vendredi, mai 15, 2009

COURS ÉPISTÉMOLOGIE ET ÉDUCATION - Première rencontre

[Je donne cet été un cours d'épistémologie à des étudiantEs en éducation. Voici ce que j'ai vu hier. Je prépare un livre sur le sujet.Si vous souhaitez reproduire ce texte, me le demander. Ce qui suit est un work in progress...]

PLATON ET L’ÉMERGENCE DE LA TRADITION RATIONALISTE

Tout ça est dans Platon, tout ça est dans Platon! Que Dieu me pardonne! Qu’est-ce qu’on leur apprend à l’école?
C.S. Lewis, Le monde de Narnia




On ne s’en étonnera pas : c’est Platon qui, sur la plupart des questions que nous allons aborder , ouvre le débats, identifie les principaux enjeux et propose les premières réponses synthétiques dont nous disposions. Ce faisant, il donnera bien souvent le cadre et parfois jusqu’à certains des termes mêmes dans lequel ces débats, durant plus de deux millénaires, vont se tenir.

On s’en souvient : Platon, avec la sophistique, a eu à affronter une version particulièrement articulée du relativisme épistémologique. Sa réponse a consisté d’une part à soutenir que le relativisme épistémologique est incohérent, d’autre part à avancer la théorie des Formes et l’Idéalisme auquel il a donné son nom.

Ce sont les implications de sa position épistémologique pour l’enseignement qu’il va à présent déployer, en notant ce qu’elle implique et présuppose sur les plans de ce qu’on appellera plus tard la métaphysique et la philosophie de l’esprit : épistémologie, métaphysique, philosophie de l’esprit formeront ainsi, conjointement, dans la longue histoire de la tradition philosophique et pédagogique occidentale, les trois principales assises d’une théorie philosophique de l’enseignement et de l’apprentissage.

Nous prendrons comme point de départ la question qu’on peut tenir pour fondamentale de la théorie de la connaissance : qu’est-ce au juste que la connaissance? La réponse platonicienne va, de manière très largement prévalente, constituer le cadre au sein duquel les discussions et débats ultérieurs en épistémologie vont se tenir.

Dans le Théétète, Socrate s’adresse au personnage qui donne son titre à ce dialogue pour lui demander ce qu’est la connaissance.

Théétète commence par répondre que ce sont toutes ces disciplines que lui enseigne son professeur : l’astronomie, l’histoire naturelle, les mathématiques, etc.

Socrate lui fait alors comprendre que si ce sont bien là des exemples de connaissances, ce n’est pas ce qu’il lui a demandé : ce que Socrate veut, c’est que Théétète lui dise ce qu’est la connaissance. Théétète ne peut pour cela se contenter d’une simple énumération de connaissances.

Celui-ci en convient. S’ensuit alors un long échange au terme duquel Théétète et Socrate convergent vers l’importante et influente définition ue nous avons évoquée. Nous la rappellerons dans la très claire formulation qui en a été donnée au sein de la philosophie analytique du XXe, où elle est connue comme «l’analyse tripartie de la connaissance ». C’est que précisément, il n’y a connaissance selon Platon que là où trois conditions sont satisfaites.

Rappelons-les et, pour cela, posons un sujet (S) et une proposition (P).

On aura :

S sait que P = Df

1. S est de l’opinion que P (ou si l’on préfère: croit que P);
2. P est vrai;
3. La croyance que P par S est épistémiquement justifiée.

Cette analyse est extrêmement convaincante et c’est ce qui explique le statut paradigmatique qu’elle va occuper en épistémologie.

Je ne peux en effet savoir que P uniquement si je pense que cette proposition est vraie — je ne peux, par exemple, me contenter de l’espérer, de le craindre, etc. : on voit ainsi que savoir présuppose une certaine attitude épistémique qui est celle de la croyance — ou, si l,On préfère, de l’opinion; je ne pourrai non plus dire savoir que P si P se révèle être fausse; enfin, je ne peux savoir P que si je la pense vraie pour de bonnes raisons (on ne sait pas une chose que l’on répète sans la comprendre, qu’on affirme par hasard, et ainsi de suite).

Cette analyse incite à conclure que ces trois conditions doivent être conjointement satisfaites pour que S puisse prétendre savoir que P.

La Théorie des Idées explicite plus avant ce que signifie savoir. Platon, on s’en souviendra, soutient que celui ou celle qui sait a contemplé une (ou des) Idée(s) dont toutes les instances concrètes ne sont que des copies plus ou moins pâles et dont il n’aurait de toute façon rien pu saisir ou comprendre s’il n’en avait, au préalable, contemplé la Forme. Il y a ici, on le pressent, toute une philosophie de l’apprentissage que Platon va explicitement déployer. Son immense mérite, cette fois encore, et que l’on soit ou non d’accord avec les solutions qu’il préconise, est d’avoir parfaitement vu les enjeux et les problèmes que pose une conception de l’apprentissage.

Un premier enjeu est logique et épistémologique et il surgit sitôt qu’on reconnaît une manière d’énigme que Chomsky a plaisamment appelé le «problème de Platon» . Pour en apprécier toute la portée, il suffit de remarquer toute l’étendue du fossé qui sépare notre savoir de notre expérience. Une question se pose alors immanquablement : comment peut-on en savoir autant, alors que notre expérience du monde est si brève, si limitée, si imparfaite et si imprécise?

Les mathématiques sont évidemment ici un cas que Platon tient pour paradigmatique et qui ne cessera d’être repris comme tel dans toute la tradition rationaliste. Comment est-il possible, par exemple, qu’alors que je ne croise dans le monde que des figures imparfaites, j’accède pourtant à un savoir géométrique universel et nécessaire?

Cet argument peut même être radicalisé : comment une personne qui ne sait rien du tout pourrait-elle apprendre et en venir à savoir quoi que ce soit? Il semble que non seulement l’expérience ne puisse combler le fossé qui existe entre savoir et ignorance mais, pire encore, qu’il soit logiquement impossible ne serait-ce que de commencer à apprendre.

Platon, on va le voir dans un le texte qui suit, pose précisément de cette manière le problème de la connaissance. Et il va suggérer que si elle est possible, c’est qu’elle est réminiscence, c’est-à-dire re-souvenir. Notre âme, pense Platon, est immortelle et elle a contemplé les Idées avant de s’incarner dans notre corps. Elle garde de cette vision un souvenir, plus ou moins effacé selon les individus — et la précision de ce souvenir marque les limites de l’éducabilité de sujets, une thèse de lourde portée politique sur laquelle nous reviendrons dans le dernier chapitre de ce livre. Nous apprenons par la réactivation de ces souvenirs et cette thèse explique pourquoi il est logiquement possible d’apprendre — le fait est que nous ne savons jamais rien du tout — et aussi pourquoi l’expérience ne joue finalement qu’un rôle très mineur dans l’apprentissage : nous ne tirons pas notre savoir de l’expérience, mais nous appliquons plutôt à l’expérience notre savoir.

L’exposé de Platon fait certes intervenir des catégories que la pensée contemporaine n’utilise plus (par exemple l’âme ou la réincarnation) et elle se déploie selon un argumentaire lui aussi très inactuel, où se mêlent l’analyse conceptuelle et le recours aux mythes. Mais cela ne doit pas faire perdre de vue ni les problèmes, réels et difficiles, aperçus par Platon, ni la nature profonde des solutions qu’il avance. Pour en prendre la mesure, il conviendra donc d’ajouter, aux enjeux et problèmes d’ordre logique et épistémologique que nous avons examiné, d’autres enjeux et problèmes situés cette fois sur le plan métaphysique et sur celui de la philosophie de l’esprit.

Que soutient Platon sur ces deux plans?

Sur le plan métaphysique, il défend, avec la théorie des Idées, ce qu’on appellera le réalisme des concepts, c’est-à-dire l’existence réelle des catégories générales et abstraites que notre connaissance met en jeu. La question du statut de ces catégories, on le verra, sera récurrente dans toute l’histoire des idées et demeure posée aujourd’hui encore.

Sur le plan de la philosophie de l’esprit, Platon est un dualiste — peut-être même le premier dualiste systématique et réflexif de la tradition occidentale — doublé d’un rationaliste qui défend un innéisme de la connaissance et plus précisément de nos concepts. Ce dualisme, ce rationalisme, cet innéisme, eux aussi, n’ont jamais cessé d’être discutés pour être adoptés ou récusés — et on a plus que jamais envie de dire que, sur tous ces plans, la philosophie occidentale ressemble bien à ces notes de bas de pages dans le texte de Platon qu’évoquait Whitehead.

Avant d’examiner de manière critique ces idées de Platon, le moment est venu de voir ce qu’elles impliquent pour l’éducation et plus précisément pour ce que signifie apprendre. Nous le ferons en examinant un texte célèbre et capital tiré d’un dialogue appelée Ménon.

Ce dialogue porte, entre autres, sur la définition de la vertu et Platon y présente, par la voix d’un des interlocuteurs de Socrate, une objection préalable, et typiquement sophistique, à l'idée même de recherche intellectuelle. Cette objection est la suivante : ou bien on sait ce que l'on cherche, et en ce cas la recherche est inutile; ou bien on l'ignore, et en ce cas la recherche est impossible, puisqu'on ne saurait pas même savoir qu'on a trouvé ce qu’on recherchait si par hasard on le rencontrait.

On aura reconnu qu’il s’agit ici du fameux «problème de Platon» présenté dans sa version logique et radicale et la solution à ce dilemme, on l’a vu, est donnée par la théorie de la réminiscence qui avance que l'âme, immortelle, a, dans une existence antérieure, contemplé les Idées et en conserve, dans le monde sensible, un souvenir atténué.

La connaissance est donc en fait une reconnaissance dont le maître est l'occasion plutôt que d'être, comme le croyaient les Sophistes, celui qui la transmet. La connaissance authentique, qui porte sur les Idées, est en nous à l'état latent et apprendre est donc se débarrasser de l'opinion, du pseudo-savoir, pour se ressouvenir.

C’est ce corollaire pédagogique de la théorie des Formes — et de la conception platonicienne de l'immortalité de l’âme — que Socrate entreprend dans le texte suivant, non pas de démontrer — ce qui serait, ainsi que le texte le précise d'emblée contradictoire ,— mais bien d'illustrer à l'aide d'un exemple. Pour ce faire, Socrate va faire découvrir à un jeune esclave la solution à un problème de géométrie.

La portée de cette théorie est immense, aussi bien sur le plan épistémologique que sur les plans éthique et pédagogique.

Elle permet d'abord à Platon de soutenir que la vérité ne s'invente pas, qu'elle ne résulte pas d'une construction voire d'un consensus social comme l'imaginait Protagoras : elle se découvre. Préexistant comme idéal normatif à la connaissance, elle avive le désir de connaître et rend à la fois possible, souhaitable et légitime la poursuite de la connaissance.

Se justifie alors un encouragement à poursuivre la recherche de la vérité et à tenir pour possible son atteinte : l'ignorance n'est plus une absence totale de connaissances dont on aurait du mal à concevoir qu'on puisse sortir, mais elle comprend au contraire en elle, en quelque sorte, ce qui rend possible la première étape vers le savoir. Le statut de cette thèse, quand bien même elle n'apparaîtrait pas absolument démontrée — «Il me le semble», dit pour finir Socrate — est ultimement d'ordre moral: il faut chercher ce qu'on ne sait pas et nous deviendrons meilleurs par cette recherche même.

La théorie de la réminiscence indique en outre que c'est par la dialectique, le dialogue, que s'accomplit la rencontre des Idées. Platon insistera sur la vertu pédagogique de cette rencontre avec les autres et nommera Eros cette tendance ou ce désir qui pousse vers la connaissance et le Bien.

Venons-en au texte lui-même. On pourra commodément y distinguer différents moments.

Le premier est négatif, en ce qu'il correspond à la découverte, par l'esclave, de ce que croyant savoir il ne sait pas véritablement.

Placé devant le problème de la duplication d'un carré de deux pieds, l’esclave admet que la surface d'un tel carré est de quatre pieds carrés et qu'un carré qui en serait le double aurait, quant à lui, une surface de huit pieds carrés. Pour l'obtenir il suffira, croit-il, de construire un carré dont le côté soit de quatre pieds. Or, en procédant à cette construction, il constate que le carré obtenu est le quadruple du carré original: le carré recherché est donc à la fois le double du carré original et la moitié du carré de seize pieds carré qu’il vient de construire. Il faudra donc, poursuit l'esclave, que le carré recherché soit construit sur un côté à la fois plus grand que les deux pieds du carré original et plus petit que les quatre pieds du carré dont la surface est de seize pieds: il faut, conclut-il, le construire sur un côté de trois pieds. Mais en essayant cette nouvelle construction, il constate que le carré obtenu a une surface de neuf pieds carrés: ce qui ne convient pas plus.

L'esclave est alors forcé d'admettre qu'il ne sait pas comment procéder pour construire le carré de huit pieds carrés — et cela d'autant plus que le nombre recherché est un irrationnel, √8 ! Aucune ironie déplacée, partant, dans la remarque de Socrate qui invite l'esclave à lui montrer la grandeur recherchée faute de pouvoir faire le calcul.

Socrate s'adresse ensuite à Ménon et entreprend une brève digression sur l'interrogation de l'esclave menée jusqu'alors, tirant les conclusions pédagogiques et didactiques de l'expérience qui vient d'avoir lieu.

D'abord sûr de son savoir, l'esclave est à présent embarrassé et s'il ne sait toujours pas, il sait néanmoins à présent qu'il ne sait pas. Deux thèmes s'entrelacent ici. Tout d'abord, celui de la certitude non réflexive de savoir comme obstacle au véritable savoir; puis celui de la prise de conscience de l'ignorance qui, dévoilant un manque, une lacune, fait naître un désir: celui de connaître.

L'esclave va ensuite résoudre le problème posé en découvrant, sans que Socrate ne lui donne la réponse (c’est du moins la thèse de Platon), qu'il faut construire le carré recherché sur la diagonale du premier carré. L'interrogation de Socrate lui permet de reconnaître que dans le carré de seize pieds — construit en quadruplant le carré de deux pieds — il est possible d'inscrire un carré qui en est la moitié, lequel est construit sur la diagonale de chacun des carrés de deux pieds qui composent le carré de seize pieds: ce nouveau carré a donc huit pieds et il a été construit sur la diagonale du carré de deux pieds. Ce qu'il fallait ... découvrir.

Plus loin, Socrate liera ces idées à celles concernant la nature du savoir que nous avons exposées plus haut. L’esclave, au moment où Socrate termine son entretien, est désormais de l’opinion juste que c’est sur la diagonale qu’il faut construire le carré recherché. Mais il ne le sait pas encore tout à fait, puisqu’il ne maîtrise pas encore les raisons qui expliquent pourquoi cette opinion est vraie. Les métaphores platoniciennes pour le savoir et l’apprentissage sont souvent visuelles (nous en conservons quelque chose quand nous disons voir — Ah oui : je vois! — pour signifier que nous comprenons) et ce sera encore le cas ici : l'esclave ne voit pas encore très bien, l’image reste floue, imprécise, évanescente. Pour qu’elle se fixe, les câbles des bonnes raisons seront nécessaires et ceux-ci seront construits en revenant, au besoin plusieurs fois, sur la démonstration, en la revoyant, par l’exercice et la répétition qui, serait-on tenté de dire, habilite la vue.

Finalement, il importe de noter, a contrario de la caricature souvent donnée d’une certaine conception de l’enseignement traditionnel qui s’en est parfois inspirée, le caractère profondément co-didactique de l’apprentissage tel que Platon le conçoit. Celui qui fait apprendre ne parle pas seul, mais reste constamment en contact épistémique et didactique avec ce qui apprend (ou plutôt se ressouvient) et l’accompagne avec le souci de procéder par étapes, du connu à l’inconnu, en s’assurant et du point de départ et de la complétion de chacune des étapes qui conduisent au point d’arrivée. Il va sans dire que le professeur platonicien est savant et du savoir qu’il veut faire acquérir et de chacune de ces étapes.

Voici donc ce texte remarquable.


Texte : Un carré qui soit le double d’un carré donné


SOCRATE - Dis-moi donc, mon garçon, sais-tu que ceci, c'est une surface carrée?
L'ESCLAVE - Oui, je le saisis.
SOCRATE - Et que, dans une surface carrée, ces côtés-ci, au nombre de quatre, sont égaux?
L'ESCLAVE - Oui, tout à fait.
SOCRATE - Et aussi que ces lignes qui passent par le milieu sont égales, n'est-ce pas?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - N'y a-t-il pas de surface de cette sorte qui soit plus grande ou plus petite?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Si donc ce côté-là avait deux pieds de long et celui-ci deux pieds, combien de pieds aurait le tout. Regarde bien : si elle est ici de deux pieds, mais là seulement d'un pied, l'espace ne serait-il pas d'une fois deux pieds?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Puisque celle-ci est également de deux pieds, on a bien un espace qui fait deux fois deux.
L'ESCLAVE - C'est bien cela.
SOCRATE - Il est donc de deux fois deux pieds.
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Combien font deux fois deux pieds. Fais le clacul.
L'ESCLAVE - Quatre, Socrate.
SOCRATE - Ne pourrait-on obtenir une autre figure, double de celle-ci mais semblable, ayant toutes ses lignes égales comme celle-ci.
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Combien aurait-elle de pieds?
L'ESCLAVE - Huit.
SOCRATE - Bon. Essaye de me dire, alors, quelle sera la longueur de chacune de ses lignes. Ici, cette ligne est de deux pieds. De combien sera-t-elle pour le carré double?
L'ESCLAVE - Le double, Socrate, c'est clair.
SOCRATE - Tu vois, Ménon, que je ne lui enseigne rien, mais que je ne fais que lui poser des questions. En ce moment, il croit qu'il sait de combien est la longueur de la ligne à partir de laquelle on obtiendra un carré de huit pieds. Es-tu d'accord.
MÉNON - - Si.
SOCRATE - Mais le sait-il?
MÉNON - - Non, assurément pas!
SOCRATE - Mais ce qu'il croit à coup sûr, c'est qu'on l'obtient à partir d'une ligne deux fois plus longue?
MÉNON - Oui.
SOCRATE - Eh bien observe-le, en train de se remémorer la suite, car c'est ainsi qu'on doit se remémorer. Réponds-moi. Ne dis-tu pas que c'est à partir d'une ligne deux fois plus longue qu'on obtient un espace deux fois plus grand? Je parle d'un espace comme celui-ci, non pas d'un espace qui soit long de ce côté-ci et court de ce côté-là, mais d'un espace égal dans tous les sens, comme celui-ci, seulement qui soit deux fois plus grand que ce premier carré et mesure huit pieds carrés. Eh bien, vois si tu penses encore que cet espace s'obtiendra à partir d'une ligne deux fois plus longue.
L'ESCLAVE - Oui, je le pense.
SOCRATE - Mais n'obtiendra-t-on pas la ligne que voici, double de la première, si nous y ajoutons une autre aussi longue?
L'ESCLAVE - Oui, tout à fait.
SOCRATE - Ce sera donc, dis-tu, à partir de cette nouvelle ligne, en construisant quatre côtés de même longueur, qu'on obtiendra un espace de huit pieds carrés, n'est-ce pas?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Donc à partir de cette ligne traçons quatre côtés égaux. N'aurait-on pas ainsi ce que tu prétends être le carré de huit pieds carrés?
L'ESCLAVE - Oui, tout à fait.
SOCRATE - Or, dans le carré obtenu, ne trouve-t-on pas là ces quatre espaces, dont chacun est égal à ce premier espace de quatre pieds carrés?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Dans ce cas quelle grandeur lui donner? ne fait-il pas quatre fois ce premier espace?
L'ESCLAVE - Bien sûr que oui.
SOCRATE - Or, une chose quatre fois plus grande qu'une autre en est-elle donc le double?
L'ESCLAVE - Non, par Zeus!
SOCRATE - Mais de combien de fois est-elle plus grande?
L'ESCLAVE - Elle est quatre fois plus grande!
SOCRATE - Donc, à partir d'une ligne deux fois plus grande, mon garçon, ce n'est pas un espace double que tu obtiens, mais un espace quatre fois plus grand.
L'ESCLAVE - Tu dis vrai.
SOCRATE - De fait, quatre fois quatre font seize, n'est-ce pas?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Alors à partir de quelle ligne obtient-on un espace de huit pieds carrés? N'est-il pas vrai qu'à partir de cette ligne-ci, on obtient un espace quatre fois plus grand?
L'ESCLAVE - Oui, je le reconnais.
SOCRATE - Et n'est-ce pas un quart d'espace qu'on obtient à partir de cette ligne-ci qui est la moitié de celle-là?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Bon. L'espace de huit pieds carrés n'est-il pas, d'une part, le double de cet espace-ci, et, d'autres part, la moitié de celui-là?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Mais ne se construira-t-il pas sur une ligne plus longue que ne l'est celle-ci, et plus petite que ne l'est celle-là? N'est-ce pas le cas?
L'ESCLAVE - C'est bien mon avis.
SOCRATE - Parfait. Et continue à répondre en disant ce que tu penses! Aussi, dis-moi, cette ligne-ci n'était-elle pas longue de deux pieds, tandis que celle-là en avait quatre?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Il faut donc que le côté d'un espace de huit pieds carrés soit plus grande que ce côté de deux pieds, mais plus petit que ce côté de quatre.
L'ESCLAVE - Il le faut.
SOCRATE - Alors essaie de dire quelle est sa longueur, d'après toi.
L'ESCLAVE - Trois pieds.
SOCRATE - En ce cas, s'il faut une ligne de trois pieds, nous ajouterons à cette première ligne sa moitié, et nous obtiendrons trois pieds. Nous aurons donc deux pieds et un autre pied. Et de ce côté-ci, c'est la même chose, deux pieds et un autre pied. Et voici que nous obtenons cet espace dont tu parlais.
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Or si cet espace a trois pieds de ce côté et trois pieds ce cet autre côté, sa surface totale n'est-elle pas de trois fois trois pieds carrés?
L'ESCLAVE - Il semble.
SOCRATE - Mais trois fois trois pieds carrés, combien cela fait-il de pieds carrés?
L'ESCLAVE - Neuf.
SOCRATE - Et combien de pieds carrés l'espace double devait-il avoir?
L'ESCLAVE - Huit.
SOCRATE - Ce n'est donc pas non plus à partir de la ligne de trois pieds qu'on obtient l'espace de huit pieds carrés.
L'ESCLAVE - Certainement pas.
SOCRATE - Mais à partir de quelle ligne? Essaie de nous le dire avec exactitude. Et si tu préfères ne pas donner un chiffre, montre en tout cas à partir de quelle ligne on l'obtient.
L'ESCLAVE - Mais par Zeus, SOCRATE, je ne le sais pas.
SOCRATE - Tu peux te rendre compte encore une fois, Ménon du chemin que ce garçon a déjà parcouru dans l'acte de se remémorer. En effet, au début il ne savait certes pas quel est le côté d'un espace de huit pieds carrés - tout comme maintenant non plus il ne le sait pas encore -, mais malgré tout, il croyait bien qu'à ce moment-là il le savait, et c'est avec assurance qu'il répondait, en homme qui sait et sans penser éprouver le moindre embarras pour répondre; mais à présent le voilà qui considère désormais qu'il est dans l'embarras, et tandis qu'il ne sait pas, au moins ne croit-il pas non plus qu'il sait.
MÉNON - - Tu dis vrai.
SOCRATE - En ce cas n'est-il pas maintenant dans une meilleure situation à l'égard de la chose qu'il ne savait pas?
MÉNON - Oui, cela aussi, je le crois.
SOCRATE - Donc en l'amenant à éprouver de l'embarras et en le mettant, comme la raie-torpille, dans cet état de torpeur, lui avons-nous fait un tort?
MÉNON - Non, je ne crois pas.
SOCRATE - Si je ne me trompe, nous lui avons bien été utiles, semble-t-il, pour qu'il découvre ce qu'il en est. En effet, maintenant, il pourrait en fait, parce qu'il ne sait pas, se mettre à chercher avec plaisir, tandis que tout à l'heure, c'est avec facilité, devant beaucoup de gens et un bon nombre de fois, qu'il croyait s'exprimer correctement sur la duplication du carré en déclarant qu'il faut une ligne deux fois plus longue.
MÉNON - C'est probable.
SOCRATE - Or penses-tu qu'il entreprendrait de chercher ou d'apprendre ce qu'il croyait savoir et qu'il ne sait pas, avant d'avoir pris conscience de son ignorance, de se voir plongé dans l'embarras et d'avoir aussi conçu le désir de savoir?
MÉNON - Non, je ne crois pas, SOCRATE.
SOCRATE - En conséquence, le fait de l'avoir mis dans la torpeur lui a-t-il été profitable?
MÉNON - Oui, je crois.
SOCRATE - Examine donc ce que, en parlant de cet embarras, il va bel et bien découvrir en cherchant avec moi, moi qui ne fait que l'interroger sans rien lui enseigner. Surveille bien pour voir si tu me trouves d'une façon ou d'une autre en train de lui donner enseignement ou explication au lieu de l'interroger pour qu'il exprime ses opinions.
SOCRATE - Dis-moi donc, mon garçon, n'avons-nous pas là un espace de quatre pieds carrés? Comprends-tu?
L'ESCLAVE - Oui, je comprends.
SOCRATE - Pourrions-nous lui ajouter cet autre espace, qui lui est égal?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Et aussi ce troisième espace qui est égal à chacun des deux autres?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - En ce cas, nous pourrions combler cet espace-ci dans le coin?
L'ESCLAVE - Oui, tout à fait.
SOCRATE - Les quatre espaces que voici, ne seraient-ils pas égaux?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Que se passe-t-il alors? Ce tout qu'ils forment, de combien de fois est-il plus grand que cet espace-ci?
L'ESCLAVE - Quatre fois plus grand.
SOCRATE - Mais il nous fallait obtenir un espace deux fois plus grand, ne t'en souviens-tu pas?
L'ESCLAVE - Oui, tout à fait.
SOCRATE - Or n'a-t-on pas ici une ligne qui va d'un coin à un autre coin et coupe en deux chacun de ces espaces?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Et n'avons-nous pas là quatre lignes, qui sont égales, et qui enferment cet espace-ci?
L'ESCLAVE - Oui, nous les avons.
SOCRATE - Eh bien, examine la question : quelle est la grandeur de cet espace?
L'ESCLAVE - Je ne comprends pas.
SOCRATE - Prenons ces quatre espaces qui sont là, chaque ligne ne divise-t-elle pas chacun d'eux, à l'intérieur, par la moitié? N'est-ce pas le cas?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - Or combien de surfaces de cette dimension se trouvent dans ce carré-ci?
L'ESCLAVE - Quatre.
SOCRATE - Et combien dans ce premier espace?
L'ESCLAVE - Deux.
SOCRATE - Mais combien de fois deux font quatre?
L'ESCLAVE - Deux fois.
SOCRATE - Donc ce carré, combien a-t-il de pieds?
L'ESCLAVE - Huit pieds carrés.
SOCRATE - Sur quelle ligne est-il construit?
L'ESCLAVE - Sur celle-ci.
SOCRATE - Sur la ligne qu'on trace d'un coin à l'autre d'un carré de quatre pieds?
L'ESCLAVE - Oui.
SOCRATE - C'est justement la ligne à laquelle les savants donnent le nom de "diagonale". En sorte que, si cette ligne s'appelle bien "diagonale", ce serait à partir de la diagonale que, d'après ce que tu dis, esclave de Ménon, on obtiendrait l'espace double.
L'ESCLAVE - Oui, parfaitement, Socrate.
SOCRATE - Que t'en semble, Ménon? Y a-t-il une opinion que ce garçon ait donnée en réponse, qui ne vînt pas de lui?
MÉNON - Non, au contraire, tout venait de lui-même.
SOCRATE - Et pourtant il est vrai qu'il ne savait pas, comme nous le disions un peu plus tôt.
MÉNON - C'est la vérité.
SOCRATE - Mais ces opinions-là se trouvaient bien en lui, n'est-ce pas?
MÉNON - Oui.
SOCRATE - Chez l'homme qui ne sait pas, il y a donc des opinions vraies au sujet des choses qu'il ignore, opinions qui portent sur les choses que cet homme en fait ignore?
MÉNON - Apparemment.
SOCRATE - Et maintenant en tout cas ce sont bien ces opinions-là qui ont été, à la manière d'un rêve, suscités en lui; puis, s'il arrive qu'on l'interroge à plusieurs reprises sur les mêmes sujets, et de plusieurs façons, tu peux être certain qu'il finira par avoir sur ces sujets-là une connaissance aussi exacte que personne.
MÉNON - C'est vraisemblable.
SOCRATE - En ce cas, sans que personne ne lui ait donné d'enseignement, mais parce qu'on l'a interrogé, il en arrivera à connaître, ayant recouvré lui-même la connaissance en la tirant de son propre fonds.
MÉNON - Oui.
SOCRATE - Mais le fait de recouvrer en soi-même une connaissance, n'est-ce pas se la remémorer?
MÉNON - - Oui, parfaitement.
SOCRATE - Or la connaissance que ce garçon possède à présent, ne faut-il pas soit qu'il l'ait reçue à un moment donné soit qu'il l'ait possédée depuis toujours?
MÉNON - Si.
SOCRATE - En ce cas, si, d'un côté, il la possédait depuis toujours, c'est que depuis toujours aussi il savait. D'un autre côté, s'il l'a reçue à un moment donné, il ne l'aurait assurément pas reçue dans le cours de sa vie actuelle. Lui a-t-on enseigné la géométrie? Car c'est pour toute question de géométrie que ce garçon se ressouviendra pareillement, et même pour tous les autres objets d'étude. Y a-t-il donc quelqu'un qui lui ait tout enseigné? C'est bien à toi de le savoir, je pense, surtout puisqu'il est né dans ta maison et y a été élevé.
MÉNON - Mais je sais bien que personne ne lui a jamais rien enseigné.
SOCRATE - Or possède-t-il ces opinions-là, oui ou non?
MÉNON - Nécessairement, Socrate, c'est clair.
SOCRATE - Mais s'il ne les a pas reçues dans sa vie actuelle, n'est-il pas désormais évident qu'il les possédait en un autre temps, les ayant déjà apprises?
MÉNON - Apparemment.
SOCRATE - Or ce temps-là, n'est-ce pas bien sûr le temps où il n'était pas un être humain?
MÉNON - Si.
SOCRATE - Donc, si, durant tout le temps qu'il est un homme et tout le temps qu'il ne l'est pas, des opinions vraies doivent se trouver en lui, opinions qui, une fois réveillées par une interrogation, deviennent des connaissances, son âme ne les aura-t-elle pas apprises de tout temps? Car il est évident que la totalité du temps, c'est le temps où soit on est un être humain soit on ne l'est pas.
MÉNON - Apparemment.
SOCRATE - Donc, si la vérité des êtres est depuis toujours dans notre âme, l'âme doit être immortelle, en sorte que ce que tu te trouves ne pas savoir maintenant, c'est-à-dire ce dont tu ne te souviens pas, c'est avec assurance que tu dois t'efforcer de le chercher et de te le remémorer.
MÉNON - J'ai l'impression que tu as raison, Socrate, je ne sais comment.
SOCRATE - Sache que moi aussi, j'ai cette impression, Ménon. À vrai dire, il y a des points pour la défense desquels je ne m'acharnerais pas trop; mais, le fait que si nous jugeons nécessaire de chercher ce que nous ne savons pas, nous serons meilleurs, plus courageux, moins paresseux, que si nous considérions qu'il est impossible de le découvrir et qu'il n'est pas non plus nécessaire de le chercher, ce fait, pour le défendre, je me battrais avec la dernière énergie, aussi fort que j'en serais capable, et dans ce que je dis et dans ce que je fais!
MÉNON - Sur ce point encore, tu me donnes bien l'impression d'avoir raison, Socrate.

Platon, Ménon, 81e à 86d.
Trad. É. Chambry, GF, Paris.


Nous avons commencé à préciser la nature de la relation qui, selon Platon, unit qui «apprend» à qui aide à se «ressouvenir». Il importe à présent de nous y attarder plus longuement et pour ce faire d’introduire le concept de «maïeutique». Ce dernier étant associé à Socrate (vers 470-399) dans le corpus platonicien puis dans toute la tradition philosophique et pédagogique, rappelons brièvement quelques éléments qui seront utiles pour comprendre cette notion de maïeutique.

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Socrate, celui qui n’a rien écrit

La nature exacte des idées réellement défendues par le Socrate historique reste incertaine et ce «problème de Socrate» demeurera sans doute toujours ouvert. En se fondant sur quelques témoignages (ceux de Platon et de Xénophon en particulier) la tradition et la recherche ont malgré tout dressé le portrait plausible d’un Socrate dont les idées présentent, pour l’éducation, un intérêt tout particulier; c’est de ce Socrate-là dont il sera seul ici question.

Vraisemblablement né d'un père sculpteur et d'une mère sage-femme, celui-ci inscrit durablement dans l’histoire de la philosophie tant de thèmes destinés à y rester incontournables qu’on n’a cessé de voir depuis l’Antiquité, dans la vie et les idées de cet homme qui n’a pourtant rien écrit, un emblème de la philosophie occidentale et, en sa mort, une manière de tragique acte fondateur.

Un de ses amis ayant consulté la Pythie, l'Oracle de Delphes, et appris d’elle que Socrate serait le plus sage des hommes, celui-ci est très étonné de cette réponse : comment peut-il être le plus sage, lui qui ne sait rien? Comment peut-il être le plus sage, alors que tant de gens assurent savoir ou sont simplement engagés dans des activités qui supposent un savoir? Socrate va s'efforcer d'élucider cette énigme : le voici donc au milieu des hommes, sur la place publique, questionnant chacun sur ses activités ordinaires et quotidiennes et sur le savoir dont ils se réclament ou qu'elles présupposent. Cette méthode dialectique socratique, cette elenchos, cherche à produire des concepts : Socrate interroge ainsi le sculpteur sur la beauté, le militaire sur le courage, le sophiste sur la vertu et sur l'éducation, le politique sur la justice et ainsi de suite. Menés avec un art tout particulier de l'interrogation qui fait parfois appel à l'ironie, ces dialectiques, souvent aporétiques, sont destinés à éprouver une opinion et elles procèdent par induction en s’efforçant de dégager de l'examen de cas particuliers une définition universelle. En s’y adonnant, Socrate découvrira le sens de l'oracle : s’il est le plus sage, c’est parce qu'il sait qu'il ne sait rien : tandis que les autres croient savoir ce qu'ils ne savent pas.

Se rattache à cette pratique philosophique une série de thèmes qui appartiennent également au legs socratique : exigence du retour sur soi («Connais-toi toi même»), examen de sa propre vie («[…] une vie sans examen n'est pas une vie», Apologie, 38a) et recentrement sur l’être humain de l’activité philosophique jusqu’alors prioritairement centrée sur la nature. Mais ce sont sans aucun doute les trois célèbres thèses suivantes, attribuées à Socrate, qui sont pour l’éducation les plus lourdes de conséquences : unité de la vertu; identification de la vertu au savoir; paradoxe de la mal-ignorance («Nul n'est méchant volontairement »).

Ces thèses commandent d’abord une conception de l’éducation selon laquelle il n’y a pas à proprement parler de transfert d’information d’un maître supposé à un disciple présumé, mais bien une démarche par laquelle le disciple est invité à voir la vérité par et pour lui même en tournant son âme vers elle. Socrate peut ainsi légitimement affirmer : «Je n'ai jamais été le maître de personne» (Apologie, 33 a).

Elles engagent encore et surtout un intellectualisme radical qui ne fait aucun place à l’irrationnel dans l’âme et ne laisse plus, dès lors, pour seul horizon praticable à l’éducation, que le dialogue par lequel l’âme humaine peut se tourner vers la vérité et auquel absolument rien ne saurait se substituer.
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Dans le cadre des discussions auxquelles il convie ses contemporains, il arrive que Socrate finisse par «engourdir» ses interlocuteurs : cela se produit lorsque ceux-ci découvrent leur propre ignorance là où ils pensaient, parfois avec une belle assurance, détenir la vérité. Cet engourdissement doit à son tour se comprendre dans le cadre de cet art que pratique Socrate et qu’il appelle maïeutique — ce qui signifie «art de faire accoucher» puisqu’il rapproche son art de celui que pratiquait sa mère : elle accouchait les corps, son fils accouche les âmes et les met au monde.

L'extrait cité ci-après présente cette notion de maïeutique qui exercera une si grande influence en pédagogie en appelant à faire porter la démarche éducative non sur la mémorisation, mais sur la découverte et l'appropriation des savoirs. En ce sens, et si on fait abstraction de tout l’arrière plan de l’intellectualisme socratique, est au moins en partie fondée la filiation avec la pratique socratique dont ne cesseront de se réclamer divers théoriciens et praticiens de l’éducation, fondée du moins si l'on veut par là insister sur l'exigence qui est faite pour l'élève d'user de sa raison, dans un échange d'idées où il ne se contente pas de suivre passivement qui l'interroge mais est amené et aidé à trouver par lui-même. En cette acception, c’est bien en disciple de Socrate que Rousseau écrit: «Forcé d'apprendre de lui-même, il use de sa raison et non de celle d'autrui; car pour ne rien donner à l'opinion, il ne faut rien donner à l'autorité. »


Texte : La maïeutique

Socrate — En avant donc, toi qui, si brillamment, viens de tracer la route. Prends comme modèle ta réponse à la question des puissances, et, de même que tu as su comprendre leur pluralité sous l'unité d'une forme, efforce-toi d'appliquer, à la pluralité des sciences, une définition unique.
Théétète — Mais, sache-le bien, Socrate, maintes fois déjà j'ai entrepris cet examen, excité par tes questions, dont l'écho venait jusqu'à moi. Malheureusement je ne puis ni me satisfaire des réponses que je formule, ni trouver, en celles que j'entends formuler, l'exactitude que tu exiges, ni suprême ressource, me délivrer du tourment de savoir.
Socrate — C'est que tu ressens les douleurs, ô mon cher Théétète, douleurs non de vacuité, mais de plénitude.
Théétète — Je ne sais, Socrate; je ne fais que dire ce que j'éprouve.
Socrate — Or çà, ridicule garçon, n'as-tu pas oui dire que je suis fils d'une accoucheuse, qui fut des plus nobles et des plus imposantes, Phénarète?
Théétète — Je l'ai ouï dire.
Socrate — Et que j'exerce le même art, l'as-tu oui dire aussi?
Théétète — Aucunement.
Socrate — Sache-le donc bien, mais ne va pas me vendre aux autres. Ils sont, en effet, bien loin, mon ami, de penser que je possède cet art. Eux, qui point ne savent, ce n'est pas cela qu'ils disent de moi, mais bien que je suis tout à fait bizarre et ne crée dans les esprits que perplexités. As-tu ouï dire cela aussi?
Théétète — Oui donc.
Socrate — T'en dirai-je la cause?
Théétète — Je t'en prie absolument.
Socrate — Rappelle-toi toi tous les us et coutumes des accoucheuses, et tu saisiras plus facilement ce que je veux t'apprendre. Tu sais, en effet, j'imagine, qu'il n'en est point d'encore capable de concevoir et d'enfanter qui fasse ce métier d'accoucher les autres : seules le font celles qui ne peuvent plus enfanter.
Théétète — Parfaitement.
Socrate — L'auteur de cette loi est, dit-on, Artémis, qui, sans avoir jamais enfanté, reçut en partage le soin de présider aux enfantements. Aux stériles, elle n'a donc point donné puissance de délivreuses, car l'humaine nature a trop de faiblesse pour qu'on lui puisse donner un art là où elle n'a point expérience; mais, à celles que l'âge empêche d'enfanter, elle donna cette charge pour honorer, en elles, son image.


Théétète — C'est vraisemblable.
Socrate — N'est-il pas vraisemblable encore et nécessaire que discerner celles qui ont conçu de celles qui n'ont point conçu soit plutôt le fait des accoucheuses que des autres?
Théétète — Certainement.
Socrate — Les accoucheuses savent encore, n'est-ce pas, par leurs drogues et leurs incantations, éveiller les douleurs ou les apaiser à volonté, conduire à terme les couches difficiles et, s'il leur paraît bon de faire avorter le fruit non encore mûr, provoquer l'avortement?
Théétète — C'est exact.
Socrate — As-tu noté encore ce fait qu'elle sont les plus expertes des entremetteuses , parce qu'elles sont d'une extrême habileté à reconnaître quelle femme à quel homme se doit unir pour mettre au jour les enfants les mieux doués?
Théétète — J'ignorais cela totalement.
Socrate — Or sache bien qu'elles en sont plus fières encore que de savoir couper le cordon. Réfléchis en effet : est-ce ou non au même art qu'il appartient de soigner et recueillir les fruits de la terre et de connaître en quelle terre quel plant et quelle semence on doit jeter?
Théétète — Ce n'est certes qu'au même art.
Socrate — Mais, quand il s'agit de la femme, crois-tu, cher ami, qu'autre est l'art qui prépare l'ensemencement, autre celui qui recueille?
Théétète — Ce n'est pas vraisemblable.
Socrate — Aucunement vraisemblable. Mais parce qu'un commerce sans probité et sans art accouple hommes et femmes en ce qu'on appelle prostitution, une aversion pour l'art d'entremetteuses est venue aux personnes honorables que sont les accoucheuses : elles craignent, en effet, de choir dans le soupçon d'un tel commerce par la pratique de l'art. Et pourtant c'est bien aux véritables accoucheuses et à elles seules qu'il appartiendrait, je crois, de s'entremettre avec succès.
Théétète — Apparemment.
Socrate — Voilà donc jusqu'où va le rôle des accoucheuses; bien supérieure est ma fonction. Il ne se rencontre point, en effet, que les femmes parfois accouchent d'une vaine apparence et, d'autre fois, d'un fruit réel, et qu'on ait quelque peine à faire le discernement. Si cela se rencontrait, le plus gros et le plus beau du travail des accoucheuses serait de faire le départ de ce qui est réel et de ce qui ne l'est point. N'es-tu pas de cet avis?
Théétète — Si.
Socrate — Mon art de maïeutique a mêmes attributions générales que le leur. La différence est qu'il délivre les hommes et non les femmes et que c'est les âmes qu'il surveille en leur travail d'enfantement, non point les corps. Mais le plus grand privilège de l'art que, moi, je pratique est qu'il sait faire l'épreuve et discerner, en toute rigueur, si c'est apparence vaine et mensongère qu'enfante la réflexion du jeune homme, ou si c'est fruit de vie et de vérité. J'ai, en effet, même impuissance que les accoucheuses . Enfanter en sagesse n'est point en mon pouvoir, et le blâme dont plusieurs déjà m'ont fait opprobre, qu'aux autres posant questions je ne donne jamais mon avis personnel sur aucun sujet et que la cause en est dans le néant de ma propre sagesse, est blâme véridique. La vraie cause, la voici : accoucher les autres est contrainte que le dieu m'impose; procréer est puissance dont il m'a écarté. Je ne suis donc moi-même sage à aucun degré et je n'ai, par devers moi, nulle trouvaille qui le soit et que mon âme à moi ait d'elle-même enfantée. Mais ceux qui viennent à mon commerce, à leur premier abord, semblent, quelques-uns même totalement, ne rien savoir. Or tous, à mesure qu'avance leur commerce et pour autant que le dieu leur en accorde faveur, merveilleuse est l'allure dont ils progressent, à leur propre jugement comme à celui des autres. Le fait est pourtant clair qu'ils n'ont jamais rien appris de moi, et qu'eux seuls ont, dans leur propre sein, conçu cette richesse de beaux penseurs qu'ils découvrent et mettent au jour. De leur délivrance, par contre, le dieu et moi sommes les auteurs. Et voici qui le prouve. Plusieurs déjà l'on méconnu, ont cru à leur propre pouvoir et n'ont fait nul cas de moi. Ils se sont donc eux-mêmes persuadés ou laissé persuadé par d'autres de me quitter plus tôt qu'ils ne devaient : ils m'ont quitté et non seulement ont laissé avorter tous autres germes dans leurs méchantes fréquentations, mais encore, à ceux dont je les avais délivrés, n'ont donné que mauvais aliment, dont ceux-ci dépérirent, et, de mensonges et d'apparences vaines faisant plus de cas que du vrai, ils n'ont abouti qu'à prendre, à leurs propres yeux et aux jeux des autres, figure d'ignorants. De leur nombre fut Aristide, fils de Lysimaque, et beaucoup d'autres. Ils reviennent parfois implorer mon commerce et sont prodigues d'extravagances. Avec certains, la sagesse divine qui me visite m'interdit de renouer commerce; avec d'autres, elle me le permet, et ceux-ci recommencent à fructifier. Ce qu'éprouvent ceux qui me viennent fréquenter ressemble encore en cet autre point à ce qu'éprouvent les femmes en mal d'enfantement : ils ressentent les douleurs, ils sont remplis de perplexités qui les tourmentent au long des nuits et des jours beaucoup plus que ces femmes. Or, ces douleurs, mon art a la puissance de les éveiller et de les apaiser. Voilà donc, à leur état, quel traitement j'apporte. Mais il y en a, Théétète, de qui je juge qu'ils ne sont en gestation d'aucun fruit. Je connais alors qu'ils n'ont, de m, aucun besoin; en toute bienveillance je m'entremets pour eux et, grâce à Dieu, je conjecture très exactement de quelle fréquentation ils tireront profit. Il en est plusieurs que j'ai accouplés ainsi à Prodicus, plusieurs à d'autres hommes et sages et divins. Pourquoi, très cher, t'ai-je donné ces longs détails? Parce que je soupçonne, ce dont toi-même as l'aidée, que tu ressens les douleurs d'une gestation intime. Livre-toi donc à moi comme au fils d'une accoucheuse, lui-même accoucheur; efforce-toi de répondre à mes questions le plus exactement que tu pourras; et si, examinant quelqu'une de tes formules, j'estime y trouver apparence vaine et non point de vérité, et qu'alors je l'arrache et la rejette au loin, ne va pas entrer en cette fureur sauvage qui prend les jeunes accouchées menacées en leur premier enfant. C'est le cas de plusieurs déjà, ô merveilleux jeune homme, qui, envers moi, en sont venus à ce point de défiance qu'ils sont réellement prêts à mordre dès la première niaiserie que je leur enlève. Ils ne s'imaginent point que c'est par bienveillance que je le fais; ils sont trop loin de savoir qu'aucun dieu ne veut du mal aux hommes et que, moi de même, ce n'est point par malveillance que je les traite de la sorte, mais que donner assentiment au mensonge et masquer la clarté du vrai m'est interdit par toutes lois divines. Reprends donc la question à son début, Théétète : Essaie de dire en quoi consiste la science; et garde-toi bien d'alléguer que tu n'en es point capable, car, si Dieu le veut et te donne force d'homme, tu le seras, capable.
PLATON, Théétète, 148e-150e,
Traduction E. Chambry, GF, Paris.


L’héritage platonicien, on le voit, est immense et les vastes et profondes questions soulevées par le philosophe ne cesseront d’être reprises. Prenons un peu de recul afin de rappeler ces questions et les réponses que leur apporte Platon.

Le rationalisme platonicien est d’abord l’affirmation de la possibilité d’atteindre la connaissance et cet optimisme épistémologique se double de l’attribution d’une grande valeur à la connaissance ainsi que de la conviction qu’elle a une vertu moralisatrice et qu’elle est politiquement indispensable. La connaissance est encore ici pensée comme étant contemplative (et theôria, en grec, signifie justement contempler) et non pratique ou de l’ordre de la technique, de l’habileté ou du savoir-faire. Elle porte sur un ordre de réalité qui est un, immuable et éternel et non sur le monde sensible, qui est changeant et multiple. On y accède par une ascèse, un retour sur soi qui permet de se ressouvenir des Idées qui peuplent ce monde. Cette contemplation est ce que signifie apprendre et la transformation qu’elle opère en nous s’appelle l’éducation.

Chacun de ces thèses sera débattue, défendue ici et contestée.

Sur les plan épistémologique et métaphysique, le propre élève de Platon, Aristote, refusera le réalisme des idées et l’idéalisme de son maître et défendra un conceptualisme et un empirisme qui ne cesseront plus d’être en dialogue critique avec le réalisme des Idées, le rationalisme et l’innéisme. Platon lui-même formulera à l’endroit de sa théorie épistémologique de sévères critiques, la principale étant probablement cette dite du «troisième homme» (voir encadré).

La philosophie de l’esprit, elle aussi, ne cessera plus de questionner le dualisme platonicien.
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Le troisième homme

Dans un dialogue appartenant à la dernière partie de son parcours intellectuel, le Parménide, Platon formule un grave critique à l’endroit de la théorie des Idées. Un des arguments invoquées en sa faveur était que la multiplicité des êtres possédant une caractéristique (par exemple, la Beauté) l’avaient en commun, mais de manière changeante, imparfaite et contingente et sans qu’aucun d’eux ne soit cette caractéristique elle-même, parfaite, immuable, éternelle. Les choses que l’ont dit belles ont ainsi en commun d’être belles mais sans être la beauté elle-même. Platon postule donc l’Idée de Beauté, qui est ce qu’on imparfaitement en commun les choses belles. Mais l’Idée de Beauté est présumée posséder elle aussi la propriété d’être belle. Si la reconnaissance de l’unité d’une caractéristique (la beauté possédée en commun par, x, y, …n) a pu justifier de postuler l’Idée de Beauté, le fait que celle-ci ait cette propriété en commun avec tous les premiers ne contraint-il pas à un postuler une nouvelle Idée (c’est là le troisième homme); et, une fois celle-ci posée, une autre nouvelle Idée, pour expliquer ce qu’ont en commun cette nouvelle Idée et la classes des objets quelles unifiait? Nous voici, semble-t-il, dans un terrible cercle vicieux.
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Sur le plan de l’éducation, enfin, chacune des positions de Palton que nous avons examinées ici sera chaudement débattue. On contestera la place qu’il accorde aux savoirs et notamment aux savoirs propositionnels, allant parfois jusqu’à nier sinon toujours la possibilité même de la connaissance, du moins la valeur et la portée que les rationalistes comme Platon tendent à lui accorder; on contestera qu’il soit plausible de leur attribuer les vertus, notamment morales et politiques qu’il leur reconnaît, on refusera l’hyper-intellectualisme de sa vision de l’apprentissage, depuis son contenu jusqu’à ce qui est présumé motiver ceux qui apprennent; on jugera sévèrement le peu de place faite par Platon aux savoir-faire et à l’expérience dans la genèse et la justification de la connaissances; on récusera son élitisme.

Nous pourrons déjà le constater dans la prochaine section, consacrée à l’examen des positions épistémologiques modernes et de leurs retombées pour l’éducation.

8 commentaires:

michel fafard a dit…

J'espère que personne n'a posé la question: "À quoi ça va servir dans notre pratique?" ou quelque chose du genre. Si c'est le cas, j'aimerais savoir quelle est votre réponse.

Normand Baillargeon a dit…

La question n'a pas été posée.Ils sont plus sérieux que ça.

Normand B.

Michel Fafard a dit…

@Normand B. Je crois que si vous aviez été professeur à Sherbrooke, la question aurait été posée.

Jean-Joël Kauffmann a dit…

Bonjour,

Le dialogue cité ici entre Socrate et l'esclave me fait penser à une séance de psychanalyse. La ressemblance entre les deux, c'est que Socrate n'est pas de bonne foi et réussit à "conditionner" l'esclave de telle manière qu'il réussit à lui faire dire ce qu'il voulait lui faire dire depuis le début. (Entre parenthèses, il n'est pas indifférent que dans ce cas précis Socrate s'adresse à un esclave. Passons.) Exactement comme le psychanalyste qui sait d'avance ce qu'il va trouver chez son "patient", que ce soit le complexe d'Oedipe (Freud), le traumatisme de la naissance (Rank), la volonté de puissance (Adler), des calembours (Lacan), et qui réussit à le conditionner subtilement, parfois sans même dire un mot de toute une séance, pour l'amener au point désiré.

La démarche de Socrate, en tout cas telle que décrite par Platon, m'apparaît éminemment non scientifique, en cela que Socrate semble savoir d'avance ce qu'il cherche, et qu'il fait trouver comme par magie à ses interlocuteurs ébaubis.

Je crois d'ailleurs que Freud s'est grandement inspiré de la "maïeutique" pour sa méthode psychanalytique, comme le signale Jacques Bénesteau dans son livre "Mensonges freudiens".

Je crois aussi, comme l'a très justement signalé quelqu'un sur ce blog il y a peu de temps, qu'on peut faire un rapprochement entre associations libres et "cold reading". Platon n'est-il pas, dans ce dialogue, en train de faire du "cold reading" à l'esclave ?

Plus généralement, Platon n'est-il pas surévalué comme philosophe ? Ses sympathies pour l'état totalitaire de Sparte, et sa haine de la démocratie athénienne (même si celle-ci était extrêmement imparfaite) sont souvent passées sous silence. Personnellement, je trouve plus de substance chez Epictète et Marc-Aurèle.

http://www.mens-sana.be/livres/benest.htm

http://www.biblisem.net/historia/benesmen.htm

http://www.evopsy.com/article110.html

http://www.mens-sana.be/livres/jvrillaer.htm

http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article373

http://vdrp.chez-alice.fr/V_Rillaer.html

http://video.google.com/videoplay?docid=4137409453532626656&ei=sSoQSqKqLIvr-AbQvqWuAg&q=Rillaer

http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?rubrique29

http://www.philalithia.net/sparte.html

Jean-Joël Kauffmann a dit…

Bonjour,

Petit rectifcatif :

Au lieu de "Platon n'est-il pas, dans ce dialogue, en train de faire du "cold reading" à l'esclave ?", il fallait évidemment lire "Socrate n'est-il pas, dans ce dialogue, en train de faire du "cold reading" à l'esclave ?"

Mille excuses.

Sylvain Bruneau a dit…

Montaigne a écrit un chapitre dans ses essais intitulé "Sur l'éducation des enfants" Il en sera question jeudi prochain le 28 mai à l'émission "Les nouveaux chemins de la connaissance" sur France Culture. Avis aux intéressés!

Deux citations pour terminé:

"Si, comme nous le faisons habituellement, on entreprend de diriger plusieurs esprits de formes et de capacités si différentes en une même leçon et par la même méthode, il n'est pas étonnant que sur un groupe d'enfants, il s'en trouve à peine deux ou trois qui tirent quelque profit de l'enseignement qu'ils ont reçu."

"C'est étrange que les choses en soient venues à ce point à notre époque, et que la philosophie ne soit, même pour les gens intelligents, qu'un mot creux et chimérique, qui ne soit d'aucune utilité et n'ait aucune valeur, ni dans l'opinion générale, ni dans la réalité. Je crois que la cause en est que ses grandes avenues ont été occupées par des discussions oiseuses. On a grand tort de la décrire comme quelque chose d'inacessible aux enfants, et de la lui faire un visage renfrogné, soucilleux et terrible..."

Montaigne "Sur l'éducation des enfants"(traduit en français moderne par Guy de Pernon)

Toujours pertinent 400 ans plus tards...

Anonyme a dit…

ehh... amazing thread )

Normand Baillargeon a dit…

@ Anonyme: gee.. thanks.

Normand