Pour y parvenir, vous devrez créer un tableau où vous mettrez en colonnes les maisons (1 à 5) et, en rangées, la nationalité, la couleur de la maison, la boisson, le sport et l’animal domestique. Il ne vous restera plus qu’à remplir les cases vides.
Pour vous aider, voici les faits qui sont connus :
1. Le Britannique habite la maison rouge.
2. Le Suédois possède un chien comme animal domestique.
3. Le Danois boit du thé.
4. La maison verte est à gauche de la maison blanche.
5. Le propriétaire de la maison verte boit du café.
6. La personne qui joue au football élève des oiseaux.
7. Le propriétaire de la maison jaune joue au baseball.
8. La personne qui habite la maison du milieu boit du lait.
9. Le Norvégien habite la première maison.
10. L’homme qui joue au volleyball est le voisin de la personne qui possède des chats.
11. L’homme qui possède un cheval est le voisin de l’homme qui joue au baseball.
12. Le propriétaire qui joue au tennis boit de la bière.
13. L’allemand joue au hockey.
14. Le Norvégien habite à côté de la maison bleue.
15. L’homme qui joue au volleyball a un voisin qui boit de l’eau.
Comme vous le voyez, vous pouvez déjà inscrire dans votre tableau que le propriétaire de la troisième maison boit du lait (en vertu du fait #8); que le propriétaire de la maison 1 est Norvégien (fait # 9); et ainsi de suite.
Alors? À qui appartient le poisson?
La réponse sera dans le prochain numéro de la revue...
Il y a cinq maisons peintes de 5 couleurs différentes. Dans chaque maison vit une personne de nationalité différente. Chacun des 5 propriétaires boit un certain type de boisson, joue à un certain sport et garde un certain animal domestique. Aucun propriétaire ne boit la même boisson qu’un autre, ne joue au même sport qu’un autre ou n’a le même animal domestique qu’un autre.
La question qu’on vous pose est : À qui appartient le poisson?
***
On ne prête qu’aux riches, dit-on. Comme on a dû attribuer d’idées à Einstein, si tel est le cas!
Prenez justement l’énigme que vous venez de lire.
La légende veut que ce soit le célèbre physicien qui l’ait inventée, et cela durant son enfance; elle veut aussi qu’il s’agisse de l’énigme du genre la plus difficile au monde; et que seulement 2 personnes sur cent soient capables de la résoudre.
Tout cela est douteux. Mais ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’une bien belle énigme, qui se résout avec pour seuls outils de la patience et de la logique.
Pour y parvenir, vous devrez créer un tableau où vous mettrez en colonnes les maisons (1 à 5) et, en rangées, la nationalité, la couleur de la maison, la boisson, le sport et l’animal domestique. Il ne vous restera plus qu’à remplir les cases vides.
Pour vous aider, voici les faits qui sont connus :
1. Le Britannique habite la maison rouge.
2. Le Suédois possède un chien comme animal domestique.
3. Le Danois boit du thé.
4. La maison verte est à gauche de la maison blanche.
5. Le propriétaire de la maison verte boit du café.
6. La personne qui joue au football élève des oiseaux.
7. Le propriétaire de la maison jaune joue au baseball.
8. La personne qui habite la maison du milieu boit du lait.
9. Le Norvégien habite la première maison.
10. L’homme qui joue au volleyball est le voisin de la personne qui possède des chats.
11. L’homme qui possède un cheval est le voisin de l’homme qui joue au baseball.
12. Le propriétaire qui joue au tennis boit de la bière.
13. L’allemand joue au hockey.
14. Le Norvégien habite à côté de la maison bleue.
15. L’homme qui joue au volleyball a un voisin qui boit de l’eau.
Comme vous le voyez, vous pouvez déjà inscrire dans votre tableau que le propriétaire de la troisième maison boit du lait (en vertu du fait #8); que le propriétaire de la maison 1 est Norvégien (fait # 9); et ainsi de suite.
Alors? À qui appartient le poisson?
La réponse sera dans le prochain numéro de la revue...
Libellés :
À bâbord,
Albert Einstein,
Énigme d,
jeu logico-mathématique,
Normand Baillageon
lundi, janvier 18, 2010
UN ÉDITEUR EST-IL INTÉRESSÉ AUX ACTES DU COLLOQUE SUR LA LAICITÉ?
22 JANVIER: ÉDITEUR TROUVÉ
Je viens à la pêche.
Comme vous le savez sans doute, la revue À Bâbord organise vendredi un colloque sur la laïcité auquel participent des invités prestigieux. Le colloque fait suite au dossier que la revue vient de faire paraître sur le même sujet.
Nous aimerions publier les actes de ce colloque, bonifiés des textes du dossier: nous pensons en effet que ce sera un document méritant d'être diffusé et lu.
C'est un projet clé en mains: je remettrai tous les textes ainsi qu'une intro rédigée par moi pour présenter le tout et une bibliographie d'orientation sur ces questions.
Si un éditeur est intéressé à ce projet, qu'il (ou elle) ait l'amabilité de communiquer avec moi à: baillargeon.normand@uqam.ca
Je viens à la pêche.
Comme vous le savez sans doute, la revue À Bâbord organise vendredi un colloque sur la laïcité auquel participent des invités prestigieux. Le colloque fait suite au dossier que la revue vient de faire paraître sur le même sujet.
Nous aimerions publier les actes de ce colloque, bonifiés des textes du dossier: nous pensons en effet que ce sera un document méritant d'être diffusé et lu.
C'est un projet clé en mains: je remettrai tous les textes ainsi qu'une intro rédigée par moi pour présenter le tout et une bibliographie d'orientation sur ces questions.
Si un éditeur est intéressé à ce projet, qu'il (ou elle) ait l'amabilité de communiquer avec moi à: baillargeon.normand@uqam.ca
Libellés :
actes,
colloque Laicité,
Normand Baillargeon
dimanche, janvier 17, 2010
vendredi, janvier 15, 2010
L’ÉCHEC DE COPENHAGUE ET LA QUESTION DU RÉFORMISME (1/2)
[Pour Le Monde Libertaire; premier de deux textes]
Il arrive qu’il y ait bien plus à apprendre et à méditer des divergences d’opinion que des consensus.
Prenez le Sommet de Copenhague. Il aura été un échec si retentissant qu’aucune firme de relations publiques n’est parvenu à complètement en masquer la profondeur au grand public.
Le constat d’échec, comme on pouvait s’y attendre, a donc largement fait consensus parmi les observateurs.
C’est ainsi que l’économiste Jeffrey Sachs, un néo-libéral pur et dur recyclé en écologiste, a décrit l’Accord de Copenhague comme «une farce» et «un abandon du cadre de référence des Nations Unis par lequel les pays riches annoncent aux pays plus pauvres et plus petits qu’ils ont désormais l’intention de faire ce qu’ils veulent et pour commencer de ne plus prêter l’oreille à leurs misérables préoccupations» [1].
Que cet unilatéralisme des États Unis et d’une poignée d’autres grandes puissances soit en grande partie responsable de l’échec de Copenhague, cela aussi est partagé par tout le monde, par exemple par Bill McKibben, qui rappelle qu’à ce sommet «Obama a fait exploser les Nations Unies et mis un terme à l’idée qu’il puisse exister une communauté internationale»; il appelle ce qui en est résulté «une ligue de super pollueurs». [2]
Mais c’est probablement Naomi Klein qui a proposé le plus percutant résumé de ce qui s’est passé dans la capitale danoise en décrivant les deux maigres pages et demi (sic) de l’entente conclue comme «un sordide pacte convenu entre les plus gros pollueurs : je vais faire semblant de constater que tu te préoccupes de l’environnement et tu feras semblant de constater que je m’en préoccupe moi aussi. D’accord? Tope là!» [3]
On continuerait longtemps. Mais par-delà ce constat que Copenhague a été un monumental échec, on découvre bien vite de profondes divergences, notamment quant à la gravité de la situation et quant à ce qu’il convient de faire.
Je voudrais examiner ici une de ces divergences qui concerne les moyens qu’il conviendrait de mettre en oeuvre pour lutter contre le réchauffement planétaire. Je le fais parce que cette divergence d’opinion, cruciale et inattendue, est instructive; mais aussi parce qu’elle nous donnera l’occasion de réfléchir à une question de stratégie militante qui me semble importante, qui se pose parfois dans les milieux libertaires et qui mérite toute notre attention.
Un marché de la pollution?
Bien des acteurs, des institutions, des regroupements et ainsi de suite ont proposé des solutions, ponctuelles ou plus globales, pour combattre le réchauffement planétaire. Ce qui est pourtant devenu plus évident que jamais, à Copenhague, c’est l’existence d’un important clivage, divisant à gauche ceux et celles qui préconisent une «bourse du carbone» et ceux et celles qui s’opposent radicalement à cette idée.
Les premiers préconisent de constituer un marché des droits d’émettre des gaz à effet de serre — la chose est d’ailleurs prévue au protocole de Kyoto.
En termes très simplifiés, un tel système serait une bourse du carbone — les anglophones la nomment «cap and trade» — sur laquelle des quotas d’émission seraient fixés; avec le temps, ces quotas diminueraient. Les pays ou entreprises qui ne rencontreraient pas leurs quotas seraient pénalisées (par des taxes) et,ou devraient acheter de ceux qui ont fait mieux que leur quotas les droits de pollution que ceux-ci offriraient à la vente. Ces derniers seraient donc récompensés pour avoir atteint ou, mieux, dépassé les plateaux d’émissions fixées.
À première vue, on comprend bien mal pourquoi la gauche, et tout particulièrement la gauche radicale et anti-capitaliste, pourrait être divisée sur cette question. L’idée d’un marché de la pollution peut-elle être autre chose qu’une farce contée par un quelconque ultra-libéral? Et l’argumentaire contre une telle pratique n’est-elle pas depuis toujours bien connu de tout anti-capitaliste.
Un argumentaire bien connu
Cet argumentaire invite à conclure qu’on ne peut absolument pas résoudre les problèmes environnementaux par le marché qui en est la cause. En voici d’ailleurs une formulation typique qui a, selon moi, le mérite d’être informée, claire et sans concessions :
1. Les économies capitalistes polluent trop parce que les marchés tendent à surproduire des biens dont la production et,ou la consommation engendrent des externalités négatives — comme la pollution;
2. Les économies capitalistes sont inaptes à protéger convenablement l’environnement parce que l’offre des marchés pour les biens publics — qu’est par exemple un environnement protégé ou restauré — est insuffisante;
3. Les économies capitalistes surexploitent les ressources naturelles parce que les taux de profits qu’en retirent les propriétaires privés sont trop élevés; le taux acceptable serait celui qui permettrait d’assurer que le taux des bénéfices actuels n’empièterait pas sur celui des bénéfices futurs;
4. Les marchés du travail et de la consommation de biens engendrent des «incitations perverses» par lesquelles les individus sont fallacieusement amenés à allouer une trop grande part de leurs gains de productivité à leur consommation individuelle, cela au détriment d’une consommation collective et respectueuse de l’environnement;
5. Finalement, les marchés ne sont pas en mesure de fournir l’information qui serait indispensable pour établir le niveau auquel il conviendrait de fixer les taxes et les subventions environnementales, tandis qu’ils engendrent de puissants lobbies qui travaillent à minorer l’ampleur des correctifs à apporter.
Comment, sachant tout cela, envisager un seul instant de se rallier à la proposition de Kyoto de ‘marchandiser’ la pollution? Comment, de surcroît, imaginer que des gens appartenant à la gauche radicale puissent défendre cette idée?
Mais voilà : on trouve bien, parmi les penseurs et militants respectés de la gauche, notamment libertaire, des personnes qui soutiennent que, dans les circonstances actuelles, il est raisonnable de mettre en place un tel marché de la pollution — voire que rien d’autre n’est actuellement souhaitable ou raisonnable.
Leurs arguments méritent d’être entendus. Ils le méritent d’autant que ces personnes conviennent tout à fait des cinq critiques des marchés et du capitalisme que j’ai rappelés plus haut.
Un singulier abolitionniste des marchés et la question du réformisme
En fait, je vous dois un aveu : j’ai repris ces critiques à Robin Hahnel, qui les énonce exactement comme je les ai présentées [4]. Hahnel qui est, Michael Albert, le co-créateur de l’économie participaliste, est aussi un fervent abolitionniste des marchés et la sincérité de sa défense d’une économie d’inspiration libertaire ne peut être mise en doute. Mais, surprise, il défend l’idée d’une approche «cap and trade» au réchauffement planétaire.
Alors? Comment et au nom de quoi Hahnel (et, même s’ils sont minoritaires, des gens comme lui) arrivent-ils à leur si étonnante position?
Dans le prochain texte, je veux, en les prenant au sérieux, examiner les arguments qu’avance Hahnel lui-même, des arguments dont on devine qu’ils doivent être singuliers et, à ses yeux du moins, percutants.
Or il se trouve aussi, et vous l’avez sans doute deviné, que l’argumentaire de Hahnel a comme pièce importante et même capitale l’idée que des radicaux ne devraient pas, à tout le moins en certaines circonstances, rejeter d’emblée la poursuite de ce que d’aucuns rejettent pourtant a priori parce qu’il ne s’agirait que de simples réformes.
A-t-il raison? Et si c’est bien le cas en ce qui concerne la défense d’une bourse du carbone comme moyen de lutter contre le réchauffement planétaire, quelles leçons peut-on en tirer pour le militantisme libertaire?
Cette question du réformisme, on le sait, est souvent débattue dans nos milieux et Hahnel nous offre ici l’occasion d’en discuter sur une question concrète, précise et urgente.
Saisissons-là [5].
[1] SACHS, Jeffrey, « Obama Undermines the UN Climate Process»,
[ http://www.project-syndicate.org/commentary/sachs160]
[2] McKIBBEN, Bill, « With climate agreement, Obama guts progressive values, argues McKibben», [http://www.grist.org/article/2009-12-18-with-climate-agreement-obama-guts-progressive-values/]
[3] KLEIN, Naomi, «For Obama, No Opportunity Too Big To Blow», 21 décembre 2009. [http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article16033]
[4] J’ai cité le résumé qu’il a lui même proposé (à : [http://www.zcommunications.org/zspace/commentaries/4086]) des arguments qu’il a avancés dans : HAHNEL, Robin, «The Case Against Markets», Journal of Economic Issues (41, 4), décembre 2007, pp. 1139-1159.
[5] Le texte où Hahnel présente sa position, et sur lesquel je reviendrai la prochaine fois, est: «Has The Left Missed The Boat On Climate Change?». Il est accessible en trois partie à partir de : [http://www.zcommunications.org/zspace/commentaries/4086]
Il arrive qu’il y ait bien plus à apprendre et à méditer des divergences d’opinion que des consensus.
Prenez le Sommet de Copenhague. Il aura été un échec si retentissant qu’aucune firme de relations publiques n’est parvenu à complètement en masquer la profondeur au grand public.
Le constat d’échec, comme on pouvait s’y attendre, a donc largement fait consensus parmi les observateurs.
C’est ainsi que l’économiste Jeffrey Sachs, un néo-libéral pur et dur recyclé en écologiste, a décrit l’Accord de Copenhague comme «une farce» et «un abandon du cadre de référence des Nations Unis par lequel les pays riches annoncent aux pays plus pauvres et plus petits qu’ils ont désormais l’intention de faire ce qu’ils veulent et pour commencer de ne plus prêter l’oreille à leurs misérables préoccupations» [1].
Que cet unilatéralisme des États Unis et d’une poignée d’autres grandes puissances soit en grande partie responsable de l’échec de Copenhague, cela aussi est partagé par tout le monde, par exemple par Bill McKibben, qui rappelle qu’à ce sommet «Obama a fait exploser les Nations Unies et mis un terme à l’idée qu’il puisse exister une communauté internationale»; il appelle ce qui en est résulté «une ligue de super pollueurs». [2]
Mais c’est probablement Naomi Klein qui a proposé le plus percutant résumé de ce qui s’est passé dans la capitale danoise en décrivant les deux maigres pages et demi (sic) de l’entente conclue comme «un sordide pacte convenu entre les plus gros pollueurs : je vais faire semblant de constater que tu te préoccupes de l’environnement et tu feras semblant de constater que je m’en préoccupe moi aussi. D’accord? Tope là!» [3]
On continuerait longtemps. Mais par-delà ce constat que Copenhague a été un monumental échec, on découvre bien vite de profondes divergences, notamment quant à la gravité de la situation et quant à ce qu’il convient de faire.
Je voudrais examiner ici une de ces divergences qui concerne les moyens qu’il conviendrait de mettre en oeuvre pour lutter contre le réchauffement planétaire. Je le fais parce que cette divergence d’opinion, cruciale et inattendue, est instructive; mais aussi parce qu’elle nous donnera l’occasion de réfléchir à une question de stratégie militante qui me semble importante, qui se pose parfois dans les milieux libertaires et qui mérite toute notre attention.
Un marché de la pollution?
Bien des acteurs, des institutions, des regroupements et ainsi de suite ont proposé des solutions, ponctuelles ou plus globales, pour combattre le réchauffement planétaire. Ce qui est pourtant devenu plus évident que jamais, à Copenhague, c’est l’existence d’un important clivage, divisant à gauche ceux et celles qui préconisent une «bourse du carbone» et ceux et celles qui s’opposent radicalement à cette idée.
Les premiers préconisent de constituer un marché des droits d’émettre des gaz à effet de serre — la chose est d’ailleurs prévue au protocole de Kyoto.
En termes très simplifiés, un tel système serait une bourse du carbone — les anglophones la nomment «cap and trade» — sur laquelle des quotas d’émission seraient fixés; avec le temps, ces quotas diminueraient. Les pays ou entreprises qui ne rencontreraient pas leurs quotas seraient pénalisées (par des taxes) et,ou devraient acheter de ceux qui ont fait mieux que leur quotas les droits de pollution que ceux-ci offriraient à la vente. Ces derniers seraient donc récompensés pour avoir atteint ou, mieux, dépassé les plateaux d’émissions fixées.
À première vue, on comprend bien mal pourquoi la gauche, et tout particulièrement la gauche radicale et anti-capitaliste, pourrait être divisée sur cette question. L’idée d’un marché de la pollution peut-elle être autre chose qu’une farce contée par un quelconque ultra-libéral? Et l’argumentaire contre une telle pratique n’est-elle pas depuis toujours bien connu de tout anti-capitaliste.
Un argumentaire bien connu
Cet argumentaire invite à conclure qu’on ne peut absolument pas résoudre les problèmes environnementaux par le marché qui en est la cause. En voici d’ailleurs une formulation typique qui a, selon moi, le mérite d’être informée, claire et sans concessions :
1. Les économies capitalistes polluent trop parce que les marchés tendent à surproduire des biens dont la production et,ou la consommation engendrent des externalités négatives — comme la pollution;
2. Les économies capitalistes sont inaptes à protéger convenablement l’environnement parce que l’offre des marchés pour les biens publics — qu’est par exemple un environnement protégé ou restauré — est insuffisante;
3. Les économies capitalistes surexploitent les ressources naturelles parce que les taux de profits qu’en retirent les propriétaires privés sont trop élevés; le taux acceptable serait celui qui permettrait d’assurer que le taux des bénéfices actuels n’empièterait pas sur celui des bénéfices futurs;
4. Les marchés du travail et de la consommation de biens engendrent des «incitations perverses» par lesquelles les individus sont fallacieusement amenés à allouer une trop grande part de leurs gains de productivité à leur consommation individuelle, cela au détriment d’une consommation collective et respectueuse de l’environnement;
5. Finalement, les marchés ne sont pas en mesure de fournir l’information qui serait indispensable pour établir le niveau auquel il conviendrait de fixer les taxes et les subventions environnementales, tandis qu’ils engendrent de puissants lobbies qui travaillent à minorer l’ampleur des correctifs à apporter.
Comment, sachant tout cela, envisager un seul instant de se rallier à la proposition de Kyoto de ‘marchandiser’ la pollution? Comment, de surcroît, imaginer que des gens appartenant à la gauche radicale puissent défendre cette idée?
Mais voilà : on trouve bien, parmi les penseurs et militants respectés de la gauche, notamment libertaire, des personnes qui soutiennent que, dans les circonstances actuelles, il est raisonnable de mettre en place un tel marché de la pollution — voire que rien d’autre n’est actuellement souhaitable ou raisonnable.
Leurs arguments méritent d’être entendus. Ils le méritent d’autant que ces personnes conviennent tout à fait des cinq critiques des marchés et du capitalisme que j’ai rappelés plus haut.
Un singulier abolitionniste des marchés et la question du réformisme
En fait, je vous dois un aveu : j’ai repris ces critiques à Robin Hahnel, qui les énonce exactement comme je les ai présentées [4]. Hahnel qui est, Michael Albert, le co-créateur de l’économie participaliste, est aussi un fervent abolitionniste des marchés et la sincérité de sa défense d’une économie d’inspiration libertaire ne peut être mise en doute. Mais, surprise, il défend l’idée d’une approche «cap and trade» au réchauffement planétaire.
Alors? Comment et au nom de quoi Hahnel (et, même s’ils sont minoritaires, des gens comme lui) arrivent-ils à leur si étonnante position?
Dans le prochain texte, je veux, en les prenant au sérieux, examiner les arguments qu’avance Hahnel lui-même, des arguments dont on devine qu’ils doivent être singuliers et, à ses yeux du moins, percutants.
Or il se trouve aussi, et vous l’avez sans doute deviné, que l’argumentaire de Hahnel a comme pièce importante et même capitale l’idée que des radicaux ne devraient pas, à tout le moins en certaines circonstances, rejeter d’emblée la poursuite de ce que d’aucuns rejettent pourtant a priori parce qu’il ne s’agirait que de simples réformes.
A-t-il raison? Et si c’est bien le cas en ce qui concerne la défense d’une bourse du carbone comme moyen de lutter contre le réchauffement planétaire, quelles leçons peut-on en tirer pour le militantisme libertaire?
Cette question du réformisme, on le sait, est souvent débattue dans nos milieux et Hahnel nous offre ici l’occasion d’en discuter sur une question concrète, précise et urgente.
Saisissons-là [5].
[1] SACHS, Jeffrey, « Obama Undermines the UN Climate Process»,
[ http://www.project-syndicate.org/commentary/sachs160]
[2] McKIBBEN, Bill, « With climate agreement, Obama guts progressive values, argues McKibben», [http://www.grist.org/article/2009-12-18-with-climate-agreement-obama-guts-progressive-values/]
[3] KLEIN, Naomi, «For Obama, No Opportunity Too Big To Blow», 21 décembre 2009. [http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article16033]
[4] J’ai cité le résumé qu’il a lui même proposé (à : [http://www.zcommunications.org/zspace/commentaries/4086]) des arguments qu’il a avancés dans : HAHNEL, Robin, «The Case Against Markets», Journal of Economic Issues (41, 4), décembre 2007, pp. 1139-1159.
[5] Le texte où Hahnel présente sa position, et sur lesquel je reviendrai la prochaine fois, est: «Has The Left Missed The Boat On Climate Change?». Il est accessible en trois partie à partir de : [http://www.zcommunications.org/zspace/commentaries/4086]
jeudi, janvier 14, 2010
L'HORREUR EST HUMAINE
Entendre ça en ce moment où Haïti saigne tellement. Il m'arrive de penser que je me suis trompé de planète...
Libellés :
haiti,
Normand Baillargeon,
pat robertson
mercredi, janvier 13, 2010
HABITER PARIS?
Je vais habiter à Paris — ce que je n'ai jamais fait — du 1er septembre 2010 au 30 mai 2011. Je me suis donc mis à la recherche d'un logement meublé. Ce n'est pas facile à trouver (je m'y attendais) et c'est pas mal plus cher qu'au Québec et les logements sont aussi pas mal plus petits (je m'y attendais aussi).
Je pense habiter dans la ville (et non en périphérie). Nous sommes 4 adultes.
Si vous avez des suggestions à me faire (quel arrondissement prioriser?; comment et où chercher?; quoi rechercher ou fuir?; quels prix sont raisonnables?etc.), je suis preneur.
Si vous préférez m'écrire privément, faites-le à: baillargeon.normand@uqam.ca
Merci d'avance!
Je pense habiter dans la ville (et non en périphérie). Nous sommes 4 adultes.
Si vous avez des suggestions à me faire (quel arrondissement prioriser?; comment et où chercher?; quoi rechercher ou fuir?; quels prix sont raisonnables?etc.), je suis preneur.
Si vous préférez m'écrire privément, faites-le à: baillargeon.normand@uqam.ca
Merci d'avance!
lundi, janvier 11, 2010
COLLOQUE SUR LA LAICITÉ, 22 JANVIER, UQAM
Le dernier numéro de la revue À Bâbord contient un dossier sur la laïcité que j'ai eu le plaisir de diriger. (Ma présentation du dossier se trouve ici).
L'intérêt pour cette question et son actualité ont amené le collectif de rédaction de la revue à organiser un colloque sur le sujet. Il se tiendra le 22 janvier prochain, à l'UQAM au local: DS-R515. (Pour s'y retrouver, ici)
Voici le programme de la journée. Tout cela est gratuit et vous êtes tous et toutes cordialement invités à venir discuter avec nous. Nous aurons notamment le bonheur d'avoir comme «grands témoins» qui, en plus d,ouvrir les échanges réagiront à la fin du colloque à ce qu'ils entendront: ce sont M. Guy Rocher et Mme Françoise David.
La table est donc mise (du mieux qu'on a pu) pour des débats cordiaux, respectueux et, espérons-le, féconds ...
Programme de la journée:
9 : 15 : Mots de bienvenue
De la revue : Luciano Benvenuto (membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
Au colloque : Normand Baillargeon (professeur, UQAM et membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
9 : 30 : Exposés des invités d’honneur et observateurs
1. Françoise David (co-présidente, Québec Solidaire): «Où j’en suis sur la question de la laïcité et pourquoi»
2. Guy Rocher (professeur, U de M): «Où j’en suis sur la question de la laïcité et pourquoi»
10 : 15- 10 : 30 : Pause
10 : 30 – 12 :00 : Première séance : Quelle laïcité?
Animation : Léa-Laurence Fontaine (professeure, UQAM et membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
Intervenants :
1. Daniel Weinstock (professeur, U de M):
2. Daniel Baril (journaliste, U de M)
Questions de la salle et synthèse
12 : 00 : 13 : 15 : Dîner
13 : 15 - 14 : 45 : Deuxième séance. Le cours ECR
Animation : Monique Moisan (membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
Intervenantes :
1. Marie-Michèle Poisson (professeure, collège Ahuntsic et présidente du Mouvement Laïque Québécois)
2. Louis Rousseau (professeur, UQAM)
Questions de la salle et synthèse
14 : 45 – 15 : 00 : Pause
15 : 00- 16 : 15 : Troisième séance : La religion dans l’espace public.
Animation : Jean-Marc Piotte (professeur émérite, UQAM, et membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
Intervenantes et intervenant :
1. Ruba Ghazal (militante, Québec Solidaire)
2. Louise Mailloux (professeure, Cegep du Vieux Montréal et membre du Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité)
3. Jean-Marc Larouche (professeur, UQAM)
Questions de la salle et synthèse
16 : 15 – 17 heures: Réactions de Guy Rocher et de Françoise David
Mot de la fin : Jacques Pelletier (professeur retraité, UQAM, et membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
L'intérêt pour cette question et son actualité ont amené le collectif de rédaction de la revue à organiser un colloque sur le sujet. Il se tiendra le 22 janvier prochain, à l'UQAM au local: DS-R515. (Pour s'y retrouver, ici)
Voici le programme de la journée. Tout cela est gratuit et vous êtes tous et toutes cordialement invités à venir discuter avec nous. Nous aurons notamment le bonheur d'avoir comme «grands témoins» qui, en plus d,ouvrir les échanges réagiront à la fin du colloque à ce qu'ils entendront: ce sont M. Guy Rocher et Mme Françoise David.
La table est donc mise (du mieux qu'on a pu) pour des débats cordiaux, respectueux et, espérons-le, féconds ...
Programme de la journée:
9 : 15 : Mots de bienvenue
De la revue : Luciano Benvenuto (membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
Au colloque : Normand Baillargeon (professeur, UQAM et membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
9 : 30 : Exposés des invités d’honneur et observateurs
1. Françoise David (co-présidente, Québec Solidaire): «Où j’en suis sur la question de la laïcité et pourquoi»
2. Guy Rocher (professeur, U de M): «Où j’en suis sur la question de la laïcité et pourquoi»
10 : 15- 10 : 30 : Pause
10 : 30 – 12 :00 : Première séance : Quelle laïcité?
Animation : Léa-Laurence Fontaine (professeure, UQAM et membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
Intervenants :
1. Daniel Weinstock (professeur, U de M):
2. Daniel Baril (journaliste, U de M)
Questions de la salle et synthèse
12 : 00 : 13 : 15 : Dîner
13 : 15 - 14 : 45 : Deuxième séance. Le cours ECR
Animation : Monique Moisan (membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
Intervenantes :
1. Marie-Michèle Poisson (professeure, collège Ahuntsic et présidente du Mouvement Laïque Québécois)
2. Louis Rousseau (professeur, UQAM)
Questions de la salle et synthèse
14 : 45 – 15 : 00 : Pause
15 : 00- 16 : 15 : Troisième séance : La religion dans l’espace public.
Animation : Jean-Marc Piotte (professeur émérite, UQAM, et membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
Intervenantes et intervenant :
1. Ruba Ghazal (militante, Québec Solidaire)
2. Louise Mailloux (professeure, Cegep du Vieux Montréal et membre du Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité)
3. Jean-Marc Larouche (professeur, UQAM)
Questions de la salle et synthèse
16 : 15 – 17 heures: Réactions de Guy Rocher et de Françoise David
Mot de la fin : Jacques Pelletier (professeur retraité, UQAM, et membre du Collectif de rédaction de la revue À Bâbord)
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jeudi, janvier 07, 2010
HUMOUR ET PHILOSOPHIE: ENTREVUE AVEC TOM CATHCART ET DAN KLEIN
L'ouvrage collectif: Je pense, donc je ris. Humour et philosophie, que j'ai dirigé avec Christian Boissinot aux Presses de l'Université Laval, sortira bientôt. J'ai posté ici, alors que j'y travaillais, ma contribution à cet ouvrage, intitulée: Humour et mathématiques.
Je poste cette fois cet autre chapitre du livre. Cet entretien est aussi paru dans Philosophie Magazine. Me conctacter si on désire reproduire ce texte.
***
1. Comment vous est venue l’idée d’écrire Platon et son ornithorynque?
Nous nous sommes connus la première journée de notre première année d’études à Harvard, en 1957, et nous sommes restés des amis depuis lors.
Nous avons tous deux étudié la philosophie et nous avons eu des professeurs exceptionnels — parmi lesquels W. V. O. Quine, Paul Tillich et Robert Paul Wolff. Un de nos camarades d’études était le juge de la Cour suprême américaine David Souter — en fait, il n’était pas juge de la Cour suprême à cette époque, mais il était déjà un garçon sérieux et on pouvait tout à fait l’imaginer porter une toge noire.
Ceci dit, nous avons probablement appris plus de philosophie au cours de toutes ces nuits passées au Tommy’s Arcade et durant lesquelles nous discutions l’un avec l’autre.
Nous sommes donc restés amis durant les 52 années qui ont suivi et nous n’avons cessé de débattre (Tom est plus religieux que Dan et il est également plus grand, ce qui irrite quelque peu Dan; d’un autre côté Dan, plus que Tom, est un véritable aimant à femmes, ce qui ce qui irrite quelque peu Tom.)
Durant toutes ces années, nous n’avons cessé de nous raconter des blagues. Un soir, Danny téléphone à Tom et lui dit : « Je viens d’entendre une bonne vieille blague. Un homme est au lit avec la femme de son meilleur ami. Tout d’un coup, ils entendent la voiture du mari qui se stationne dans le garage. L’ami saute du lit et court se cacher dans le placard. Pendant ce temps, le mari entre dans la chambre et, ouvrant le placard pour y accrocher son veston, il y voit son meilleur ami Louis, complètement nu. L’homme s’écrie : « Louis! Qu’est-ce que tu fais là? » et Louis répond: « Euh… Ben tout le monde doit bien être quelque part. »
Tom a réagi en disant : « Ah, Ah! Louis donne une réponse hégélienne à ce qui devait s’entendre comme une question existentielle. »
La conversation s’est alors poursuivi comme suit:
Dan : Exactement! Le mari veut savoir ce que Louis fait dans cette situation existentielle particulière, c’est-à-dire nu et dans le placard.
Tom : Exact. Tandis que Louis, pour des raisons qu’on devine, préfère répondre du point de vue de Dieu, en se plaçant en quelque sorte hors du système, comme Hegel.
Dan : Attends un peu. On tient un livre avec ça! (Il faut dire que Dan est l’auteur de 30 ouvrages)
Tom : Pardon? (Il faut dire que Tom n’est pas auteur de 30 ouvrages)
Dan : Tout à fait! Des blagues qui permettent de saisir des idées philosophiques.
Tom : Ce sera un tout petit livre, Danny. Il ne doit y avoir que 4 blagues dans le monde entier qui font cela.
Dan : Non! Non! Il y en a des centaines.
Nous avons loué une chambre de Motel à Gloucester (Massachusetts) et nous nous y sommes enfermés pour une fin de semaine avec une pile de livres de philosophie et une pile de livres de blagues. Le reste, comme dirait Hegel, appartient à l’histoire.
2. Avez-vous été surpris du succès du livre, qui a été si grand que vous avez dû en faire un deuxième et qu’un troisième est en préparation?
En fait, non, nous n’en avons pas été surpris : nous en avons été complètement renversés!
Notre livre avait été refusé par 40 maisons d’édition. Mais notre agente littéraire, Julia Lord, refusait de capituler. Le quarante et unième éditeur, Abrams Image, a acheté Plato and a Platypus walk into a Bar pour une minuscule avance et n’en a imprimé que 15 000 copies. Notre espoir le plus fou était d’en vendre suffisamment pour couvrir notre avance et peut-être faire un 1000$ de plus.
C’est alors que Weekend Edition Sunday, de NPR, nous a contactés : Liane Hanson souaitait nous interviewer. Une heure avant l’émission, le livre était 2 232e place sur Amazon. Une heure après l’émission, il était en troisième position et le livre est demeuré sur la liste des Best Sellers du New York Times jusqu’à ce que Abrams manque d’exemplaires. Dès que la réimpression fût faite, le livre est revenu sur la liste et il y est resté durant de nombreuses semaines. Nous étions stupéfaits.
Moralité? La philosophie est facile, le marketing difficile!
3. D’aucuns trouveraient improbable (et c’est un euphémisme!) le lien que vous faites entre humour et philosophie. Qu’ont-ils en commun, selon vous?
Comme nous le disons dans le livre, la construction et l’aboutissement des blagues et la construction et l’aboutissement de la philosophie sont de même nature : dans les deux cas, on travaille sur la conception que nous avons des choses et de ce qui existe, puis on nous amène dans une certaine direction et nous attendons une certaine conclusion : mais ces attentes sont trompées, un peu comme si l’herbe nous était coupée sous le pied.
Par exemple, la chute d’une blague pourra révéler que l’histoire ne parle pas réellement de médecins, mais plutôt de femmes nues! De la même manière, le philosophe pourra commencer à parler de tables et de chaises qui sont là, dans le monde extérieur; puis, sans que vous vous rendiez compte de la manière dont cela s’est fait, il sera finalement question de données des sens qui sont dans votre tête.
Il résulte de tout ceci que la philosophie et les blagues produisent ces moments où l’on se dit : « Ah! Ah! », celui qui se produit quand la lumière s’allume et que, tout d’un coup, on comprend. Pour le dire d’une autre manière, les blagues et la philosophie jouent sur la perspective que nous avons sur le monde et s’emploient à la transformer.
Prenez par exemple cet argument qui tente de démontrer l’existence de Dieu en invoquant une étonnante analogie : « Le monde est comme une horloge. »
Supposons que vous acceptiez cela, que penser alors de l’étonnante conclusion suivante? « Les horloges sont faites par des horlogers, donc le monde doit avoir été fait par un fabriquant de mondes. » CQFD! [Sauf que, comme David Hume l’a fait remarquer il y a quelques deux siècles, concevoir l’univers comme une horloge est une analogie très étrange. Vous pourriez tout aussi bien dire que l’univers est comme un kangourou — tous ces systèmes interconnectés et réunis dans cette chose qui palpite. Selon cette analogie, le monde a commencé à exister à la suite de rapport sexuel de deux autres univers kangourouesques.] Quoique il en soit l’argument de Dieu l’horloger ne fonctionnera pour vous que si vous acceptez cette perspective nouvelle selon laquelle l’univers est une sorte d’horloge.
Voici justement une blague qui vient vous couper l’herbe sous le pied : « Une octogénaire se précipite dans la salle des hommes de la maison de retraite où elle habite. Elle soulève son poing fermé et lance : « Quiconque devine ce que je tiens dans ma main peut faire l’amour avec moi ce soir. » Un vieil homme rétorque aussitôt : « Un éléphant? » La femme demeure un moment pensive, puis elle dit : «C’est assez proche pour être accepté! Bonne réponse.»
Ici, une histoire qui commence comme étant une histoire de concours devient tout à coup une histoire qui concerne une femme dont l’appétit est tel qu’elle ne tient aucun compte des règles du concours.
4. Trouvez-vous qu’en général les philosophes ont le sens de l’humour? Et si c’est le cas, leur sens de l’humour est-il particulier?
Si nos souvenirs sont exacts, durant toutes nos études en philosophie nous n’avons entendu de tous nos professeurs qu’une seule blague; et elle n’était pas exactement à se rouler par terre! Henry David Aiken nous parlait des théories de la vérité et il prenait comme exemple la proposition : « La chatte est sur le tapis. »
« Selon la théorie de la vérité comme correspondance, continua-t-il, la proposition : ‘La chatte est sur le tapis’, est vraie si et seulement si il y a en fait … ‘une minette sur la carpette’. »
Si vous ne la trouvez pas terrible, on ne peut même pas vous dire qu’il fallait être là : nous y étions et ce n’était pas drôle!
Donc, pour répondre à votre question en se fondant sur notre expérience : un sens de l’humour? Non; particulier? Oui!
La remarque de Wittgenstein est célèbre : Un ouvrage philosophique et sérieux pourrait être écrit qui serait entièrement composé de blagues. Hélas, Wittgenstein n’a jamais écrit un tel ouvrage et personne ne semble avoir la moindre idée de ce qu’il voulait dire. (Selon ses biographes, s’il y a une chose que Ludwig n’était pas, c’est drôle.)
Le philosophe se caractérise peut être plus par son esprit que par son humour. La capacité de produire un mot d’esprit est celle de trouver le bon mot, et cela pourrait être rapproché de la capacité du philosophe à trouver le mot juste.
L’histoire de la réponse que Sydney Morganbesser fît à John Austin est peut-être une légende urbaine, mais elle constitue un bon exemple de ce que nous voulons dire.
Austin, raconte-t-on, expliquait à son auditoire qu’en anglais une double négation produit une affirmation — par exemple, dire d’une personne qu’elle n’est pas inattrayante signifie qu’elle est attrayante. Austin poursuivit en disant qu’il n’y a cependant aucune langue dans laquelle une double affirmation produit une négation. Morganbesser, dans la salle, aurait alors lancé : « Ouais, ouais … »
5. Il existe plusieurs célèbres théories philosophiques de l’humour. En avez-vous une préférée?
Notre suggestion que les blagues viennent vous couper l’herbe sous le pied et tromper vos attentes nous placerait fermement dans le camp des théoriciens de l’incongruité, théorie dont les plus célèbres défenseurs sont Kant et Schopenhauer. Selon ce point de vue, les éléments d’absurdité et de surprise sont des éléments essentiels de l’humour.
Mais nous pensons qu’il y a aussi quelque chose de vrai dans la théorie de la supériorité défendue par Thomas Hobbes. Cette «soudaine gloire» n’est pas seulement, comme il l’écrit , cette « passion […] causée soit par quelque action soudaine dont on est content, soit par la saisie en l'autre de quelque difformité, en comparaison de laquelle on s'applaudit soudainement soi-même .» C’est aussi le plaisir que nous prenons à savourer notre propre perspicacité. On comprend! On est aussi brillant que la personne qui a conté la blague! On appartient à une élite dont sont exclus ceux qui ne la comprennent pas.
Quoique il en soit, il nous semble que les psychologues expliquent mieux ce qui nous fait rire — à savoir, les mêmes choses qui nous angoissent, comme le sexe ou la mort. Nous faisons des blagues à propos de ces choses, assurent les psychologues, afin de calmer un moment ces angoisses. Essayez juste pour voir de trouver une blague vraiment hilarante qui soit réellement à propos d’une banane molle.
6. À l’intention des personnes qui ne connaîtraient pas vos ouvrages, pourriez-vous nous donner un exemple d’une notion philosophique qu’on peut enseigner ou illustrer à l’aide d’une blague.
Un seul exemple?! Mais nous en avons des millions!
Dans le monde occidental, l’empirisme est de loin la théorie de la connaissance la plus acceptée. À partir du XVIII e siècle, il a été admis comme allant de soi que c’est à travers nos expériences sensorielles que nous acquérons notre connaissance du monde extérieur. En fait, il ne serait aucunement exagéré de dire que l’empirisme est en Occident notre épistémologie commune spontanée. Si quelqu’un affirme quelque chose qui est censé être un fait, on tient pour acquis que c’est par observation qu’il a connu ce fait, et non en découvrant dans sa tête une idée innée qui aurait été implantée là par Dieu.
Considérez à présent ceci.
Trois femmes se tiennent dans le vestiaire du Club auquel elles appartiennent, quand tout à coup surgit un homme entièrement nu — du moins si on excepte le sac qu’il a sur la tête. La première femme le regarde de haut en bas et dit : « Au moins, ce n’est pas mon mari!» La deuxième femme le regarde elle aussi et lance : « En effet! » La troisième femme déclare : « Il n’est même pas membre de notre Club. »
C’est que l’empirisme, bien entendu, signifie plus que la simple observation : nous devons aussi interpréter notre expérience et, pour cela, faire intervenir nos expériences passées, évaluer des probabilités, et ainsi de suite.
Voyez encore.
Trois blondes ont soumis leur candidature pour devenir détective. Le détective en chef propose de leur faire passer un test tout simple : il va leur montrer la photographie d’un suspect durant cinq secondes, après quoi la postulante lui dira quelle conclusion relative au suspect elle a tiré de cette observation.
Il montre donc la photo à la première blonde, qui dit : « Mon Dieu! Celui-là va être tellement facile à attraper. Il n’a qu’un œil! » Le détective en chef lui dit : « Euh… mademoiselle, la photographie représente l’homme de profil. C’est pour cela qu’il semble n’avoir qu’un seul œil. Je suis désolé, mais vous ne possédez pas les qualifications que nous recherchons. »
Il montre ensuite la photographie à la deuxième blonde, qui s’écrie aussitôt: « Wow! Ça va être facile. Le suspect n’a qu’une seule oreille. » Le détective en chef n’en revient pas. « Madame, lui dit-il, je crains que le métier de détective ne soit pas pour vous. »
Il passe à la dernière postulante et lui montre la photographie. Elle réfléchit un moment et dit : « Il est évident que le suspect porte des verres de contact. » Le détective en chef est très étonné. Comme il ne sait pas si le suspect porte ou non des verres de contact, il s’excuse auprès de la candidate le temps d’aller à son bureau consulter le dossier du suspect. Et en effet, ce dernier porte des verres de contact! Notre homme est très impressionné. Il retourne voir la postulante et lui demande quelles observations lui ont permis d’arriver à cette conclusion. Elle répond : « Facile! Il ne peut pas porter de lunettes, étant donné qu’il n’a qu’un œil et qu’une oreille! »
Une dernière? Nous, on ne sait pas s’arrêter!
Lorsque nous pensons à des données empiriques, on pense en général à ce qu’on a vu. Bien entendu, nos quatre autres sens peuvent eux aussi nous fournir des données. L’homme dans l’histoire qui suit commet justement l’erreur de supposer qu’un homme aveugle n’aurait pas d’autres moyens de vérification par les sens.
Un homme entre dans un bar et demande à boire. Le barman lui dit : « Vous ne pouvez emmener de chien ici! » Du tac au tac, l’homme lui répond : « C’est mon chien d’aveugle. » « Oh! Je suis désolé, dit le barman. Votre première consommation est pour moi. » L’homme prend son verre et va s’asseoir à une table près de la porte. Un autre homme entre dans le bar, lui aussi avec un chien. Le premier homme l’arrête et lui dit : « Ils ne te laisseront pas amener ton chien ici à moins que tu ne leur dises que c’est un chien d’aveugle. » Le deuxième homme le remercie du conseil et va au bar, où il demande une consommation. Le barman lui dit : « Vous ne pouvez pas avoir de chien avec vous ici. » L’homme répond : « C’est mon chien d’aveugle. » Le barman dit : « Ça m’étonnerait : on ne prend pas des chihuahuas comme chien d’aveugles. » L’homme demeure une demi-seconde interloqué, puis répond : « Quoi!?!? Ils m’ont donné un chihuahua?!?! »
7. Auriez-vous, à l’intention des professeurs de philosophie, quelques recommandations pédagogiques concernant l’utilisation de l’humour en classe?
Tout à fait : Achetez Platon et son ornithorynque entrent dans un bar, en vente dans toutes les bonnes librairies. Si vous préférez le lire en catalan, ce sera : Plato Y un Ornitorrinc entren en un bar. Malheureusement, si vous préférez le bulgare…
Mais sérieusement, nous pensons réellement que l’humour peut jouer le rôle d’un outil mnémotechnique, si du moins la blague ou le mot d’esprit est suffisamment semblable à ce que vous tentez de faire comprendre. Ce ne sont pas toutes les blagues dans Platon et son ornithorynque qui sont de ce calibre. Mais qui, après avoir entendu parler de Madame Goldstein, pourrait ne plus se rappeler du concept aristotélicien du telos — cette tendance interne vers une finalité que possède tout ce qui peuple l’univers.
Madame Goldstein déambulait sur la rue avec ses deux petits-fils, quand elle croisa un ami qui lui demanda leurs âges. Elle répondit : « Le médecin a cinq ans et l’avocat sept!»
Une autre retombée positive de l’utilisation de l’humour dans l’enseignement de la philosophie, tout particulièrement avec des débutants, est que cela démystifie la philosophie et la ramène sur terre. La philosophie a la réputation d’être quelque chose de ridiculement complexe et elle l’a au moins depuis qu’Aristophane a écrit Les nuées. Il nous semble qu’un soupçon de dérision ne saurait nuire. Racontez quelques bonne blagues idiotes et ensuite, mais ensuite seulement, abordez les antinomies kantiennes de la raison pure. Ça fonctionne à merveille!
8. La demande pour la philosophie semble de nos jours s’accroître et le succès de votre livre en témoigne. Pensez-vous que la philosophie soit en ce moment de plus en plus populaire? Et si c’est le cas, comment l’expliquez-vous?
Il semble bien qu’aux Etats-Unis le nombre d’étudiants qui s’inscrivent en philosophie soit en croissance. Nous avons quelques idées pour expliquer cela. Tout d’abord, de nos jours, le fait de poursuivre des études ne garantit pas qu’on obtiendra un bon emploi : et puisque c’est le cas, pourquoi ne pas étudier quelque chose d’inutile et d’intéressant?
Par ailleurs, les idées reçues se sont fait énormément malmener depuis quelque temps. Il est devenu plus difficile que jamais de croire, disons, un prêtre, quand on découvre qu’il avait de biens vilaines pratiques avec ses servants de messe; ou un politicien dont on découvre qu’il est … un politicien. Tout cela nous laisse avec un bien difficile problème : celui de devoir penser par nous-mêmes. La philosophie aide à le faire. En tout cas, cela arrive parfois…
(Propos recueillis et traduits par Normand Baillargeon)
Les auteurs
Si on veut être généreux, on dira de Tom Cathcart qu’il a eu une carrière très variée : il a travaillé auprès des gangs de rues à Chicago, a été professeur au Collège Westbrook Jr (Maine), a été administrateur pour Blue Cross et Blue Shield, administrateur dans un hôpital puis dans un centre de soins palliatifs pour patients avec HIV ou Sida, enfin, directeur de programmes pour une agence de santé mentale. Il est terriblement grand et clame qui veut l’entendre qu’il a dans tout le pays la réputation d’être un aimant à filles.
Tout comme Tom, Dan Klein est un diplômé de philosophie de Harvard et il a coécrit Plato and a Platypus, Aristotle and an Aardvark, et Macho Méditations. Il est chauve. Contrairement à Tom, Dan n’a jamais fait une seule journée de travail honnête de sa vie, qu’il a gagnée en étant auteur pour la télévision (il a écrit pour Candid Camera, pour des Quiz ainsi que des textes pour les comédiens Flip Wilson et David Frye.) Il est également auteur de fictions : il a signé des thrillers médicaux, Embryo, Wavelengths, Beauty Sleep, ainsi que des dramatiques policières consacrées à Elvis Presley : Kill me Tender, Blue Suede Clues, etc.
Contrairement à Tom, Dan est petit
Je poste cette fois cet autre chapitre du livre. Cet entretien est aussi paru dans Philosophie Magazine. Me conctacter si on désire reproduire ce texte.
***
1. Comment vous est venue l’idée d’écrire Platon et son ornithorynque?
Nous nous sommes connus la première journée de notre première année d’études à Harvard, en 1957, et nous sommes restés des amis depuis lors.
Nous avons tous deux étudié la philosophie et nous avons eu des professeurs exceptionnels — parmi lesquels W. V. O. Quine, Paul Tillich et Robert Paul Wolff. Un de nos camarades d’études était le juge de la Cour suprême américaine David Souter — en fait, il n’était pas juge de la Cour suprême à cette époque, mais il était déjà un garçon sérieux et on pouvait tout à fait l’imaginer porter une toge noire.
Ceci dit, nous avons probablement appris plus de philosophie au cours de toutes ces nuits passées au Tommy’s Arcade et durant lesquelles nous discutions l’un avec l’autre.
Nous sommes donc restés amis durant les 52 années qui ont suivi et nous n’avons cessé de débattre (Tom est plus religieux que Dan et il est également plus grand, ce qui irrite quelque peu Dan; d’un autre côté Dan, plus que Tom, est un véritable aimant à femmes, ce qui ce qui irrite quelque peu Tom.)
Durant toutes ces années, nous n’avons cessé de nous raconter des blagues. Un soir, Danny téléphone à Tom et lui dit : « Je viens d’entendre une bonne vieille blague. Un homme est au lit avec la femme de son meilleur ami. Tout d’un coup, ils entendent la voiture du mari qui se stationne dans le garage. L’ami saute du lit et court se cacher dans le placard. Pendant ce temps, le mari entre dans la chambre et, ouvrant le placard pour y accrocher son veston, il y voit son meilleur ami Louis, complètement nu. L’homme s’écrie : « Louis! Qu’est-ce que tu fais là? » et Louis répond: « Euh… Ben tout le monde doit bien être quelque part. »
Tom a réagi en disant : « Ah, Ah! Louis donne une réponse hégélienne à ce qui devait s’entendre comme une question existentielle. »
La conversation s’est alors poursuivi comme suit:
Dan : Exactement! Le mari veut savoir ce que Louis fait dans cette situation existentielle particulière, c’est-à-dire nu et dans le placard.
Tom : Exact. Tandis que Louis, pour des raisons qu’on devine, préfère répondre du point de vue de Dieu, en se plaçant en quelque sorte hors du système, comme Hegel.
Dan : Attends un peu. On tient un livre avec ça! (Il faut dire que Dan est l’auteur de 30 ouvrages)
Tom : Pardon? (Il faut dire que Tom n’est pas auteur de 30 ouvrages)
Dan : Tout à fait! Des blagues qui permettent de saisir des idées philosophiques.
Tom : Ce sera un tout petit livre, Danny. Il ne doit y avoir que 4 blagues dans le monde entier qui font cela.
Dan : Non! Non! Il y en a des centaines.
Nous avons loué une chambre de Motel à Gloucester (Massachusetts) et nous nous y sommes enfermés pour une fin de semaine avec une pile de livres de philosophie et une pile de livres de blagues. Le reste, comme dirait Hegel, appartient à l’histoire.
2. Avez-vous été surpris du succès du livre, qui a été si grand que vous avez dû en faire un deuxième et qu’un troisième est en préparation?
En fait, non, nous n’en avons pas été surpris : nous en avons été complètement renversés!
Notre livre avait été refusé par 40 maisons d’édition. Mais notre agente littéraire, Julia Lord, refusait de capituler. Le quarante et unième éditeur, Abrams Image, a acheté Plato and a Platypus walk into a Bar pour une minuscule avance et n’en a imprimé que 15 000 copies. Notre espoir le plus fou était d’en vendre suffisamment pour couvrir notre avance et peut-être faire un 1000$ de plus.
C’est alors que Weekend Edition Sunday, de NPR, nous a contactés : Liane Hanson souaitait nous interviewer. Une heure avant l’émission, le livre était 2 232e place sur Amazon. Une heure après l’émission, il était en troisième position et le livre est demeuré sur la liste des Best Sellers du New York Times jusqu’à ce que Abrams manque d’exemplaires. Dès que la réimpression fût faite, le livre est revenu sur la liste et il y est resté durant de nombreuses semaines. Nous étions stupéfaits.
Moralité? La philosophie est facile, le marketing difficile!
3. D’aucuns trouveraient improbable (et c’est un euphémisme!) le lien que vous faites entre humour et philosophie. Qu’ont-ils en commun, selon vous?
Comme nous le disons dans le livre, la construction et l’aboutissement des blagues et la construction et l’aboutissement de la philosophie sont de même nature : dans les deux cas, on travaille sur la conception que nous avons des choses et de ce qui existe, puis on nous amène dans une certaine direction et nous attendons une certaine conclusion : mais ces attentes sont trompées, un peu comme si l’herbe nous était coupée sous le pied.
Par exemple, la chute d’une blague pourra révéler que l’histoire ne parle pas réellement de médecins, mais plutôt de femmes nues! De la même manière, le philosophe pourra commencer à parler de tables et de chaises qui sont là, dans le monde extérieur; puis, sans que vous vous rendiez compte de la manière dont cela s’est fait, il sera finalement question de données des sens qui sont dans votre tête.
Il résulte de tout ceci que la philosophie et les blagues produisent ces moments où l’on se dit : « Ah! Ah! », celui qui se produit quand la lumière s’allume et que, tout d’un coup, on comprend. Pour le dire d’une autre manière, les blagues et la philosophie jouent sur la perspective que nous avons sur le monde et s’emploient à la transformer.
Prenez par exemple cet argument qui tente de démontrer l’existence de Dieu en invoquant une étonnante analogie : « Le monde est comme une horloge. »
Supposons que vous acceptiez cela, que penser alors de l’étonnante conclusion suivante? « Les horloges sont faites par des horlogers, donc le monde doit avoir été fait par un fabriquant de mondes. » CQFD! [Sauf que, comme David Hume l’a fait remarquer il y a quelques deux siècles, concevoir l’univers comme une horloge est une analogie très étrange. Vous pourriez tout aussi bien dire que l’univers est comme un kangourou — tous ces systèmes interconnectés et réunis dans cette chose qui palpite. Selon cette analogie, le monde a commencé à exister à la suite de rapport sexuel de deux autres univers kangourouesques.] Quoique il en soit l’argument de Dieu l’horloger ne fonctionnera pour vous que si vous acceptez cette perspective nouvelle selon laquelle l’univers est une sorte d’horloge.
Voici justement une blague qui vient vous couper l’herbe sous le pied : « Une octogénaire se précipite dans la salle des hommes de la maison de retraite où elle habite. Elle soulève son poing fermé et lance : « Quiconque devine ce que je tiens dans ma main peut faire l’amour avec moi ce soir. » Un vieil homme rétorque aussitôt : « Un éléphant? » La femme demeure un moment pensive, puis elle dit : «C’est assez proche pour être accepté! Bonne réponse.»
Ici, une histoire qui commence comme étant une histoire de concours devient tout à coup une histoire qui concerne une femme dont l’appétit est tel qu’elle ne tient aucun compte des règles du concours.
4. Trouvez-vous qu’en général les philosophes ont le sens de l’humour? Et si c’est le cas, leur sens de l’humour est-il particulier?
Si nos souvenirs sont exacts, durant toutes nos études en philosophie nous n’avons entendu de tous nos professeurs qu’une seule blague; et elle n’était pas exactement à se rouler par terre! Henry David Aiken nous parlait des théories de la vérité et il prenait comme exemple la proposition : « La chatte est sur le tapis. »
« Selon la théorie de la vérité comme correspondance, continua-t-il, la proposition : ‘La chatte est sur le tapis’, est vraie si et seulement si il y a en fait … ‘une minette sur la carpette’. »
Si vous ne la trouvez pas terrible, on ne peut même pas vous dire qu’il fallait être là : nous y étions et ce n’était pas drôle!
Donc, pour répondre à votre question en se fondant sur notre expérience : un sens de l’humour? Non; particulier? Oui!
La remarque de Wittgenstein est célèbre : Un ouvrage philosophique et sérieux pourrait être écrit qui serait entièrement composé de blagues. Hélas, Wittgenstein n’a jamais écrit un tel ouvrage et personne ne semble avoir la moindre idée de ce qu’il voulait dire. (Selon ses biographes, s’il y a une chose que Ludwig n’était pas, c’est drôle.)
Le philosophe se caractérise peut être plus par son esprit que par son humour. La capacité de produire un mot d’esprit est celle de trouver le bon mot, et cela pourrait être rapproché de la capacité du philosophe à trouver le mot juste.
L’histoire de la réponse que Sydney Morganbesser fît à John Austin est peut-être une légende urbaine, mais elle constitue un bon exemple de ce que nous voulons dire.
Austin, raconte-t-on, expliquait à son auditoire qu’en anglais une double négation produit une affirmation — par exemple, dire d’une personne qu’elle n’est pas inattrayante signifie qu’elle est attrayante. Austin poursuivit en disant qu’il n’y a cependant aucune langue dans laquelle une double affirmation produit une négation. Morganbesser, dans la salle, aurait alors lancé : « Ouais, ouais … »
5. Il existe plusieurs célèbres théories philosophiques de l’humour. En avez-vous une préférée?
Notre suggestion que les blagues viennent vous couper l’herbe sous le pied et tromper vos attentes nous placerait fermement dans le camp des théoriciens de l’incongruité, théorie dont les plus célèbres défenseurs sont Kant et Schopenhauer. Selon ce point de vue, les éléments d’absurdité et de surprise sont des éléments essentiels de l’humour.
Mais nous pensons qu’il y a aussi quelque chose de vrai dans la théorie de la supériorité défendue par Thomas Hobbes. Cette «soudaine gloire» n’est pas seulement, comme il l’écrit , cette « passion […] causée soit par quelque action soudaine dont on est content, soit par la saisie en l'autre de quelque difformité, en comparaison de laquelle on s'applaudit soudainement soi-même .» C’est aussi le plaisir que nous prenons à savourer notre propre perspicacité. On comprend! On est aussi brillant que la personne qui a conté la blague! On appartient à une élite dont sont exclus ceux qui ne la comprennent pas.
Quoique il en soit, il nous semble que les psychologues expliquent mieux ce qui nous fait rire — à savoir, les mêmes choses qui nous angoissent, comme le sexe ou la mort. Nous faisons des blagues à propos de ces choses, assurent les psychologues, afin de calmer un moment ces angoisses. Essayez juste pour voir de trouver une blague vraiment hilarante qui soit réellement à propos d’une banane molle.
6. À l’intention des personnes qui ne connaîtraient pas vos ouvrages, pourriez-vous nous donner un exemple d’une notion philosophique qu’on peut enseigner ou illustrer à l’aide d’une blague.
Un seul exemple?! Mais nous en avons des millions!
Dans le monde occidental, l’empirisme est de loin la théorie de la connaissance la plus acceptée. À partir du XVIII e siècle, il a été admis comme allant de soi que c’est à travers nos expériences sensorielles que nous acquérons notre connaissance du monde extérieur. En fait, il ne serait aucunement exagéré de dire que l’empirisme est en Occident notre épistémologie commune spontanée. Si quelqu’un affirme quelque chose qui est censé être un fait, on tient pour acquis que c’est par observation qu’il a connu ce fait, et non en découvrant dans sa tête une idée innée qui aurait été implantée là par Dieu.
Considérez à présent ceci.
Trois femmes se tiennent dans le vestiaire du Club auquel elles appartiennent, quand tout à coup surgit un homme entièrement nu — du moins si on excepte le sac qu’il a sur la tête. La première femme le regarde de haut en bas et dit : « Au moins, ce n’est pas mon mari!» La deuxième femme le regarde elle aussi et lance : « En effet! » La troisième femme déclare : « Il n’est même pas membre de notre Club. »
C’est que l’empirisme, bien entendu, signifie plus que la simple observation : nous devons aussi interpréter notre expérience et, pour cela, faire intervenir nos expériences passées, évaluer des probabilités, et ainsi de suite.
Voyez encore.
Trois blondes ont soumis leur candidature pour devenir détective. Le détective en chef propose de leur faire passer un test tout simple : il va leur montrer la photographie d’un suspect durant cinq secondes, après quoi la postulante lui dira quelle conclusion relative au suspect elle a tiré de cette observation.
Il montre donc la photo à la première blonde, qui dit : « Mon Dieu! Celui-là va être tellement facile à attraper. Il n’a qu’un œil! » Le détective en chef lui dit : « Euh… mademoiselle, la photographie représente l’homme de profil. C’est pour cela qu’il semble n’avoir qu’un seul œil. Je suis désolé, mais vous ne possédez pas les qualifications que nous recherchons. »
Il montre ensuite la photographie à la deuxième blonde, qui s’écrie aussitôt: « Wow! Ça va être facile. Le suspect n’a qu’une seule oreille. » Le détective en chef n’en revient pas. « Madame, lui dit-il, je crains que le métier de détective ne soit pas pour vous. »
Il passe à la dernière postulante et lui montre la photographie. Elle réfléchit un moment et dit : « Il est évident que le suspect porte des verres de contact. » Le détective en chef est très étonné. Comme il ne sait pas si le suspect porte ou non des verres de contact, il s’excuse auprès de la candidate le temps d’aller à son bureau consulter le dossier du suspect. Et en effet, ce dernier porte des verres de contact! Notre homme est très impressionné. Il retourne voir la postulante et lui demande quelles observations lui ont permis d’arriver à cette conclusion. Elle répond : « Facile! Il ne peut pas porter de lunettes, étant donné qu’il n’a qu’un œil et qu’une oreille! »
Une dernière? Nous, on ne sait pas s’arrêter!
Lorsque nous pensons à des données empiriques, on pense en général à ce qu’on a vu. Bien entendu, nos quatre autres sens peuvent eux aussi nous fournir des données. L’homme dans l’histoire qui suit commet justement l’erreur de supposer qu’un homme aveugle n’aurait pas d’autres moyens de vérification par les sens.
Un homme entre dans un bar et demande à boire. Le barman lui dit : « Vous ne pouvez emmener de chien ici! » Du tac au tac, l’homme lui répond : « C’est mon chien d’aveugle. » « Oh! Je suis désolé, dit le barman. Votre première consommation est pour moi. » L’homme prend son verre et va s’asseoir à une table près de la porte. Un autre homme entre dans le bar, lui aussi avec un chien. Le premier homme l’arrête et lui dit : « Ils ne te laisseront pas amener ton chien ici à moins que tu ne leur dises que c’est un chien d’aveugle. » Le deuxième homme le remercie du conseil et va au bar, où il demande une consommation. Le barman lui dit : « Vous ne pouvez pas avoir de chien avec vous ici. » L’homme répond : « C’est mon chien d’aveugle. » Le barman dit : « Ça m’étonnerait : on ne prend pas des chihuahuas comme chien d’aveugles. » L’homme demeure une demi-seconde interloqué, puis répond : « Quoi!?!? Ils m’ont donné un chihuahua?!?! »
7. Auriez-vous, à l’intention des professeurs de philosophie, quelques recommandations pédagogiques concernant l’utilisation de l’humour en classe?
Tout à fait : Achetez Platon et son ornithorynque entrent dans un bar, en vente dans toutes les bonnes librairies. Si vous préférez le lire en catalan, ce sera : Plato Y un Ornitorrinc entren en un bar. Malheureusement, si vous préférez le bulgare…
Mais sérieusement, nous pensons réellement que l’humour peut jouer le rôle d’un outil mnémotechnique, si du moins la blague ou le mot d’esprit est suffisamment semblable à ce que vous tentez de faire comprendre. Ce ne sont pas toutes les blagues dans Platon et son ornithorynque qui sont de ce calibre. Mais qui, après avoir entendu parler de Madame Goldstein, pourrait ne plus se rappeler du concept aristotélicien du telos — cette tendance interne vers une finalité que possède tout ce qui peuple l’univers.
Madame Goldstein déambulait sur la rue avec ses deux petits-fils, quand elle croisa un ami qui lui demanda leurs âges. Elle répondit : « Le médecin a cinq ans et l’avocat sept!»
Une autre retombée positive de l’utilisation de l’humour dans l’enseignement de la philosophie, tout particulièrement avec des débutants, est que cela démystifie la philosophie et la ramène sur terre. La philosophie a la réputation d’être quelque chose de ridiculement complexe et elle l’a au moins depuis qu’Aristophane a écrit Les nuées. Il nous semble qu’un soupçon de dérision ne saurait nuire. Racontez quelques bonne blagues idiotes et ensuite, mais ensuite seulement, abordez les antinomies kantiennes de la raison pure. Ça fonctionne à merveille!
8. La demande pour la philosophie semble de nos jours s’accroître et le succès de votre livre en témoigne. Pensez-vous que la philosophie soit en ce moment de plus en plus populaire? Et si c’est le cas, comment l’expliquez-vous?
Il semble bien qu’aux Etats-Unis le nombre d’étudiants qui s’inscrivent en philosophie soit en croissance. Nous avons quelques idées pour expliquer cela. Tout d’abord, de nos jours, le fait de poursuivre des études ne garantit pas qu’on obtiendra un bon emploi : et puisque c’est le cas, pourquoi ne pas étudier quelque chose d’inutile et d’intéressant?
Par ailleurs, les idées reçues se sont fait énormément malmener depuis quelque temps. Il est devenu plus difficile que jamais de croire, disons, un prêtre, quand on découvre qu’il avait de biens vilaines pratiques avec ses servants de messe; ou un politicien dont on découvre qu’il est … un politicien. Tout cela nous laisse avec un bien difficile problème : celui de devoir penser par nous-mêmes. La philosophie aide à le faire. En tout cas, cela arrive parfois…
(Propos recueillis et traduits par Normand Baillargeon)
Les auteurs
Si on veut être généreux, on dira de Tom Cathcart qu’il a eu une carrière très variée : il a travaillé auprès des gangs de rues à Chicago, a été professeur au Collège Westbrook Jr (Maine), a été administrateur pour Blue Cross et Blue Shield, administrateur dans un hôpital puis dans un centre de soins palliatifs pour patients avec HIV ou Sida, enfin, directeur de programmes pour une agence de santé mentale. Il est terriblement grand et clame qui veut l’entendre qu’il a dans tout le pays la réputation d’être un aimant à filles.
Tout comme Tom, Dan Klein est un diplômé de philosophie de Harvard et il a coécrit Plato and a Platypus, Aristotle and an Aardvark, et Macho Méditations. Il est chauve. Contrairement à Tom, Dan n’a jamais fait une seule journée de travail honnête de sa vie, qu’il a gagnée en étant auteur pour la télévision (il a écrit pour Candid Camera, pour des Quiz ainsi que des textes pour les comédiens Flip Wilson et David Frye.) Il est également auteur de fictions : il a signé des thrillers médicaux, Embryo, Wavelengths, Beauty Sleep, ainsi que des dramatiques policières consacrées à Elvis Presley : Kill me Tender, Blue Suede Clues, etc.
Contrairement à Tom, Dan est petit
samedi, janvier 02, 2010
CAMP JÉSUS
Il m'est arrivé d'écrire sur le concept d'endoctrinement. Mais un bon exemple reste un bon exemple. La preuve:
Libellés :
camp jésus,
endoctrinement,
fondamentalistes,
Normand Baillargeon
vendredi, janvier 01, 2010
UNE LÉGENDE PÉDAGOGIQUE
[Chronique éducation pour le prochain numéro de la revue À Bâbord]
Vous connaissez sûrement ce qu’on appelle des ‘légendes urbaines’.
Ce sont des histoires qui sont typiquement contées comme étant arrivées à quelqu’un de proche de la personne qui vous la raconte («C’est arrivé à un ami d’un ami», commencera-t-on parfois) et qui sont le plus souvent étranges tant par leur sujet que par leur dénouement.
Ces histoires sont appelées des légendes parce que, bien qu’elles ne soient pas avérées et soient très probablement fausses, elles se donnent pour vraies; et si elles circulent à ce point, c’est qu’elles expriment des peurs ou des fixations collectives. Leur contenu et ce que leur circulation signifient pour la collectivité où elles sont diffusées, tout cela est du plus grand intérêt et a été abondamment étudié.
Je voudrais suggérer ici qu’il existe dans le monde de l’éducation de semblables légendes, que je propose d’appeler des légendes pédagogiques.
Le concept de légende pédagogique
Les légendes pédagogiques sont très semblables aux légendes urbaines : elles aussi sont répétées et circulent abondamment; elles aussi sont le plus souvent sinon entièrement fausses, du moins dénuées d’une solide base scientifique; et elles aussi nous disent quelque chose du milieu dans lequel elles circulent.
Cependant, les légendes pédagogiques n’expriment pas tant des peurs et des fixations, que des croyances rassurantes et romantiques qui, hélas, caractérisent le monde de l’éducation.
Je suis persuadé qu’il en existe un grand nombre et qu’il serait très utile d’en faire l’inventaire — je songe à en faire un livre.
En attendant, en voici une, particulièrement répandue et pernicieuse.
Les styles d’apprentissage
Vous avez certainement déjà entendu raconter cette légende pédagogique et peut-être même la croyez-vous : il existerait des styles d’apprentissage différents, chacun de nous en possédant un qui est chez lui ou elle prépondérant et nous appendrions mieux si on nous enseignait conformément à notre style d’apprentissage.
Les styles en question varient énormément selon les auteurs consultés . David Kolb pense qu’il y en a quatre, qu’il a nommés le style accommodateur, le style divergent, le style assimilateur et le style convergent.
Mais un grand nombre d’autres classifications sont également utilisées : dépendance / indépendance à l'égard du champ; intuitif / méthodique; centration / balayage; collaboration / compétition; analytique / global; groupe / individuel; cerveau gauche/ cerveau droit. La palme de la classification la plus courante revient probablement à la tripartition : visuel, auditif, kinesthésique, qui soutient que nous avons tous un style d’apprentissage où domine soit la vison, soit l’ouïe soit le toucher. Le petit Paul est un visuel : c’est en voyant des images de la rébellion des patriotes qu’il apprendra le mieux cet épisode de notre histoire; la petite Linda est auditive : on préférera lui en parler; quant à Jacques, kinesthésique, on lui fera fabriquer des reproductions d’une scène de bataille.
Ces diverses idées sont on ne peut plus répandues. En éducation, de très nombreux ouvrages et articles leur ont été consacrés; d’innombrables sites Internet vous proposent des tests pour déterminer votre style d’apprentissage [par exemple : http://www.pedagonet.com/other/Styles.htm]. De nombreux ateliers et formations sont donnés sur la question. Le monde du travail n’est pas en reste et les personnes en recherche d’emploi sont invitées à déterminer leur style d’apprentissage [par exemple :http://www.emploisetc.gc.ca/toolbox/quizzes/styles_quiz.do?lang=f].
Mais ces idées sont-elles vraies? Avons-nous, ou non, des styles d’apprentissages distincts et, le cas échéant, est-il vrai que nous apprendrons mieux si le style de l’enseignement qu’on nous dispense est conforme à notre style d’apprentissage?
Mises à l’épreuve
Daniel Willingham est formel : il exprime le consensus des chercheurs de sa discipline, la psychologie cognitive, en même temps que ce que nous enseigne la recherche crédible quand il affirme que les styles d’apprentissages n’existent pas. Il s’agit là en fait d’un de ces nombreux mythes de la psychologie populaire.
Pour aller au cœur de l’argumentaire, considérons la plus répandue des classifications, la tripartition visuel, auditif, kinesthésique — ce que j’en dirai vaudrait mutatis mutandis pour les autres. Il est vrai que nous stockons parfois en mémoire des choses et que nous en apprenons et y réfléchissons en termes, disons, visuels ou auditifs; vrai aussi que nos capacités à ces égards varient d’une personne à une autre.
Mais, et voilà le hic, cela ne vaut que pour des contenus visuels ou auditifs. Si on vous demande de comparer mentalement la voix de Renaud et celle de Brassens, votre mémoire auditive entre en fonction; si on vous demande de penser à la forme des oreilles de votre chien, votre mémoire visuelle travaille; comment vous lacer vos souliers, votre mémoire kinesthésique travaille. Et certains sont meilleurs que d’autres pour ces tâches. Mais cela n’à rien à voir (sauf, bien entendu si le contenu est visuel ou auditif ou kinesthésique : une voix à entendre, un lieu à voir, une surface à toucher) avec ce qu’on transmet à l’école, à savoir des significations — et pas des sons ou des images.
Ce que vous savez de la Révolution Française, ce sont des significations, qui ne sont ni acquises, ni stockées visuellement, kinesthésiquement ou auditivement; et le fait que vous soyez plus ou moins bon à, disons, retenir des sons, n’a pas aidé ou nui à votre acquisition de ces significations.
Laissons la parole à Willingham : «[…] les enfants ont des habiletés diverses en diverses modalités [auditif, visuel, kinesthésique]; mais lui enseigner selon sa modalité la meilleure n’a pas d’impact sur sa réussite à l’école. Ce qui compte, c’est qu’on lui enseigne selon la modalité du contenu qu’on enseigne.»
(Notez que la très grande variété des classifications était déjà suspecte et incitait au doute — j’en ai évoqué quelques-unes : un chercheur en a dénombré 71!)
Reste une question : pourquoi des idées ayant scientifiquement si peu de crédibilité sont-elles néanmoins aussi répandues et crues?
La question mérite qu’on s’y arrête d’autant que des argents et des énergies considérables sont dépensées à promouvoir ces théories au mieux inefficaces.
Pourquoi y croyons-nous?
Je suggère quelques raisons qui, conjointement, fournissent me semble-t-il un début de réponse à cette troublante question.
La première est que certaines de ces idées sont au moins plausibles. C’est ainsi que c’est un fait que certains ont plus de facilité que d’autres à mémoriser des images ou des sons, que d’autres travaillent plus ou moins bien en équipe, etc. (On se rappellera cependant que la théorie des styles d’apprentissage soutient autre chose, qui va bien au-delà de cela).
La deuxième est que ces idées sont répétées et données comme avérées, avec certaines marques superficielles des théories solidement établies. Des universitaires les enseignent, des séminaires leur sont consacrées, des revues les publient, on subventionne des recherches à leur sujet. Si on gratte, cependant, on trouve bien peu de réel support scientifique à toute l’affaire. Le cas des recherches est particulièrement éclairant : la très grande majorité d’entre elles ne sont pas publiées dans des revues avec comités de lectures ou sont méthodologiquement déficientes.
Le phénomène bien connu des ‘biais de confirmation’ joue sans doute aussi un rôle dans cette histoire. On désigne par là cette tendance à chercher des informations qui confirment nos préconceptions, à être sensible à celles-là et pas aux autres, qui les contredisent, et à interpréter les données dans un sens favorable à nos idées et hypothèses. Voici un exemple fictif. Vous enseignez quelque chose à Paul et il a du mal à comprendre. À un moment donnée, vous lui montrez un objet et le déclic se fait. Vous vous dites : Paul est un visuel! Mais bien d’autres explications de ce qui s’est passé sont possibles : il se peut que l’objet présenté était un excellent exemple, qui aurait fonctionné avec n’importe qui; ou ce sont tout simplement vos explications antérieures qui viennent de porter fruit; etc.
Mais comme je l’ai dit en commençant, je pense aussi que cette idée de style d’apprentissage, comme toute légende pédagogique, j’en fais le pari, circule autant parce qu’elle est rassurante et cadre parfaitement avec une certaine idéologie romantique dont le monde de l’éducation est imbibé de part en part : apprendre peut être facile, naturel, se faire sans effort par tout le monde et pour n’importe quel savoir : il suffit de trouver les style d’enseignement qui corresponde au style d’apprentissage.
C’est, hélas, beaucoup trop beau pour être vrai.
Deux lectures où j’ai puisé pour cet article :
WILINGHAM, D. T. , Why Don't Students Like School: A Cognitive Scientist Answers Questions About How the Mind Works and What It Means for the Classroom, Jossey-Bass, 2009.
LILIENFELD, Scott O., et al., 50 Great Myths of Popular Psychology: Shattering Widespread Misconceptions about Human Behavior, Wiley-Blackwell, 2009.
Normand Baillargeon
(baillargeon.normand@uqam.ca)
Vous connaissez sûrement ce qu’on appelle des ‘légendes urbaines’.
Ce sont des histoires qui sont typiquement contées comme étant arrivées à quelqu’un de proche de la personne qui vous la raconte («C’est arrivé à un ami d’un ami», commencera-t-on parfois) et qui sont le plus souvent étranges tant par leur sujet que par leur dénouement.
Ces histoires sont appelées des légendes parce que, bien qu’elles ne soient pas avérées et soient très probablement fausses, elles se donnent pour vraies; et si elles circulent à ce point, c’est qu’elles expriment des peurs ou des fixations collectives. Leur contenu et ce que leur circulation signifient pour la collectivité où elles sont diffusées, tout cela est du plus grand intérêt et a été abondamment étudié.
Je voudrais suggérer ici qu’il existe dans le monde de l’éducation de semblables légendes, que je propose d’appeler des légendes pédagogiques.
Le concept de légende pédagogique
Les légendes pédagogiques sont très semblables aux légendes urbaines : elles aussi sont répétées et circulent abondamment; elles aussi sont le plus souvent sinon entièrement fausses, du moins dénuées d’une solide base scientifique; et elles aussi nous disent quelque chose du milieu dans lequel elles circulent.
Cependant, les légendes pédagogiques n’expriment pas tant des peurs et des fixations, que des croyances rassurantes et romantiques qui, hélas, caractérisent le monde de l’éducation.
Je suis persuadé qu’il en existe un grand nombre et qu’il serait très utile d’en faire l’inventaire — je songe à en faire un livre.
En attendant, en voici une, particulièrement répandue et pernicieuse.
Les styles d’apprentissage
Vous avez certainement déjà entendu raconter cette légende pédagogique et peut-être même la croyez-vous : il existerait des styles d’apprentissage différents, chacun de nous en possédant un qui est chez lui ou elle prépondérant et nous appendrions mieux si on nous enseignait conformément à notre style d’apprentissage.
Les styles en question varient énormément selon les auteurs consultés . David Kolb pense qu’il y en a quatre, qu’il a nommés le style accommodateur, le style divergent, le style assimilateur et le style convergent.
Mais un grand nombre d’autres classifications sont également utilisées : dépendance / indépendance à l'égard du champ; intuitif / méthodique; centration / balayage; collaboration / compétition; analytique / global; groupe / individuel; cerveau gauche/ cerveau droit. La palme de la classification la plus courante revient probablement à la tripartition : visuel, auditif, kinesthésique, qui soutient que nous avons tous un style d’apprentissage où domine soit la vison, soit l’ouïe soit le toucher. Le petit Paul est un visuel : c’est en voyant des images de la rébellion des patriotes qu’il apprendra le mieux cet épisode de notre histoire; la petite Linda est auditive : on préférera lui en parler; quant à Jacques, kinesthésique, on lui fera fabriquer des reproductions d’une scène de bataille.
Ces diverses idées sont on ne peut plus répandues. En éducation, de très nombreux ouvrages et articles leur ont été consacrés; d’innombrables sites Internet vous proposent des tests pour déterminer votre style d’apprentissage [par exemple : http://www.pedagonet.com/other/Styles.htm]. De nombreux ateliers et formations sont donnés sur la question. Le monde du travail n’est pas en reste et les personnes en recherche d’emploi sont invitées à déterminer leur style d’apprentissage [par exemple :http://www.emploisetc.gc.ca/toolbox/quizzes/styles_quiz.do?lang=f].
Mais ces idées sont-elles vraies? Avons-nous, ou non, des styles d’apprentissages distincts et, le cas échéant, est-il vrai que nous apprendrons mieux si le style de l’enseignement qu’on nous dispense est conforme à notre style d’apprentissage?
Mises à l’épreuve
Daniel Willingham est formel : il exprime le consensus des chercheurs de sa discipline, la psychologie cognitive, en même temps que ce que nous enseigne la recherche crédible quand il affirme que les styles d’apprentissages n’existent pas. Il s’agit là en fait d’un de ces nombreux mythes de la psychologie populaire.
Pour aller au cœur de l’argumentaire, considérons la plus répandue des classifications, la tripartition visuel, auditif, kinesthésique — ce que j’en dirai vaudrait mutatis mutandis pour les autres. Il est vrai que nous stockons parfois en mémoire des choses et que nous en apprenons et y réfléchissons en termes, disons, visuels ou auditifs; vrai aussi que nos capacités à ces égards varient d’une personne à une autre.
Mais, et voilà le hic, cela ne vaut que pour des contenus visuels ou auditifs. Si on vous demande de comparer mentalement la voix de Renaud et celle de Brassens, votre mémoire auditive entre en fonction; si on vous demande de penser à la forme des oreilles de votre chien, votre mémoire visuelle travaille; comment vous lacer vos souliers, votre mémoire kinesthésique travaille. Et certains sont meilleurs que d’autres pour ces tâches. Mais cela n’à rien à voir (sauf, bien entendu si le contenu est visuel ou auditif ou kinesthésique : une voix à entendre, un lieu à voir, une surface à toucher) avec ce qu’on transmet à l’école, à savoir des significations — et pas des sons ou des images.
Ce que vous savez de la Révolution Française, ce sont des significations, qui ne sont ni acquises, ni stockées visuellement, kinesthésiquement ou auditivement; et le fait que vous soyez plus ou moins bon à, disons, retenir des sons, n’a pas aidé ou nui à votre acquisition de ces significations.
Laissons la parole à Willingham : «[…] les enfants ont des habiletés diverses en diverses modalités [auditif, visuel, kinesthésique]; mais lui enseigner selon sa modalité la meilleure n’a pas d’impact sur sa réussite à l’école. Ce qui compte, c’est qu’on lui enseigne selon la modalité du contenu qu’on enseigne.»
(Notez que la très grande variété des classifications était déjà suspecte et incitait au doute — j’en ai évoqué quelques-unes : un chercheur en a dénombré 71!)
Reste une question : pourquoi des idées ayant scientifiquement si peu de crédibilité sont-elles néanmoins aussi répandues et crues?
La question mérite qu’on s’y arrête d’autant que des argents et des énergies considérables sont dépensées à promouvoir ces théories au mieux inefficaces.
Pourquoi y croyons-nous?
Je suggère quelques raisons qui, conjointement, fournissent me semble-t-il un début de réponse à cette troublante question.
La première est que certaines de ces idées sont au moins plausibles. C’est ainsi que c’est un fait que certains ont plus de facilité que d’autres à mémoriser des images ou des sons, que d’autres travaillent plus ou moins bien en équipe, etc. (On se rappellera cependant que la théorie des styles d’apprentissage soutient autre chose, qui va bien au-delà de cela).
La deuxième est que ces idées sont répétées et données comme avérées, avec certaines marques superficielles des théories solidement établies. Des universitaires les enseignent, des séminaires leur sont consacrées, des revues les publient, on subventionne des recherches à leur sujet. Si on gratte, cependant, on trouve bien peu de réel support scientifique à toute l’affaire. Le cas des recherches est particulièrement éclairant : la très grande majorité d’entre elles ne sont pas publiées dans des revues avec comités de lectures ou sont méthodologiquement déficientes.
Le phénomène bien connu des ‘biais de confirmation’ joue sans doute aussi un rôle dans cette histoire. On désigne par là cette tendance à chercher des informations qui confirment nos préconceptions, à être sensible à celles-là et pas aux autres, qui les contredisent, et à interpréter les données dans un sens favorable à nos idées et hypothèses. Voici un exemple fictif. Vous enseignez quelque chose à Paul et il a du mal à comprendre. À un moment donnée, vous lui montrez un objet et le déclic se fait. Vous vous dites : Paul est un visuel! Mais bien d’autres explications de ce qui s’est passé sont possibles : il se peut que l’objet présenté était un excellent exemple, qui aurait fonctionné avec n’importe qui; ou ce sont tout simplement vos explications antérieures qui viennent de porter fruit; etc.
Mais comme je l’ai dit en commençant, je pense aussi que cette idée de style d’apprentissage, comme toute légende pédagogique, j’en fais le pari, circule autant parce qu’elle est rassurante et cadre parfaitement avec une certaine idéologie romantique dont le monde de l’éducation est imbibé de part en part : apprendre peut être facile, naturel, se faire sans effort par tout le monde et pour n’importe quel savoir : il suffit de trouver les style d’enseignement qui corresponde au style d’apprentissage.
C’est, hélas, beaucoup trop beau pour être vrai.
Deux lectures où j’ai puisé pour cet article :
WILINGHAM, D. T. , Why Don't Students Like School: A Cognitive Scientist Answers Questions About How the Mind Works and What It Means for the Classroom, Jossey-Bass, 2009.
LILIENFELD, Scott O., et al., 50 Great Myths of Popular Psychology: Shattering Widespread Misconceptions about Human Behavior, Wiley-Blackwell, 2009.
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