lundi, octobre 06, 2008

LA BANNIÈRE DE LA RÉVOLTE, L’ÉTENDARD DE LA LIBERTÉ : LA VIE ET L’ŒUVRE DE VOLTAIRINE DE CLEYRE (6)

[ La suite de l'introduction au livre de Voltairine de Cleyre qui paraît le 9 octobre.]

L’épisode Helcher

Un funeste hasard voudra qu’avant même que l’année ne soit finie, le 19 décembre 1902, à Philadelphie, on fera feu sur Voltairine de Cleyre.

Le coup ne sera pas tiré par le Sénateur Joseph R. Hawley, mais bien par un élève mentalement dérangé de Voltairine, Herman Helcher.

Alors que l’anarchiste est sur le point de monter dans un tramway, Helcher, derrière elle, l’agrippe par la manche et, quand elle se retourne, lui tire une balle dans la poitrine. L’impact de la balle la fait se retourner de nouveau et Helcher lui tire deux nouvelles balles, cette fois dans le dos.

Voltairine trouve la force de courir quelques mètres avant de s’abattre devant la porte d’un logement. Un autre de ses élèves, un médecin, habite tout près et il intervient aussitôt pour lui administrer les premiers soins. Voltairine est conduite à l’hôpital, où on pense qu’elle va succomber à ses blessures. Contre toute attente, elle survit à l’attentat et quitte l’hôpital dès le 2 janvier 1903.

Elle met aussitôt le geste de Helcher sur le compte d’une démence causée par les circonstances de sa vie et, conformément aux convictions qu’elle a maintes fois exprimées, refuse de porter plainte contre lui ou même de l’identifier. En fait, elle multipliera les appels à la justice pour qu’elle fasse preuve de clémence et mettra même sur pied un fonds pour la défense de l’accusé.

Dans le journal North American, elle explique :«Le garçon dont on dit qu’il a fait feu sur moi est dérangé. Le manque de nourriture et le fait qu’il n’a pas de travail sain à accomplir l’ont rendu tel. On devrait le mettre dans un asile et ce serait une disgrâce pour la civilisation s’il devait aboutir en prison pour un geste que lui a fait poser un cerveau malade. Peu de temps avant de tirer sur moi, le jeune homme m’avait envoyé une triste lettre — il n’avait rien à manger, nulle part où dormir, pas de travail. J’étais sans nouvelle de lui depuis deux ans. […] Je n’entretiens aucun ressentiment envers lui. Si la société était organisée de telle manière que toute femme, tout homme et tout enfant puisse vivre une vie normale, il n’y aurait plus de cette violence. Je suis remplie d’horreur à la pensée de tous ces actes brutaux commis par le Gouvernement. Chacun d’eux trouve un écho dans un autre geste violent. La matraque des policiers engendre la criminalité. Contrairement à l’opinion commune, «anarchisme» signifie : «Paix sur la terre, bonne volonté à tous les êtres humains». Ceux et celles qui posent des gestes violents en se réclamant de l’anarchisme ont oublié d’être des philosophes — des exemples pour le peuple — et cela parce que leurs souffrances morales et physiques les ont conduit au désespoir ».

En mars 1903, Voltairine est suffisamment remise pour reprendre ses nombreux travaux.

Le deuxième voyage et les dernières années à Philadelphie

Mais toutes ces activités l’épuisent et elle décide de faire un nouveau voyage en Europe. Le 24 juin, elle s’embarque donc pour la Norvège, le pays du dramaturge anarchiste Henrik Ibsen (1828-1906), d’où elle part en août pour visiter ses amis en Écosse et en Angleterre, où elle prononce des conférences.

Voltairine rentre aux Etats-Unis en septembre 1903. Mais sa santé va connaître une grave et rapide détérioration : les sinus, le palais, puis l’oreille sont atteints d’un mal qui ne cessera guère de la faire souffrir atrocement en plus de constamment lui faire entendre un fort bourdonnement. Elle doit périodiquement cesser de travailler et sera à plusieurs reprise hospitalisée.

En 1905, terriblement malade et souffrante, incapable de travailler, ne pouvant subvenir à ses maigres besoins, elle tente de se suicider avec de la morphine. Elle échoue. Puis voilà qu’au printemps 1906, de manière imprévisible, elle prend du mieux.

Ce qui s’amorce alors est la dernière phase de sa vie.

Ce regain de vitalité de Voltairine, qui lui permet de recommencer à écrire, à publier, à donner des conférences, correspond à une renaissance du mouvement anarchiste, qui se remet en marche après l’épisode McKinley.

En mars 1906, Emma Goldman lance Mother Earth, une publication à laquelle Voltairine contribue régulièrement. Sa pensée a désormais atteint sa maturité et est plus aboutie que jamais, comme en témoignent certains de ses essais de cette époque, parmi ses plus achevés — comme Anarchism and the American Tradition, The Dominant Idea ou Direct Action — tous publiés dans Mother Earth. Nous avons déjà examiné le dernier de ces essais. Les deux autres concernent l’anarchisme au sens le plus large du terme, sa signification, le sens de son combat, son inscription historique, ses moyens et ses fins. Ces textes sont tous deux reproduits ici, en même temps que trois autres textes qui permettent de circonscrire la philosophie de l’anarchisme défendue par de Cleyre (textes 1, 2, 3, 4, et 5).

Tentons de la décrire, au moins dans ses grandes lignes.

[À suivre]

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Contrairement à l’opinion commune, «anarchisme» signifie : «Paix sur la terre, bonne volonté à tous les êtres humains». Ceux et celles qui posent des gestes violents en se réclamant de l’anarchisme ont oublié d’être des philosophes — des exemples pour le peuple — et cela parce que leurs souffrances morales et physiques les ont conduit au désespoir ».

Bien dit!

Normand Baillargeon a dit…

Bonjour,

Je trouve aussi. Elle était une merveilleuse écrivaine.

Normand B.

Anonyme a dit…

J'avoue avoir un peu de difficulté à croire que les maux psychologiques ont tous une origine socio-économique.