lundi, mars 02, 2009

CAUSONS ANARCHISME (1/2)

[Pour Siné Hebdo]

Tu nous ferais pas un topo de 3000 signes sur les expériences économiques anarchistes dans l’Espagne révolutionnaire, Baillargeon?

Faudrait être un peu cinglé pour accepter. J’ai dit oui. Mais à une condition : je le ferai en deux coups.

C’est qu’on distinguera au moins deux cas : les campagnes et l’agriculture; les villes, avec leurs industries et leurs services publics.

Cette fois, donc, les campagnes.

Dans les campagnes (i.e. Andalousie, Aragon, Levante, Catalogne, Castille), à compter de 1936, des millions de personnes vont se réunir dans des collectivités, qui comprennent depuis des centaines jusqu’à des dizaines de milliers de membres.

La décision se prend dans des assemblées générales auxquelles, souvent, toute la population participe. Toutes les décisions importantes se prendront là. Des comités divers aux membres révocables feront la gestion au jour le jour.

Les terres, les leurs et celles reprises aux propriétaires, mais aussi le matériel, les animaux, les matières premières, etc., sont mises en commun. L’appartenance au collectif est volontaire. Qui le souhaite conserve de sa terre ce qu’il peut en cultiver. Attention, cependant : interdiction d’embaucher! Des ateliers, bouchers, coiffeurs et autres métiers rejoignent la collectivité et des villages tout entiers s’érigent ainsi en commune.

L’argent est parfois conservé, parfois aboli. On a recours à des bons, à l’échange direct, à l’octroi d’un salaire familial, à un carnet de consommation et même à la prise au tas, parfois dans l’église joyeusement transformée en entrepôt. L’ambition : rémunération selon le besoin.

Les récoltes devaient faire des profits pour les propriétaires. Avec la collectivisation, les surplus qu’ils génèrent sont échangés ou distribuées. On en envoie en ville, mais aussi au front. Les collectivités s’attaquent aussitôt à des problèmes sociaux. On crée des écoles et des services médicaux. On expérimente, aussi : des fermes et des pépinières expérimentales sont mises sur pieds.

Les collectivités ne restent pas isolées. Elles échangent avec les villes et avec les autres collectivités. Une Fédération est bientôt fondée. Elle coordonne la construction de routes, de ponts, d’écoles, de canaux. Certaines de ces réalisations existent toujours. La Fédération crée Fonds d’égalisation, pour redistribuer des collectivités plus riches vers les plus pauvres.

Résultat? Toux ceux qui se sont penchés sur cette vaste expérience, même lui étant a priori hostile, conviennent que la productivité de l’agriculture a augmenté, parfois de manière spectaculaire, en même temps que tous les parasites et intermédiaires étaient éliminés. Moralité? Plusieurs, dont celle-ci : y’ a pas que le profit qui motive.

Certes, tout avait été préparé par des décennies de militantisme et d’éducation, notamment par la CNT et la FAI. N’empêche : c’est pas mal, non, pour des paysans largement illettrés, en pleine guerre civile et alors qu’un nombre considérable de leurs jeunes étaient partis pour se battre au front. Et devant cela, on se dit que les vrais rêveurs, perdus dans l’irréel, ce sont ceux qui refusent de voir ce que la liberté peut accomplir. Et pas les anarchistes.

La prochaine fois : les villes et les services publics. C’est pas mal aussi, vous verrez…

D’ici là, on garde l’Espagne au cœur.

(En savoir plus? Filez à : [http://www.geocities.com/CapitolHill/1931/] Le FAQ anar)

18 commentaires:

Immortal a dit…

Comme quoi, l'anarchie, dans l'absolue, c'est pas si utopique que ça.

Normand Baillargeon a dit…

Bonjour, Immortal, Merci de ce commentaire. Exactement mon point de vue.

Normand B.

Immortal a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Immortal a dit…

J'ai lu votre livre "petit cours d'autodéfense intellectuelle" et c'est seulement vers le milieu du livre que j'ai eu un doute. Vous mentionniez souvent les matraques (bing je crois) et des idées plutôt libertaires. J'ai été agréablement surpris de voir vers la fin du livre que vous étiez anarchistes et qui plus est que vous étiez rédacteur au Couac. Je compte me procurer votre livre "L'ordre moins le pouvoir" prochainement.

Bonne continuation, je continuerai à passer vous lire sur votre blog.

Amitié, Vincent.

Normand Baillargeon a dit…

Salut, Vincent,

Bienvenue sur ce blogue.

Cordialement,

Normand

Unknown a dit…

Vincent, je te conseille effectivement la lecture de "L'ordre moins le pouvoir".
Etant un nouveau venu dans les idées anarchistes (notamment grâce à Daniel Mermet, Noam Chomsky et notre hôte), ce livre m'a donné des bases historiques sur un mouvement auquel je crois de plus en plus en l'application pratique et concrète.

Professeur Baillargeon, merci pour vos écrits et votre pédagogie. Vous avez contribué à m'ouvrir les yeux.

Bonne continuation.

Anonyme a dit…

l'expérience espagnole est, comme vous le précisez, à replacer dans un certain contexte.
pensez-vous qu'en ces temps, cela soit encore envisageable ?

Normand Baillargeon a dit…

@Vincent. je suis content que L'ordre.. vous ait plu. Je l'ai voulu un ouvrage d,initiation au grandes thèses de l'anarchisme. Bonne poursuite de vos lectures. Si je peux être utile, ne vous gênez pas. Normand B.

Normand Baillargeon a dit…

@kloé: pour répondre trop rapidement à une question qui demanderait un long développement: je pense que les idéaux d'autogestion et de démocratie participative, de concilation de l'égalité et de la liberté, sont non seulement souhaitables mais nécessaires et qu'ils incarnent conjointement un idéal possible à atteindre. Ces idéaux, diversement déclinés, ont été et restent ceux de l''anarchisme .

Normand

Anonyme a dit…

merci pour votre réponse !
tout à fait d'accord avec vous quant à l'urgente nécessité d'un changement radical dans l'organisation des rapports humains.
j'essaie modestement, dans mon entourage, de défendre les thèses autogestionnaires et libertaires auxquelles j'adhère depuis longtemps (née à Besançon... Proudhon, Lip...). mais je vous avoue que souvent, je passe pour une douce illuminée.

avec mes salutations libertaires.
bonne journée !
k100c

Bast a dit…

C'est passionnant comme sujet!!

J'ai attendu que vous publiiez la suite pour tout lire d'un coup.

Votre oeuvre intellectuel est une grande inspiration pour moi, et ce depuis longtemps.

Bien à vous!

Normand Baillargeon a dit…

@ Bast: Merci de votre mot.
Normand

christian allard a dit…

Bonjour Normand et ceux qui lisent,

Oui, le livre "L'Ordre..." est excellent; j'ai seulement regretté qu'il n'y soit pas fait mention du "prisme psychanalytique" et j'ai regretté que Normand n'ait pas répondu à mes suggestions à lui adressées à son adresse mail. Mais sans doute n'était-ce pas le bon endroit.

J'écrivais que l'idée anarchiste était une évidence et non une morale, si l'on partait d'une constatation d'inspiration psychanalytique: l'individu est tout pour lui mais n'est rien sans les autres. L'individu est un et multiple car a "en lui", culturellement, les Autres (du passé, du présent et de l'avenir)

Une fois cela bien intégré, tout le reste en découle, à commencer par le refus de tout pouvoir - dès le niveau de la relation entre deux personnes - car le pouvoir, c'est exiger de l'Autre quelque chose (abstrait ou pas, mais ça commence par l'"amour de soi")qu'il ne donnerait pas spontanément et que l'on serait incapable de se procurer par soi-même; et cette exigence transforme l'Autre s'il ne peut y résister et l'aliène. Et aliéne celui qui a le pouvoir. Boucle vicieuse.

Une fois cela bien intégré, sa propre connaissance et reconnaissance va de paire avec la connaissance et la reconnaissance de l'Autre. L'intelligence de l'Un n'existe que parce que celle de l'Autre existe et inversement. Boucle vertueuse.

Une fois cela bien intégré, on ne peut accepter toute forme de violence dont "on" accuse pourtant souvent l'Anarchisme.

Une fois cela bien intégré et pour reprendre un exemple du livre sur l'intérêt de la pluriactivité durant la vie(plusieurs "métiers": entre guillemets car ce mot mérite critique), il n'est plus question de liberté mais de richesse. La diversité dans tous les domaines, c'est la richesse (là encore, constatation: il n'y aurait jamais eu de vie humaine sur terre sans diversité de l'environnement)

Allez, pour résumer: l'Anarchisme? Pas une morale: une évidence!

christian allard

Normand Baillargeon a dit…

@Christian: je n'ai pas reçu, sauf erreur, le courriel dont vous me parlez.
Pour ce qui est de la psychanalyse et de l'anarchisme, je préfère m'abstenir de commenter.

Cordialement,

Normand B.

christian allard a dit…

A Normand,
OK, bien reçu: je respecte, même si, je ne sais pas pourquoi vous écartez cette approche.
amicalement

troun de l'air a dit…

Normand , sais tu que les ouvriers de Continental ont défilé cette semaine aux cris de"ANARCHIE!" ?
quant à l'actu de tout ça , je dis OUI!!!même si nous nous sentons bien petits devant les réalisations de ces comités de 1931 ,quel encouragement! nous essayons de mettre en place des SEL à la mode de Bretagne et d'échanger avec nos -rares- voisins de manière informelle , c'est un début !!!

Anonyme a dit…

Salut Normand, Après quelques lectures du petit cours d'autodéfense.....et L'ordre moins le pouvoir, des articles sur feu-Siné Hebdo, et une rencontre à Montpellier en 2008, je viens simplement te remercier de m'avoir communiqué autant de belles idées et surtout de mettre en "ordre" quelques définitions confuses.

A part l'Espagne qui reste le seul exemple de mise en oeuvre de gestion "Anarchiste", je pense que l'Italie de fin du 19è mérite quelques développement, pouvant être utiles à quelques énervés qui se disent anarchiste, sans savoir qu'ils sont plus proches de la définition de Friedrich Nietzsche.

Salutations
Luigi

Anonyme a dit…

Salut Normand,
Après quelques lectures du petit cours d'autodéfense.....et L'ordre moins le pouvoir, des articles sur feu-Siné Hebdo, et une rencontre à Montpellier en 2008, je viens simplement te remercier de m'avoir communiqué autant de belles idées et surtout de mettre en "ordre" quelques définitions confuses.

A part l'Espagne qui reste le seul exemple de mise en oeuvre de gestion "Anarchiste", je pense que l'Italie de fin du 19è mérite quelques développement, pouvant être utiles à quelques énervés qui se disent anarchiste, sans savoir qu'ils sont plus proches de la définition de Friedrich Nietzsche.

Salutations
Luigi