jeudi, mars 19, 2009

ALBERT EINSTEIN (1879-1955), PHYSICIEN ET REBELLE (7/8)

Signalons enfin, parce qu’il est trop peu connu, le courageux engagement d’Einstein contre le lynchage, la ségrégation et le racisme. C’est ainsi que dans un article paru en 1946, après avoir rappelé qu’il ne vit aux États-Unis que depuis un peu plus d’une décennie, il avance que sa situation de (relativement) nouveau venu lui permet peut-être de voir des choses «particulières et caractéristiques» que des autochtones ne remarquent plus guère. Après avoir loué l’idéal démocratique et égalitaire qu’il a découvert et apprécié dans ce pays, il précise:

Il y a toutefois une tache sur les conceptions sociales des Américains : leur idéal d’égalité et de dignité humaines ne valent que pour les êtres humains qui ont la peau blanche. Et même à leur sujet, il existe des préjugés dont, en tant que Juif, je suis parfaitement conscient; mais ceux-là ne sont guère importants si on les compare à l’attitude des «Blancs» envers leurs concitoyens qui ont une peau plus sombre, et en particulier les Noirs. Plus je me sens Américain, plus cette situation m’est douloureuse. Et ce n’est qu’en la dénonçant que je peux cesser de m’en sentir complice.[…] Vos ancêtres ont arraché de force ces Noirs à leurs foyers; puis ils les ont exploités sans pitié et mis aux fers de l’esclavage pour combler l’appétit de l’homme Blanc pour la richesse et la vie facile. Le préjugé actuel contre les Noirs résulte du désir de perpétuer cette dégradante situation .

Cette assertion n’est pas unique dans le corpus einsteinien, bien au contraire, puisque, comme le montrent les auteurs d’un récent ouvrage consacré au sujet, l’antiracisme et son corollaire, le combat pour l’égalité de Noirs aux Etats-Unis, seront pour lui des préoccupations constantes .

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Einstein acceptant, le 3 mai 1946, le doctorat honorifique de la Lincoln University, ouverte aux Noirs et réservée à eux, que lui remet son président, Horace Mann Bond.
On notera, au mur, une photographie de Marian Anderson (1897-1993). Après un spectacle donné à Princeton en 1937, cette diva afro-américaine s’était vue refuser l’entrée au Nassau Inn de Princeton, réservé aux Blancs. Einstein, qui avait assisté à la représentation, lui proposa de l’héberger chez lui, ce qu’elle accepta. Ils seront amis à compter de ce jour et Anderson habitera toujours chez Einstein quand elle se produira à Princeton.

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Les dernières années

À la fin des années 40 et au début des années cinquante, Einstein fait paraître ses derniers travaux en physique. Il y lutte encore contre l’interprétation désormais standard de la MQ mais qu’il a toujours refusée, s’efforce de produire une théorie unifiant les grandes forces connues et de réconcilier Relativité générale et MQ.

Son dernier geste public, au printemps 1955, sera de signer ce qui est désormais connu comme le Manifeste pour la paix Russell-Einstein. On y lit notamment : « Tel est donc, dans sa terrifiante simplicité, l'implacable dilemme que nous vous soumettons : allons-nous mettre fin à la race humaine, ou l'humanité renoncera-t-elle à la guerre?»

Einstein meurt peu après, le 18 avril 1955. Je propose de lui laisser le mot de la fin, alors qu’il lève un coin de voile sur la personnalité complexe qui était la sienne :

«Mon sens passionné de la justice sociale et de la responsabilité sociale ont toujours fortement contrasté avec le fait que je n’ai guère besoin de contact direct avec les autres êtres humains et avec les communautés humaines. Je suis en vérité un voyageur solitaire et je n’ai jamais ressenti de tout mon coeur un sentiment d’attachement ou d’appartenance envers mon pays, mon domicile, mes amis ou même ma famille immédiate. Face à tous ces attachements, je n’ai jamais perdu le sens d’une certaine distance et un besoin de solitude, des sentiments qui deviennent encore plus vifs avec l’âge .»

6 commentaires:

Marc-Olivier a dit…

C'était très intéressant. Je connaissais Einstein le physicien, comme tout le monde, mais pas le rebelle.

Merci.

Normand Baillargeon a dit…

@Marc-Olivier: Merci à vous de ce commentaire.

Normand

Anonyme a dit…

Bonjour,

Pouvez-vous donner le titre de l'article paru en 1946, svp?

Normand Baillargeon a dit…

@Anonyme: Comme je l'ai écrit dans le premier extrait , je publie ici le texte sans les notes. Voici celle qui vous intéresse: EINSTEIN, A. «The Negro Question», Pageant, Janvier 1946. Cité par : JEROME, F et TAYLOR, R. (2005), page 140-141.

Le livre est:

JEROME, F. et — et TAYLOR, R., Einstein on Race and Racism, Rutgers, 2006.

Cordialement,

Normand B.

Anonyme a dit…

Merci,
cordialement

Normand Baillargeon a dit…

@Pas de quoi, bienvenue.

Normand