samedi, mars 13, 2010

OBAMA, UN AN PLUS TARD

[À paraître ou paru dans le Monde Libertaire]

Il y a un peu plus d’un an, le 20 janvier 2009, Barack Obama prêtait serment et devenait le 44e président des Etats-Unis.

L’Obamamanie était alors à son comble et malheur à qui ne partageait pas l’enthousiasme général des «progressistes».

Ce mois-là, j’avais écrit ceci, que plusieurs d’entre eux me reprochèrent vertement aussitôt: «Pour éviter de trop amères désillusions, je recommande de plonger un instant la tête dans les eaux glacées d’une minimale lucidité. Sans nier l’importance de cette base militante qui a travaillé très fort pour lui, il faut d’abord se rappeler qu’Obama occupe des fonctions que personne ne peut occuper sans avoir gagné à ce jeu de relations publiques largement coordonné et mis en scène par les institutions dominantes et obtenu leur assentiment. Par ailleurs, son gain, minimal (près de la moitié des votards (46%) ont choisi le tandem McCain-Palin), il le doit en partie au fait d’avoir su se présenter comme une sorte de tableau vierge sur lequel chacun a été invité à écrire ce qu’il voulait. À ces mots pouvant recouvrir à peu près tout ce qu’on voudra (par exemple : «espoir», «changement», «on le peut»), chacun a entendu ce qu’il voulait bien entendre. Des interprétations bien divergentes ont d’ailleurs déjà été données de ce que ces mots signifient en matière de relations internationales, d’économie, de justice sociale, de droits humains et de politiques environnementales, qui sont parmi les plus importants chantiers qui attendent Obama. Le moment des gestes est arrivé. C’est celui sur lequel on juge un politicien.»

Une popularité en déclin


On peut connaître ce que les Américains ont jugé au vu de ces sondages qui sont faits à chaque jour sur la popularité d’Obama depuis janvier 2009. Ils en montrent la chute vertigineuse et étonnamment rapide. 70% approuvaient ses décisions en février 2009 : ce nombre a à présent chuté à moins de 50%. Le nombre d’insatisfaits de la présidence d’Obama a pendant ce temps fait lui aussi un bond spectaculaire, passant de 10 à près de 50% des Américains.

Les raisons de cette insatisfaction tiennent en partie à ce dont Obama a hérité, en particulier une crise économique majeure et deux guerres impérialistes — mais il faut rappeler qu’il avait lui-même appuyé avec enthousiasme celle en Afghanistan.
Mais elle tient aussi aux décisions prises par Obama et son administration dans ces grands dossiers où il avait suscité un certain espoir.

Ses échecs ici sont ceux d’une administration faite sinon toujours mêmes personnes, du moins des mêmes types de personnes que celles qui composaient l’administration Bush : des amis des institutions dominantes de la société américaine, en particulier du monde de la finance et des affaires. La chose n’était pas difficile à prévoir et ses effets, eux aussi aisément prévisibles, se sont bel et bien produits.


Politique étrangère : du pareil au même ou peu s’en faut


En politique internationale, il a, comme le prédisait Condoleezza Rice, bien placée pour le savoir, continué les politiques poursuivies sous l’administration Bush II.
Les deux guerres se poursuivent. La prison de Guantanamo n’est toujours pas fermée. Le génocide arménien n’est toujours pas reconnu. Le réchauffement planétaire n’a pas pu être pris au sérieux comme il devait l’être. La politique menée à l’endroit d’Israël reste la même — et la manière dont a été enterré aux Nations Unies le rapport Goldstone sur les crimes de guerre à Gaza en 2008 et 2009 le rappelle éloquemment.

Le principe dominant qui guide un très grand nombre de ces politiques reste encore et toujours de maintenir le contrôle sur le pétrole, cette «prodigieuse source de puissance stratégique» et «une des plus immenses richesse matérielle de toute l’histoire de l’humanité», comme le disaient déjà les planificateurs de la politique étrangère américaine au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale.

Mais on ne peut pas reprocher à Obama de ne pas tenir certaines promesses : il s’était par exemple engagé à accroître les dépenses pour de la haute technologie militaire aéronautique, et il a tenu parole! En fait, les dépenses déjà pharaoniques du budget militaire sont à la hausse, pendant que le taux de chômage, selon les moyens de le calculer, oscille entre 10 et possiblement 20 % et que d’innombrables personnes ont perdu et perdent encore leur maison. Ce qui nous amène au deuxième sujet du bulletin d’Obama.

Politique intérieure : ou peu s’en faut du pareil au même

Excluons la réforme des soins de santé dont nous reparlerons : deux catégories de promesses faites par Obama avaient retenu l’attention. La première, celles visant à assainir quelque peu les délirantes politiques fiscales et en particulier d’éliminer certaines échappatoires dont bénéficient les entreprises et les très haut salariés et de créer un organisme de surveillance des paradis fiscaux. La deuxième était d’exercer un certain contrôle sur les lobbyistes et les ex-élus exerçant des pressions sur les élus : même s’ils n’étaient le plus souvent que cosmétiques, ces changements se font encore attendre.

Le chantier majeur d’Obama en politique intérieure était et reste celui de la santé. Le nombre d’Américains sans couverture médicale s’élève à près de 50 millions, ce qui donne le vertige et les soins de santé coûtent des fortunes. Elles sont responsables d’océans de souffrances dont a du mal à se rendre pleinement compte quand on habite des pays où existent des soins de santé universels. Il faut d’ailleurs prendre bonne note du fait que les mêmes intérêts qui empêchent que ces soins universels existent aux États-Unis travaillent fort à démanteler ceux qui existent dans les autres pays. Au Canada, le fait est patent et le système public de soins de santé est déjà sérieusement érodé.

Le pourtant très centriste magazine Atlantic Monthly a récemment décrit ce qui se déroule à Washington comme une «coup d’État silencieux» par lequel l’ «élite de gens d’affaire […] use de toute son influence pour empêcher qu’on fasse des réformes qui sont pourtant nécessaires». L’Empire en est donc à peu près au même point, le sauveur annoncé s’en est tenu cette fois encore au programme des corporations et des milieux d’affaire et le complexe militaro-industriel est plus solide que jamais. Les élites ont tout fait pour cela, et elles travaillent remarquablement bien.

Propagandistes déchainés

Ils ont aussi pour parvenir à leurs fins ces médias de masse qu’ils possèdent et contrôlent dans leur quasi totalité et qui sont déchaînés depuis un an, notamment contre toute velléité de modifier, même modestement, le régime fiscal ou le statu quo en santé. Les fameux Tea Parties, démagogues, populistes et anti-fiscalistes, en sont la partie la plus visible : c’est là où les pauvres affirment avec ferveur qu’ils ont l’intention de continuer à voter pour les riches, que les exclus se félicitent de leur exclusion et où tous affirment avec enthousiasme qu’ils ne vont pas arrêter de sitôt de forger les chaînes dans lesquelles il se réjouissent par avance d’être enferrés.

Je suggère qu’on ne peut avoir une réelle et juste perspective sur tout cela qu’en se frottant un peu à un des plus efficaces organes de cette propagande : les émissions d’information diffusées sur la chaine de télévision Fox. Allez sur You Tube et mettez dans le moteur de recherche, par exemple, Terry O’Reilly ou encore Glenn Beck. Dépaysement garanti. Obama est couramment décrit comme un socialiste, et même assimilé à Hitler ou à Staline. Vous aurez la certitude d’être sur une autre planète. Elle s’appelle les Etats-Unis et c’est pourtant la même planète où se trouve le MIT ou l’université Princeton et mille autres lieux où fleurissent des intelligences parmi les plus remarquables sur Terre. C’est aussi celle sur laquelle, cette année, on a remis cette année le Nobel de la Paix à Obama, le souillant de sang une fois de plus.

Il y a un an, je pensais qu’Obama ne pourrait accomplir certaines des choses qu’attendaient de lui les personnes qui ont voté pour lui que si ces dernières et les groupes auxquels elles appartiennent parvenaient à exercer une pression assez forte pour contrecarrer celle de son entourage et des intérêts corporatistes qu’il représente. Convenons-en : ce ne fut pas le cas. J’avoue que j’aurais bien aimé avoir eu tort.

Normand Baillargeon
(Baillargeon.normand@uqam.ca)

5 commentaires:

Mek a dit…

J'en surprendrai quelques uns en déclarant que je ne suis en rien déçu du règne de Barack Hussein Obama jusqu'à présent. En lecteur de son entraîneur Brzezinski et en grand fan de son argentier Rockefeller, je dois dire qu'Obama agit exactement comme je m'y attendais.

Sa réforme sera à la santé ce que le Clean Air Act était à la pollution (un joli poème et tout le fric à Standard Oil). Je ne serai pas surpris non plus. Barack n'est en rien un nouveau JFK. Même JFK, n'était pas totalement JFK.

Toute cette poutine est un champ de mine idéologico-logique tant qu'on applique pas ce simple raisonnement : à qui la marde profite.

Merci, bonsoir.
É.

Michel Fafard a dit…

@É: La marde profite aux riches qui sont pris avec problèmes névrotiques et psychotiques les coupant de leur humanité et de la souffrance du monde. Étrangement, le film 2012 donne une bonne idée jusqu'où cela peut aller.

Paul C. a dit…

Plus on regarde ça, plus on est forcé de constater que la politique c'est du divertissement pour le peuple (celui qui ne regarde pas le sport ou les vedettes). Peu importe le parti élu, ce sont les mêmes gens qui ont le pouvoir. La seule chose qui me console, c'est qu'ils sont peu et mortels. À nous de jouer...

C'est pas parceque McDonald change le clown que la bouffe va s'améliorer!

Sébas a dit…

Je suis pas mal d'accord avec votre -excellente- analyse. Par contre, je ne suis pas du tout d'accord avec vos idées concernant les régimes de santé universel (une des plus grande connerie moderne selon moi), et avec ça;

"les fameux Tea Parties, démagogues, populistes et anti-fiscalistes"

Qui décide si ce mouvement est populiste et/ou démagogue ? Vous?

Les médias de masse 'politiquement correct" ?

Pour ma part, j'ai suivi pendant un certain temps et ce, très attentivement la politique américaine, et je suis devenu aussi autant "anti-fiscaliste" que les tea parties.

Et pour le terme populiste, voici ce que je pense:

Je suis un "populiste" (pour reprendre le terme de ceux qui méprisent la véritable démocratie)
;-)

Le mot démocratie a UN sens, c’est un gouvernement PAR LE PEUPLE, POUR LE PEUPLE.

Tous les systèmes de gouvernance qui ne donnent pas le pouvoir ultime au peuple, ne sont PAS des démocraties (technocratie-par-les-experts, dans notre cas?).

Ce n’est pas parce que je me dis « intelligent » que je le suis.
Il faut le démontrer par des arguments.

Ce n’est pas parce que je me dis « ouvert », que je le suis.
Il faut le démontrer par des gestes.

Il faut juger un arbre à ses fruits, et les fruits de notre système, ne sont vraiment pas bons… JUSTEMENT parce qu’il n’est pas démocratique.

Aujourd’hui, trop d’individus pensent que la masse des gens est trop conne et qu’il faut donc qu’une minorité « d’experts » et de technocrates décident pour tous… nous voyons ce que ça donne…

Les Suisses ont très bien compris.

Les Suisses ne considèrent pas comme pleinement démocratiques les pays où le peuple ne peut qu’élire des représentants et perd tout pouvoir de décision en dehors des élections.

Comme le peuple n’a pas le temps de prendre lui-même toutes les décisions politiques, il élit des représentants qui légifèrent et gouvernent. Ces représentants ne sont toutefois pas autorisés à confisquer le pouvoir. Le peuple conserve en effet la possibilité d’intervenir dans les affaires publiques en lançant des référendums (refuser une décision des élus) et des initiatives (proposer une modification de la législation): si le nombre requis de signatures est atteint, une votation populaire doit être organisée dont le résultat s’impose aux élus.

Sébas a dit…

Suite:

Concernant tous les problèmes de gouvernance, l’idéal serait -selon mon humble avis et celui de Jean-Luc Migue, auteur de: « On n’a pas les gouvernements qu’on mérite »- ceci:

« Référendums et initiatives populaires

• Lorsque les décisions gouvernementales sont soumises au scrutin majoritaire direct, chacun des citoyens vote sur chaque mesure dans un référendum distinct, sans considération des décisions à venir ultérieurement ou prises antérieurement. La démocratie directe retire aux politiciens les outils indispensables au maquignonnage (l’échange de votes) qu’ils pratiquent pour gagner les votes en régime de démocratie représentative. Le marché politique pipé qui caractérise notre régime perdrait une part de ses travers. Les initiatives populaires, où de simples citoyens prennent l’initiative de soumettre une proposition au vote, servent à faire obstacle à la domination des groupes organisés. La faible taille de l’État suisse peut illustrer le sens de cet impact.

•Cette argumentation explique en même temps l’hostilité des politiciens au principe du référendum et des initiatives populaires. À leurs yeux, l’homme de la rue est trop ignorant pour faire les bons choix. Chez nous, seuls les politiciens peuvent mettre en branle une consultation référendaire et, on le devine, ils le font rarement. La formule freine la puissance des groupes d’intérêt et renforce la voix des simples citoyens aux dépens de l’élite politique

• La thèse que défendent Romer et Rosenthal (1979) et le résultat qu’obtiennent la plupart des observateurs veulent que l’impact général du référendum soit favorable à l’efficacité des choix publics. Ces deux auteurs concluent qu’en effet les référendums ont plutôt tendance à freiner l’instinct de dépenser qui caractérise toutes les administrations. La Suisse et la Californie font l’objet de critique pour recourir systématiquement à la démocratie directe. Soulignons que le reproche émane des élites politiques et des médias qui s’en font les échos.

• Recall: La valeur du référendum et des initiatives populaires tient souvent à la menace qu’ils font planer sur la tête des politiciens qui se distancent un peu trop allègrement de l’électorat. »

***

Tiré de:

« On n’a pas les gouvernements qu’on mérite »

Catégorie : Gestion et économie
Auteur : JEAN-LUC MIGUE
Date de parution : novembre 2007
Éditeur : CARTE BLANCHE