Cette vidéo montre la fameuse illusion du dragon, présentée à un Gathering for Gardner.
Pour comprendre, ici. La tête du dragon est absolument immobile: son mouvement, qui accompagne nos déplacements, est une illusion.
La même page donne accès à un PDF permettant de fabriquer votre propre dragon.
mardi, décembre 22, 2009
lundi, décembre 21, 2009
ÇA VOUS INTÉRESSERA PEUT-ÊTRE, VOUS AUSSI
Gallimard vient de publier les Lettres à Aube, d'André Breton. Il s'agit d'un inédit. J'aime beaucoup Breton, que je tiens pour un des plus grands prosateurs en notre langue, avec Rousseau, Montaigne et quelques rares autres. Le livre est superbe et je vais le recenser pour Le Devoir. J'ai publié une longue étude sur Breton dans Trames.
La blogosphère sceptique est en ébullition: le grand Randi vient en effet de signer un texte jugé par beaucoup comme étant très discutable sur le réchauffement planétaire. Randi s'est ensuite quelque peu repris.Massimo Pigliucci lui répond ici de brillante façon.Un texte de Gary J. Whittenberger est à lire en parallèle.
Un long essai-critique de (sur) le livre: Contre la réforme pédagogique, publié sous la direction de Robert Comeau et de Josiane Lavallée et auquel j'ai participé.
Oral Roberts (1918-2009) est mort. Vous ne le connaissiez pas? Voici.
Et pour en rester sur le même sujet, histoire de placer quelques variables à ne pas négliger dans le débat sur les soins de santé aux États-Unis.
Et quelques lectures en cours ou à venir:
Une biographie de Paul McCartney — je suis un fan depuis toujours.C'est très bon.
Un livre pour apprendre ou perfectionner en s'amusant le très utile art de l'estimation.
Un collectif sur science et pseudo-science dirigé par Kendrick Fraizier.
La blogosphère sceptique est en ébullition: le grand Randi vient en effet de signer un texte jugé par beaucoup comme étant très discutable sur le réchauffement planétaire. Randi s'est ensuite quelque peu repris.Massimo Pigliucci lui répond ici de brillante façon.Un texte de Gary J. Whittenberger est à lire en parallèle.
Un long essai-critique de (sur) le livre: Contre la réforme pédagogique, publié sous la direction de Robert Comeau et de Josiane Lavallée et auquel j'ai participé.
Oral Roberts (1918-2009) est mort. Vous ne le connaissiez pas? Voici.
Et pour en rester sur le même sujet, histoire de placer quelques variables à ne pas négliger dans le débat sur les soins de santé aux États-Unis.
Et quelques lectures en cours ou à venir:
Une biographie de Paul McCartney — je suis un fan depuis toujours.C'est très bon.
Un livre pour apprendre ou perfectionner en s'amusant le très utile art de l'estimation.
Un collectif sur science et pseudo-science dirigé par Kendrick Fraizier.
Libellés :
Normand Baillargeon,
suggestions de lectures
dimanche, décembre 20, 2009
UNE IDÉE DE TITRE?
Je travaillerai en janvier à terminer mon Anthologie de l'athéisme et de la libre-pensée, un gros bouquin que j'ai très hâte de voir publié.
Anthologie de l'athéisme et de la libre-pensée est le sous-titre et il dit bien de quoi il retourne. Mais je n'ai toujours pas de titre — et trouver de bons titres n'est pas mon fort.
Pour le moment j'ai, de Prévert: Ni dieu ni maître, mieux d'être; et aussi: Incroyants de tous les pays...; et quelques autres plus mauvais encore: mais rien qui fasse l'unanimité.
Quelqu'un a une idée?
Anthologie de l'athéisme et de la libre-pensée est le sous-titre et il dit bien de quoi il retourne. Mais je n'ai toujours pas de titre — et trouver de bons titres n'est pas mon fort.
Pour le moment j'ai, de Prévert: Ni dieu ni maître, mieux d'être; et aussi: Incroyants de tous les pays...; et quelques autres plus mauvais encore: mais rien qui fasse l'unanimité.
Quelqu'un a une idée?
DIGITAL NATIVES?
Je suis toujours extrêmement dubitatif devant les promesses que font les technophiles en éducation et mon scepticisme s'accroît à proportion que ces promesses sont grandioses et qu'elles s'accompagnent de l'assurance qu'apprendre se fera désormais sans effort et 'naturellement', comme ils disent parfois.
Nous sommes en ce moment en pleine phase technophile et il y a fort à parier que des sommes considérables et toujours plus importantes vont continuer à être investies.
Avec la réforme de l'éducation, j'ai eu la preuve qu'il ne servait à peu près à rien d'avancer des arguments et des faits pour prévenir un (coûteux) désastre; je ne me lancerai donc pas dans un nouveau combat. Je me contente d'observer du coin de l'oeil ce nouveau déploiement d'idées et de pratiques qui ressemble tant au précédent et qui ressemble aussi, j'en ferais le pari, au prochain bidule à la mode qu'on nous offrira (je devrais sans doute écrire: qu'on nous entrera de force dans la gorge) demain.
Ce long préambule pour en venir à une conférence qui se tiendra sous peu sous le titre Clair 2010 pour nous inciter à "voir l'éducation autrement'. Le 'basculement dans l'univers numérique' provoque, dit-on dans l'argumentaire du colloque, des changement accélérés, et l'éducation devra s'ajuster. D'autant que les jeunes sont désormais des natifs du digital, ce qui change tout. Ce concept de "digital native' a d'ailleurs été créé par la personne-ressource du colloque, Marc Prensky.
Les enseignantes et enseignants devront s'adapter. Mais le faire engendrera des résultats spectaculaires. Apprendre sera (enfin!) rendu facile et agréable. Un des ouvrages de Prensky s'intitule d'aileurs: Don't Bother Me Mom--I'm Learning! et montre en couverture un enfant devant son ordinateur. Le nirvana pédagogique et le Saint-Graal éducationnels enfin trouvés.
Mon détecteur de poutine s'est mis à clignoter. Et en fouillant un peu pour en savoir plus, j'ai découvert un récent article paru dans From Now On. The Educational Technology journal, qui s'est penché sur les travaux de M. Prensky. Il mérite le détour. L'auteur les décrit comme manquant déplorablement de données factuelles, comme étant conceptuellement confus, comme avançant sans pouvoir les supporter des thèses extravagantes. Et ce n'est que le début. Ce texte mérite examen et réflexion, ce me semble.
Je ne prononce pas sur le fond. Mais je me demande tout de même s'il serait possible, rien que pour cette fois, qu'avant de foncer tête première dans des mirages au nom des quels on va engager des réformes, investir des fortunes, former des enseignantes et enseignants et, surtout, jouer avec le cerveau des enfants, s'il serait possible, donc, de prendre le temps d'y penser. «Tout ce que je demande est que nous pensions à ce que nous faisons», disait Hannah Arendt. Fichue de bonne idée.
Je signale que je ne suis aucunement expert de ces choses (et surtout que ça ne m'intéresse absolument pas de le devenir: je trouve ça profondément , comment dire?, vide) et rappelle que je ne m'engagerai pas dans ce combat: j'ai déjà donné (et payé tout ce que ça m'a coûté.)
Nous sommes en ce moment en pleine phase technophile et il y a fort à parier que des sommes considérables et toujours plus importantes vont continuer à être investies.
Avec la réforme de l'éducation, j'ai eu la preuve qu'il ne servait à peu près à rien d'avancer des arguments et des faits pour prévenir un (coûteux) désastre; je ne me lancerai donc pas dans un nouveau combat. Je me contente d'observer du coin de l'oeil ce nouveau déploiement d'idées et de pratiques qui ressemble tant au précédent et qui ressemble aussi, j'en ferais le pari, au prochain bidule à la mode qu'on nous offrira (je devrais sans doute écrire: qu'on nous entrera de force dans la gorge) demain.
Ce long préambule pour en venir à une conférence qui se tiendra sous peu sous le titre Clair 2010 pour nous inciter à "voir l'éducation autrement'. Le 'basculement dans l'univers numérique' provoque, dit-on dans l'argumentaire du colloque, des changement accélérés, et l'éducation devra s'ajuster. D'autant que les jeunes sont désormais des natifs du digital, ce qui change tout. Ce concept de "digital native' a d'ailleurs été créé par la personne-ressource du colloque, Marc Prensky.
Les enseignantes et enseignants devront s'adapter. Mais le faire engendrera des résultats spectaculaires. Apprendre sera (enfin!) rendu facile et agréable. Un des ouvrages de Prensky s'intitule d'aileurs: Don't Bother Me Mom--I'm Learning! et montre en couverture un enfant devant son ordinateur. Le nirvana pédagogique et le Saint-Graal éducationnels enfin trouvés.
Mon détecteur de poutine s'est mis à clignoter. Et en fouillant un peu pour en savoir plus, j'ai découvert un récent article paru dans From Now On. The Educational Technology journal, qui s'est penché sur les travaux de M. Prensky. Il mérite le détour. L'auteur les décrit comme manquant déplorablement de données factuelles, comme étant conceptuellement confus, comme avançant sans pouvoir les supporter des thèses extravagantes. Et ce n'est que le début. Ce texte mérite examen et réflexion, ce me semble.
Je ne prononce pas sur le fond. Mais je me demande tout de même s'il serait possible, rien que pour cette fois, qu'avant de foncer tête première dans des mirages au nom des quels on va engager des réformes, investir des fortunes, former des enseignantes et enseignants et, surtout, jouer avec le cerveau des enfants, s'il serait possible, donc, de prendre le temps d'y penser. «Tout ce que je demande est que nous pensions à ce que nous faisons», disait Hannah Arendt. Fichue de bonne idée.
Je signale que je ne suis aucunement expert de ces choses (et surtout que ça ne m'intéresse absolument pas de le devenir: je trouve ça profondément , comment dire?, vide) et rappelle que je ne m'engagerai pas dans ce combat: j'ai déjà donné (et payé tout ce que ça m'a coûté.)
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Internet et ducation,
Marc Prensky,
Normand Baillargeon
samedi, décembre 19, 2009
CHAPITRE VII: LA PHILOSOPHIE POLITIQUE, 1
[Un chapitre de mon introduction à la philosophie. Il y en a deux sur la philosophie politique. Commentaires bienvenus]
Bien des gens s’intéressent à la politique : le sociologue, l’historien, l’économiste, la juriste, le politicologue, mais aussi la journaliste, le spécialiste des relations publiques, le sondeur et d’autres encore, sans oublier le citoyen.
Ce qui distingue les travaux du philosophe des réflexions de toutes ces personnes, et le type d’intérêt qu’il porte à la politique, c’est le fait qu’il tend essentiellement à s’intéresser à des questions conceptuelles et normatives qu’on y retrouve immanquablement. Qu’est-ce que l’égalité?, est ainsi une question de philosophe, de même que : en quoi devraient consister les institutions d’une société juste?
Ces questions comptaient parmi celles que posait déjà Platon dans La République et, avec de nombreuses autres semblables, toutes relatives à la nature et à la valeur de nos institutions économiques, sociales et politiques, de l’État et du gouvernement, elles n’ont cessé d’être reprises par les philosophes politiques qui l’ont suivi.
Il en est résulté une longue et riche tradition de réflexion de philosophie politique qui devrait être familière à quiconque s’intéresse au politique, à l’économie, au droit et à la société en général: c’est que les problèmes que nous nous y posons aujourd’hui encore ont à peu près tous été posés et débattus au sein de cette tradition et que les réponses qu’on a avancées ont profondément façonné à la fois nos idées et nos institutions.
Ce chapitre comprend deux grandes sections.
La première dresse rapidement le portrait de quelques-unes des grandes et influentes familles d’idées politiques.
La deuxième pose le problème de la justification de l’autorité politique et rappelle comment l’a pensée la riche tradition du contrat social.
Quelques grandes familles d’idées politiques
Nous commençons par un rapide survol de cinq de ces «familles» : le libéralisme, le socialisme, l’anarchisme, le nationalisme et le conservatisme.
Le libéralisme
Employé en un sens très général et pré-philosophique, le libéralisme est sans doute la position politique (mais aussi économique) dominante dans les sociétés industrielles avancés et dans nos démocraties justement dites libérales.
Mais, typiquement, le mot est en ce cas employé de manière si large — pour affirmer par exemple l’importance accordée à la liberté individuelle, une certaine tolérance devant les modes de vie les plus divers et une prédilection pour un État de droit démocratique — qu’il perd aussi une grande part de son intérêt philosophique. Pour le retrouver, il faut retourner à ses racines historiques et rappeler les trois directions dans lesquelles il s’est déployé.
Le libéralisme est pour commencer une position politique, née au XVIIe siècle, chez des auteurs comme John Locke (1632-1704) ou Montesquieu (1689-1755). La liberté pour les individus de poursuivre sans contraintes les buts qu’il se fixent en est d’emblée une caractéristique centrale. Lui sont intimement liées d’une part l’idée que les individus peuvent, librement, choisir leurs idéaux et donc leur conception de ce qu’on appellera une «vie bonne», d’autre part une tolérance envers la multiplicité des choix qui résulte immanquablement de cette possibilité de choisir, enfin une certaine méfiance envers ce qui pourra s’opposer à tout cela, et notamment une trop grande (mais ce qui la constituera précisément sera toujours chaudement débattu) présence et influence de l’État, qui tend à être vu comme devant se limiter à préserver les droits individuels. Hobbes écrit typiquement: «La liberté d'un sujet ne se trouve que dans ces choses que le souverain, en réglant les actions des hommes, a passées sous silence, comme la liberté d'acheter, de vendre, ou de passer d'autres contrats les uns avec les autres, de choisir leur domicile personnel, leur alimentation personnelle, leur métier personnel, et d'éduquer leurs enfants comme ils le jugent bon, et ainsi de suite.»
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Une dose pour être vraiment intelligent
Qu’est-ce que la séparation des pouvoirs?
Pièce importante de la position libérale devant contribuer à préserver la liberté du citoyen, l’idée de séparation des pouvoirs remonte à Locke et à Montesquieu. Trois pouvoirs sont distingués — le législatif, l’exécutif et le judiciaire — et séparés, en ce sens que rien ni personne ne devrait en détenir plus d’un : «Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la force des choses, le pouvoir arrête le pouvoir».
*************************************************************************************À ce libéralisme politique, s’ajoute un libéralisme économique dont le principal penseur est Adam Smith ((1723-1790). Dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), document fondateur de l’économie politique, il pose que des échanges économiques libres, exempt de toute intervention et de toute contrainte étatiques, constitueront un libre marché qui harmonisera spontanément les intérêts particuliers et l’intérêt général. Sur un tel libre marché, écrit Smith, : «[…] chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. À la vérité, son intention en général n’est pas en cela de servir l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société (...) Il ne pense qu’à son propre gain; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler.»
Partant de là, de très nombreuses et variées synthèses de ces tendances, pas toujours faciles à concilier, ont été défendues comme étant du libéralisme. On leur reproche typiquement la trop grande place qu’elles accordent à l’individu au détriment de la collectivité et le peu de cas qu’elles font de valeurs autres valeurs que al liberté, en particulier de l’égalité.
La plus récente de ces moutures, appelée néo-libéralisme, usurpe en partie son nom puisqu’elle est un ultra-libéralisme économique réalisé dans des conditions inédites, inconnues de Smith et du libéralisme classique, et à bien des égards anti-libérales (ne serait-ce que par la présence de ces méga-entreprises et corporations transnationales), coupées des balises éthiques et institutionnelles que Smith et les autres jugeaient indispensables à l’existence et à la pérennité d’une société libérale et alimenté à même une massive intervention des États dans l’économie.
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Une dose de vocabulaire
Une mise en garde
Le mot libéralisme est d’emblée vaste et polysémique. Dans la langue courante et même journalistique, il est parfois profondément ambigu et confusionnel. Considérez l’exemple suivant.
Associé aux excès du néo-libéralisme, l’appellation libéral peut servir, dans les pays francophones, à stigmatiser un partisan de politiques économiques (privatisation, profits, marchandisation) associés à la droite de l’échiquier politique.
Par contre, aux Etats-Unis, pays phare de telles positions économiques, un libéral est celui qui défend des idées politiques et philosophiques comme la tolérance, l’égalité des chances et la mise en place de programmes publics d’éducation et de santé : le mot sert alors à stigmatiser une position en la situant, cette fois, à gauche de l’échiquier politique.
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Le socialisme
Le socialisme — ou plutôt, les socialismes, puisque nous avons ici encore affaire à une large famille de positions politiques — est au mieux compris en référence au contexte historique qui l’a vu naître, celui de la Révolution Industrielle au début du XIX e siècle.
Le socialisme est en effet d’abord une réaction morale devant les massives inégalités qu’engendre la Révolution Industrielle et le caractère jugé intolérable et injuste de l’exploitation des ouvriers qu’elle pratique, mais aussi contre les valeurs et comportement qu’elle encourage chez les acteurs sociaux (exploitation, égoïsme, individualisme,par exemple).
Contre la seule recherche du profit, les premiers socialistes font ainsi valoir des exigences morales et sociales qui doivent être prises en compte : le travail des enfants, argue-t-on par exemple, peut bien être économiquement rentable, il n’en demeure pas moins moralement inacceptable. Devant l’accumulation du profit entre les mains de quelques propriétaires d’usines, les socialistes s’indignent encore de ce que ce profit ne revienne pas à ceux qui travaillent. Devant l’exploitation, ils réclament plus de justice économique, une plus grande égalité des chances et un accès pour tous à l’éducation, à la santé.
Les premiers socialistes sont souvent des utopistes, comme Charles Fourier (1772-1837), qui imagine de vastes regroupements de vie communautaire entre gens librement associés au sein de ce qu’il appelle des «Phalanstères». Mais bientôt, les positions socialistes se formulent d’argumentaires plus rigoureux en faveur d’objectifs mieux définis. Coopératives, abolition du capital, collectivisme, syndicalisme en sont autant de manifestations.
Le socialisme conçu par Karl Marx est distinct de ceux-là et durant la majeure partie du XXe, les régimes s’en réclamant (frauduleusement) ont entretenu des relations conflictuelles avec les socialismes des partis sociaux-démocrates. Ce sont eux, aujourd’hui, qui incarnent le socialisme, qui cherche un peu partout les conditions de son renouvellement.
Ses critiques lui reprochent notamment de méconnaître l’importance de la liberté individuelle et le caractère coercitif des mesures nécessaires à l’atteinte de ses idéaux.
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Une dose pour être vraiment intelligent
Comment distinguer socialisme et communisme?
La revendication de justice et d’équité portée par le socialisme a souvent été affirmée dans le cadre des démocraties libérales au sein desquelles on a cru possible leur réalisation.
Le communisme, au contraire, en se présentant parfois comme un socialisme scientifique et non réformiste, aspire à une société sans classe qui passe par une rupture complète avec le capitalisme et la démocratie libérale, jugée frauduleuse et oppressive.
Cette société communiste n’advient cependant pas immédiatement après la révolution : on n’y parviendrait qu’à la suite d’une phrase transitoire durant laquelle la prolétariat exerce sur la bourgeoisie, ses institutions et ses mentalités subsistantes, une indispensable «dictature du prolétariat». L’État est indispensable à ce travail, mais les communistes, à la suite de Marx et de Lénine, pensent qu’il «dépérira» peu à peu à mesure qu’il deviendra inutile.
Pour défendre cette étrange conclusion, les communistes se basèrent notamment sur l’expérience de la Commune, présumé avoir échoué en raison de l’absence d’un pouvoir central fort capable de réprimer les contre-révolutionanires.
Les anarchistes assurèrent au contraire que la mise en place d’un tel pouvoir (une dictature de l’État) conduirait immanquablement à la constitution d’une indélogeable «bureaucratie rouge», comme la nommera Bakounine, interdisant à jamais un véritable communisme et condition de l’institution d’un régime dictatorial et liberticide.
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L’anarchisme (ou socialisme libertaire)
Frères ennemis des communistes, les anarchistes aspirent eux aussi à une société sans classes et sans exploitation.
Mais leur point de départ se trouve dans une profonde méfiance envers le pouvoir sous toutes ses formes (et envers l’État tout particulièrement) jointe à une revendication de liberté si grande qu’elle les placerait à la gauche des libéraux classiques.
Force politique avec laquelle il faut compter au moins jusqu’en 1939, moment où la défaire des Républicains dans la Guerre civile espgnole met un terme à la plus vaste expérience libertaire, les anarchistes vont décliner leurs idéaux en un anarchisme individualiste et des anarchismes sociaux, différant selon les mode de reconstruction du lien social et économique qu’ils défendent. Autogestion, coopération, fédéralisme, communisme sont quelques-uns des principaux noms d’idéaux défendus par les anarchistes, lesquels qui seront mis en place par eux à des degrés et des échelles divers. Les principaux représentant de l’anarchisme classique sont : Max Stirner (1806-1856), Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), Michel Bakounine (1814-1876) et Pierre Kropotkine (1842-1921).
Mai 1968 a vu un renouveau des idées anarchistes, qui s’est ensuite amplifié avec la lutte contre la globalisation de l’économie. Le linguiste Noam Chomsky (1928), parfois donné comme le plus influent intellectuel vivant, se réclame ouvertement de l’anarchisme.
Des partisans d’une économie de marché sans entrave se réclament pour cela d’un anarcho-capitalisme, ce qui irrite fort les anarchistes pour qui leur position est inséparable d’un projet politique égalitaire et antiautoritariste jugé incompatible avec une économie où certains peuvent acheter la force de travail que d’autres sont contraints de vendre pour survivre.
On reproche typiquement aux anarchistes un vision trop idéale de la nature humaine et le caractère utopique de leur propositions.
Le nationalisme
Nous utilisons parfois le mot Nation pour désigner des États — et l’Organisation des Nations Unies (ONU) est en fait une réunion d’États. ll est pourtant important de distinguer État et Nation. Certes l’État-Nation est aujourd’hui le d’organisation politique type: mais il n’en a pas toujours été ainsi et sa création est relativement récente, puisqu’il date en gros du XIXe siècle (le sentiment patriotique, lui, est bien entendu antérieur).
Une nation peut être définie par la conjonction de critère (plus) objectifs et de critères (plus) subjectifs. Les premiers sont ces propriétés et caractéristiques que partagent en commun ceux qui constituent une nation — typiquement : une langue, une histoire, une culture, une origine, une religion.
Mais ces critères en suffisent pas à eux seuls à définir la nation : par exemple une nation peuvent posséder plus d’une langue et une langue peut être parlée dans plusieurs nations. On en dira autant, mutatis mutandis, de la religion, de la culture ou de l’histoire. De même, un État peut regrouper plusieurs nations et, inversement, une même nation peut être disséminée en plusieurs États. La nation résulte donc d’autre chose et c’est ici que des critères plus subjectifs entrent en considération.
Ils pointent vers un sentiment subjectif d’appartenance, vers un consentement à s’associer pour prendre part à un projet commun. Les nationalismes sont donc aussi l’expression de ce sentiment, qui est lié à une forme d’autorité politique (l’État) présumée permettre la réalisation et la pérennité d’un projet politique poursuivi sans entraves extérieures.
On le sait, cependant: le nationalisme, depuis deux siècles, n’a cessé d’être une source importante de conflits, souvent extrêmement violents. Pour cette raison, il suscite typiquement une profonde méfiance chez les philosophes politiques. Albert Einstein a mémorablement exprimé cette position en disant du nationalisme qu’il est « une maladie infantile de l'humanité», sa rougeole en quelque sorte.
Sans en nier les possibles dérives, d’autres se sont efforcés de distinguer entre une nationalisme endoctrinaire et fondé sur l’autorité, un tel nationalisme étant fermé, ethnique, reposant sur l’appartenance par «le sol et le sang», et une nationalisme libéral, ouvert, de culture, d’émancipation, combinant harmonieusement appartenance culturelle et affirmation politique.
De nombreux débats politiques tournent autour de la question de savoir si (et si oui, dans quelle mesure et avec quelles implications) cette distinction est éclairante, féconde et légitime.
Un regard, même superficiel, posé sur le monde qui nous entoure rappellera l’importance de ces questions.
Le conservatisme
Le point de départ du conservatisme se trouve dans une certaine attitude de déférence envers les valeurs, les pratiques et les institutions héritées du passé et présumées être l’expression d’une certaine sagesse acquise au fil du temps. C’est pourquoi s’il n’est pas un ennemi a priori de tout changement, le conservateur s’en méfie et, plus encore, se méfie du changement radical et des promesses de lendemain qui chantent. Il pense que la transformation de la société devrait être progressive et soucieuse de garantir sa continuité : plutôt que de le détruire, il faut préserver ce qui a patiemment été construit et mis à l’épreuve dans la longue durée. Le mot de Lucius Cary (1610-1643) pourrait être la maxime qui résume le mieux cette position: «Si un changement n’est pas nécessaire, alors il est nécessaire de ne pas changer».
Edmund Burke (1729-1797), témoin de la Révolution Française, a donné du conservatisme une de ses défenses philosophiques les plus articulées. Il fait valoir que chaque génération n’est qu’un gardien temporaire de la société et qu’elle a pour cette raison des devoirs envers les générations qui l’ont précédée et envers celles qui la suivront. Elle doit donc traiter avec prudence et respect l’héritage reçu et s’efforcer de le transmettre: des changements trop rapides et trop brutaux, de grandioses utopies imaginées par de dangereux rêveurs risquent de détruire le tissu social. Burke, qui écrit en 1790, affirme dès cette date, que la Révolution Française débouchera sur la terreur et la tyrannie.
Le conservatisme actuel est volontiers associé à une vision économique libérale, voire ultra-libérale. Aux Etats-Unis, où elle est répandue, une telle position est appelée néo-conservatisme.
Les arguments avancés contre le conservatisme, on l’aura deviné, font valoir que ce qui est hérité du passé ne mérite pas toujours d’être conservé (entre mille exemples, pensez à l’esclavagisme ou aux répartitions traditionnelles des rôles selon les sexes) et doit au contraire être, souvent radicalement, aboli. Plus généralement, ils avancent que la déférence envers le passé des conservateurs conduit à une «démocratie des morts» (G.K. Chesterton) et à un pessimisme intellectuel et moral qui freinent tout effort d’amélioration de la société et d’imagination d’un monde plus juste.
Les critiques du conservatisme contestent aussi que tout changement conduise nécessairement à la tyrannie et rappellent que des transformations, même radicales, ont souvent eu, à court comme à long terme, des effets généralement reconnus comme bénéfiques.
Finalement, on argue que l’actuel néo-conservatisme n’est qu’une arme idéologique au service des puissants et oeuvrant au maintien de leurs privilèges et des inégalités qu’ils engendrent inévitablement.
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Une dose d’espace et de temps
La gauche et la droite
Même s’ils ont des contours imprécis, gauche et la droite sont aujourd’hui couramment employés pour désigner des familles d’opinions politiques, les premières valorisant le progrès, le changement et privilégiant un regard porté vers l’avenir, les secondes un certain conservatisme et privilégiant un regard porté vers le passé.
L’origine de ces vocables, qui proviennent de la Révolution française, est intéressante à connaître.
Sous la monarchie, quand se tenaient des États Généraux, la tradition avait voulu que les nobles et les ordres privilégiés se placent à la droite du roi et le tiers-état à sa gauche. Quand l’Assemblée nationale se réunit, on poursuivit cette tradition, cette fois avec des députés conservateurs issus de la noblesse se plaçant à droite de la salle et les députés partisans du changement à gauche.
C’est à la Restauration, et donc après 1814, que ces termes de gauche et de droite ainsi entendus deviendront d’usage courant.
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La justification de l’autorité politique : la tradition du contrat social
Ce sont les Sophistes, dès l’Antiquité qui ont les tout premiers proposé des idées allant dans le sens de celles du contrat social, en suggérant que l’autorité politique résulte d’une convention. L’un d’eux, Lycophron, écrit ainsi: «La loi est une convention, une garantie de droits réciproques».
Mais il faudra attendre les XVIIe et XVIIIe siècles pour que les théories du contrat social, dont il existe diverses formulations bien différentes mais qui comptent parmi les plus répandues et influentes des justifications de l’autorité politique, soient de nouveau et pleinement déployées. Elles ne le seront en fait qu’à partir du moment où seront rejetées d’une part l’idée que l’ordre politique est naturel, d’autre part celle selon laquelle il est conforme à un plan divin.
La première idée était déjà avancée par Aristote, pour qui l’Homme est, par nature, «un animal politique».
La deuxième, extrêmement influente et pouvant se concilier avec la première, fait dériver directement de dieu l’autorité politique : «Le Roi est oint de Dieu» affirme un célèbre formule; et Saint Paul écrivait déjà, justifiant par avance l’absolutisme : «Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C'est pourquoi celui qui s'oppose à l'autorité résiste à l'ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. (Épitre de Paul aux Romains, XIII, 1-2».
Tout cela change avec Thomas Hobbes, généralement reconnu comme celui qui remet à l’ordre du jour un argumentaire contractualiste —dans un livre paru en 1651 et intitulé : Léviathan.
Un monstre nécessaire
Ce nom vient de La Bible, qui évoque un gigantesque monstre marin appelé ainsi. Pourquoi Thomas Hobbes (1588-1679), qui écrit durant le sanglant tumulte de la guerre civile en Angleterre (1641–1649), en a-t-il fait le titre de son célèbre ouvrage?
Hobbes imagine la vie des êtres humains dans un «état de nature» où n’existent ni institutions ni pouvoir politiques. (Il est important de noter ici que Hobbes ne prétend nullement décrire des événements historiques réels : il nous convie plutôt à imaginer ce que seraient nos vies, même aujourd’hui, si on en soustrayait les institutions politiques). Les êtres humains sont, pense Hobbes, par nature égoïstes; ils sont aussi égaux en ce qu’ils ont les mêmes désirs pour des biens qui sont en quantité limitée et ils cherchent à les satisfaire.
Il s’ensuit un état de compétition et de conflit, au sein duquel il est même avantageux de tromper, de tuer, même sans raison et simplement pour inculquer la peur et le respect. «Dans un tel état , dit Hobbes, il n'y a aucune place pour une activité, parce que son fruit est incertain; et par conséquent aucune culture de la terre, aucune navigation, aucun usage de marchandises importées par mer, aucune construction convenable, aucun engin pour déplacer ou soulever des choses telles qu'elles requièrent beaucoup de force; aucune connaissance de la surface de la terre, aucune mesure du temps; pas d'arts, pas de lettres, pas de société». L’homme est alors un loup pour l’homme et la vie de chacun, qui est une guerre contre tous, est «solitaire, misérable, dangereuse, brutale et courte» dès lors que rien ne fait obstacle à nos passions.
Notre nature nous pousse à poursuivre égoïstement nos propres intérêts; mais notre intérêt bien compris par la raison serait de coopérer : tel est le dilemme qu’aperçoit Hobbes. Il est d’autant plus grand qu’il ne peut selon lui être simplement résolu par un engagement à coopérer que prendrait chacun : car il serait alors à l’avantage de chacun de ne pas coopérer dès que cela serait possible et avantageux (par exemple : X s’engage à donner quelque chose à Y en échange d’autre chose, mais il prend son bien sans rien donner en retour), ce qui perpétuerait infiniment le cycle de la vie «solitaire, misérable, dangereuse, brutale et courte». «Des pactes sans l’épée ne sont que des mots» (Convenants without the Swords are but Words), conclut Hobbes.
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Une dose pour être vraiment intelligent
Qu’est-ce que la théorie des jeux?
Supposons que deux personnes, Jean et Thierry, ont été arrêtées par la police qui les soupçonne d’un crime grave, mais sans pouvoir le prouver. La police peut cependant prouver leur culpabilité pour un délit moins grave. On les interroge séparément, chacun étant dans une pièce différente. Chaque prisonnier peut avouer ou ne pas avouer le crime plus grave, mais il ignore ce que fera l’autre.
Si tous deux confessent, chacun fera une peine de prison de 5 ans; si aucun des deux ne confesse, ils seront incarcérés pour un an — la peine prévue pour le délit moins grave que la police peut prouver; mais on leur promet aussi si l’un d’eux confesse, il sera libre, tandis que son partenaire écopera de dix ans de prison.
La théorie des jeux étudie des telles situations conflictuelles (les scénarii peuvent être infiniment plus complexes) et cherche, en dressant une «matrice des gains», à déterminer la stratégie rationnelle optimale.
Dans notre histoire, où chacun des «joueurs» peut coopérer avec l’autre ou le trahir, la matrice des gains est la suivante :
À VENIR
La description de l’état de nature par Hobbes peut se comprendre en ces termes, qui sont ceux dans lesquels se pose immanquablement ces innombrables dilemmes bien réels qui apparaissent quand on doit choisir de coopérer ou non dans la poursuite de nos intérêts personnels qu’on cherche rationnellement à maximiser. On notera que dans le dilemme présenté, la poursuite par chacun de son seul intérêt maximisé (ne pas aller en prison) les conduit tous deux en prison pour cinq ans, tandis que s’ils coopèrent et renoncent à leur intérêt personnel maximisé, ils obtiennent le meilleur résultat collectif (chacun écopant d’une seule année de prison).
La théorie des eux, exposée en 1944 par John Von Neumann (1903-1957) et Oskar Morgenstern (1902 -1977), est devenue un puissant et indispensable outil dans les sciences sociales. C’est à elle que le mathématicien John F. Nash (1928), rendu célèbre par le film A Beautiful Mind, a apporté ses plus importantes contributions scientifiques.
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Pour rompre ce cercle vicieux, chacun doit renoncer à sa liberté naturelle au profit d’un tiers parti assez puissant pour faire respecter l’ordre et maintenir la sécurité. Ce tiers parti c’est l’État, qui peut être un Parlement ou une monarchie, mais dont Hobbes insiste pour dire que son pouvoir doit être absolu (on dit pour cela que la doctrine de Hobbes est absolutiste).
La paix, la sécurité, mais aussi la civilisation, les échanges, la culture et ainsi de suite, ont donc comme condition qu’un monstre aux gigantesques pouvoirs ait l’autorité nécessaire pour les faire advenir : ce monstre, ce Léviathan créé et maintenu en existence par contrat et convention, par artifice, (la position de Hobbes est pour cela appelée artificialisme), c’est l’État. «C’est l’art qui créée ce grand Léviathan, qu’on appelle république ou État […], écrit Hobbes, lequel n’est qu’un homme artificiel, quoique d’une stature et d’une force plus grandes que celles de l’homme naturel pour la défense et la protection duquel il a été conçu».
Hobbes a une conception franchement négative des êtres humains et son absolutisme, antichambre de tous les despotismes, est détestable. Mais sa théorie politique a les immenses mérites de penser l’ordre politique comme une création humaine et de placer l’individu au cœur de la philosophie politique.
La perspective qu’il ouvre, celle du contrat social, sera pour ces raisons sans cesse reprise et elle a inspiré encore aujourd’hui, comme on le verra plus loin, bien des philosophes, le plus important étant John Rawls. Mais avant d’en arriver à lui, rappelons deux autres importantes formulations classiques de la théorie du contrat social.
Le libéralisme politique de John Locke
John Locke (1632-1704) part quant à lui d’une vision moins noire et moins pessimiste de l’état de nature, qui en est un d’abondance et au sein duquel règne déjà un ordre moral : il propose en bout de piste un État dont la souveraineté est limitée et qui a pour fonction de protéger les droits et la liberté des individus.
Dans l’état de nature, estime Locke, nous sommes d’emblée, sur un plan moral, dotés de droits et d’obligations. Nous avons ainsi, tous et également, le droit à la vie, à la santé, à la liberté et à la propriété, toutes choses dont nous pouvons disposer à notre guise; et nous avons aussi, en vertu d’un «loi de la nature», l’obligation, que dicte la raison, de ne pas « nuire à un autre, par rapport à sa vie, à sa santé, à sa liberté, à son bien ».
L’élément le plus singulier de cet exposé, par quoi Locke fait figure de père fondateur du libéralisme, concerne la conception de la propriété.
Comme Hobbes avant lui, Locke lutte contre la théorie du droit divin. Mais son argumentaire fait néanmoins intervenir Dieu. Car c’est en effet Lui, le créateur du monde et des êtres humains, qui a donné à tous, en commun et également, la Terre et ses ressources. De sorte que, contrairement à ce que pense Hobbes, pour qui le droit de propriété émane de Léviathan et se constitue après la sortie de l’état de nature où il ne peut exister faute de garantie légale, pour Locke, dès l’état de nature, il existe un tel droit de propriété.
Il concerne d’abord notre propre corps; mais, et ce développement de l’argumentaire est crucial, il s’étend ensuite à ce que nous avons transformé par notre travail en vertu du fait que nous y avons ce faisant incorporé quelque chose de nous : «Encore que la terre et toutes les créatures inférieures soient communes et appartiennent en général à tous les hommes, chacun pourtant a un droit particulier sur sa propre personne, sur laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre. Tout ce qu'il a tiré de l'état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul : car cette peine et cette industrie étant sa peine et son industrie propre et seule, personne ne saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie, surtout, s'il reste aux autres assez de semblables et d'aussi bonnes choses communes».
L’appropriation, en somme, fonde la propriété.
Comment alors expliquer le passage à l’état de société depuis un état de nature aussi bénin et dans lequel une «loi naturelle» assure le maintien et le respect de ces droits naturels inaliénables que sont la liberté et la propriété?
Locke répond qu’il s’agit d’instituer une loi commune afin de protéger chacun contre les toujours possibles agissements de certains contre la loi naturelle. Dans l’état de nature (mais aussi, bien entendu, dans l’état de société), il arrivera en effet que quelqu’un agisse contre les droits autrui (en le volant, en le blessant ou en l’assassinant) et que cette personne sera de la sorte lésée et ne pourra plus faire usage de ses droits. Lorsque cela se produit dans l’état de nature, la personne lésée peur certes en appeler à Dieu, mais, seule «juge de sa propre cause», elle ne peut autrement faire valoir ses droits, qui demeurent donc incertains; l’entrée en société, qui institue des «Juges et des Souverains sur la terre», crée de la sorte une société politique, par une loi civile qui est au fond un prolongement de la loi naturelle, qu’elle fait respecter. « J'entends donc par pouvoir politique, écrit Locke, le droit de faire des lois, sanctionnées ou par la peine de mort ou, a fortiori, par des peines moins graves, afin de réglementer et de protéger la propriété; d'employer la force publique afin de les faire exécuter et de défendre l'État contre les attaques venues de l'étranger : tout cela en vue, seulement, du bien public.»
On le voit : l’état de société n’est plus ici en rupture avec l’état de nature, mais il en est, par convention et consentement contractuels, la continuité : il assure le maintien des droits et obligations naturelles qui, sans toujours être respectés, prévalaient dans l’état de nature. L’État, en somme, est une institution nécessaire, garante de l’ordre et protectrice de la vie, de la liberté et de la propriété.
Locke met ainsi de l’avant deux idées qui auront un immense impact.
Pour commencer, qu’il existe des droits humains inaliénables et que l’autorité politique doit protéger; ensuite, que les êtres humains ont un droit de résistance face à un pouvoir qui outrepasserait ses pouvoirs, notamment s’il met en péril la liberté et les droits qu’il est censé protéger.
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Une dose pour être vraiment intelligent
Qu’est-ce que l’Habeas Corpus?
Le Bill de l’Habeas Corpus date de 1679 et il est donc antérieur aux écrits politiques de Locke, qui en fournissent toutefois une justification.
Ce texte, en rappelant à chacun la propriété de son propre corps, est un interdit contre toute arrestation ou détention arbitraires. Moment important dans l’histoire des droits de la personne, il a aussi été un texte de loi majeur contre l’absolutisme. Un de ses principaux architectes était Lord Shaftesbury, un protecteur de Locke.
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Certaines des critiques adressées à Locke méritent qu’on s’y arrête.
On a vu plus haut comment Locke met des balises au droit de propriété acquis par le travail. Accumuler, certes, mais encore faut-il, a-t-il dit, qu’il «reste aux autres assez de semblables et d'aussi bonnes choses communes ». Bien des choses se dissimulent ici.
Pour commencer, Locke pense l’état de nature comme un état d’abondance et cette limite assignée est donc bien lointaine.
Ensuite, la monnaie fait bientôt son apparition, c’est-à-dire cette « chose durable, que l'on peut garder longtemps, sans craindre qu'elle se gâte et se pourrisse; qui a été établie par le consentement mutuel des hommes, et que l'on peut échanger pour d'autres choses nécessaires et utiles à la vie, mais qui se corrompent en peu de temps.» Locke juge que ce nouveau prolongement de soi-même peut être sans freins accumulé, prêté ou donné. Locke, en fait, va justifier la spéculation par le droit «naturel»!
La question est alors de savoir si, ce faisant, Locke, lui-même riche propriétaire, ne défend pas ici abusivement comme naturelles les prérogatives de la classe à laquelle il appartient, et cela au prix de la méconnaissance des effets des inégalités sur la vie sociale, politique et économique des «contractants».
La pensée de Locke a grandement influencé les pères de la Révolution américaine et cette influence est manifeste jusque dans le Déclaration d’indépendance, dans laquelle on lit: «Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés.»
Cependant, d’aucuns voudront voir également dans l’histoire des Etats-Unis les effets prévisibles de l’existence de ces énormes inégalités économiques, puis politiques, que légitime le libéralisme de Locke.
Les mêmes rappelleront que les idées de Locke ont aussi servi de justification à l’appropriation de leurs terres aux Amérindiens : celles-ci étaient présumées appartenir aux Européens sitôt qu’ils les travaillaient et les transformaient en propriété productive.
Jean Jacques Rousseau et la volonté générale
Personnage singulier, Rousseau défend un contrat social bien différent de celui de ses prédécesseurs et en son cas également sa spécificité se comprend au mieux à partir de la conception qu’il se fait de l’état de nature.
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Une dose d’espace et de temps
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
Jean-Jacques Rousseau est né à Genève, au sein d’une famille calviniste. Sa mère meurt quelques jours après sa naissance. À 16 ans, il quitte sa ville natale et est recueilli en France par madame de Warens, qui sera sa protectrice et sa maîtresse. Musicien, il pense un temps connaître le succès à Paris grâce à un système de notation musicale qu’il a conçu. Il se lie bientôt avec les Encyclopédistes. En octobre 1749, il rend visite à Diderot, emprisonné à Vincennes. C’est alors qu’il lit la question posée par un concours : « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs ». Contre la doxa dominante, il soutient que non et que loin d’améliorer leurs mœurs, les arts et les sciences ont au contraire corrompu les hommes. Rousseau remporte le premier prix de ce concours avec le Discours sur les sciences et les arts, qui le rend célèbre.
La perspective critique envers le présumé progrès qu’il y déploie est un des éléments clés de son œuvre. Une autre est la place prépondérante accordé au sentiment et à l’exploration de sa propre subjectivité, par quoi Rousseau annonce le romantisme (Confessions; Rêveries du promeneur solitaire).
Quelles institutions politiques pourraient permettre à l’humanité corrompue de se ressaisir? Le Contrat Social veut répondre à cette question. Comment, au sein de nos institutions malsaines élever malgré tout des êtres sains? C’est la question abordée dans Émile, un classique qui révolutionne la pédagogie.
Harcelé, paranoïaque, exilé, brouillé avec tant de gens, Rousseau meurt en France, où il était finalement revenu.
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Une des idées forces de la pensée de Rousseau est que la civilisation, les arts et les sciences exercent sur l’être humain une influence néfaste, corruptrice et un mot dénaturante. (Cette idée, inspirée en partie du mythe du «bon sauvage», consiste moins à attribuer la bonté originelle à l’homme naturel, qu’à le présenter comme n’étant ni bon ni mauvais et dans un état qui précède à la moralité elle-même).
Dans l’état de nature, les êtres humains vivent libres, isolés (ils n’ont de rapports que rares ou fortuits avec leurs semblables), dans un état d’abondance et d’innocence. Ils possèdent en outre certaines caractéristiques naturelles.
Pour commencer, ils possèdent un désir de conservation de soi que Rousseau appelle l’amour de soi; ensuite, ils ressentent devant le malheur d’autrui une compassion que Rousseau appelle pitié et qui les pousse à leur venir en aide; ils possèdent enfin la perfectibilité, par quoi ses facultés, dont la raison, se développeront et qui contribuera à le faire entrer en civilisation.
Car l’homme, , a bien quitté l’état de nature et est entré en civilisation, où il dégénère et se dénature. S’agit-il d’un «funeste hasard»? Comment se peut-il, pour reprendre ses mots célèbres, que quelqu’un, le premier, « ayant enclos un terrain, s'avisa de dire Ceci est à moi», «trouva des gens assez simples pour le croire» et fut ainsi «le vrai fondateur de la société civile»? Rousseau ne le sait pas. Mais il insiste : «Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables: Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne.»
Ce passage à l’état de société signe le malheur de l’homme et il n’a pu engendrer que des simulacres d’un ordre politique oppressant et reposant sur de faux contrats. C’est cela que Rousseau veut corriger. Mais avant d’examiner ce qu’il propose, voyons ses griefs.
Dans le passage à l’état de société, l’amour de soi de l’être humain se mue en amour-propre, passion malsaine faite du désir de paraître et de dominer entretenu par une incessante et toujours insatisfaite comparaison de soi-même avec autrui et la pitié se mue en plaisir pris devant la contemplation de son malheur. Des désir artificiels naissent et son entretenus, tandis que les inégalités et le esclavages se multiplient et interdisent à chacun de nous dédevenir un personne saine.
Les régimes politiques existants, sans exception, sont selon Rousseau le fruit de ces dénaturations et les alimentent. Cette critique vaut même, selon lui, pour ces contrats que ses prédécesseurs, comme Hobbes, bien entendu, mais aussi comme Locke, ont élaborés et qui devaient garantir la liberté de chacun. Rousseau pense que l’état de nature peint par Hobbes est en fait un état de société où les plus riches et les plus puissants invoquent un supposé état de guerre de chacun contre tous pour mieux asservir leurs victimes, tout en assurant ne vouloir rien d’autre que les protéger : pareil contrat repose sur la force, qui ne peut engendrer le droit. Quant au contrat lockéen, il suppose l’aliénation de la liberté naturelle de chacun et lui aussi permet l’inégalité et l’injustice. D’où la célèbre phrase qui ouvre Le Contrat Social : «L’homme est né libre et partout il est dans les fers» .
L’ambition de Rousseau est de concevoir un contrat qui garantisse la sécurité des personnes et des biens ainsi que la liberté au sein d’un état de société. Il le formule comme suit : «Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant.»
Dans les termes où il est posé, qui exigent que nous soyons à la fois libres et soumis à des lois, ce problème peut sembler insoluble — et nous verrons que Rousseau lui-même le tient pour largement insoluble en pratique. Mais il pense néanmoins lui avoir trouvé une solution théorique.
La clé en réside dans la notion de «volonté générale», à laquelle chacun se soumet : celle-ci comprenant la sienne, une liberté civile est constituée en même temps que l’égalité de tous est assurée. Les lois qui expriment la volonté générale sont aussi ce à quoi arrive la volonté individuelle quand elle se place du point de vue de l’intérêt général : cette coïncidence donne naissance au citoyen, qui est à la fois celui qui donne la loi et qui s’y soumet. Par là, en se soumettant à la volonté générale, chacun ne se soumet qu’à lui-même. Rousseau écrit : «Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout. A l'instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d'association produit un corps moral et collectif, composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique, qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cité (a), et prend maintenant celui de république ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. À l'égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s'appellent en particulier citoyens, comme participant à l'autorité souveraine, et sujets, comme soumis aux lois de l'État.»
Il faut souligner que si la volonté générale n’est bien entendu pas la volonté individuelle, celle, limitée, de chacun d’entre nous pris isolément et qui veille à nos intérêts personnels, elle n’est pas non plus la somme de ces volontés, même dans l’éventualité où toutes aspireraient à la même chose. Expliquons cette idée par un exemple tout simple.
Il se peut que toutes les personnes d’une société veuillent ne payer aucun impôt : mais la somme de ces volontés souhaitant la même chose n’est pas la volonté générale, qui est l’expression de ce qui est souhaitable pour la société dans son ensemble. Or, si personne en paie d’impôts, il n’y aura pas de services publics, ce qui n’est pas dans l’intérêt du bien commun. La volonté générale souhaite donc qu’il existe des impôts et exige que chacun paie les siens.
Rousseau pensait que des démocraties directes (i.e. non représentatives), composées d’un nombre limité de citoyens vertueux, relativement égaux de fortune et où des votes sont pris sur toutes les questions concernant l’intérêt public, pouvaient espérer réaliser cet idéal.« S'il y avait un peuple de dieux, écrit-il, il se gouvernerait démocratiquement». Malheureusement, poursuit-il «un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes.»
Mais outre cette impraticabilité, c’est bien entendu autour de cette notion de «volonté générale» que les critiques les plus sévères ont été formulées à l’endroit de Rousseau. Est-il raisonnable de penser que tout désaccord politique trouve un solution unique que chacun peut en outre trouver lui-même en s’abstrayant de ses intérêts et de ses perspectives singulières? Que fera-t-on, même si (et c’est improbable) c’était le cas, de ceux et celles qui ne le trouvent pas ou refusent de s’y soumettre? Certaines questions parmi les plus profondes questions de la philosophie politique sont soulevées par ces hypothèses et, pour les traiter, il faut faire intervenir le concept de liberté positive, distincte de la liberté négative.
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Une dose pour être vraiment intelligent
Quels sont les deux concepts de liberté distingués par Isaiah Berlin et en quoi cette distinction est-elle importante pour évaluer le projet de Rousseau?
Dans sa monumentale Histoire de la philosophie occidentale, rédigée pendant la Deuxième Guerre Mondiale, Bertrand Russell n’hésite pas à affirmer que les doctrines exposées dans le Contrat social «pointent vers la justification d’un État totalitaire» et à faire de Rousseau un précurseur de Staline et de Hitler !
Compte tenu de la nature à première vue profondément humaniste et généreuse du projet que déclare poursuivre Rousseau, de telles remarques, sous la plume d’un philosophe aussi éminent que Russell, sont très intrigantes. Elles expriment pourtant une position finalement assez répandue et qui se comprend mieux à la lumière de la distinction proposée par Isaiah Berlin (1909-1997) entre liberté négative et liberté positive.
La liberté négative est celle qu’on possède du fait que rien n’entrave notre action, qu’aucune force ou contrainte (d’où son nom) ne nous empêche de faire quelque chose . La liberté positive est celle qui correspond à la possibilité réelle d’accomplir certaines choses désirables. Pour que ces dernières libertés existent, il faut plus que l’absence de contrainte : des possibilités réelles doivent être présentes.
Une société fondée sur la première ne vous empêche pas, dès lors, disons, que vous ne limitez pas la liberté (négative) d’autrui, de poursuivre tel ou tel but. Votre liberté négative, en ce cas, est entière et à peu près sans limite.
Mais il se pourra aussi que la liberté positive dont vous disposez soit très limitée et retire sa substance à votre liberté négative. Par exemple, si vous êtes très pauvre, vous êtes entièrement libre (d’une liberté négative) de tenter de devenir riche : mais vos chances sont possiblement minces, surtout si vous n’avez pas pu étudier, faire des contacts, obtenir un prêt, etc. (Anatole France disait malicieusement que les riches et les pauvres avaient la liberté de dormir la nuit sous les ponts). Ces éléments sont ceux qui donnent de la substance à la liberté positive. Pour cela, l’État pourra intervenir et créer des qui lui sont conditions favorables.
Sur cette pente, cependant, le contrôle et l’intervention de l’État dans la vie de gens peuvent devenir dangereux pour la liberté négative elle-même. Si, en outre, persuadé de connaître le seul contenu possible et la véritable définition d’une vie bonne, l’État entreprend de créer les conditions de sa réalisation par chacun, nous voici au seuil des régimes les plus détestables qui soient. Russell, dans le passage cité plus haut, associait une telle défense de la liberté positive à Rousseau et en faisait le précurseur de ces régimes. Est-ce justifié ? La question, passionnante et importante, a été et demeure chaudement débattue.
Russell et d’autres suggèrent que la réponse est oui et que l’enseignement à en tirer est crucial. Rousseau pense en effet la délibération et la prise de décision politiques selon un modèle ultra-rationaliste à l’improbable prémisse qu’il existe une bonne réponse à tout problème politique et que le citoyen qui accepte de renoncer à sa perspective singulière et limitée pour se placer du point de vue du bien commun aboutit immanquablement à la position qui est celle de la volonté générale, elle même infaillible.
Dès lors, celui qui n’y parvient pas erre et se prive de liberté positive. Rousseau le reconnaît et il écrira ces mots terribles : « Afin donc que ce pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement, qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale, y sera contraint par tout le corps; ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera à être libre, car telle est la condition qui, donnant chaque citoyen à la patrie, le garantit de toute dépendance personnelle, condition qui fait l'artifice et le Jeu de la machine politique, et qui seule rend légitimes les engagements civils, lesquels, sans cela, seraient absurdes, tyranniques, et sujets aux plus énormes abus.» (Du Contrat Social, I, 7)
La Révolution Française débouchant sur la terreur, Robespierre, grand lecteur de Rousseau, déclarera, forgeant de la sorte un effrayant oxymoron : «Le gouvernement de la révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie.» (Discours à la Convention, 5 février 1794).
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Bien des gens s’intéressent à la politique : le sociologue, l’historien, l’économiste, la juriste, le politicologue, mais aussi la journaliste, le spécialiste des relations publiques, le sondeur et d’autres encore, sans oublier le citoyen.
Ce qui distingue les travaux du philosophe des réflexions de toutes ces personnes, et le type d’intérêt qu’il porte à la politique, c’est le fait qu’il tend essentiellement à s’intéresser à des questions conceptuelles et normatives qu’on y retrouve immanquablement. Qu’est-ce que l’égalité?, est ainsi une question de philosophe, de même que : en quoi devraient consister les institutions d’une société juste?
Ces questions comptaient parmi celles que posait déjà Platon dans La République et, avec de nombreuses autres semblables, toutes relatives à la nature et à la valeur de nos institutions économiques, sociales et politiques, de l’État et du gouvernement, elles n’ont cessé d’être reprises par les philosophes politiques qui l’ont suivi.
Il en est résulté une longue et riche tradition de réflexion de philosophie politique qui devrait être familière à quiconque s’intéresse au politique, à l’économie, au droit et à la société en général: c’est que les problèmes que nous nous y posons aujourd’hui encore ont à peu près tous été posés et débattus au sein de cette tradition et que les réponses qu’on a avancées ont profondément façonné à la fois nos idées et nos institutions.
Ce chapitre comprend deux grandes sections.
La première dresse rapidement le portrait de quelques-unes des grandes et influentes familles d’idées politiques.
La deuxième pose le problème de la justification de l’autorité politique et rappelle comment l’a pensée la riche tradition du contrat social.
Quelques grandes familles d’idées politiques
Nous commençons par un rapide survol de cinq de ces «familles» : le libéralisme, le socialisme, l’anarchisme, le nationalisme et le conservatisme.
Le libéralisme
Employé en un sens très général et pré-philosophique, le libéralisme est sans doute la position politique (mais aussi économique) dominante dans les sociétés industrielles avancés et dans nos démocraties justement dites libérales.
Mais, typiquement, le mot est en ce cas employé de manière si large — pour affirmer par exemple l’importance accordée à la liberté individuelle, une certaine tolérance devant les modes de vie les plus divers et une prédilection pour un État de droit démocratique — qu’il perd aussi une grande part de son intérêt philosophique. Pour le retrouver, il faut retourner à ses racines historiques et rappeler les trois directions dans lesquelles il s’est déployé.
Le libéralisme est pour commencer une position politique, née au XVIIe siècle, chez des auteurs comme John Locke (1632-1704) ou Montesquieu (1689-1755). La liberté pour les individus de poursuivre sans contraintes les buts qu’il se fixent en est d’emblée une caractéristique centrale. Lui sont intimement liées d’une part l’idée que les individus peuvent, librement, choisir leurs idéaux et donc leur conception de ce qu’on appellera une «vie bonne», d’autre part une tolérance envers la multiplicité des choix qui résulte immanquablement de cette possibilité de choisir, enfin une certaine méfiance envers ce qui pourra s’opposer à tout cela, et notamment une trop grande (mais ce qui la constituera précisément sera toujours chaudement débattu) présence et influence de l’État, qui tend à être vu comme devant se limiter à préserver les droits individuels. Hobbes écrit typiquement: «La liberté d'un sujet ne se trouve que dans ces choses que le souverain, en réglant les actions des hommes, a passées sous silence, comme la liberté d'acheter, de vendre, ou de passer d'autres contrats les uns avec les autres, de choisir leur domicile personnel, leur alimentation personnelle, leur métier personnel, et d'éduquer leurs enfants comme ils le jugent bon, et ainsi de suite.»
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Une dose pour être vraiment intelligent
Qu’est-ce que la séparation des pouvoirs?
Pièce importante de la position libérale devant contribuer à préserver la liberté du citoyen, l’idée de séparation des pouvoirs remonte à Locke et à Montesquieu. Trois pouvoirs sont distingués — le législatif, l’exécutif et le judiciaire — et séparés, en ce sens que rien ni personne ne devrait en détenir plus d’un : «Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la force des choses, le pouvoir arrête le pouvoir».
*************************************************************************************À ce libéralisme politique, s’ajoute un libéralisme économique dont le principal penseur est Adam Smith ((1723-1790). Dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), document fondateur de l’économie politique, il pose que des échanges économiques libres, exempt de toute intervention et de toute contrainte étatiques, constitueront un libre marché qui harmonisera spontanément les intérêts particuliers et l’intérêt général. Sur un tel libre marché, écrit Smith, : «[…] chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. À la vérité, son intention en général n’est pas en cela de servir l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société (...) Il ne pense qu’à son propre gain; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler.»
Partant de là, de très nombreuses et variées synthèses de ces tendances, pas toujours faciles à concilier, ont été défendues comme étant du libéralisme. On leur reproche typiquement la trop grande place qu’elles accordent à l’individu au détriment de la collectivité et le peu de cas qu’elles font de valeurs autres valeurs que al liberté, en particulier de l’égalité.
La plus récente de ces moutures, appelée néo-libéralisme, usurpe en partie son nom puisqu’elle est un ultra-libéralisme économique réalisé dans des conditions inédites, inconnues de Smith et du libéralisme classique, et à bien des égards anti-libérales (ne serait-ce que par la présence de ces méga-entreprises et corporations transnationales), coupées des balises éthiques et institutionnelles que Smith et les autres jugeaient indispensables à l’existence et à la pérennité d’une société libérale et alimenté à même une massive intervention des États dans l’économie.
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Une dose de vocabulaire
Une mise en garde
Le mot libéralisme est d’emblée vaste et polysémique. Dans la langue courante et même journalistique, il est parfois profondément ambigu et confusionnel. Considérez l’exemple suivant.
Associé aux excès du néo-libéralisme, l’appellation libéral peut servir, dans les pays francophones, à stigmatiser un partisan de politiques économiques (privatisation, profits, marchandisation) associés à la droite de l’échiquier politique.
Par contre, aux Etats-Unis, pays phare de telles positions économiques, un libéral est celui qui défend des idées politiques et philosophiques comme la tolérance, l’égalité des chances et la mise en place de programmes publics d’éducation et de santé : le mot sert alors à stigmatiser une position en la situant, cette fois, à gauche de l’échiquier politique.
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Le socialisme
Le socialisme — ou plutôt, les socialismes, puisque nous avons ici encore affaire à une large famille de positions politiques — est au mieux compris en référence au contexte historique qui l’a vu naître, celui de la Révolution Industrielle au début du XIX e siècle.
Le socialisme est en effet d’abord une réaction morale devant les massives inégalités qu’engendre la Révolution Industrielle et le caractère jugé intolérable et injuste de l’exploitation des ouvriers qu’elle pratique, mais aussi contre les valeurs et comportement qu’elle encourage chez les acteurs sociaux (exploitation, égoïsme, individualisme,par exemple).
Contre la seule recherche du profit, les premiers socialistes font ainsi valoir des exigences morales et sociales qui doivent être prises en compte : le travail des enfants, argue-t-on par exemple, peut bien être économiquement rentable, il n’en demeure pas moins moralement inacceptable. Devant l’accumulation du profit entre les mains de quelques propriétaires d’usines, les socialistes s’indignent encore de ce que ce profit ne revienne pas à ceux qui travaillent. Devant l’exploitation, ils réclament plus de justice économique, une plus grande égalité des chances et un accès pour tous à l’éducation, à la santé.
Les premiers socialistes sont souvent des utopistes, comme Charles Fourier (1772-1837), qui imagine de vastes regroupements de vie communautaire entre gens librement associés au sein de ce qu’il appelle des «Phalanstères». Mais bientôt, les positions socialistes se formulent d’argumentaires plus rigoureux en faveur d’objectifs mieux définis. Coopératives, abolition du capital, collectivisme, syndicalisme en sont autant de manifestations.
Le socialisme conçu par Karl Marx est distinct de ceux-là et durant la majeure partie du XXe, les régimes s’en réclamant (frauduleusement) ont entretenu des relations conflictuelles avec les socialismes des partis sociaux-démocrates. Ce sont eux, aujourd’hui, qui incarnent le socialisme, qui cherche un peu partout les conditions de son renouvellement.
Ses critiques lui reprochent notamment de méconnaître l’importance de la liberté individuelle et le caractère coercitif des mesures nécessaires à l’atteinte de ses idéaux.
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Une dose pour être vraiment intelligent
Comment distinguer socialisme et communisme?
La revendication de justice et d’équité portée par le socialisme a souvent été affirmée dans le cadre des démocraties libérales au sein desquelles on a cru possible leur réalisation.
Le communisme, au contraire, en se présentant parfois comme un socialisme scientifique et non réformiste, aspire à une société sans classe qui passe par une rupture complète avec le capitalisme et la démocratie libérale, jugée frauduleuse et oppressive.
Cette société communiste n’advient cependant pas immédiatement après la révolution : on n’y parviendrait qu’à la suite d’une phrase transitoire durant laquelle la prolétariat exerce sur la bourgeoisie, ses institutions et ses mentalités subsistantes, une indispensable «dictature du prolétariat». L’État est indispensable à ce travail, mais les communistes, à la suite de Marx et de Lénine, pensent qu’il «dépérira» peu à peu à mesure qu’il deviendra inutile.
Pour défendre cette étrange conclusion, les communistes se basèrent notamment sur l’expérience de la Commune, présumé avoir échoué en raison de l’absence d’un pouvoir central fort capable de réprimer les contre-révolutionanires.
Les anarchistes assurèrent au contraire que la mise en place d’un tel pouvoir (une dictature de l’État) conduirait immanquablement à la constitution d’une indélogeable «bureaucratie rouge», comme la nommera Bakounine, interdisant à jamais un véritable communisme et condition de l’institution d’un régime dictatorial et liberticide.
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L’anarchisme (ou socialisme libertaire)
Frères ennemis des communistes, les anarchistes aspirent eux aussi à une société sans classes et sans exploitation.
Mais leur point de départ se trouve dans une profonde méfiance envers le pouvoir sous toutes ses formes (et envers l’État tout particulièrement) jointe à une revendication de liberté si grande qu’elle les placerait à la gauche des libéraux classiques.
Force politique avec laquelle il faut compter au moins jusqu’en 1939, moment où la défaire des Républicains dans la Guerre civile espgnole met un terme à la plus vaste expérience libertaire, les anarchistes vont décliner leurs idéaux en un anarchisme individualiste et des anarchismes sociaux, différant selon les mode de reconstruction du lien social et économique qu’ils défendent. Autogestion, coopération, fédéralisme, communisme sont quelques-uns des principaux noms d’idéaux défendus par les anarchistes, lesquels qui seront mis en place par eux à des degrés et des échelles divers. Les principaux représentant de l’anarchisme classique sont : Max Stirner (1806-1856), Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), Michel Bakounine (1814-1876) et Pierre Kropotkine (1842-1921).
Mai 1968 a vu un renouveau des idées anarchistes, qui s’est ensuite amplifié avec la lutte contre la globalisation de l’économie. Le linguiste Noam Chomsky (1928), parfois donné comme le plus influent intellectuel vivant, se réclame ouvertement de l’anarchisme.
Des partisans d’une économie de marché sans entrave se réclament pour cela d’un anarcho-capitalisme, ce qui irrite fort les anarchistes pour qui leur position est inséparable d’un projet politique égalitaire et antiautoritariste jugé incompatible avec une économie où certains peuvent acheter la force de travail que d’autres sont contraints de vendre pour survivre.
On reproche typiquement aux anarchistes un vision trop idéale de la nature humaine et le caractère utopique de leur propositions.
Le nationalisme
Nous utilisons parfois le mot Nation pour désigner des États — et l’Organisation des Nations Unies (ONU) est en fait une réunion d’États. ll est pourtant important de distinguer État et Nation. Certes l’État-Nation est aujourd’hui le d’organisation politique type: mais il n’en a pas toujours été ainsi et sa création est relativement récente, puisqu’il date en gros du XIXe siècle (le sentiment patriotique, lui, est bien entendu antérieur).
Une nation peut être définie par la conjonction de critère (plus) objectifs et de critères (plus) subjectifs. Les premiers sont ces propriétés et caractéristiques que partagent en commun ceux qui constituent une nation — typiquement : une langue, une histoire, une culture, une origine, une religion.
Mais ces critères en suffisent pas à eux seuls à définir la nation : par exemple une nation peuvent posséder plus d’une langue et une langue peut être parlée dans plusieurs nations. On en dira autant, mutatis mutandis, de la religion, de la culture ou de l’histoire. De même, un État peut regrouper plusieurs nations et, inversement, une même nation peut être disséminée en plusieurs États. La nation résulte donc d’autre chose et c’est ici que des critères plus subjectifs entrent en considération.
Ils pointent vers un sentiment subjectif d’appartenance, vers un consentement à s’associer pour prendre part à un projet commun. Les nationalismes sont donc aussi l’expression de ce sentiment, qui est lié à une forme d’autorité politique (l’État) présumée permettre la réalisation et la pérennité d’un projet politique poursuivi sans entraves extérieures.
On le sait, cependant: le nationalisme, depuis deux siècles, n’a cessé d’être une source importante de conflits, souvent extrêmement violents. Pour cette raison, il suscite typiquement une profonde méfiance chez les philosophes politiques. Albert Einstein a mémorablement exprimé cette position en disant du nationalisme qu’il est « une maladie infantile de l'humanité», sa rougeole en quelque sorte.
Sans en nier les possibles dérives, d’autres se sont efforcés de distinguer entre une nationalisme endoctrinaire et fondé sur l’autorité, un tel nationalisme étant fermé, ethnique, reposant sur l’appartenance par «le sol et le sang», et une nationalisme libéral, ouvert, de culture, d’émancipation, combinant harmonieusement appartenance culturelle et affirmation politique.
De nombreux débats politiques tournent autour de la question de savoir si (et si oui, dans quelle mesure et avec quelles implications) cette distinction est éclairante, féconde et légitime.
Un regard, même superficiel, posé sur le monde qui nous entoure rappellera l’importance de ces questions.
Le conservatisme
Le point de départ du conservatisme se trouve dans une certaine attitude de déférence envers les valeurs, les pratiques et les institutions héritées du passé et présumées être l’expression d’une certaine sagesse acquise au fil du temps. C’est pourquoi s’il n’est pas un ennemi a priori de tout changement, le conservateur s’en méfie et, plus encore, se méfie du changement radical et des promesses de lendemain qui chantent. Il pense que la transformation de la société devrait être progressive et soucieuse de garantir sa continuité : plutôt que de le détruire, il faut préserver ce qui a patiemment été construit et mis à l’épreuve dans la longue durée. Le mot de Lucius Cary (1610-1643) pourrait être la maxime qui résume le mieux cette position: «Si un changement n’est pas nécessaire, alors il est nécessaire de ne pas changer».
Edmund Burke (1729-1797), témoin de la Révolution Française, a donné du conservatisme une de ses défenses philosophiques les plus articulées. Il fait valoir que chaque génération n’est qu’un gardien temporaire de la société et qu’elle a pour cette raison des devoirs envers les générations qui l’ont précédée et envers celles qui la suivront. Elle doit donc traiter avec prudence et respect l’héritage reçu et s’efforcer de le transmettre: des changements trop rapides et trop brutaux, de grandioses utopies imaginées par de dangereux rêveurs risquent de détruire le tissu social. Burke, qui écrit en 1790, affirme dès cette date, que la Révolution Française débouchera sur la terreur et la tyrannie.
Le conservatisme actuel est volontiers associé à une vision économique libérale, voire ultra-libérale. Aux Etats-Unis, où elle est répandue, une telle position est appelée néo-conservatisme.
Les arguments avancés contre le conservatisme, on l’aura deviné, font valoir que ce qui est hérité du passé ne mérite pas toujours d’être conservé (entre mille exemples, pensez à l’esclavagisme ou aux répartitions traditionnelles des rôles selon les sexes) et doit au contraire être, souvent radicalement, aboli. Plus généralement, ils avancent que la déférence envers le passé des conservateurs conduit à une «démocratie des morts» (G.K. Chesterton) et à un pessimisme intellectuel et moral qui freinent tout effort d’amélioration de la société et d’imagination d’un monde plus juste.
Les critiques du conservatisme contestent aussi que tout changement conduise nécessairement à la tyrannie et rappellent que des transformations, même radicales, ont souvent eu, à court comme à long terme, des effets généralement reconnus comme bénéfiques.
Finalement, on argue que l’actuel néo-conservatisme n’est qu’une arme idéologique au service des puissants et oeuvrant au maintien de leurs privilèges et des inégalités qu’ils engendrent inévitablement.
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Une dose d’espace et de temps
La gauche et la droite
Même s’ils ont des contours imprécis, gauche et la droite sont aujourd’hui couramment employés pour désigner des familles d’opinions politiques, les premières valorisant le progrès, le changement et privilégiant un regard porté vers l’avenir, les secondes un certain conservatisme et privilégiant un regard porté vers le passé.
L’origine de ces vocables, qui proviennent de la Révolution française, est intéressante à connaître.
Sous la monarchie, quand se tenaient des États Généraux, la tradition avait voulu que les nobles et les ordres privilégiés se placent à la droite du roi et le tiers-état à sa gauche. Quand l’Assemblée nationale se réunit, on poursuivit cette tradition, cette fois avec des députés conservateurs issus de la noblesse se plaçant à droite de la salle et les députés partisans du changement à gauche.
C’est à la Restauration, et donc après 1814, que ces termes de gauche et de droite ainsi entendus deviendront d’usage courant.
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La justification de l’autorité politique : la tradition du contrat social
Ce sont les Sophistes, dès l’Antiquité qui ont les tout premiers proposé des idées allant dans le sens de celles du contrat social, en suggérant que l’autorité politique résulte d’une convention. L’un d’eux, Lycophron, écrit ainsi: «La loi est une convention, une garantie de droits réciproques».
Mais il faudra attendre les XVIIe et XVIIIe siècles pour que les théories du contrat social, dont il existe diverses formulations bien différentes mais qui comptent parmi les plus répandues et influentes des justifications de l’autorité politique, soient de nouveau et pleinement déployées. Elles ne le seront en fait qu’à partir du moment où seront rejetées d’une part l’idée que l’ordre politique est naturel, d’autre part celle selon laquelle il est conforme à un plan divin.
La première idée était déjà avancée par Aristote, pour qui l’Homme est, par nature, «un animal politique».
La deuxième, extrêmement influente et pouvant se concilier avec la première, fait dériver directement de dieu l’autorité politique : «Le Roi est oint de Dieu» affirme un célèbre formule; et Saint Paul écrivait déjà, justifiant par avance l’absolutisme : «Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C'est pourquoi celui qui s'oppose à l'autorité résiste à l'ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. (Épitre de Paul aux Romains, XIII, 1-2».
Tout cela change avec Thomas Hobbes, généralement reconnu comme celui qui remet à l’ordre du jour un argumentaire contractualiste —dans un livre paru en 1651 et intitulé : Léviathan.
Un monstre nécessaire
Ce nom vient de La Bible, qui évoque un gigantesque monstre marin appelé ainsi. Pourquoi Thomas Hobbes (1588-1679), qui écrit durant le sanglant tumulte de la guerre civile en Angleterre (1641–1649), en a-t-il fait le titre de son célèbre ouvrage?
Hobbes imagine la vie des êtres humains dans un «état de nature» où n’existent ni institutions ni pouvoir politiques. (Il est important de noter ici que Hobbes ne prétend nullement décrire des événements historiques réels : il nous convie plutôt à imaginer ce que seraient nos vies, même aujourd’hui, si on en soustrayait les institutions politiques). Les êtres humains sont, pense Hobbes, par nature égoïstes; ils sont aussi égaux en ce qu’ils ont les mêmes désirs pour des biens qui sont en quantité limitée et ils cherchent à les satisfaire.
Il s’ensuit un état de compétition et de conflit, au sein duquel il est même avantageux de tromper, de tuer, même sans raison et simplement pour inculquer la peur et le respect. «Dans un tel état , dit Hobbes, il n'y a aucune place pour une activité, parce que son fruit est incertain; et par conséquent aucune culture de la terre, aucune navigation, aucun usage de marchandises importées par mer, aucune construction convenable, aucun engin pour déplacer ou soulever des choses telles qu'elles requièrent beaucoup de force; aucune connaissance de la surface de la terre, aucune mesure du temps; pas d'arts, pas de lettres, pas de société». L’homme est alors un loup pour l’homme et la vie de chacun, qui est une guerre contre tous, est «solitaire, misérable, dangereuse, brutale et courte» dès lors que rien ne fait obstacle à nos passions.
Notre nature nous pousse à poursuivre égoïstement nos propres intérêts; mais notre intérêt bien compris par la raison serait de coopérer : tel est le dilemme qu’aperçoit Hobbes. Il est d’autant plus grand qu’il ne peut selon lui être simplement résolu par un engagement à coopérer que prendrait chacun : car il serait alors à l’avantage de chacun de ne pas coopérer dès que cela serait possible et avantageux (par exemple : X s’engage à donner quelque chose à Y en échange d’autre chose, mais il prend son bien sans rien donner en retour), ce qui perpétuerait infiniment le cycle de la vie «solitaire, misérable, dangereuse, brutale et courte». «Des pactes sans l’épée ne sont que des mots» (Convenants without the Swords are but Words), conclut Hobbes.
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Une dose pour être vraiment intelligent
Qu’est-ce que la théorie des jeux?
Supposons que deux personnes, Jean et Thierry, ont été arrêtées par la police qui les soupçonne d’un crime grave, mais sans pouvoir le prouver. La police peut cependant prouver leur culpabilité pour un délit moins grave. On les interroge séparément, chacun étant dans une pièce différente. Chaque prisonnier peut avouer ou ne pas avouer le crime plus grave, mais il ignore ce que fera l’autre.
Si tous deux confessent, chacun fera une peine de prison de 5 ans; si aucun des deux ne confesse, ils seront incarcérés pour un an — la peine prévue pour le délit moins grave que la police peut prouver; mais on leur promet aussi si l’un d’eux confesse, il sera libre, tandis que son partenaire écopera de dix ans de prison.
La théorie des jeux étudie des telles situations conflictuelles (les scénarii peuvent être infiniment plus complexes) et cherche, en dressant une «matrice des gains», à déterminer la stratégie rationnelle optimale.
Dans notre histoire, où chacun des «joueurs» peut coopérer avec l’autre ou le trahir, la matrice des gains est la suivante :
À VENIR
La description de l’état de nature par Hobbes peut se comprendre en ces termes, qui sont ceux dans lesquels se pose immanquablement ces innombrables dilemmes bien réels qui apparaissent quand on doit choisir de coopérer ou non dans la poursuite de nos intérêts personnels qu’on cherche rationnellement à maximiser. On notera que dans le dilemme présenté, la poursuite par chacun de son seul intérêt maximisé (ne pas aller en prison) les conduit tous deux en prison pour cinq ans, tandis que s’ils coopèrent et renoncent à leur intérêt personnel maximisé, ils obtiennent le meilleur résultat collectif (chacun écopant d’une seule année de prison).
La théorie des eux, exposée en 1944 par John Von Neumann (1903-1957) et Oskar Morgenstern (1902 -1977), est devenue un puissant et indispensable outil dans les sciences sociales. C’est à elle que le mathématicien John F. Nash (1928), rendu célèbre par le film A Beautiful Mind, a apporté ses plus importantes contributions scientifiques.
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Pour rompre ce cercle vicieux, chacun doit renoncer à sa liberté naturelle au profit d’un tiers parti assez puissant pour faire respecter l’ordre et maintenir la sécurité. Ce tiers parti c’est l’État, qui peut être un Parlement ou une monarchie, mais dont Hobbes insiste pour dire que son pouvoir doit être absolu (on dit pour cela que la doctrine de Hobbes est absolutiste).
La paix, la sécurité, mais aussi la civilisation, les échanges, la culture et ainsi de suite, ont donc comme condition qu’un monstre aux gigantesques pouvoirs ait l’autorité nécessaire pour les faire advenir : ce monstre, ce Léviathan créé et maintenu en existence par contrat et convention, par artifice, (la position de Hobbes est pour cela appelée artificialisme), c’est l’État. «C’est l’art qui créée ce grand Léviathan, qu’on appelle république ou État […], écrit Hobbes, lequel n’est qu’un homme artificiel, quoique d’une stature et d’une force plus grandes que celles de l’homme naturel pour la défense et la protection duquel il a été conçu».
Hobbes a une conception franchement négative des êtres humains et son absolutisme, antichambre de tous les despotismes, est détestable. Mais sa théorie politique a les immenses mérites de penser l’ordre politique comme une création humaine et de placer l’individu au cœur de la philosophie politique.
La perspective qu’il ouvre, celle du contrat social, sera pour ces raisons sans cesse reprise et elle a inspiré encore aujourd’hui, comme on le verra plus loin, bien des philosophes, le plus important étant John Rawls. Mais avant d’en arriver à lui, rappelons deux autres importantes formulations classiques de la théorie du contrat social.
Le libéralisme politique de John Locke
John Locke (1632-1704) part quant à lui d’une vision moins noire et moins pessimiste de l’état de nature, qui en est un d’abondance et au sein duquel règne déjà un ordre moral : il propose en bout de piste un État dont la souveraineté est limitée et qui a pour fonction de protéger les droits et la liberté des individus.
Dans l’état de nature, estime Locke, nous sommes d’emblée, sur un plan moral, dotés de droits et d’obligations. Nous avons ainsi, tous et également, le droit à la vie, à la santé, à la liberté et à la propriété, toutes choses dont nous pouvons disposer à notre guise; et nous avons aussi, en vertu d’un «loi de la nature», l’obligation, que dicte la raison, de ne pas « nuire à un autre, par rapport à sa vie, à sa santé, à sa liberté, à son bien ».
L’élément le plus singulier de cet exposé, par quoi Locke fait figure de père fondateur du libéralisme, concerne la conception de la propriété.
Comme Hobbes avant lui, Locke lutte contre la théorie du droit divin. Mais son argumentaire fait néanmoins intervenir Dieu. Car c’est en effet Lui, le créateur du monde et des êtres humains, qui a donné à tous, en commun et également, la Terre et ses ressources. De sorte que, contrairement à ce que pense Hobbes, pour qui le droit de propriété émane de Léviathan et se constitue après la sortie de l’état de nature où il ne peut exister faute de garantie légale, pour Locke, dès l’état de nature, il existe un tel droit de propriété.
Il concerne d’abord notre propre corps; mais, et ce développement de l’argumentaire est crucial, il s’étend ensuite à ce que nous avons transformé par notre travail en vertu du fait que nous y avons ce faisant incorporé quelque chose de nous : «Encore que la terre et toutes les créatures inférieures soient communes et appartiennent en général à tous les hommes, chacun pourtant a un droit particulier sur sa propre personne, sur laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre. Tout ce qu'il a tiré de l'état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul : car cette peine et cette industrie étant sa peine et son industrie propre et seule, personne ne saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie, surtout, s'il reste aux autres assez de semblables et d'aussi bonnes choses communes».
L’appropriation, en somme, fonde la propriété.
Comment alors expliquer le passage à l’état de société depuis un état de nature aussi bénin et dans lequel une «loi naturelle» assure le maintien et le respect de ces droits naturels inaliénables que sont la liberté et la propriété?
Locke répond qu’il s’agit d’instituer une loi commune afin de protéger chacun contre les toujours possibles agissements de certains contre la loi naturelle. Dans l’état de nature (mais aussi, bien entendu, dans l’état de société), il arrivera en effet que quelqu’un agisse contre les droits autrui (en le volant, en le blessant ou en l’assassinant) et que cette personne sera de la sorte lésée et ne pourra plus faire usage de ses droits. Lorsque cela se produit dans l’état de nature, la personne lésée peur certes en appeler à Dieu, mais, seule «juge de sa propre cause», elle ne peut autrement faire valoir ses droits, qui demeurent donc incertains; l’entrée en société, qui institue des «Juges et des Souverains sur la terre», crée de la sorte une société politique, par une loi civile qui est au fond un prolongement de la loi naturelle, qu’elle fait respecter. « J'entends donc par pouvoir politique, écrit Locke, le droit de faire des lois, sanctionnées ou par la peine de mort ou, a fortiori, par des peines moins graves, afin de réglementer et de protéger la propriété; d'employer la force publique afin de les faire exécuter et de défendre l'État contre les attaques venues de l'étranger : tout cela en vue, seulement, du bien public.»
On le voit : l’état de société n’est plus ici en rupture avec l’état de nature, mais il en est, par convention et consentement contractuels, la continuité : il assure le maintien des droits et obligations naturelles qui, sans toujours être respectés, prévalaient dans l’état de nature. L’État, en somme, est une institution nécessaire, garante de l’ordre et protectrice de la vie, de la liberté et de la propriété.
Locke met ainsi de l’avant deux idées qui auront un immense impact.
Pour commencer, qu’il existe des droits humains inaliénables et que l’autorité politique doit protéger; ensuite, que les êtres humains ont un droit de résistance face à un pouvoir qui outrepasserait ses pouvoirs, notamment s’il met en péril la liberté et les droits qu’il est censé protéger.
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Une dose pour être vraiment intelligent
Qu’est-ce que l’Habeas Corpus?
Le Bill de l’Habeas Corpus date de 1679 et il est donc antérieur aux écrits politiques de Locke, qui en fournissent toutefois une justification.
Ce texte, en rappelant à chacun la propriété de son propre corps, est un interdit contre toute arrestation ou détention arbitraires. Moment important dans l’histoire des droits de la personne, il a aussi été un texte de loi majeur contre l’absolutisme. Un de ses principaux architectes était Lord Shaftesbury, un protecteur de Locke.
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Certaines des critiques adressées à Locke méritent qu’on s’y arrête.
On a vu plus haut comment Locke met des balises au droit de propriété acquis par le travail. Accumuler, certes, mais encore faut-il, a-t-il dit, qu’il «reste aux autres assez de semblables et d'aussi bonnes choses communes ». Bien des choses se dissimulent ici.
Pour commencer, Locke pense l’état de nature comme un état d’abondance et cette limite assignée est donc bien lointaine.
Ensuite, la monnaie fait bientôt son apparition, c’est-à-dire cette « chose durable, que l'on peut garder longtemps, sans craindre qu'elle se gâte et se pourrisse; qui a été établie par le consentement mutuel des hommes, et que l'on peut échanger pour d'autres choses nécessaires et utiles à la vie, mais qui se corrompent en peu de temps.» Locke juge que ce nouveau prolongement de soi-même peut être sans freins accumulé, prêté ou donné. Locke, en fait, va justifier la spéculation par le droit «naturel»!
La question est alors de savoir si, ce faisant, Locke, lui-même riche propriétaire, ne défend pas ici abusivement comme naturelles les prérogatives de la classe à laquelle il appartient, et cela au prix de la méconnaissance des effets des inégalités sur la vie sociale, politique et économique des «contractants».
La pensée de Locke a grandement influencé les pères de la Révolution américaine et cette influence est manifeste jusque dans le Déclaration d’indépendance, dans laquelle on lit: «Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés.»
Cependant, d’aucuns voudront voir également dans l’histoire des Etats-Unis les effets prévisibles de l’existence de ces énormes inégalités économiques, puis politiques, que légitime le libéralisme de Locke.
Les mêmes rappelleront que les idées de Locke ont aussi servi de justification à l’appropriation de leurs terres aux Amérindiens : celles-ci étaient présumées appartenir aux Européens sitôt qu’ils les travaillaient et les transformaient en propriété productive.
Jean Jacques Rousseau et la volonté générale
Personnage singulier, Rousseau défend un contrat social bien différent de celui de ses prédécesseurs et en son cas également sa spécificité se comprend au mieux à partir de la conception qu’il se fait de l’état de nature.
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Une dose d’espace et de temps
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
Jean-Jacques Rousseau est né à Genève, au sein d’une famille calviniste. Sa mère meurt quelques jours après sa naissance. À 16 ans, il quitte sa ville natale et est recueilli en France par madame de Warens, qui sera sa protectrice et sa maîtresse. Musicien, il pense un temps connaître le succès à Paris grâce à un système de notation musicale qu’il a conçu. Il se lie bientôt avec les Encyclopédistes. En octobre 1749, il rend visite à Diderot, emprisonné à Vincennes. C’est alors qu’il lit la question posée par un concours : « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs ». Contre la doxa dominante, il soutient que non et que loin d’améliorer leurs mœurs, les arts et les sciences ont au contraire corrompu les hommes. Rousseau remporte le premier prix de ce concours avec le Discours sur les sciences et les arts, qui le rend célèbre.
La perspective critique envers le présumé progrès qu’il y déploie est un des éléments clés de son œuvre. Une autre est la place prépondérante accordé au sentiment et à l’exploration de sa propre subjectivité, par quoi Rousseau annonce le romantisme (Confessions; Rêveries du promeneur solitaire).
Quelles institutions politiques pourraient permettre à l’humanité corrompue de se ressaisir? Le Contrat Social veut répondre à cette question. Comment, au sein de nos institutions malsaines élever malgré tout des êtres sains? C’est la question abordée dans Émile, un classique qui révolutionne la pédagogie.
Harcelé, paranoïaque, exilé, brouillé avec tant de gens, Rousseau meurt en France, où il était finalement revenu.
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Une des idées forces de la pensée de Rousseau est que la civilisation, les arts et les sciences exercent sur l’être humain une influence néfaste, corruptrice et un mot dénaturante. (Cette idée, inspirée en partie du mythe du «bon sauvage», consiste moins à attribuer la bonté originelle à l’homme naturel, qu’à le présenter comme n’étant ni bon ni mauvais et dans un état qui précède à la moralité elle-même).
Dans l’état de nature, les êtres humains vivent libres, isolés (ils n’ont de rapports que rares ou fortuits avec leurs semblables), dans un état d’abondance et d’innocence. Ils possèdent en outre certaines caractéristiques naturelles.
Pour commencer, ils possèdent un désir de conservation de soi que Rousseau appelle l’amour de soi; ensuite, ils ressentent devant le malheur d’autrui une compassion que Rousseau appelle pitié et qui les pousse à leur venir en aide; ils possèdent enfin la perfectibilité, par quoi ses facultés, dont la raison, se développeront et qui contribuera à le faire entrer en civilisation.
Car l’homme, , a bien quitté l’état de nature et est entré en civilisation, où il dégénère et se dénature. S’agit-il d’un «funeste hasard»? Comment se peut-il, pour reprendre ses mots célèbres, que quelqu’un, le premier, « ayant enclos un terrain, s'avisa de dire Ceci est à moi», «trouva des gens assez simples pour le croire» et fut ainsi «le vrai fondateur de la société civile»? Rousseau ne le sait pas. Mais il insiste : «Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables: Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne.»
Ce passage à l’état de société signe le malheur de l’homme et il n’a pu engendrer que des simulacres d’un ordre politique oppressant et reposant sur de faux contrats. C’est cela que Rousseau veut corriger. Mais avant d’examiner ce qu’il propose, voyons ses griefs.
Dans le passage à l’état de société, l’amour de soi de l’être humain se mue en amour-propre, passion malsaine faite du désir de paraître et de dominer entretenu par une incessante et toujours insatisfaite comparaison de soi-même avec autrui et la pitié se mue en plaisir pris devant la contemplation de son malheur. Des désir artificiels naissent et son entretenus, tandis que les inégalités et le esclavages se multiplient et interdisent à chacun de nous dédevenir un personne saine.
Les régimes politiques existants, sans exception, sont selon Rousseau le fruit de ces dénaturations et les alimentent. Cette critique vaut même, selon lui, pour ces contrats que ses prédécesseurs, comme Hobbes, bien entendu, mais aussi comme Locke, ont élaborés et qui devaient garantir la liberté de chacun. Rousseau pense que l’état de nature peint par Hobbes est en fait un état de société où les plus riches et les plus puissants invoquent un supposé état de guerre de chacun contre tous pour mieux asservir leurs victimes, tout en assurant ne vouloir rien d’autre que les protéger : pareil contrat repose sur la force, qui ne peut engendrer le droit. Quant au contrat lockéen, il suppose l’aliénation de la liberté naturelle de chacun et lui aussi permet l’inégalité et l’injustice. D’où la célèbre phrase qui ouvre Le Contrat Social : «L’homme est né libre et partout il est dans les fers» .
L’ambition de Rousseau est de concevoir un contrat qui garantisse la sécurité des personnes et des biens ainsi que la liberté au sein d’un état de société. Il le formule comme suit : «Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant.»
Dans les termes où il est posé, qui exigent que nous soyons à la fois libres et soumis à des lois, ce problème peut sembler insoluble — et nous verrons que Rousseau lui-même le tient pour largement insoluble en pratique. Mais il pense néanmoins lui avoir trouvé une solution théorique.
La clé en réside dans la notion de «volonté générale», à laquelle chacun se soumet : celle-ci comprenant la sienne, une liberté civile est constituée en même temps que l’égalité de tous est assurée. Les lois qui expriment la volonté générale sont aussi ce à quoi arrive la volonté individuelle quand elle se place du point de vue de l’intérêt général : cette coïncidence donne naissance au citoyen, qui est à la fois celui qui donne la loi et qui s’y soumet. Par là, en se soumettant à la volonté générale, chacun ne se soumet qu’à lui-même. Rousseau écrit : «Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout. A l'instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d'association produit un corps moral et collectif, composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique, qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cité (a), et prend maintenant celui de république ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. À l'égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s'appellent en particulier citoyens, comme participant à l'autorité souveraine, et sujets, comme soumis aux lois de l'État.»
Il faut souligner que si la volonté générale n’est bien entendu pas la volonté individuelle, celle, limitée, de chacun d’entre nous pris isolément et qui veille à nos intérêts personnels, elle n’est pas non plus la somme de ces volontés, même dans l’éventualité où toutes aspireraient à la même chose. Expliquons cette idée par un exemple tout simple.
Il se peut que toutes les personnes d’une société veuillent ne payer aucun impôt : mais la somme de ces volontés souhaitant la même chose n’est pas la volonté générale, qui est l’expression de ce qui est souhaitable pour la société dans son ensemble. Or, si personne en paie d’impôts, il n’y aura pas de services publics, ce qui n’est pas dans l’intérêt du bien commun. La volonté générale souhaite donc qu’il existe des impôts et exige que chacun paie les siens.
Rousseau pensait que des démocraties directes (i.e. non représentatives), composées d’un nombre limité de citoyens vertueux, relativement égaux de fortune et où des votes sont pris sur toutes les questions concernant l’intérêt public, pouvaient espérer réaliser cet idéal.« S'il y avait un peuple de dieux, écrit-il, il se gouvernerait démocratiquement». Malheureusement, poursuit-il «un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes.»
Mais outre cette impraticabilité, c’est bien entendu autour de cette notion de «volonté générale» que les critiques les plus sévères ont été formulées à l’endroit de Rousseau. Est-il raisonnable de penser que tout désaccord politique trouve un solution unique que chacun peut en outre trouver lui-même en s’abstrayant de ses intérêts et de ses perspectives singulières? Que fera-t-on, même si (et c’est improbable) c’était le cas, de ceux et celles qui ne le trouvent pas ou refusent de s’y soumettre? Certaines questions parmi les plus profondes questions de la philosophie politique sont soulevées par ces hypothèses et, pour les traiter, il faut faire intervenir le concept de liberté positive, distincte de la liberté négative.
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Une dose pour être vraiment intelligent
Quels sont les deux concepts de liberté distingués par Isaiah Berlin et en quoi cette distinction est-elle importante pour évaluer le projet de Rousseau?
Dans sa monumentale Histoire de la philosophie occidentale, rédigée pendant la Deuxième Guerre Mondiale, Bertrand Russell n’hésite pas à affirmer que les doctrines exposées dans le Contrat social «pointent vers la justification d’un État totalitaire» et à faire de Rousseau un précurseur de Staline et de Hitler !
Compte tenu de la nature à première vue profondément humaniste et généreuse du projet que déclare poursuivre Rousseau, de telles remarques, sous la plume d’un philosophe aussi éminent que Russell, sont très intrigantes. Elles expriment pourtant une position finalement assez répandue et qui se comprend mieux à la lumière de la distinction proposée par Isaiah Berlin (1909-1997) entre liberté négative et liberté positive.
La liberté négative est celle qu’on possède du fait que rien n’entrave notre action, qu’aucune force ou contrainte (d’où son nom) ne nous empêche de faire quelque chose . La liberté positive est celle qui correspond à la possibilité réelle d’accomplir certaines choses désirables. Pour que ces dernières libertés existent, il faut plus que l’absence de contrainte : des possibilités réelles doivent être présentes.
Une société fondée sur la première ne vous empêche pas, dès lors, disons, que vous ne limitez pas la liberté (négative) d’autrui, de poursuivre tel ou tel but. Votre liberté négative, en ce cas, est entière et à peu près sans limite.
Mais il se pourra aussi que la liberté positive dont vous disposez soit très limitée et retire sa substance à votre liberté négative. Par exemple, si vous êtes très pauvre, vous êtes entièrement libre (d’une liberté négative) de tenter de devenir riche : mais vos chances sont possiblement minces, surtout si vous n’avez pas pu étudier, faire des contacts, obtenir un prêt, etc. (Anatole France disait malicieusement que les riches et les pauvres avaient la liberté de dormir la nuit sous les ponts). Ces éléments sont ceux qui donnent de la substance à la liberté positive. Pour cela, l’État pourra intervenir et créer des qui lui sont conditions favorables.
Sur cette pente, cependant, le contrôle et l’intervention de l’État dans la vie de gens peuvent devenir dangereux pour la liberté négative elle-même. Si, en outre, persuadé de connaître le seul contenu possible et la véritable définition d’une vie bonne, l’État entreprend de créer les conditions de sa réalisation par chacun, nous voici au seuil des régimes les plus détestables qui soient. Russell, dans le passage cité plus haut, associait une telle défense de la liberté positive à Rousseau et en faisait le précurseur de ces régimes. Est-ce justifié ? La question, passionnante et importante, a été et demeure chaudement débattue.
Russell et d’autres suggèrent que la réponse est oui et que l’enseignement à en tirer est crucial. Rousseau pense en effet la délibération et la prise de décision politiques selon un modèle ultra-rationaliste à l’improbable prémisse qu’il existe une bonne réponse à tout problème politique et que le citoyen qui accepte de renoncer à sa perspective singulière et limitée pour se placer du point de vue du bien commun aboutit immanquablement à la position qui est celle de la volonté générale, elle même infaillible.
Dès lors, celui qui n’y parvient pas erre et se prive de liberté positive. Rousseau le reconnaît et il écrira ces mots terribles : « Afin donc que ce pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement, qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale, y sera contraint par tout le corps; ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera à être libre, car telle est la condition qui, donnant chaque citoyen à la patrie, le garantit de toute dépendance personnelle, condition qui fait l'artifice et le Jeu de la machine politique, et qui seule rend légitimes les engagements civils, lesquels, sans cela, seraient absurdes, tyranniques, et sujets aux plus énormes abus.» (Du Contrat Social, I, 7)
La Révolution Française débouchant sur la terreur, Robespierre, grand lecteur de Rousseau, déclarera, forgeant de la sorte un effrayant oxymoron : «Le gouvernement de la révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie.» (Discours à la Convention, 5 février 1794).
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mercredi, décembre 16, 2009
mardi, décembre 15, 2009
ACTION DIRECTE
( Texte pour Le Monde Libertaire]
Je viens, avec grand plaisir, de préfacer une réédition d’un texte que Voltairine de Cleyre (1866-1912), à la fin de sa vie, consacrait à l’action directe [1].
Dans mon esprit, par ce travail éditorial, il ne s’agit ni de ‘muséifier’ de Cleyre, encore moins de la canoniser, mais simplement de sortir de l’oubli une personnalité qui mérite d’autant de l’être qu’elle nous aide à réfléchir plus lucidement sur notre époque et aux avenues qui s’offrent aujourd’hui à nous.
C’est exactement le cas avec cet important texte.
De Cleyre a en effet vécu un moment de très intense activité militante libertaire durant lequel la pratique de l’action directe a pris une grande variété de formes, parmi lesquelles, comme on le sait, la propagande par le fait.
Dans L’Action directe, elle se situe face à tout cela. Je ne reviendrai pas ici sur tout ce que De Cleyre défend finalement, sinon pour rappeler deux points sur lesquels elle insiste tout particulièrement.
Universalité de l’action directe
Le premier, qu’elle prend le plus grand soin à établir, est que l’action directe a été et est pratiquée par tout le monde. Elle écrit :
Toute personne qui a pensé, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, devoir réaffirmer un droit, et qui, seule ou avec d’autres, a pris son courage à deux mains pour le faire, a pratiqué l’action directe. (…) Toute personne ayant un jour projeté de faire quelque chose et ayant effectivement mené son projet à bien, ou ayant exposé son plan devant d’autres et emporté leur adhésion pour agir ensemble sans attendre poliment des autorités compétentes qu’elles le fassent à leur place, toute personne ayant agi ainsi a pratiqué l’action directe. Toutes les expériences qui font appel à la coopération relèvent essentiellement de l’action directe. Toute personne ayant dû, une fois dans sa vie, régler un litige avec quelqu’un et s’étant adressée directement à la ou les personne(s) concernée(s) pour le régler, en agissant de façon pacifique ou par d’autres moyens, a pratiqué l’action directe.
Il s’ensuit que ceux qui la dénoncent lorsqu’elle est mise en oeuvre par des gens ou pour des fins qu’ils déplorent l’ont typiquement eux-mêmes pratiquée.
Le paradoxe mérite encore et toujours d’être relevé, au moment où, comme ce fut le cas cet été, la doxa se déchaine contre le cas de toutes ces pratiques militantes et syndicales allant de la séquestration de patrons à l’occupation d’usine en passant par bien d’autres encore qu’on a pu observer en France et ailleurs au cours des derniers mois et qui ont tant ému une partie de l’intelligentsia : rapportées au prisme de l’histoire de l’anarchisme, elles nous apparaissent sous un jour nouveau, qui permet de prendre un salutaire recul par rapport à la doxa des faiseurs d’opinion.
À lire ces commentateurs, ces actions ne seraient en effet que de poussiéreux vestiges du passé qui viendraient soudain de faire un bref et inattendu retour, cette résurgence étant bien entendu éminemment déplorable puisque l’histoire aurait amplement démontré leur inefficacité. De plus, ces pratiques déboucheraient nécessairement sur les pires crimes et les pires horreurs que l’on puisse imaginer. De Cleyre permet une salutaire relativisation de ce point de vue.
Les variétés de l’action directe
Le deuxième élément sur lequel elle insiste est la grande diversité des moyens que recouvre l’action directe, qui peut en effet prendre une immense variété de modalités.
Elle ne se limite pas aux usines et aux lieux de travail et elle peut être comprise comme toute poursuite extra-parlementaire et non délégatrice de la politique par des individus ou des groupes. Elle désigne, en somme, ce qui se produit quand des gens prennent les choses en mains sans intermédiaire et agissent contre des formes d’autorité jugées illégitimes pour préserver ou accroître leur liberté.
L’action directe s’incarne ainsi dans une grande variété de modalités, allant de moyens essentiellement non-violents comme la désobéissance civile, les sit-ins, le refus de payer ses impôts, les boycotts, les grèves, les blocages de routes et les occupations, jusqu’à des formes plus violentes (sabotage, vandalisme, par exemple), voire même extrêmement violentes et pouvant comprendre la lutte armée. Ainsi entendu, le concept, on le voit, en est très large et subsume des pratiques allant de l’ahimsâ prôné par Ghandi à la lutte armée.
Un moment historique qui offre de nombreuses occasions de la pratiquer
De Cleyre aide à comprendre tout cela. Mais l’élucidation qu’elle favorise nous contraint ensuite à décider de ce que nous nous voulons et des moyens que nous sommes disposés à mettre en œuvre pour ce faire.
En un mot, il s’agit de se doter d’objectifs et de finalités non certes fixes et immuables, mais néanmoins donnant une idée de ce vers quoi on veut aller et s’inscrivant, au moins grossièrement, dans des repères pour l’action. À ces seules conditions, me semble-t-il, les idéaux anarchistes peuvent s’inscrire dans les combats de notre époque et cela à un moment qui leur est particulièrement propice.
Car c’est bien le cas et pas seulement en France ou en Europe. Pour ne donner que deux exemples très révélateurs en en restant à cet improbable lieu que sont les Etats-Unis, les quelque 600 000 mises à pieds dans le secteur manufacturier ont conduit à une occupation d’usine, du jamais vu depuis les années 30, si du moins on excepte un événement isolé survenu en 1979; d’autre part, la très importante Us Steelworkers Union, méga syndicat nord-américain, vient d’annoncer le début de sa collaboration avec Mondragon International, ce réseau de coopératives du pays Basque : cette fois encore , c’est un événement majeur, et qui met en scène un mouvement qui a nombre de ses racines dans les idéaux de l’anarchisme.
Il y a là de formidables énergies à mobiliser et si nous n’accomplissons pas cette tâche urgente, d’autres la feront — et la font déjà.
Récemment, réagissant à la montée en flèche de ces manifestations populaires s’opposant notamment à la réforme des soins de santé aux Etats-Unis, Noam Chomsky a fait valoir que plutôt que de s’en détourner avec mépris, les militantes et militants devraient se demander comment il se fait que des gens qui bénéficierait les premiers de ces mesures en viennent à s’y opposer.
La raison, suggère-t-il, en est vraisemblablement à chercher, au moins en partie, dans le fait que la déferlante démagogique a au moins le mérite de proposer des réponses très minimalement crédibles, aussi sottes soient-elles par ailleurs, à des gens qui en réclament.
Il y a là une leçon qui vaut pour nous, et qui s’appliquent à ces pratiques militantes et syndicales d’action directe que la crise actuelle voit se multiplier. Qu’avons-nous à proposer comme buts et objectifs crédibles et à long terme à tous ces gens qui cherchent à comprendre et qui réclament des réponses, en ce moment où l’activisme politique prend de l’ampleur [2]? Juqu’où aller pour les atteindre? Sitôt qu’on soulève ces questions, d’innombrables autres surgissent auxquelles, s’il n’est pas facile de répondre, un mouvement libertaire vivant aura néanmoins des réponses à proposer.
S’il est une chose que l’on peut en tout cas apprendre en lisant de Cleyre, c’est qu’à son époque, notre mouvement en avait, et de nombreuses.
Il n’y a aucune raison que nous n’en ayons pas à notre tour.
Notes
[1] De CLEYRE, Voltairine, L’Action directe, Le Passager Clandestin, Paris, 2009.
[2] Le point de vue de la population semble bien différent de celui des faiseurs d’opinion, du moins si on en juge par un sondage réalisé durant l’été 2009 et selon lequel «44% des ouvriers adhérent à l’idée de séquestrer des patrons (4% la condamnent)», tandis que «l’immense majorité des Français comprend la colère des ouvriers», puisque «62% comprennent les séquestrations de patrons et 50% les menaces de destruction de sites». (Sondage IFOP-Humanité réalisé du 27 au 29 juillet 2009; résultats et méthodologie rapportés dans L’Humanité, 31 juillet 2009, page 3.)
Je viens, avec grand plaisir, de préfacer une réédition d’un texte que Voltairine de Cleyre (1866-1912), à la fin de sa vie, consacrait à l’action directe [1].
Dans mon esprit, par ce travail éditorial, il ne s’agit ni de ‘muséifier’ de Cleyre, encore moins de la canoniser, mais simplement de sortir de l’oubli une personnalité qui mérite d’autant de l’être qu’elle nous aide à réfléchir plus lucidement sur notre époque et aux avenues qui s’offrent aujourd’hui à nous.
C’est exactement le cas avec cet important texte.
De Cleyre a en effet vécu un moment de très intense activité militante libertaire durant lequel la pratique de l’action directe a pris une grande variété de formes, parmi lesquelles, comme on le sait, la propagande par le fait.
Dans L’Action directe, elle se situe face à tout cela. Je ne reviendrai pas ici sur tout ce que De Cleyre défend finalement, sinon pour rappeler deux points sur lesquels elle insiste tout particulièrement.
Universalité de l’action directe
Le premier, qu’elle prend le plus grand soin à établir, est que l’action directe a été et est pratiquée par tout le monde. Elle écrit :
Toute personne qui a pensé, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, devoir réaffirmer un droit, et qui, seule ou avec d’autres, a pris son courage à deux mains pour le faire, a pratiqué l’action directe. (…) Toute personne ayant un jour projeté de faire quelque chose et ayant effectivement mené son projet à bien, ou ayant exposé son plan devant d’autres et emporté leur adhésion pour agir ensemble sans attendre poliment des autorités compétentes qu’elles le fassent à leur place, toute personne ayant agi ainsi a pratiqué l’action directe. Toutes les expériences qui font appel à la coopération relèvent essentiellement de l’action directe. Toute personne ayant dû, une fois dans sa vie, régler un litige avec quelqu’un et s’étant adressée directement à la ou les personne(s) concernée(s) pour le régler, en agissant de façon pacifique ou par d’autres moyens, a pratiqué l’action directe.
Il s’ensuit que ceux qui la dénoncent lorsqu’elle est mise en oeuvre par des gens ou pour des fins qu’ils déplorent l’ont typiquement eux-mêmes pratiquée.
Le paradoxe mérite encore et toujours d’être relevé, au moment où, comme ce fut le cas cet été, la doxa se déchaine contre le cas de toutes ces pratiques militantes et syndicales allant de la séquestration de patrons à l’occupation d’usine en passant par bien d’autres encore qu’on a pu observer en France et ailleurs au cours des derniers mois et qui ont tant ému une partie de l’intelligentsia : rapportées au prisme de l’histoire de l’anarchisme, elles nous apparaissent sous un jour nouveau, qui permet de prendre un salutaire recul par rapport à la doxa des faiseurs d’opinion.
À lire ces commentateurs, ces actions ne seraient en effet que de poussiéreux vestiges du passé qui viendraient soudain de faire un bref et inattendu retour, cette résurgence étant bien entendu éminemment déplorable puisque l’histoire aurait amplement démontré leur inefficacité. De plus, ces pratiques déboucheraient nécessairement sur les pires crimes et les pires horreurs que l’on puisse imaginer. De Cleyre permet une salutaire relativisation de ce point de vue.
Les variétés de l’action directe
Le deuxième élément sur lequel elle insiste est la grande diversité des moyens que recouvre l’action directe, qui peut en effet prendre une immense variété de modalités.
Elle ne se limite pas aux usines et aux lieux de travail et elle peut être comprise comme toute poursuite extra-parlementaire et non délégatrice de la politique par des individus ou des groupes. Elle désigne, en somme, ce qui se produit quand des gens prennent les choses en mains sans intermédiaire et agissent contre des formes d’autorité jugées illégitimes pour préserver ou accroître leur liberté.
L’action directe s’incarne ainsi dans une grande variété de modalités, allant de moyens essentiellement non-violents comme la désobéissance civile, les sit-ins, le refus de payer ses impôts, les boycotts, les grèves, les blocages de routes et les occupations, jusqu’à des formes plus violentes (sabotage, vandalisme, par exemple), voire même extrêmement violentes et pouvant comprendre la lutte armée. Ainsi entendu, le concept, on le voit, en est très large et subsume des pratiques allant de l’ahimsâ prôné par Ghandi à la lutte armée.
Un moment historique qui offre de nombreuses occasions de la pratiquer
De Cleyre aide à comprendre tout cela. Mais l’élucidation qu’elle favorise nous contraint ensuite à décider de ce que nous nous voulons et des moyens que nous sommes disposés à mettre en œuvre pour ce faire.
En un mot, il s’agit de se doter d’objectifs et de finalités non certes fixes et immuables, mais néanmoins donnant une idée de ce vers quoi on veut aller et s’inscrivant, au moins grossièrement, dans des repères pour l’action. À ces seules conditions, me semble-t-il, les idéaux anarchistes peuvent s’inscrire dans les combats de notre époque et cela à un moment qui leur est particulièrement propice.
Car c’est bien le cas et pas seulement en France ou en Europe. Pour ne donner que deux exemples très révélateurs en en restant à cet improbable lieu que sont les Etats-Unis, les quelque 600 000 mises à pieds dans le secteur manufacturier ont conduit à une occupation d’usine, du jamais vu depuis les années 30, si du moins on excepte un événement isolé survenu en 1979; d’autre part, la très importante Us Steelworkers Union, méga syndicat nord-américain, vient d’annoncer le début de sa collaboration avec Mondragon International, ce réseau de coopératives du pays Basque : cette fois encore , c’est un événement majeur, et qui met en scène un mouvement qui a nombre de ses racines dans les idéaux de l’anarchisme.
Il y a là de formidables énergies à mobiliser et si nous n’accomplissons pas cette tâche urgente, d’autres la feront — et la font déjà.
Récemment, réagissant à la montée en flèche de ces manifestations populaires s’opposant notamment à la réforme des soins de santé aux Etats-Unis, Noam Chomsky a fait valoir que plutôt que de s’en détourner avec mépris, les militantes et militants devraient se demander comment il se fait que des gens qui bénéficierait les premiers de ces mesures en viennent à s’y opposer.
La raison, suggère-t-il, en est vraisemblablement à chercher, au moins en partie, dans le fait que la déferlante démagogique a au moins le mérite de proposer des réponses très minimalement crédibles, aussi sottes soient-elles par ailleurs, à des gens qui en réclament.
Il y a là une leçon qui vaut pour nous, et qui s’appliquent à ces pratiques militantes et syndicales d’action directe que la crise actuelle voit se multiplier. Qu’avons-nous à proposer comme buts et objectifs crédibles et à long terme à tous ces gens qui cherchent à comprendre et qui réclament des réponses, en ce moment où l’activisme politique prend de l’ampleur [2]? Juqu’où aller pour les atteindre? Sitôt qu’on soulève ces questions, d’innombrables autres surgissent auxquelles, s’il n’est pas facile de répondre, un mouvement libertaire vivant aura néanmoins des réponses à proposer.
S’il est une chose que l’on peut en tout cas apprendre en lisant de Cleyre, c’est qu’à son époque, notre mouvement en avait, et de nombreuses.
Il n’y a aucune raison que nous n’en ayons pas à notre tour.
Notes
[1] De CLEYRE, Voltairine, L’Action directe, Le Passager Clandestin, Paris, 2009.
[2] Le point de vue de la population semble bien différent de celui des faiseurs d’opinion, du moins si on en juge par un sondage réalisé durant l’été 2009 et selon lequel «44% des ouvriers adhérent à l’idée de séquestrer des patrons (4% la condamnent)», tandis que «l’immense majorité des Français comprend la colère des ouvriers», puisque «62% comprennent les séquestrations de patrons et 50% les menaces de destruction de sites». (Sondage IFOP-Humanité réalisé du 27 au 29 juillet 2009; résultats et méthodologie rapportés dans L’Humanité, 31 juillet 2009, page 3.)
dimanche, décembre 13, 2009
MÉGA SONDAGE AUPRÈS DES PHILOSOPHES PROFESSIONNELS
On dit que c'est le plus grand sondage jamais réalisé sur les positions défendues par les philosophes professionnels.[Je n'ai pas encore regardé l'échantillon ou la méthodologie].
On y découvre les données suivantes:
Athéisme: 72.8%
Théisme: 14.6%
Autre: 12.5%
Naturalisme: 49.8%
Non-naturalisme, mais pas nécessairenet supernaturalisme:25.8%
Autre:24.2%
On y découvre les données suivantes:
Athéisme: 72.8%
Théisme: 14.6%
Autre: 12.5%
Naturalisme: 49.8%
Non-naturalisme, mais pas nécessairenet supernaturalisme:25.8%
Autre:24.2%
Libellés :
Normand Baillargeon,
philosophie,
sondage
LANCEMENT À MONTRÉAL
Nous lançons le numéro 32 de la revue À Bâbord. Il contient un dossier sur Le Québec en quête de laïcité que j'ai eu le plaisir de diriger et auquel de nombreux collaborateurs et de nombreuses collaboratrices de grand talent ont contribué. Certaines d'entre elles seront de la partie et prendront la parole.[On peut lire ici mon introduction au dossier] Après quoi on fait la fête, de la musique et on fait tirer des livres — j'en amène quatre.
Et rien que pour les personnes qui fréquentent ce blogue, un cinquième: j'offre à la première personne qui me salue avec le code secret : (disons que ce sera :Prévert) un exemplaire de La Chasse au Snark.
Le lancement-party a lieu le:
Mardi 15 décembre 19 h.30 à minuit
Où : Broue Pub
5860 de Lorimier (coin des Carrières - une rue au sud de la rue Rosemont)
Montréal
Au menu : Lancement, animation, bouffe et bière artisanale
Musique avec le À bâbord Jazz Band
Prix de présence (tirage) : livres, CD et œuvres picturales
Discussions, palabres, échanges et rires....
Bienvenue à toutes et tous.
Et rien que pour les personnes qui fréquentent ce blogue, un cinquième: j'offre à la première personne qui me salue avec le code secret : (disons que ce sera :Prévert) un exemplaire de La Chasse au Snark.
Le lancement-party a lieu le:
Mardi 15 décembre 19 h.30 à minuit
Où : Broue Pub
5860 de Lorimier (coin des Carrières - une rue au sud de la rue Rosemont)
Montréal
Au menu : Lancement, animation, bouffe et bière artisanale
Musique avec le À bâbord Jazz Band
Prix de présence (tirage) : livres, CD et œuvres picturales
Discussions, palabres, échanges et rires....
Bienvenue à toutes et tous.
JEUX POUR À BÂBORD
[Ce sont les prochains divertissements mathématiques pour la revue À Bâbord.
Je ne donne pas les réponse: je poste ceci pour, lâchement, vous inciter à acheter le prochain numéro de la revue où se trouveront les réponses!]
Avez-vous l’heure?
«Pas besoin de montre pour perdre son temps», chantait malicieusement John Lennon (‘Don’t need a watch to waste your time’).
Espérons que vous ne jugerez pas avoir perdu le vôtre avec les énigmes qui suivent et qui, toutes, concernent des montres ou des horloges.
Je vous les soumets en ordre croissant de difficulté.
1. Lorsque l’horloge de grand-père sonne 6 heures, il s’écoule 15 secondes entre le premier coup et le dernier coup. Combien de secondes s’écoulent ente le premier et le dernier des coups quand elle sonne midi?
2. Vous avez le choix entre cette montre qui retarde d’une minute par jour et celle-ci, qui ne fonctionne pas du tout. Si vous voulez une montre qui indique l’heure juste le plus souvent possible, laquelle devriez-vous prendre? (Cette énigme a été créée par Lewis Carroll; l’auteur d’Alice au pays des merveilles était en effet aussi … professeur de mathématiques à l’université)
3. Le philosophe Emmanuel Kant (1724-1802) menait, dit-on, une vie à ce point réglée que ses concitoyens pouvaient mettre leurs montres à l’heure lors de ses passages, à heures fixes, sur les lieux des promenades qu’il faisait quotidiennement — bien entendu à heures fixes. Mais un jour son valet oublia de remonter son horloge : par malchance, Kant venait justement d’envoyer sa montre chez l’horloger pour la faire réparer. Pas découragé du tout, le philosophe sortit de chez lui et s’en alla rendre visite à un ami; il resta longtemps chez cet ami puis rentra chez lui et remit son horloge à l’heure. Comment s’y est-il pris? (Il va de soi que Kant n’a pas emprunté de montre à son ami! Un indice? Il a pu lire l’heure chez son ami. Un autre? Par la négligence de son valet, son horloge n’avait pas été remontée : mais elle fonctionnait toujours.)
[Pour ceux etc elles que cela amuse, le grand fan de Carroll que je suis s'est payé le bonheur de traduire et annoter La Chasse au Snark]
Je ne donne pas les réponse: je poste ceci pour, lâchement, vous inciter à acheter le prochain numéro de la revue où se trouveront les réponses!]
Avez-vous l’heure?
«Pas besoin de montre pour perdre son temps», chantait malicieusement John Lennon (‘Don’t need a watch to waste your time’).
Espérons que vous ne jugerez pas avoir perdu le vôtre avec les énigmes qui suivent et qui, toutes, concernent des montres ou des horloges.
Je vous les soumets en ordre croissant de difficulté.
1. Lorsque l’horloge de grand-père sonne 6 heures, il s’écoule 15 secondes entre le premier coup et le dernier coup. Combien de secondes s’écoulent ente le premier et le dernier des coups quand elle sonne midi?
2. Vous avez le choix entre cette montre qui retarde d’une minute par jour et celle-ci, qui ne fonctionne pas du tout. Si vous voulez une montre qui indique l’heure juste le plus souvent possible, laquelle devriez-vous prendre? (Cette énigme a été créée par Lewis Carroll; l’auteur d’Alice au pays des merveilles était en effet aussi … professeur de mathématiques à l’université)
3. Le philosophe Emmanuel Kant (1724-1802) menait, dit-on, une vie à ce point réglée que ses concitoyens pouvaient mettre leurs montres à l’heure lors de ses passages, à heures fixes, sur les lieux des promenades qu’il faisait quotidiennement — bien entendu à heures fixes. Mais un jour son valet oublia de remonter son horloge : par malchance, Kant venait justement d’envoyer sa montre chez l’horloger pour la faire réparer. Pas découragé du tout, le philosophe sortit de chez lui et s’en alla rendre visite à un ami; il resta longtemps chez cet ami puis rentra chez lui et remit son horloge à l’heure. Comment s’y est-il pris? (Il va de soi que Kant n’a pas emprunté de montre à son ami! Un indice? Il a pu lire l’heure chez son ami. Un autre? Par la négligence de son valet, son horloge n’avait pas été remontée : mais elle fonctionnait toujours.)
[Pour ceux etc elles que cela amuse, le grand fan de Carroll que je suis s'est payé le bonheur de traduire et annoter La Chasse au Snark]
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À bâbord,
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Normand Baillargeon
mercredi, décembre 09, 2009
CRITIQUE DU LIVRE: CONTRE LA RÉFORME
Le Devoir reste un des lieux largement (et je dirais dogmatiquement) favorables à la réforme de l'éducation et où il aura été passablement difficile d'y faire entendre des critiques à son sujet.
Dans sa critique de mes deux derniers livres, le par ailleurs excellent critique des essais de ce journal, Louis Cornellier, a accompli un pirouette lui permettant de finalement ne pas parler de Contre la réforme et de faire comme si E. von Glasersfeld et son constructivisme dit radical étaient les seules choses à trouver dans mon livre (il s'agit d'un chapitre, le plus long certes, mais un sur 13) et comme si ces idées de G. n'avaient pas été influentes chez nous, dans les lieux où s'est pensée la réforme ( Glasersfed a notamment obtenu un doctorat honoris causa de l'U. Laval et une médaille de Mérite scientifique del'UQAM, décernés pour sa contribution à l'avancement de l'éducation u Québec; et j'en passe)
Pour me consoler, je trouve dans le dernier numéro de L'action Nationale, une critique de mon livre où on voit bien que l'auteur, Joëlle Quérin , en parle et l'a lu: et ses suggestions pour l'améliorer méritent réflexion.
Dans sa critique de mes deux derniers livres, le par ailleurs excellent critique des essais de ce journal, Louis Cornellier, a accompli un pirouette lui permettant de finalement ne pas parler de Contre la réforme et de faire comme si E. von Glasersfeld et son constructivisme dit radical étaient les seules choses à trouver dans mon livre (il s'agit d'un chapitre, le plus long certes, mais un sur 13) et comme si ces idées de G. n'avaient pas été influentes chez nous, dans les lieux où s'est pensée la réforme ( Glasersfed a notamment obtenu un doctorat honoris causa de l'U. Laval et une médaille de Mérite scientifique del'UQAM, décernés pour sa contribution à l'avancement de l'éducation u Québec; et j'en passe)
Pour me consoler, je trouve dans le dernier numéro de L'action Nationale, une critique de mon livre où on voit bien que l'auteur, Joëlle Quérin , en parle et l'a lu: et ses suggestions pour l'améliorer méritent réflexion.
lundi, décembre 07, 2009
ÇA VOUS INTÉRESERA PEUT-ÊTRE, VOUS AUSSI...
J'ai lu (et recensé pour l'actuel numéro du Libraire) le livre Les Réformistes, d'Éric Bédard. Une lecture incontournable pour qui s'intéresse à l'histoire du Québec.
Je lis en ce moment Deux siècles d'esclavage au Québec, de Marcel Trudel. Un livre remarquable. Il s'agit d'une nouvelle édition préparée par Michèle D'Allaire.
En parallèle, je lis le passionnant Le Tiers-Monde au fond de nos bois, sur ces gens qui travaillent chez nous dans des conditions terribles. C'est un livre de Marie-Paule Villeneuve.
Il y a une douzaine d'années, dans les pages du Devoir, hypothèse hasardeuse et grossièrement formulée, je demandais à mes lecteurs et lectrices s'il n'était pas possible de faire "pousser de la viande", de manière à avoir, grâce à des plantes à viande, la viande mais sans la souffrance animale. Or voilà que je lis ceci aujourd'hui.
J'ai reçu et je dévore le Historical Dictionary of Bertrand Russell's Philosophy . Un travail titanesque, brillamment accompli par Rosalind Carey et John Ongley.
La maison d’édition Poètes de Brousse lance une nouvelle collection appelée Essai libre, qu’elle voue à la «critique intuitive en matière d’art, de littérature, d’histoire et de société». Deux premiers titres parus: de Jean-François Poupart, Gallimard chez les nazis, et de Maxime Catellier: La mort du CanadaSuivi de : Lettre à Jean Benoît. Recension à venir. J'ai beaucoup aimé.
Zeno's Paradox, que je viens de commencer, me donne beaucoup de plaisir.
Pour finir, je viens de passer du temps avec Michael Walzer, pour une longue entrevue avec lui sur ses thèmes de prédilection (guerre juste, terrorisme, justice): une version courte de cet entretien paraîtra en 2010 dans Philosophie Magazine. Cela s'est passé à l'Institute For Advanced Study de Princeton: et oui, c'est encore plus beau que ce qu'on dit.
Je lis en ce moment Deux siècles d'esclavage au Québec, de Marcel Trudel. Un livre remarquable. Il s'agit d'une nouvelle édition préparée par Michèle D'Allaire.
En parallèle, je lis le passionnant Le Tiers-Monde au fond de nos bois, sur ces gens qui travaillent chez nous dans des conditions terribles. C'est un livre de Marie-Paule Villeneuve.
Il y a une douzaine d'années, dans les pages du Devoir, hypothèse hasardeuse et grossièrement formulée, je demandais à mes lecteurs et lectrices s'il n'était pas possible de faire "pousser de la viande", de manière à avoir, grâce à des plantes à viande, la viande mais sans la souffrance animale. Or voilà que je lis ceci aujourd'hui.
J'ai reçu et je dévore le Historical Dictionary of Bertrand Russell's Philosophy . Un travail titanesque, brillamment accompli par Rosalind Carey et John Ongley.
La maison d’édition Poètes de Brousse lance une nouvelle collection appelée Essai libre, qu’elle voue à la «critique intuitive en matière d’art, de littérature, d’histoire et de société». Deux premiers titres parus: de Jean-François Poupart, Gallimard chez les nazis, et de Maxime Catellier: La mort du CanadaSuivi de : Lettre à Jean Benoît. Recension à venir. J'ai beaucoup aimé.
Zeno's Paradox, que je viens de commencer, me donne beaucoup de plaisir.
Pour finir, je viens de passer du temps avec Michael Walzer, pour une longue entrevue avec lui sur ses thèmes de prédilection (guerre juste, terrorisme, justice): une version courte de cet entretien paraîtra en 2010 dans Philosophie Magazine. Cela s'est passé à l'Institute For Advanced Study de Princeton: et oui, c'est encore plus beau que ce qu'on dit.
dimanche, décembre 06, 2009
VULGARISER DE LA PHILOSOPHIE
Comme je le disais dans une précédente entrée, je viens de terminer une introduction à la philosophie. Voici quelques réflexions et observations à ce sujet — ces notes n’intéresseront peut-être que moi.
Comme c’est si souvent le cas, le livre s’est transformé en l’écrivant. C’est qu’on découvre des choses qu’on ne soupçonne pas en écrivant et qu’on ne peut les découvrir qu’en écrivant. J’ai toujours pensé que je serais incapable d’écrire un roman et je suis admiratif devant les personnes qui le font — du moins les bons romans. Mais peut-être est-ce pour elles la même chose : ils et elles écrivent et puis ça vient. C’est en écrivant qu’on devient écrivon disait le brave Queneau… Encore un peu et je me lance dans un roman!
L’autre chose qui m’a frappée pendant que j’écrivais ce livre, c’est à quel point il est difficile de vulgariser. Notez bien que je ne dis pas que j’y parviens en général ou que j’y suis parvenu ce coup-çi. Mais il reste que même s’il s’agit d’un domaine que je connais particulièrement bien (pas de fausse modestie), en parler de manière claire est difficile. Il faut choisir les sujets qu’on va aborder et les sélectionner pour de bonnes raisons (ils doivent être fondamentaux mais accessibles); on doit trouver des exemples et de façons de les présenter à qui n’en a jamais entendu parler.
J’en ressors plus admiratif que jamais pour ces auteurs que j’estime et qui le font si bien : Martin Gardner (l’immense Gardner, à qui je dois tant); Richard Feynman (si vous enseignez la physique, ne pas le connaître est une grave carence); Bertrand Russell; et quelques autres.
J’en ressors aussi avec la conviction qu’il faut maîtriser un domaine pour l’enseigner et que c’est une grave erreur, au Québec, d’avoir à ce point dilué la formation disciplinaire des maîtres du secondaire. Une erreur, oserais-je dire, de gens qui soit n’ont pas de véritable formation disciplinaire solide, soit n’ont jamais essayé de vulgariser, soit n’accordent pas l’importance qui leur revient aux savoirs dans l’éducation (et peut-être les trois choses à la fois).
Finalement, et tout bien pesé, il reste que la philosophie est difficile, d’une vraie difficulté qu’on ne peut contourner. Sur ce plan, elle est comme les maths, que j’aime aussi si fort, même si je ne suis pas matheux ni très bon en maths. J’ai cependant noté une différence entre ces deux domaines — du moins pour moi (car il se peut que ce que je dis tienne à ce que je pratique des maths trop élémentaires). La voici.
Je n’oublie pas ce que je sais en mathématiques : ayant vu (pour parler comme le platonicien que je suis en mathématiques) la démonstration du théorème de Pythagore par Euclide, elle est comme saisie en pensée et pour de bon. En philo, par contre, des choses que j’apprends deviennent avec le temps nébuleuses si je n’y reviens pas. En écrivant ce livre (qui m’a pour toutes ces raisons pris pas mal plus de temps que je ne pensais au départ), j’ai plus d’une fois eu à retourner à des choses que je pensais savoir, que j’avais apprises, mais oubliées.
Mais bon, j’ai enfin fini.
Comme c’est si souvent le cas, le livre s’est transformé en l’écrivant. C’est qu’on découvre des choses qu’on ne soupçonne pas en écrivant et qu’on ne peut les découvrir qu’en écrivant. J’ai toujours pensé que je serais incapable d’écrire un roman et je suis admiratif devant les personnes qui le font — du moins les bons romans. Mais peut-être est-ce pour elles la même chose : ils et elles écrivent et puis ça vient. C’est en écrivant qu’on devient écrivon disait le brave Queneau… Encore un peu et je me lance dans un roman!
L’autre chose qui m’a frappée pendant que j’écrivais ce livre, c’est à quel point il est difficile de vulgariser. Notez bien que je ne dis pas que j’y parviens en général ou que j’y suis parvenu ce coup-çi. Mais il reste que même s’il s’agit d’un domaine que je connais particulièrement bien (pas de fausse modestie), en parler de manière claire est difficile. Il faut choisir les sujets qu’on va aborder et les sélectionner pour de bonnes raisons (ils doivent être fondamentaux mais accessibles); on doit trouver des exemples et de façons de les présenter à qui n’en a jamais entendu parler.
J’en ressors plus admiratif que jamais pour ces auteurs que j’estime et qui le font si bien : Martin Gardner (l’immense Gardner, à qui je dois tant); Richard Feynman (si vous enseignez la physique, ne pas le connaître est une grave carence); Bertrand Russell; et quelques autres.
J’en ressors aussi avec la conviction qu’il faut maîtriser un domaine pour l’enseigner et que c’est une grave erreur, au Québec, d’avoir à ce point dilué la formation disciplinaire des maîtres du secondaire. Une erreur, oserais-je dire, de gens qui soit n’ont pas de véritable formation disciplinaire solide, soit n’ont jamais essayé de vulgariser, soit n’accordent pas l’importance qui leur revient aux savoirs dans l’éducation (et peut-être les trois choses à la fois).
Finalement, et tout bien pesé, il reste que la philosophie est difficile, d’une vraie difficulté qu’on ne peut contourner. Sur ce plan, elle est comme les maths, que j’aime aussi si fort, même si je ne suis pas matheux ni très bon en maths. J’ai cependant noté une différence entre ces deux domaines — du moins pour moi (car il se peut que ce que je dis tienne à ce que je pratique des maths trop élémentaires). La voici.
Je n’oublie pas ce que je sais en mathématiques : ayant vu (pour parler comme le platonicien que je suis en mathématiques) la démonstration du théorème de Pythagore par Euclide, elle est comme saisie en pensée et pour de bon. En philo, par contre, des choses que j’apprends deviennent avec le temps nébuleuses si je n’y reviens pas. En écrivant ce livre (qui m’a pour toutes ces raisons pris pas mal plus de temps que je ne pensais au départ), j’ai plus d’une fois eu à retourner à des choses que je pensais savoir, que j’avais apprises, mais oubliées.
Mais bon, j’ai enfin fini.
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samedi, décembre 05, 2009
DES NOUVELLES
Je me rends compte que je néglige quelque peu ce blogue par les temps qui courent. La raison en est qu'entre textes à rendre et réponses à mes courriels, je n'ai plus de temps du tout. La catégorie texte comprend les articles promis et cela se gère encore; mais ce sont les deux livres que je menais de front, avec dates de tombées précises, qui m'ont eu.
Le premier de ces livres est une Introduction à la philosophie, enfin terminée: j'attends les commentaires de l'éditeur. Le deuxième, ce sont ces Écrits sur l'université, de Chomsky. Je travaille avec une équipe de bénévoles formidables, heureusement, sans quoi ce livre n'existerait pas. J'en suis à réviser les textes traduits, à préparer l'introduction et l'appareil critique. Avec un peu chance, je verrai Chomsky sous peu afin de réaliser un entretien qui fermerait l'ouvrage.Remise du manuscrit: janvier. Après quoi j'attaque mon livre de Philosophie de l'éducation, un monstre sur lequel je travaille depuis des années.
En attendant, Louis Cornellier, du Devoir, vient de rendre compte, d'une manière toute personnelle, de Raison Oblige — et aussi de Contre la Réforme, mais dont il ne parle pas, finalement.
Les Publications Universitaires, animées par le très dynamique et toujours préparé Guillaume Lamy, m'ont reçu pour parler de trois ouvrages récents.
Le Délit Français, organe des étudiantes et étudiant francophones de Mc Gill, publie un entretien avec moi sur l'université, aux thèmes que les lecteurs de ce blogue connaissent bien.
L'entretien sur l'éducation accordé à N'autre école, est paru dans le dernier numéro.
Finalement, Libération publie un texte sur l'édition des écrits de Voltairine de Cleyre que Chantal Santerre et moi même avons publiée.
Je publierai sous peu ici le texte que je viens d'envoyer au Monde Libertaire. Et quelques autres textes qui s'en viennent.
Heureusement que je n'ai pas de cours cette session!
C'est que mes aimables collègues ayant aboli les grands groupes du cours de Fondements de l'éducation que je donnais d'habitude, avec bien du plaisir et, il me semble, à la satisfaction des étudiantes et étudiantes, je me paie le luxe, plutôt triste je l'avoue, de ne pas enseigner.
P.S. Contrairement à mon habitude, j'ai même négligé de dire merci aux personnes qui ont laissé des commentaires ici: mes plates excuses et merci à toutes et tous.
Le premier de ces livres est une Introduction à la philosophie, enfin terminée: j'attends les commentaires de l'éditeur. Le deuxième, ce sont ces Écrits sur l'université, de Chomsky. Je travaille avec une équipe de bénévoles formidables, heureusement, sans quoi ce livre n'existerait pas. J'en suis à réviser les textes traduits, à préparer l'introduction et l'appareil critique. Avec un peu chance, je verrai Chomsky sous peu afin de réaliser un entretien qui fermerait l'ouvrage.Remise du manuscrit: janvier. Après quoi j'attaque mon livre de Philosophie de l'éducation, un monstre sur lequel je travaille depuis des années.
En attendant, Louis Cornellier, du Devoir, vient de rendre compte, d'une manière toute personnelle, de Raison Oblige — et aussi de Contre la Réforme, mais dont il ne parle pas, finalement.
Les Publications Universitaires, animées par le très dynamique et toujours préparé Guillaume Lamy, m'ont reçu pour parler de trois ouvrages récents.
Le Délit Français, organe des étudiantes et étudiant francophones de Mc Gill, publie un entretien avec moi sur l'université, aux thèmes que les lecteurs de ce blogue connaissent bien.
L'entretien sur l'éducation accordé à N'autre école, est paru dans le dernier numéro.
Finalement, Libération publie un texte sur l'édition des écrits de Voltairine de Cleyre que Chantal Santerre et moi même avons publiée.
Je publierai sous peu ici le texte que je viens d'envoyer au Monde Libertaire. Et quelques autres textes qui s'en viennent.
Heureusement que je n'ai pas de cours cette session!
C'est que mes aimables collègues ayant aboli les grands groupes du cours de Fondements de l'éducation que je donnais d'habitude, avec bien du plaisir et, il me semble, à la satisfaction des étudiantes et étudiantes, je me paie le luxe, plutôt triste je l'avoue, de ne pas enseigner.
P.S. Contrairement à mon habitude, j'ai même négligé de dire merci aux personnes qui ont laissé des commentaires ici: mes plates excuses et merci à toutes et tous.
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