Je suis toujours extrêmement dubitatif devant les promesses que font les technophiles en éducation et mon scepticisme s'accroît à proportion que ces promesses sont grandioses et qu'elles s'accompagnent de l'assurance qu'apprendre se fera désormais sans effort et 'naturellement', comme ils disent parfois.
Nous sommes en ce moment en pleine phase technophile et il y a fort à parier que des sommes considérables et toujours plus importantes vont continuer à être investies.
Avec la réforme de l'éducation, j'ai eu la preuve qu'il ne servait à peu près à rien d'avancer des arguments et des faits pour prévenir un (coûteux) désastre; je ne me lancerai donc pas dans un nouveau combat. Je me contente d'observer du coin de l'oeil ce nouveau déploiement d'idées et de pratiques qui ressemble tant au précédent et qui ressemble aussi, j'en ferais le pari, au prochain bidule à la mode qu'on nous offrira (je devrais sans doute écrire: qu'on nous entrera de force dans la gorge) demain.
Ce long préambule pour en venir à une conférence qui se tiendra sous peu sous le titre Clair 2010 pour nous inciter à "voir l'éducation autrement'. Le 'basculement dans l'univers numérique' provoque, dit-on dans l'argumentaire du colloque, des changement accélérés, et l'éducation devra s'ajuster. D'autant que les jeunes sont désormais des natifs du digital, ce qui change tout. Ce concept de "digital native' a d'ailleurs été créé par la personne-ressource du colloque, Marc Prensky.
Les enseignantes et enseignants devront s'adapter. Mais le faire engendrera des résultats spectaculaires. Apprendre sera (enfin!) rendu facile et agréable. Un des ouvrages de Prensky s'intitule d'aileurs: Don't Bother Me Mom--I'm Learning! et montre en couverture un enfant devant son ordinateur. Le nirvana pédagogique et le Saint-Graal éducationnels enfin trouvés.
Mon détecteur de poutine s'est mis à clignoter. Et en fouillant un peu pour en savoir plus, j'ai découvert un récent article paru dans From Now On. The Educational Technology journal, qui s'est penché sur les travaux de M. Prensky. Il mérite le détour. L'auteur les décrit comme manquant déplorablement de données factuelles, comme étant conceptuellement confus, comme avançant sans pouvoir les supporter des thèses extravagantes. Et ce n'est que le début. Ce texte mérite examen et réflexion, ce me semble.
Je ne prononce pas sur le fond. Mais je me demande tout de même s'il serait possible, rien que pour cette fois, qu'avant de foncer tête première dans des mirages au nom des quels on va engager des réformes, investir des fortunes, former des enseignantes et enseignants et, surtout, jouer avec le cerveau des enfants, s'il serait possible, donc, de prendre le temps d'y penser. «Tout ce que je demande est que nous pensions à ce que nous faisons», disait Hannah Arendt. Fichue de bonne idée.
Je signale que je ne suis aucunement expert de ces choses (et surtout que ça ne m'intéresse absolument pas de le devenir: je trouve ça profondément , comment dire?, vide) et rappelle que je ne m'engagerai pas dans ce combat: j'ai déjà donné (et payé tout ce que ça m'a coûté.)
dimanche, décembre 20, 2009
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17 commentaires:
Cette description de la situation au Québec (je suppose) me rappelle certaines expériences vécues en France.
Si j'ai bien suivi il est question de ce qui est parfois appelé e-learning.
De ma maigre expérience, ce type de dispositif est une source d'auto-satisfaction pour le maître d'oeuvre, et pas grand-chose d'autre. J'ai même eu droit, lors d'une présentation analysant l'impact du dispositif après-coup, à des explications pleines d'aplomb "donc 30% des élèves se disent satisfaits, c'est très positif !". Ma remarque précisant que cela impliquait également 70% de mécontents probables n'a suscité aucune réponse. J'en suis donc venu à la conclusion que le but du procédé était plus l'auto-satisfaction que l'intérêt public, le tout en toute bonne foi bien entendu, ce qui limite fortement le dialogue. L'enfer est pavé de bonnes intentions paraît-il.
Naturellement, cela reste une maigre expérience personnelle et l'auteur sait mieux que quiconque qu'il faut s'en méfier. Je pense donc que la question posée, sur la présence ou non de faits probants sur ces dispositifs, est effectivement la question à poser en priorité.
«Apprendre sera (enfin!) rendu facile et agréable»
Comme cela a toujours été le cas, Ce qui est facile et agréable pour les uns ne l'est pas pour les autres. Qu'on explore de nouveaux outils d'apprentissage, bravo. C'est quand on s'imagine qu'ils feront le travail de façon magique qu'on illusionne.
Comme trop souvent, on confond l'outil avec la finalité de l'outil.
Merci pour la pub.
Cette «conférence» se veut surtout «et justement», une non-conférence, au moins pour la journée du samedi.
Le genre de rencontre où on «nous entrera de force dans la gorge» les «prochains bidules à la mode» ?
Non. Le principe de ces rencontres est justement que les gens qui s'y présentent y vont pour participer activement pas pour être gavés.
Pas beaucoup de technophiles parmi nous. Mais oui, des gens qui croient que les TIC font peut-être partie des solutions davantage que des problèmes.
Vous avez raison de nous prévenir, pour ce qui est de «foncer tête première». Vous avez aussi raison sur le fait qu'il y a un mirage potentiel dans l'expression «Apprendre sera (enfin!) rendu facile et agréable».
Je suis l'un des organisateurs de ce rendez-vous. Je viens de «gazouiller» à l'instant après vous avoir lu (c'est sur Twitter qu'on «gazouille») que les sceptiques ont le mérite de nous faire avancer beaucoup. Souvent davantage que les autres. Ce serait chouette que vous soyez présent à Clair cette dernière fin de semaine de janvier. Vous ou d'autres sceptiques.
D'ailleurs, je passe beaucoup de mon temps à douter de beaucoup de choses en éducation. En particulier, j'ai des doutes sur le fait qu'à continuer de faire ce qu'on faisait en éducation, on pourrait obtenir autre chose que ce qu'on obtenait. Faire davantage de ce qui marche bien pour certains, mais pas du tout pour d'autres, je remets ça en question. Pas pour ceux pour qui ça marche bien. Pour les autres... Ça m'intéresse parce que j'ai observé qu'il était possible de faire autrement pour «ces autres» et obtenir certains résultats. Oui, j'ai travaillé avec des universitaires, en ce sens. Quelques chercheurs aussi. Mais bon... rien encore pour généraliser. On cherche, mais on ne peut pas dire qu'on a véritablement trouvé.
«Voir l'éducation autrement», c'est seulement l'idée de chercher des pistes pour composer avec les transformations dans le support au savoir. Le genre de truc qui est arrivé avec l'invention de Gutenberg au 15e siècle qui a produit des bouleversements, un peu comme ceux qu'on connaît actuellement avec les jeunes qui sont nés avec la présence d'Internet grand public. On a la prétention de penser que la connaissance est moins rare qu'avant grâce à ce bidule machin truc qu'est Internet.
On est quelques-uns à penser que les clés de lectures deviennent très importantes dans ce contexte où les jeunes Créent, Communiquent et Collaborent beaucoup avec Internet par rapport aux autres utilisateurs (voir les recherches du Céfrio sous le vocable «génération C»).
Au plaisir,
1) Enseigner autrement est très daté. C'est une expression très utilisée dans les années 90 et axée sur le développement personnel.
Voir par exemple
http://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/apprendre-autrement-9782708125742
(C'est fou ce que la formation en entreprise donne d'idées 10 ans après, à l'enseignement des petits d'hommes. Elle fournit ces temps-ci en France l'"enseignement par compétence" directement calqué sur les pratiques de formation continue.
2) Enseigner autrement n'est pas un objectif. La Programmation Neuro-Linguistique nous dit (et là-dessus au moins on peut s'entendre) qu'un bon objectif doit parler aux deux cerveaux (au moins) c'est à dire à la pensée qui s'exprime par code (autrement est un mot abstrait) mais aussi à celle qui s'exprime à partir du concret.
Or la négation n'est pas exprimable dans le registre de l'image (non codée) - pas plus qu'un chien ne peut dire "je ne te mordrai pas" -
C'est pourquoi il faudrait conseiller à tous ceux qui évoquent une voie d'amélioration de rédiger au moins leurs titres et leurs préambules dans des mots accessibles aux deux registres.
(Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il y a un parallèle avec tous les vendeurs d'ailleurs, dont les produits n'existent que sous la forme d'un manque ou plus précisément d'une insatisfaction, et non en positif - notamment ceux des vendeurs de sécurité ...)
3) Enseigner Autrement est pour moi lié à un souvenir amer, un appel d'offre de la région Lorraine à propos d'une formation concernant des adultes en difficulté (chômage long) et qui stipulait "on utilisera des pédagogies innovantes"
Première fois de ma carrière de Conseiller en Formation où je recevais l'injonction de faire ... pour conduire à un résultat précis (exigence de résultat) mais "autrement" (exigence de moyens)
(A cette époque je faisais partie d'un groupe national sur les Nouvelles Technologies, mais je ne voyais pas ces NTIC comme autre chose qu'un outil parmi d'autres)
Oui, assurément, pour toutes ces raisons il me semble que "Enseigner Autrement" n'est pas un thème pertinent pour aller vers un objectif réel.
Ne serait-ce que parce qu'il ne permet pas de répondre à cette question pourtant essentielle.
"Comment saurez-vous que vous avez atteint l'objectif d'enseigner autrement" (quel pourcentage d'autre quel pourcentage du même ?)
Je fais partie de celles qui croient que les TICE pourraient faire partie de la solution, tout simplement parce qu'elles facilitent la communication avec les apprenants. Elles ne seront pas une solution, car, d'une part, nous n'en avons pas les moyens et d'autres part, parce que si les TICE doivent servir les apprentissages, dans les faits, c'est souvent l'inverse qui se produit: pour une technologie donnée, on cherchera une utilité en salle de classe. Ridicule.
Mon commentaire (trop long pour Blogger ?) se trouve sur mon blog à l'adresse : http://mediacteur.canalblog.com/archives/2009/12/21/16231317.html
Je vous souhaite, comme je le mets en conclusion, d'aller assister à ce temps de présentation et de mesurer par vous-même l'intérêt d'investiguer autour des Tices en milieu scolaire et plus généralement, de l'Education aux Médias.
Missmath > êtes-vous bien certaine que mettre un site web entre apprenant (pour reprendre le vocabulaire bullshitien habituel de ce genre de démarche) et enseignant facilite la communication ?
D'expérience, ça finit toujours par impliquer moins de présence en classe et de contact direct. Pour éclaircir ou expliquer des points difficiles, on n'a pas encore trouvé mieux que le dialogue direct (mais manifestement ça vaut la peine d'investir beaucoup de temps et d'argent pour espérer trouver mieux).
(coupé en deux pour cause de longueur)
*************** 1 **************
Bernard Stiegler rappelle que nous sommes sur la trace d'autres erreurs
(http://www.tvetoile.net/ voir "l'humanité à la peine" début de la partie 3
"La pensée communiste n'a jamais supposé la question de la technique"
"Elle n'en a pas fait une question, elle en a fait une réponse."
Il se trouve que le monde "en train" de se faire vogue vers cette destination à Très Grande Vitesse.
La manière dont a été ventilé le Grand Emprunt destiné à sortir la France de la crise en est une confirmation criante ... pour qui a encore des oreilles.
La technique, sous la seule forme qui est actuellement admissible à savoir Les Nouvelles Technologies, est La réponse que tous les pays développés (suivis de très prés par tous les autres) ont exhibé pour "relancer la machine économique."
L'ensemble des acteurs innovants et de tous ceux qui cherchent un socle pour leur stature future sont assez facilement captés par ces enjeux visibles.
Ainsi tous ceux qui pourraient se poser des questions sur l'intégration de ce qui est nouveau dans l'ensemble des héritages légués par les anciens sont mobilisés, tout comme dans le régime soviétique, mais de façon plus individuelle, à accélérer l'émergence de ce qui est vu comme l'unique solution.
Pendant ce temps-là, tout comme cela a été le cas pour les hybrides et à présent les OGM, les "chercheurs" et les "innovants" délaissant les produits jugés dépassé, les études comparatives mettent de temps en temps en avant une supériorité du produit sur lequel tous les investissements sont concentrés.
(./.)
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Voit-on sur la toile quelqu'un mettre en avant l'utilité de l'ardoise (classique ou améliorée) comme susceptible de dynamiser la classe et de permettre l'échange ?
Non ! (et c'est pourtant un outil joyeusement efficace !)
Par contre il y a profusion de publications sur le Tableau Blanc Interactif, articles qui rabâchent sans cesse les mêmes arguments publicitaires alors même que l'on constate dans les classes que les promesses ne sont pas au rendez-vous.
J'ai un temps enseigné les NTIC a des publics de prof (collège, lycée, faculté, formation d'adulte) pour finir par me rendre compte que ce que je nommais Interactivité était en fait une contrainte supplémentaire à gérer par l'apprenant
Étudiant alors non pas cette fameuse interactivité mais les "degrés de liberté" de l'apprenant face à tel ou tel outil, je me suis rendu compte qu'il fallait absolument miser à la marge sur les NTIC qui imposent notamment une attitude fixe (pour des secondes ou des minutes) de la tête de l'élève.
A force de mettre en place les contraintes indispensables pour assurer la pérennité du matériel je me suis également rendu compte à quel point j'imposais au corps et à l'activité de l'élève des comportement qui ne peuvent être exigé qu'à la marge.
(A moins de conditionner l'enfant depuis l'âge préscolaire).
Je suis utilisateur des NTIC depuis plus de 25 ans (début sur un Apple II) et je constate que les promesses décrites il y a plus de 40 ans par exemple par Bernard Planque ("Machines à enseigner", Bernard Planque 1967 où l'on voyait un enfant de 3 ans apprendre à lire sur un écran)
Pire, elles régressent. L'ambition de "Technologies de l'information et apprentissage de base" 1987 OCDE en matière d'analyse de réponse est tout à fait abandonnée au profit de gadgets comme les boites à répondre à des QCM à distance.
Quel travail préalable les participants à ce travail de réflexion ("Clair2010: Pour voir l'éducation autrement...") auront-ils à faire ?
Il est étrange que les enfants aient des devoirs à faire avant de pouvoir continuer leur progression et que les adultes arrivent sur un sujet comme celui-ci ... la fleur au fusil ?
Oui pour un véritable travail sur la suite de la relation enseignant apprenant pour les années qui viennent, mais avec avant tout un travail personnel des participants qui commencerait comme tout projet par une étude sérieuse de l'existant.
Est-ce trop demander ?
@ tous: merci de vos commentaires.
@M. Asselin: bonne non-conférence; j'espère que l'attitude avec laquelle vous l'abordez est largement partagée.
Ceci dit, l'affirmation de M. Pnresky selon laquelle il se pourrait que la
structure du cerveau de ses «digital natives » aurait changé est une de ces affirmations hors de l'ordinaire qui exige des preuves hors de l'ordinaire — et pas le simple nom d'un médecin, mal recopié et qui semble dire le contraire de ce qu'on lui attribue.
Je ne regrette pas d'avoir allumé mon détecteur de poutine à ce sujet. Dans «The 'digital natives' debate: A critical review of the evidence», Sue Bennett, Karl Maton and Lisa Kervin écrivent:
«Commentators on education are arguing that a new generation of learners is entering
our educational institutions, one which has grown up with information and
communication technology (ICT) as an integral part of their everyday lives. It is
claimed these young people’s use of ICTs differentiates them from previous
generations of students and from their teachers, and that the differences are so
significant that the nature of education itself must fundamentally change to
accommodate the skills and interests of these ‘digital natives’ (Prensky, 2001a). We
shall argue that though such calls for major change in education are being widely
propounded, they have been subjected to little critical scrutiny, are under-theorised
and lack a sound empirical basis. There is thus a pressing need for theoretically
informed research.»(British Journal of Educational Technology, Vol. 39, 5, 2008, pp. 775-786)
@ M. Baillargeon
Faudra questionner M. Prensky sur cette question des [supposés] changements dans «la
structure du cerveau de ses "digital natives"». La "démonstration" me paraît faible, à moi aussi. Merci de conserver ouvert à la fois votre «détecteur de poutine» et l'idée que M. Prensky apporte également certaines contributions intéressantes.
@ Le bateleur
Ce n'est pas «trop demander», il me semble, que d'exiger des participants à Clair 2010 un «certain travail de réflexion préparatoire». Je m'engage à relayer votre préoccupation et à contribuer à en définir «la nature». Ce billet (et la conversation) que j'ai hyperlié sur le site en fait partie, à mon avis...
@ tous: L'article que je citais est disponible en prépublication (pour qui n'aurait pas accès à la revue).C'est ici:www.cheeps.com/karlmaton/pdf/bjet.pdf
Ça mérite d'être lu pour qui s'intéresse aux «digital natives» et aux implications que cela aurait.
Normand B.
Bonjour M. Baillargeon, au plaisir de vous accueillir à la fin du mois à Clair2010. C'est dans la discussion et la confrontation d'idée que nous avancerons.
@M. Gauvin.Merci de votre charmante invitation; mais je ne peux malheureusement y aller. Cependant vous avez bien raison: on avance en échangeant.
Normand B.
L'événement Clair 2010 est chose du passé. J'ai rencontré Marc Prensky et j'ai abordé le contexe de ce billet dans ma rencontre. Le résumé de cette rencontre se trouve par ici:
http://carnets.opossum.ca/mario/archives/2010/01/rencontre_avec_marc_prensky_clair_2010.html
Au plaisir de poursuivre nos discussions...
Bonjour,
J'avais lu votre billet. Merci de ce suivi.
Normand B.
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