Mon cher Randi, toujours aussi intéressant.
jeudi, avril 30, 2009
mercredi, avril 29, 2009
DE QUOI SONT MORTS CERTAINS GRANDS PHILOSOPHES
[Possible encadré pour le livre: Je pense donc je ris. l'humour et la philosophie. Il faut avoir fait de la philo, je pense, pour apprécier ces blagues; mais si on en a fait, elles sont plutôt bonnes.]
Selon Stiv Fleishman, voici les causes des décès de quelques éminents philosophes:
Thalès: Noyé
Parménide: Ce n’était rien du tout
Ockham: S’est coupé en se rasant
Russell: Coupé alors qu’il se faisait raser par quelqu’un qui ne se rasait pas lui-même
Descartes: A cessé de penser
Spinoza: Abus de certaines substances
Leibniz: Monadonucléose
Darwin: De causes naturelles
Hume: De causes nonnaturelles
Kant: De causes transcendentales (mais c’était son idée)
Meinong: Accident d’escalade
Neurath: Accident de navigation
G.E. Moore: De sa propre main, c’est évident
Sartre: Nausée
Pascal: Abattement après avoir perdu un pari
Wittgenstein: Est tombé d’une échelle
Hegel: Collision avec une chouette, à l’aube
Source : "From the Editor," Ethics, Volume 104, No 2, Janvier 1994. Page 225.
Selon Stiv Fleishman, voici les causes des décès de quelques éminents philosophes:
Thalès: Noyé
Parménide: Ce n’était rien du tout
Ockham: S’est coupé en se rasant
Russell: Coupé alors qu’il se faisait raser par quelqu’un qui ne se rasait pas lui-même
Descartes: A cessé de penser
Spinoza: Abus de certaines substances
Leibniz: Monadonucléose
Darwin: De causes naturelles
Hume: De causes nonnaturelles
Kant: De causes transcendentales (mais c’était son idée)
Meinong: Accident d’escalade
Neurath: Accident de navigation
G.E. Moore: De sa propre main, c’est évident
Sartre: Nausée
Pascal: Abattement après avoir perdu un pari
Wittgenstein: Est tombé d’une échelle
Hegel: Collision avec une chouette, à l’aube
Source : "From the Editor," Ethics, Volume 104, No 2, Janvier 1994. Page 225.
LA VRAIE DURETÉ DU MENTAL DANS LE NATIONAL POST
Deux très bons textes sur La Vraie dureté du Mental (1, 2 ) signés Graeme Hamilton paraissent dans le National Post de ce matin.
Graeme retient notamment le texte de Chantal Santerre sur un hockey kantien, un hockey dans lequel, par exemple, les joueurs se rendent d'eux-mêmes au banc des punitions: l'image et l'idée m'ont toujours fait sourire; les kantiens, comme Santerre, trouvent que ça va de soi.
Graeme retient notamment le texte de Chantal Santerre sur un hockey kantien, un hockey dans lequel, par exemple, les joueurs se rendent d'eux-mêmes au banc des punitions: l'image et l'idée m'ont toujours fait sourire; les kantiens, comme Santerre, trouvent que ça va de soi.
mardi, avril 28, 2009
PRÉFACE POUR MARCEL SÉVIGNY ET LA POINTE LIBERTAIRE
Marcel Sévigny, de la Pointe Libertaire, publiera sous peu un livre passionnant chez Écosociété. Il m'a fait le bonheur de me demander une préface. Voici, pas encore revue par un correcteur ou une correctrice, le texte que j'ai remis.
***
Sur ma table de travail, j’ai posé un globe terrestre. Je le regarde souvent, parfois longuement.
Cette boule dans l’espace, c’est là où j’habite. Je l’aime infiniment. Et c’est donc le plus souvent avec tristesse que je pense à elle. Car tout le monde le sait désormais : la Terre, polluée, surchauffée, est bien malade, malade au point où on peut se demander si la terrible prophétie de mon cher Prévert ne va pas, hélas, se réaliser : à force de se faire traiter de la sorte, un jour ou l’autre, la Terre va nous éclater de rire au nez.
D’un mouvement du doigt, je fais tourner mon globe terrestre. Les pays défilent. Ici, il y a une famine. Là, là et là, une guerre. Ici, c’est la paix, mais la paix, bien souvent, n’est rien d’autre que l’absence provisoire de guerre — ou alors le fait que la guerre qu’on mène se déroule ailleurs. D’innombrables tragédies me viennent tour à tour à l’esprit tandis que défilent les continents et les pays : guerre civile, famine, analphabétisme, racisme pauvreté, chômage, intolérables taux de mortalité infantile, et tant d’autres.
Pour un peu, tous ces drames, la plupart causés par des décisions humaines, feraient oublier tout à fait les immenses beautés qu’il y a sur la Terre. Pour un peu. Car elles n’y arrivent jamais tout à fait. D’autant qu’il y a aussi, sur Terre, tous ces gens qui luttent pour que ces tragédies cessent, qu’elles cessent avant qu’il ne soit trop tard.
Mon globe terrestre vient de s’arrêter. Ici, juste devant moi, c’est le Québec. Et ici il y a eu La Petit Gaule; c’était où il y a, encore et toujours, La Pointe Libertaire. Ceux et celles qui habitent, travaillent et militent à cet endroit me redonnent le sourire et ravivent mon courage. Tous ces gens sont de ma famille. Parmi eux, Marcel Sévigny, que vous allez lire et qui m’a fait l’honneur, car c’en est un, de me permettre de m’adresser à vous.
Ce qu’il raconte ici, ce sont certains des combats et des espoirs qui animent ce quartier, et tout particulièrement deux d’entre eux : celui pour l’implantation du café La Petite Gaule et celui contre l’implantation d’un casino.
Ces deux combats, complémentaires, ont valeur de symbole et, l’un comme l’autre, ils sont des manifestations de ce qui anime les militantes et militantes dont nous parle Sévigny et qui est cette volonté de lutter contre tout ce qui contribue à détruire, ou simplement à limiter, la tendance des gens à prendre eux-mêmes leurs affaires en mains, cette volonté de se battre contre toutes ces institutions qui cherchent à dominer, à subordonner et à tuer ce que Bakounine appelait notre “instinct de liberté” et qui encouragent donc en nous la docilité, la passivité et la soumission.
Ces aspirations, qui irriguent chacune des pages qui suivent, je les connais bien : elles sont le cœur vibrant de l’anarchisme. Les pratiques qui en découlent, celles dont nous parle Sévigny, sont autant d’efforts pour, dès aujourd’hui, commencer à construire les prémices de la société plus libre et plus égalitaire de demain. Et si l’on pense, ce qui est mon cas, que les institutions dans lesquelles nous vivons nous conduisent irrémédiablement à la catastrophe, le propos de Sévigny devient de la plus haute importance et on ne peut manquer de lui accorder l’attention la plus grande. On sera alors largement payé en retour, tant ce livre est riche d’enseignements de toutes sortes.
Pour commencer, le témoignage de Sévigny est fort précieux parce que, loin de ces contempteurs de toute révolte et de toute aspiration à un monde meilleur — ceux-là même auxquels on donne le plus souvent la parole —, il dit, à travers son singulier parcours personnel et ses combats, ce qu’a signifié et ce que signifie encore, au Québec, le fait de s’engager au milieu des gens, avec eux et pour eux. En ces pages, riches et belles, où rien ne nous est caché des espoirs, des doutes, de reculs et des avancées, des certitudes et des remises en question qui sont le lot de toutes les militantes et de tous les militants, c’est un éclairage très juste et nuancé sur l’engagement qui nous est proposé.
Sévigny nous invite aussi à réfléchir avec lui à des questions graves et urgentes qu’affrontent toutes celles et tous ceux qui travaillent à faire advenir un monde meilleur.
Comment, par exemple, unifier sur la base de ce qui les rassemble, mais sans pour autant qu’ils n’aient le sentiment de perdre ce qui les distingue, et sans sectarisme, des gens et des mouvements ayant des valeurs et des aspirations qui leur sont propres — par exemple, des écologistes, des féministes, des socialistes, des membres des mouvements communautaires, des nationalistes et … des anarchistes?
Comment, aussi, rejoindre ces gens qui ignorent les menaces que nous combattons, les luttes que nous menons, les espoirs que nous entretenons et leur faire partager nos inquiétudes, nos indignations, nos espoirs et nos raisons de nous battre?
Comment, enfin, créer des mouvements de lutte qui soient accueillants et où, une fois qu’ils y sont venus, les gens aient envie de rester et de s’engager longuement, non seulement parce qu’ils croient qu’on peut gagner nos combats, mais aussi parce que l’expérience de lutter leur est agréable et est humainement enrichissante.
Sur chacun de ces trois problèmes, qu’à la suite de Michael Albert j’aime appeler ceux du parapluie, du mégaphone et du pot de colle (le parapluie sous lequel on peut se regrouper, le mégaphone par lequel on peut s’adresser aux autres, le pot de colle pour la rétention), l’histoire des luttes que retrace Sévigny, et auxquelles de nombreuses personnes ont pris part, apporte un riche et précieux éclairage, qui est celui de la pratique et de l’engagement quotidien.
Mais il me faut encore dire un mot sur un autre des grands mérites de ce livre, qui est de contribuer à cette indispensable entreprise de démystification de l’anarchisme.
C’est que dans les milieux bien-pensants, là où on n’a en général et au mieux qu’une bien vague idée de ce que signifie l’anarchisme, de ses aspirations, de son histoire et de tout ce que lui doit la liberté, il est de bon ton d’accuser de tous les maux les anarchistes, en le décrivant comme des partisans du chaos, du désordre et de la violence.
Mais lisez attentivement les pages qui suivent, lisez les sans préjugés, lisez les en gardant l’esprit ouvert. Vous pourriez avoir la surprise, au terme de votre lecture, de penser que l’anarchisme, au contraire, est une des seules alternatives viables à la catastrophe vers laquelle nous filons toutes voiles dehors et qui est bien, elle, le véritable chaos qu’il nous faut redouter !
Vous en viendrez alors peut-être à penser que l’autogestion et la démocratie participative, après tout, ne sont pas des pratiques utopistes, qu’elles ne sont pas si éloignées de ce qui se pratique déjà ou s’est déjà pratiqué en bien des lieux et qu’entre la théorie et la pratique il n’y a pas, tout compte fait, de fossé si grand qu’on ne puisse le franchir, dès lors que nous sommes assez nombreux à le vouloir.
Si tout cela se produit, et si ce n’est déjà fait, commencez à militer. . Avec des anarchistes, pourquoi pas? Quoiqu’il ne soit, d’innombrables causes, personnes et mouvements ont besoin de vous.
N’oubliez pas aussi de vous procurer un globe terrestre et d’y marquer La Pointe Libertaire.
Il sera très utile, dans vos moments de découragement …
Normand Baillargeon
Saint-Antoine-sur-Richelieu
7 avril 2009
***
Sur ma table de travail, j’ai posé un globe terrestre. Je le regarde souvent, parfois longuement.
Cette boule dans l’espace, c’est là où j’habite. Je l’aime infiniment. Et c’est donc le plus souvent avec tristesse que je pense à elle. Car tout le monde le sait désormais : la Terre, polluée, surchauffée, est bien malade, malade au point où on peut se demander si la terrible prophétie de mon cher Prévert ne va pas, hélas, se réaliser : à force de se faire traiter de la sorte, un jour ou l’autre, la Terre va nous éclater de rire au nez.
D’un mouvement du doigt, je fais tourner mon globe terrestre. Les pays défilent. Ici, il y a une famine. Là, là et là, une guerre. Ici, c’est la paix, mais la paix, bien souvent, n’est rien d’autre que l’absence provisoire de guerre — ou alors le fait que la guerre qu’on mène se déroule ailleurs. D’innombrables tragédies me viennent tour à tour à l’esprit tandis que défilent les continents et les pays : guerre civile, famine, analphabétisme, racisme pauvreté, chômage, intolérables taux de mortalité infantile, et tant d’autres.
Pour un peu, tous ces drames, la plupart causés par des décisions humaines, feraient oublier tout à fait les immenses beautés qu’il y a sur la Terre. Pour un peu. Car elles n’y arrivent jamais tout à fait. D’autant qu’il y a aussi, sur Terre, tous ces gens qui luttent pour que ces tragédies cessent, qu’elles cessent avant qu’il ne soit trop tard.
Mon globe terrestre vient de s’arrêter. Ici, juste devant moi, c’est le Québec. Et ici il y a eu La Petit Gaule; c’était où il y a, encore et toujours, La Pointe Libertaire. Ceux et celles qui habitent, travaillent et militent à cet endroit me redonnent le sourire et ravivent mon courage. Tous ces gens sont de ma famille. Parmi eux, Marcel Sévigny, que vous allez lire et qui m’a fait l’honneur, car c’en est un, de me permettre de m’adresser à vous.
Ce qu’il raconte ici, ce sont certains des combats et des espoirs qui animent ce quartier, et tout particulièrement deux d’entre eux : celui pour l’implantation du café La Petite Gaule et celui contre l’implantation d’un casino.
Ces deux combats, complémentaires, ont valeur de symbole et, l’un comme l’autre, ils sont des manifestations de ce qui anime les militantes et militantes dont nous parle Sévigny et qui est cette volonté de lutter contre tout ce qui contribue à détruire, ou simplement à limiter, la tendance des gens à prendre eux-mêmes leurs affaires en mains, cette volonté de se battre contre toutes ces institutions qui cherchent à dominer, à subordonner et à tuer ce que Bakounine appelait notre “instinct de liberté” et qui encouragent donc en nous la docilité, la passivité et la soumission.
Ces aspirations, qui irriguent chacune des pages qui suivent, je les connais bien : elles sont le cœur vibrant de l’anarchisme. Les pratiques qui en découlent, celles dont nous parle Sévigny, sont autant d’efforts pour, dès aujourd’hui, commencer à construire les prémices de la société plus libre et plus égalitaire de demain. Et si l’on pense, ce qui est mon cas, que les institutions dans lesquelles nous vivons nous conduisent irrémédiablement à la catastrophe, le propos de Sévigny devient de la plus haute importance et on ne peut manquer de lui accorder l’attention la plus grande. On sera alors largement payé en retour, tant ce livre est riche d’enseignements de toutes sortes.
Pour commencer, le témoignage de Sévigny est fort précieux parce que, loin de ces contempteurs de toute révolte et de toute aspiration à un monde meilleur — ceux-là même auxquels on donne le plus souvent la parole —, il dit, à travers son singulier parcours personnel et ses combats, ce qu’a signifié et ce que signifie encore, au Québec, le fait de s’engager au milieu des gens, avec eux et pour eux. En ces pages, riches et belles, où rien ne nous est caché des espoirs, des doutes, de reculs et des avancées, des certitudes et des remises en question qui sont le lot de toutes les militantes et de tous les militants, c’est un éclairage très juste et nuancé sur l’engagement qui nous est proposé.
Sévigny nous invite aussi à réfléchir avec lui à des questions graves et urgentes qu’affrontent toutes celles et tous ceux qui travaillent à faire advenir un monde meilleur.
Comment, par exemple, unifier sur la base de ce qui les rassemble, mais sans pour autant qu’ils n’aient le sentiment de perdre ce qui les distingue, et sans sectarisme, des gens et des mouvements ayant des valeurs et des aspirations qui leur sont propres — par exemple, des écologistes, des féministes, des socialistes, des membres des mouvements communautaires, des nationalistes et … des anarchistes?
Comment, aussi, rejoindre ces gens qui ignorent les menaces que nous combattons, les luttes que nous menons, les espoirs que nous entretenons et leur faire partager nos inquiétudes, nos indignations, nos espoirs et nos raisons de nous battre?
Comment, enfin, créer des mouvements de lutte qui soient accueillants et où, une fois qu’ils y sont venus, les gens aient envie de rester et de s’engager longuement, non seulement parce qu’ils croient qu’on peut gagner nos combats, mais aussi parce que l’expérience de lutter leur est agréable et est humainement enrichissante.
Sur chacun de ces trois problèmes, qu’à la suite de Michael Albert j’aime appeler ceux du parapluie, du mégaphone et du pot de colle (le parapluie sous lequel on peut se regrouper, le mégaphone par lequel on peut s’adresser aux autres, le pot de colle pour la rétention), l’histoire des luttes que retrace Sévigny, et auxquelles de nombreuses personnes ont pris part, apporte un riche et précieux éclairage, qui est celui de la pratique et de l’engagement quotidien.
Mais il me faut encore dire un mot sur un autre des grands mérites de ce livre, qui est de contribuer à cette indispensable entreprise de démystification de l’anarchisme.
C’est que dans les milieux bien-pensants, là où on n’a en général et au mieux qu’une bien vague idée de ce que signifie l’anarchisme, de ses aspirations, de son histoire et de tout ce que lui doit la liberté, il est de bon ton d’accuser de tous les maux les anarchistes, en le décrivant comme des partisans du chaos, du désordre et de la violence.
Mais lisez attentivement les pages qui suivent, lisez les sans préjugés, lisez les en gardant l’esprit ouvert. Vous pourriez avoir la surprise, au terme de votre lecture, de penser que l’anarchisme, au contraire, est une des seules alternatives viables à la catastrophe vers laquelle nous filons toutes voiles dehors et qui est bien, elle, le véritable chaos qu’il nous faut redouter !
Vous en viendrez alors peut-être à penser que l’autogestion et la démocratie participative, après tout, ne sont pas des pratiques utopistes, qu’elles ne sont pas si éloignées de ce qui se pratique déjà ou s’est déjà pratiqué en bien des lieux et qu’entre la théorie et la pratique il n’y a pas, tout compte fait, de fossé si grand qu’on ne puisse le franchir, dès lors que nous sommes assez nombreux à le vouloir.
Si tout cela se produit, et si ce n’est déjà fait, commencez à militer. . Avec des anarchistes, pourquoi pas? Quoiqu’il ne soit, d’innombrables causes, personnes et mouvements ont besoin de vous.
N’oubliez pas aussi de vous procurer un globe terrestre et d’y marquer La Pointe Libertaire.
Il sera très utile, dans vos moments de découragement …
Normand Baillargeon
Saint-Antoine-sur-Richelieu
7 avril 2009
Libellés :
Écosociété,
La pointe libertaire,
Marcel Sévigny,
Normand Baillargeon,
préface
LA VRAIE DURETÉ DU MENTAL
Quelques textes sont parus (1, 2, 3, 4,) sur le premier titre de la collection Quand la philo fait Pop! dirigée par Christian Boissinot et moi-même aux Presses de l'Université Laval.
À Radio-Canada, une émission a fait Écho au livre.
On peut voir et entendre Christian parler de la collection juste ici.
À Radio-Canada, une émission a fait Écho au livre.
On peut voir et entendre Christian parler de la collection juste ici.
mardi, avril 21, 2009
CUBA RESTE DANS LA MIRE DES ÉTATS-UNIS
[Billet pour le prochain numéro d'Alternatives]
C’était écrit : le 5e Sommet des Amériques, tenu à Trinité-et-Tobago, n’a pas permis aux 34 pays présents d’atteindre sur la question cubaine un consensus qui aurait permis de lever l’embargo imposé à Cuba depuis … 47 ans!
Les Etats-Unis, seuls de leur camp, persistent donc, contre le reste du monde, à affamer, à faire souffrir, à rendre malades et à priver de médicaments et d’appareils médicaux adéquats tous les Cubains. Plusieurs pays d’Amérique Latine, le Venezuela en tête, ont donc, pour cette raison, refusé de signer la déclaration finale du sommet.
Depuis un demi-siècle, les Etats-Unis maintiennent sur Cuba une politique où se mêlent à cet embargo d’innombrables actes terroristes, des complots pour assassiner Castro et de multiples tentatives de coups d’État. Cette politique reste inflexible et elle n’a cessé d’être appliquée avec une rigueur et un fanatisme réellement inouïs.
Tout cela, y compris l’embargo lui-même, a pourtant été condamné à maintes reprises par toutes les instances pouvant se prononcer et a été déclaré illégal par de nombreuses autres, conformément au droit international, qui interdit notamment d’utiliser la privation de nourriture comme moyen de pression politique ou économique. La population américaine, comme le reste de la population mondiale, désapprouve en bloc cette politique.
Mais rien n’y fait. L’administration Kennedy, qui a initié toutes ces choses, tenait à ce que le reste du monde pense que les Etats-Unis, quand il est question de Cuba, «deviennent légèrement cinglés». C’est le cas depuis lors; ce l’est encore aujourd’hui.
Car il faut en effet être cinglé — et beaucoup plus que légèrement — pour voir dans Cuba une menace pour les États-Unis. Un ambassadeur mexicain à qui le Gouvernement américain demandait de dire que Cuba présentait un danger pour son pays, avait expliqué qu’il ne pouvait le faire : s’il affirmait une telle chose, expliquait-t-il, il serait responsable du décès de 40 millions de mexicains, qui mourraient aussitôt de rire.
Reste une question : pourquoi, envers et contre tous, le gouvernement américain a-t-il fait de Cuba une question à ce point personnelle et maintient-il cet anachronique vestige de la Guerre Froide?
La réponse me semble assez simple: Cuba était le terrain de jeu des États-Unis et ils ne peuvent tolérer le mauvais exemple de quelqu’un qui ose s’émanciper. Au total, même si Obama, en campagne, avait promis de grands changements, ceux-ci, on le voit à présent, seront finalement bien modestes — les autorisations de voyages et les transferts d’argent seront notamment plus libéralement accordés.
Il faut déplorer cette impasse de toutes nos forces. C’est qu’en ce moment historique où Cuba, très fragilisée par la crise économique, par la montée des inégalités, de la pauvreté, du marché noir et de l’économie informelle doit imaginer une voie politique et économique qui lui permettrait de sortir de l’autoritarisme, de la planification centrale, de la bureaucratie et de l’organisation hiérarchique du travail, mais sans entrer dans l’économie de marché, en un tel moment, l’absence de levée de l’embargo est une véritable catastrophe.
C’est une catastrophe pour le peuple cubain, d’abord, qui réclame des changements.
C’en est une aussi pour ces valeurs de droits de l’homme et de liberté d’expression dont se drapent rhétoriquement les Etats-Unis pour justifier leur délirante et mortifère politique : car ces valeurs elles-mêmes exigeraient des Etats-Unis non seulement qu’ils lèvent l’embargo, mais aussi qu’ils ferment la base militaire de Guantanamo illégalement occupée et qu’ils compensent Cuba pour tous les dommages subis depuis un demi-siècle.
Finalement, le maintien de l’embargo est une catastrophe pour l’espoir d’un socialisme plus authentique, celui dont les parrains ne peuvent en aucun cas tolérer l’existence —ceci expliquant cela.
L’audace d’espérer obamienne, semble-t-il, ce n’est pas pour les Cubains et leur l’Île pour l’avenir prévisible, reste donc dans la mire de la mafia et de son nouveau parrain.
C’était écrit : le 5e Sommet des Amériques, tenu à Trinité-et-Tobago, n’a pas permis aux 34 pays présents d’atteindre sur la question cubaine un consensus qui aurait permis de lever l’embargo imposé à Cuba depuis … 47 ans!
Les Etats-Unis, seuls de leur camp, persistent donc, contre le reste du monde, à affamer, à faire souffrir, à rendre malades et à priver de médicaments et d’appareils médicaux adéquats tous les Cubains. Plusieurs pays d’Amérique Latine, le Venezuela en tête, ont donc, pour cette raison, refusé de signer la déclaration finale du sommet.
Depuis un demi-siècle, les Etats-Unis maintiennent sur Cuba une politique où se mêlent à cet embargo d’innombrables actes terroristes, des complots pour assassiner Castro et de multiples tentatives de coups d’État. Cette politique reste inflexible et elle n’a cessé d’être appliquée avec une rigueur et un fanatisme réellement inouïs.
Tout cela, y compris l’embargo lui-même, a pourtant été condamné à maintes reprises par toutes les instances pouvant se prononcer et a été déclaré illégal par de nombreuses autres, conformément au droit international, qui interdit notamment d’utiliser la privation de nourriture comme moyen de pression politique ou économique. La population américaine, comme le reste de la population mondiale, désapprouve en bloc cette politique.
Mais rien n’y fait. L’administration Kennedy, qui a initié toutes ces choses, tenait à ce que le reste du monde pense que les Etats-Unis, quand il est question de Cuba, «deviennent légèrement cinglés». C’est le cas depuis lors; ce l’est encore aujourd’hui.
Car il faut en effet être cinglé — et beaucoup plus que légèrement — pour voir dans Cuba une menace pour les États-Unis. Un ambassadeur mexicain à qui le Gouvernement américain demandait de dire que Cuba présentait un danger pour son pays, avait expliqué qu’il ne pouvait le faire : s’il affirmait une telle chose, expliquait-t-il, il serait responsable du décès de 40 millions de mexicains, qui mourraient aussitôt de rire.
Reste une question : pourquoi, envers et contre tous, le gouvernement américain a-t-il fait de Cuba une question à ce point personnelle et maintient-il cet anachronique vestige de la Guerre Froide?
La réponse me semble assez simple: Cuba était le terrain de jeu des États-Unis et ils ne peuvent tolérer le mauvais exemple de quelqu’un qui ose s’émanciper. Au total, même si Obama, en campagne, avait promis de grands changements, ceux-ci, on le voit à présent, seront finalement bien modestes — les autorisations de voyages et les transferts d’argent seront notamment plus libéralement accordés.
Il faut déplorer cette impasse de toutes nos forces. C’est qu’en ce moment historique où Cuba, très fragilisée par la crise économique, par la montée des inégalités, de la pauvreté, du marché noir et de l’économie informelle doit imaginer une voie politique et économique qui lui permettrait de sortir de l’autoritarisme, de la planification centrale, de la bureaucratie et de l’organisation hiérarchique du travail, mais sans entrer dans l’économie de marché, en un tel moment, l’absence de levée de l’embargo est une véritable catastrophe.
C’est une catastrophe pour le peuple cubain, d’abord, qui réclame des changements.
C’en est une aussi pour ces valeurs de droits de l’homme et de liberté d’expression dont se drapent rhétoriquement les Etats-Unis pour justifier leur délirante et mortifère politique : car ces valeurs elles-mêmes exigeraient des Etats-Unis non seulement qu’ils lèvent l’embargo, mais aussi qu’ils ferment la base militaire de Guantanamo illégalement occupée et qu’ils compensent Cuba pour tous les dommages subis depuis un demi-siècle.
Finalement, le maintien de l’embargo est une catastrophe pour l’espoir d’un socialisme plus authentique, celui dont les parrains ne peuvent en aucun cas tolérer l’existence —ceci expliquant cela.
L’audace d’espérer obamienne, semble-t-il, ce n’est pas pour les Cubains et leur l’Île pour l’avenir prévisible, reste donc dans la mire de la mafia et de son nouveau parrain.
Libellés :
Alternatives,
Cuba,
Normand Baillargeon
jeudi, avril 09, 2009
JEUX MATHÉMATIQUES
[Pour le prochain numéro d'À Bâbord]
Voici quatre petits problèmes ne faisant appel à aucune connaissance mathématique avancée, mais qui vous réservent des moments de plaisir.
1. Les dates sur les deux cubes
En 1957, John Singleton a fait breveter une sorte de calendrier bien particulier. Il est composé de deux cubes sur les faces desquels sont inscrits des chiffres. Avec ces deux cubes, qu’on peut placer dans l’ordre qu’on veut, il est possible d’indiquer la date de n’importe quel jour, de 01 à 31.
La question est évidemment : quels chiffres sont inscrits sur les faces des deux cubes?
En réfléchissant à ce problème, vous arriverez à la conclusion que certains chiffres doivent obligatoirement figurer sur les deux cubes (lesquels?); puis, par déduction, vous penserez que le problème est impossible Or, il existe une manière, simple, inattendue, de le résoudre néanmoins. C’est ce qui a valu à Singleton un brevet.
2. Total? 100
Henry Ernest Dudeney (1857-1930) a été le plus grand inventeur britannique de casse-tête numériques et logiques de son époque. On lui doit l’énigme qui suit.
Considérez la suite de chiffres suivante:
1 2 3 4 5 6 7 8 9
On vous demande de placer trois et seulement trois symboles mathématiques usuels entre ces chiffres de manière à ce que le résultat donne 100.
On pourra utiliser plus d’une fois le même symbole, mais il ne faudra utiliser que trois symboles au total.
Pour que ce soit clair, voici un exemple :
12 + 34 + 56 – 789 = - 687
On est bien loin du compte; mais on n’a utilisé que trois symboles (=, = et -).
À vous de jouer!
3. Total? 24
Comment pouvez-vous arriver à 24 en utilisant une fois et une seul les chiffres 5, 5, 5, et 1 et en n’utilisant que le quatre opérations?
En travaillant ce problème, prenez soin de ne pas vous imposer des contraintes qui ne s'y trouvent pas .
4. Combien d’œufs?
Si huit cents poules pondent en moyenne huit cents œufs en huit jours, combien d’oeufs pondent quatre cents poules en quatre jours?
Voici quatre petits problèmes ne faisant appel à aucune connaissance mathématique avancée, mais qui vous réservent des moments de plaisir.
1. Les dates sur les deux cubes
En 1957, John Singleton a fait breveter une sorte de calendrier bien particulier. Il est composé de deux cubes sur les faces desquels sont inscrits des chiffres. Avec ces deux cubes, qu’on peut placer dans l’ordre qu’on veut, il est possible d’indiquer la date de n’importe quel jour, de 01 à 31.
La question est évidemment : quels chiffres sont inscrits sur les faces des deux cubes?
En réfléchissant à ce problème, vous arriverez à la conclusion que certains chiffres doivent obligatoirement figurer sur les deux cubes (lesquels?); puis, par déduction, vous penserez que le problème est impossible Or, il existe une manière, simple, inattendue, de le résoudre néanmoins. C’est ce qui a valu à Singleton un brevet.
2. Total? 100
Henry Ernest Dudeney (1857-1930) a été le plus grand inventeur britannique de casse-tête numériques et logiques de son époque. On lui doit l’énigme qui suit.
Considérez la suite de chiffres suivante:
1 2 3 4 5 6 7 8 9
On vous demande de placer trois et seulement trois symboles mathématiques usuels entre ces chiffres de manière à ce que le résultat donne 100.
On pourra utiliser plus d’une fois le même symbole, mais il ne faudra utiliser que trois symboles au total.
Pour que ce soit clair, voici un exemple :
12 + 34 + 56 – 789 = - 687
On est bien loin du compte; mais on n’a utilisé que trois symboles (=, = et -).
À vous de jouer!
3. Total? 24
Comment pouvez-vous arriver à 24 en utilisant une fois et une seul les chiffres 5, 5, 5, et 1 et en n’utilisant que le quatre opérations?
En travaillant ce problème, prenez soin de ne pas vous imposer des contraintes qui ne s'y trouvent pas .
4. Combien d’œufs?
Si huit cents poules pondent en moyenne huit cents œufs en huit jours, combien d’oeufs pondent quatre cents poules en quatre jours?
Libellés :
À bâbord,
jeu mathématique,
Normand Baillargeon
mercredi, avril 08, 2009
BLAGUES GRECQUES ANCIENNES
[Autre possible encadré pour le livre: Je pense donc je ris.l'Humour et la philosophie]
De quoi riaient les Grecs de l’Antiquité?
Dès le XVIIe siècle, un recueil rassemble des blagues grecques anciennes glanées ci et là dans la littérature. Augmenté, révisé, ce recueil s’appellera finalement Philogelos (ou l’ami du rire) et Arnaud Zucker vient d’en proposer la première édition complète en français.
Ce Philogelos, publié sous le titre : Va te marrer chez les Grecs, comprend pas moins de 251 blagues qui étaient contées dans la Grèce Antique.
En voici un minuscule échantillon — je les conte comme on les conterait sans doute chez nous aujourd’hui:
Un homme était tellement avare que quand il a rédigé son testament, il s’est nommé lui-même comme héritier.
***
C’est un intello qui part en voyage et un de ses amis lui écrit pour lui demander de lui acheter quelques livres.
L’intello oublie de le faire, alors à son retour il dit à son ami : «Tu sais cette lettre que tu m’as écrite pour me demander des livres : je ne l’ai jamais reçue.»
***
Un intello, un chauve et un coiffeur voyagent ensemble dans une région peu sûre. Le soir venu, ils conviennent donc, pour leur sécurité, de veiller à tour de rôle.
Le premier tour de veille revient au coiffeur qui, pour s’amuser, rase la tête de l’intello pendant son sommeil. L’heure venue, comme convenu, le coiffeur réveille l’intello. Celui-ci constate ce qui lui a été fait et s’écrie: «Cet imbécile de coiffeur s’est trompé : il a réveillé le chauve!».
***
Un intello s’étant fait dire par une connaissance que sa barbe s’en venait s’en va l’attendre à une des portes de la ville.
Un autre intello le croise et lui demande ce qu’il fait là. L’apprenant, il lui dit : «Pas étonnant que tant de gens nous prennent pour des imbéciles : comment peux-tu être certain que ta barbe va arriver précisément par cette porte-ci!»
***
Un astrologue tire l’horoscope d’un nouveau-né et prédit qu’il sera avocat, puis préfet, puis gouverneur. Mais le bébé meurt peu de temps après.
Sa mère va donc se plaindre à l’astrologue : «Le bébé dont tu disais qu’il serait avocat, puis préfet, puis gouverneur, eh bien il est mort.»
L’astrologue ne se démonte pas : «Je vous garantis que s’il avait vécu, il serait devenu tout cela!»
***
Un vantard aperçoit son serviteur au marché pendant qu’il est en train de s’y pavaner devant des amis. «Et comment vont tous nos moutons?», lui demande-t-il.
«L’un dort et l’autre pas», répond le serviteur.
***
Pour en savoir plus :
Va te marrer chez les Grecs. Philogelos, Édité par Arnaud Zucker, Éditions Mille et une Nuits, 2008.
De quoi riaient les Grecs de l’Antiquité?
Dès le XVIIe siècle, un recueil rassemble des blagues grecques anciennes glanées ci et là dans la littérature. Augmenté, révisé, ce recueil s’appellera finalement Philogelos (ou l’ami du rire) et Arnaud Zucker vient d’en proposer la première édition complète en français.
Ce Philogelos, publié sous le titre : Va te marrer chez les Grecs, comprend pas moins de 251 blagues qui étaient contées dans la Grèce Antique.
En voici un minuscule échantillon — je les conte comme on les conterait sans doute chez nous aujourd’hui:
Un homme était tellement avare que quand il a rédigé son testament, il s’est nommé lui-même comme héritier.
***
C’est un intello qui part en voyage et un de ses amis lui écrit pour lui demander de lui acheter quelques livres.
L’intello oublie de le faire, alors à son retour il dit à son ami : «Tu sais cette lettre que tu m’as écrite pour me demander des livres : je ne l’ai jamais reçue.»
***
Un intello, un chauve et un coiffeur voyagent ensemble dans une région peu sûre. Le soir venu, ils conviennent donc, pour leur sécurité, de veiller à tour de rôle.
Le premier tour de veille revient au coiffeur qui, pour s’amuser, rase la tête de l’intello pendant son sommeil. L’heure venue, comme convenu, le coiffeur réveille l’intello. Celui-ci constate ce qui lui a été fait et s’écrie: «Cet imbécile de coiffeur s’est trompé : il a réveillé le chauve!».
***
Un intello s’étant fait dire par une connaissance que sa barbe s’en venait s’en va l’attendre à une des portes de la ville.
Un autre intello le croise et lui demande ce qu’il fait là. L’apprenant, il lui dit : «Pas étonnant que tant de gens nous prennent pour des imbéciles : comment peux-tu être certain que ta barbe va arriver précisément par cette porte-ci!»
***
Un astrologue tire l’horoscope d’un nouveau-né et prédit qu’il sera avocat, puis préfet, puis gouverneur. Mais le bébé meurt peu de temps après.
Sa mère va donc se plaindre à l’astrologue : «Le bébé dont tu disais qu’il serait avocat, puis préfet, puis gouverneur, eh bien il est mort.»
L’astrologue ne se démonte pas : «Je vous garantis que s’il avait vécu, il serait devenu tout cela!»
***
Un vantard aperçoit son serviteur au marché pendant qu’il est en train de s’y pavaner devant des amis. «Et comment vont tous nos moutons?», lui demande-t-il.
«L’un dort et l’autre pas», répond le serviteur.
***
Pour en savoir plus :
Va te marrer chez les Grecs. Philogelos, Édité par Arnaud Zucker, Éditions Mille et une Nuits, 2008.
mardi, avril 07, 2009
UNE PISTE INEXPLORÉE POUR COMBATTRE LE DÉCROCHAGE
[Chronique éducation dans le prochain À Bâbord]
Au moment où j’écris, le phénomène du décrochage scolaire est discuté sur toutes les tribunes où on parle d’éducation.
Signe des temps, c’est d’abord — et même surtout — en termes économiques qu’il en est question.
Un économiste québécois a ainsi calculé que si l’on ajoute, au coût que présente son décrochage pour la personne concernée, le coût de son décrochage pour l'ensemble de la société (précarité, ennuis de santé, recours à l’aide sociale, ralentissement de l’activité économique, baisse des rentrées fiscales, etc.), on arriverait au coût approximatif d’un demi-million de dollars par décrocheur. Un récent rapport du Conseil canadien sur l’apprentissage parle dans les mêmes termes et va dans le même sens.
Combien y a-t-il de ces décrocheurs au Québec?
Beaucoup trop. Le pire est que les chiffres sont à la hausse. Selon Statistique Canada, en 2008, près de 30% des élèves québécois ont quitté l’école sans diplôme d’études secondaires — alors qu’ils étaient 26% huit ans plus tôt. C’est le pire résultat de tout le pays, juste avant le Manitoba. Comme ailleurs, le phénomène, chez nous, frappe surtout les garçons et les pauvres.
Même si certains de ces décrocheurs reviendront à l’école et complèteront un diplôme, la réalité est très loin d’être rose. Elle l’est d’autant moins que, depuis de nombreuses années déjà, la «lutte au décrochage » est menée tambour battant et avec tous les moyens imaginables. On a consacré énormément de temps, d’argent et d’ingéniosité à essayer de comprendre et de résorber ce triste phénomène. Cette fois-ci, un groupe de travail réunissant des experts du Ministère de l’éducation et des Commissions scolaires a été constitué. Signe des temps encore une fois, il est chapeauté par le président de BMO Groupe financier.
Un phénomène complexe
Tout le monde s’entend : le décrochage scolaire est un problème vaste et très complexe, qui présente de très nombreuses dimensions et dont la causalité est très certainement multiple.
Y jouent sans l’ombre d’un doute des facteurs comme la pauvreté et les inégalités sociales et économiques; des attitudes différentes, notamment selon les classes sociales et le genre, face à l’école et à l’éducation; des goûts et des aptitudes variables pour les études; la concurrence de lieux de toutes sortes où se réalisent des apprentissages (eux aussi de toute sortes ); la très grande hétérogénéité des actuelles clientèles scolaires; la concurrence entre les établissements scolaires privés et publics; l’intégration des élèves en difficultés; une certaine baisse de la valeur socialement reconnue aux diplômes, voire à l’éducation; le sous financement de l’éducation; et de multiples autres formes d’inégalités devant et dans l’école.
Il serait donc illusoire de penser qu’on pourra régler ce problème facilement et on peut penser — c’est mon cas — qu’on ne lui trouvera pas de solution complète sans que soient d’abord corrigées ces formidables inégalités sociales et économiques qui affligent nos sociétés.
Pourtant, deux choses me gênent et elles me font légèrement diverger d’avec le consensus général sur la question.
La première concerne le diagnostic qui est posé.
La deuxième l’absence (quasi) complète de référence à une piste d’intervention que la recherche crédible sur l’éducation invite pourtant à prendre très au sérieux.
Prenons-les tour à tour — en passant pieusement sous silence, comme il se doit, le fait que la réforme de l’éducation en cours depuis dix ans et dans laquelle tant d’énergies et d’argent ont été investis, avait comme un de ses principaux objectifs de réduire le décrochage scolaire.
Un autre diagnostic
Vous l’aurez deviné : ce qui me gêne dans le réductionnisme économique du diagnostic posé, c’est tout ce que l’on tait ou minore par cette philistine insistance sur les coûts du décrochage et sur la rentabilité qu’il y aurait à le résorber.
Car le décrochage, c’est bien plus que cela.
Pour commencer, les personnes qui décrochent se
ront trop souvent privées de cette autonomie et de cette capacité de choisir librement que l’éducation contribue tellement à développer. Elles seront privées, en un mot, du droit qu’elles ont à un avenir ouvert.
Elles ne connaîtront pas non plus — ou du moins n’auront même pas la liberté de refuser — toutes ces joies que l’éducation permet de découvrir : celle de lire des grands romans, d’apprécier la poésie, d’aimer certaines musiques, de s’émouvoir devant un beau théorème, une toile, une pièce de théâtre, une loi scientifique : en un mot, elles seront privées de la chance de sortir d’eux-mêmes, de ce minuscule «ici et maintenant» d’où nous partons tous, pour aller goûter à l’immensité de ce que l’humanité a dit et fait de mieux.
Privées des outils d’autodéfense intellectuelle que donne une véritable éducation, il y a encore de fortes chances que ces personnes seront, dans leur vie personnelle et sociale, à la merci de charlatans, qui leur vendront de la poutine — de la poutine médicale, psychologique, politique, mystique, paranormale, économique et tutti quanti.
Enfin, privées de tous ces savoirs qui sont indispensables à une réelle participation à la vie démocratique et à la compréhension des innombrables enjeux qui y sont débattus, elles en seront probablement exclues ou en seront des spectateurs passifs.
Et qu’on y prenne bien garde, ici : il s’ensuit de ce que je viens de dire qu’en même temps que celles des décrocheurs, ce sont nos libertés, les miennes comme les vôtres, qui diminuent avec le décrochage.
Celui-ci est donc bien plus qu’un enjeu simplement économique : c’est un enjeu humain, social et politique fondamental, en même temps qu’un obstacle immense vers une société plus juste et plus démocratique.
Une piste d’intervention
J’ai dit qu’une piste d’intervention prometteuse (j’insiste : ce n’est ni une panacée, ni une solution miraculeuse) reste largement inexplorée. Avant de vous la dire, laissez-moi vous expliquer selon quels critères on devrait apprécier les solutions avancées sur des sujets comme le décrochage. La médecine nous servira de référence.
On supposera donc une maladie à traiter. Diverses hypothèses de médications, plus ou moins informées, sont avancées, qui méritent plus ou moins d’être prises au sérieux selon le cas. Mais on aurait tort de fonder un programme de traitement de la maladie sur ces simples spéculations, même sur les meilleures d’entre elles, qui sont le niveau 1 de la plausibilité.
On voudra donc tester les hypothèses les plus prometteuses et comme on ne voudra pas fonder notre programme social de traitement de la maladie sur de simples évidences anecdotiques, on voudra que ces tests soient les plus rigoureux possibles. Ce sera le niveau 2 de la plausibilité et c’est déjà acceptable.
On pourra aller plus loin encore et tester à grande échelle notre hypothèse acceptable, la tester longtemps et en contrôlant au mieux toutes les variables susceptibles d’entrer en jeu. Cela coûte cher, en temps et en agent. Si on le fait et que notre hypothèse est confirmée, nous sommes au niveau 3. C’est exceptionnellement bon quand il s’agit de problèmes sociaux.
S’il se trouve que des savoirs scientifiquement admis viennent de leur côté et indépendamment confirmer l’hypothèse et expliquer son efficacité, on se trouve au niveau 4 de plausibilité, ce qui est rarissime quand il s’agit de problèmes sociaux.
La piste de solution que je veux indiquer est certainement de niveau 3 et s’approche même du niveau 4. Ce qui est singulier, c’est qu’elle est largement inconnue en éducation et que lorsqu’elle est connue, on persiste à ne pas la prendre en considération. J’ai des explications à ce formidable paradoxe. Mais je me contenterai ici de rappeler en quoi consiste cette prometteuse piste de lutte au décrochage.
Entre 1967 et 1995, on a mené aux Etats-Unis la recherche la plus coûteuse et la plus longue de l’histoire de l’éducation.
Appelée Follow Through, cette recherche de niveau 3 a porté à chaque année sur des dizaines de milliers d’enfants dans des dizaines d’écoles. On y aurait englouti environ 1$ milliard. Elle visait précisément à identifier les méthodes pédagogiques les plus efficaces pour les enfants pauvres, les futurs décrocheurs. L’évaluation a été confiée à des évaluateurs indépendants.
Neuf modèles pédagogiques ont été testés. Certains empiraient la situation. D’autres ne l’amélioraient guère. Un seul a montré une réelle efficacité sur toutes les variables évaluées — les variables académiques bien sûr, mais aussi l’estime de soi des enfants. Ce modèle, appelé Direct Instruction, a littéralement écrasé tous les autres.
Il mise sur un enseignement structuré et centré sur l’enseignant. Il mise exactement sur le contraire de ce qu’on met trop souvent en oeuvre en éducation et notamment sur le contraire de ce que préconise la réforme de l’éducation en cours chez nous — ce qui fait que l’on pouvait s’attendre à ce qu’elle empire le décrochage.
Et puisque la psychologie cognitive ainsi que la philosophie de l’éducation, chacune de leur côté, expliquent pourquoi il était prévisible que ce que préconise Follow Through fonctionne, cela invite à penser que ce qu’on est peut-être devant un résultat qui tend vers le niveau 4.
Reste un mystère : pourquoi tout cela n’est-il ni plus connu ni plus utilisé? Je vous laisse essayer de le percer.
En attendant, si vous connaissez le président de BMO Groupe financier, vous seriez gentil de lui transmettre ce texte.
Au moment où j’écris, le phénomène du décrochage scolaire est discuté sur toutes les tribunes où on parle d’éducation.
Signe des temps, c’est d’abord — et même surtout — en termes économiques qu’il en est question.
Un économiste québécois a ainsi calculé que si l’on ajoute, au coût que présente son décrochage pour la personne concernée, le coût de son décrochage pour l'ensemble de la société (précarité, ennuis de santé, recours à l’aide sociale, ralentissement de l’activité économique, baisse des rentrées fiscales, etc.), on arriverait au coût approximatif d’un demi-million de dollars par décrocheur. Un récent rapport du Conseil canadien sur l’apprentissage parle dans les mêmes termes et va dans le même sens.
Combien y a-t-il de ces décrocheurs au Québec?
Beaucoup trop. Le pire est que les chiffres sont à la hausse. Selon Statistique Canada, en 2008, près de 30% des élèves québécois ont quitté l’école sans diplôme d’études secondaires — alors qu’ils étaient 26% huit ans plus tôt. C’est le pire résultat de tout le pays, juste avant le Manitoba. Comme ailleurs, le phénomène, chez nous, frappe surtout les garçons et les pauvres.
Même si certains de ces décrocheurs reviendront à l’école et complèteront un diplôme, la réalité est très loin d’être rose. Elle l’est d’autant moins que, depuis de nombreuses années déjà, la «lutte au décrochage » est menée tambour battant et avec tous les moyens imaginables. On a consacré énormément de temps, d’argent et d’ingéniosité à essayer de comprendre et de résorber ce triste phénomène. Cette fois-ci, un groupe de travail réunissant des experts du Ministère de l’éducation et des Commissions scolaires a été constitué. Signe des temps encore une fois, il est chapeauté par le président de BMO Groupe financier.
Un phénomène complexe
Tout le monde s’entend : le décrochage scolaire est un problème vaste et très complexe, qui présente de très nombreuses dimensions et dont la causalité est très certainement multiple.
Y jouent sans l’ombre d’un doute des facteurs comme la pauvreté et les inégalités sociales et économiques; des attitudes différentes, notamment selon les classes sociales et le genre, face à l’école et à l’éducation; des goûts et des aptitudes variables pour les études; la concurrence de lieux de toutes sortes où se réalisent des apprentissages (eux aussi de toute sortes ); la très grande hétérogénéité des actuelles clientèles scolaires; la concurrence entre les établissements scolaires privés et publics; l’intégration des élèves en difficultés; une certaine baisse de la valeur socialement reconnue aux diplômes, voire à l’éducation; le sous financement de l’éducation; et de multiples autres formes d’inégalités devant et dans l’école.
Il serait donc illusoire de penser qu’on pourra régler ce problème facilement et on peut penser — c’est mon cas — qu’on ne lui trouvera pas de solution complète sans que soient d’abord corrigées ces formidables inégalités sociales et économiques qui affligent nos sociétés.
Pourtant, deux choses me gênent et elles me font légèrement diverger d’avec le consensus général sur la question.
La première concerne le diagnostic qui est posé.
La deuxième l’absence (quasi) complète de référence à une piste d’intervention que la recherche crédible sur l’éducation invite pourtant à prendre très au sérieux.
Prenons-les tour à tour — en passant pieusement sous silence, comme il se doit, le fait que la réforme de l’éducation en cours depuis dix ans et dans laquelle tant d’énergies et d’argent ont été investis, avait comme un de ses principaux objectifs de réduire le décrochage scolaire.
Un autre diagnostic
Vous l’aurez deviné : ce qui me gêne dans le réductionnisme économique du diagnostic posé, c’est tout ce que l’on tait ou minore par cette philistine insistance sur les coûts du décrochage et sur la rentabilité qu’il y aurait à le résorber.
Car le décrochage, c’est bien plus que cela.
Pour commencer, les personnes qui décrochent se
ront trop souvent privées de cette autonomie et de cette capacité de choisir librement que l’éducation contribue tellement à développer. Elles seront privées, en un mot, du droit qu’elles ont à un avenir ouvert.
Elles ne connaîtront pas non plus — ou du moins n’auront même pas la liberté de refuser — toutes ces joies que l’éducation permet de découvrir : celle de lire des grands romans, d’apprécier la poésie, d’aimer certaines musiques, de s’émouvoir devant un beau théorème, une toile, une pièce de théâtre, une loi scientifique : en un mot, elles seront privées de la chance de sortir d’eux-mêmes, de ce minuscule «ici et maintenant» d’où nous partons tous, pour aller goûter à l’immensité de ce que l’humanité a dit et fait de mieux.
Privées des outils d’autodéfense intellectuelle que donne une véritable éducation, il y a encore de fortes chances que ces personnes seront, dans leur vie personnelle et sociale, à la merci de charlatans, qui leur vendront de la poutine — de la poutine médicale, psychologique, politique, mystique, paranormale, économique et tutti quanti.
Enfin, privées de tous ces savoirs qui sont indispensables à une réelle participation à la vie démocratique et à la compréhension des innombrables enjeux qui y sont débattus, elles en seront probablement exclues ou en seront des spectateurs passifs.
Et qu’on y prenne bien garde, ici : il s’ensuit de ce que je viens de dire qu’en même temps que celles des décrocheurs, ce sont nos libertés, les miennes comme les vôtres, qui diminuent avec le décrochage.
Celui-ci est donc bien plus qu’un enjeu simplement économique : c’est un enjeu humain, social et politique fondamental, en même temps qu’un obstacle immense vers une société plus juste et plus démocratique.
Une piste d’intervention
J’ai dit qu’une piste d’intervention prometteuse (j’insiste : ce n’est ni une panacée, ni une solution miraculeuse) reste largement inexplorée. Avant de vous la dire, laissez-moi vous expliquer selon quels critères on devrait apprécier les solutions avancées sur des sujets comme le décrochage. La médecine nous servira de référence.
On supposera donc une maladie à traiter. Diverses hypothèses de médications, plus ou moins informées, sont avancées, qui méritent plus ou moins d’être prises au sérieux selon le cas. Mais on aurait tort de fonder un programme de traitement de la maladie sur ces simples spéculations, même sur les meilleures d’entre elles, qui sont le niveau 1 de la plausibilité.
On voudra donc tester les hypothèses les plus prometteuses et comme on ne voudra pas fonder notre programme social de traitement de la maladie sur de simples évidences anecdotiques, on voudra que ces tests soient les plus rigoureux possibles. Ce sera le niveau 2 de la plausibilité et c’est déjà acceptable.
On pourra aller plus loin encore et tester à grande échelle notre hypothèse acceptable, la tester longtemps et en contrôlant au mieux toutes les variables susceptibles d’entrer en jeu. Cela coûte cher, en temps et en agent. Si on le fait et que notre hypothèse est confirmée, nous sommes au niveau 3. C’est exceptionnellement bon quand il s’agit de problèmes sociaux.
S’il se trouve que des savoirs scientifiquement admis viennent de leur côté et indépendamment confirmer l’hypothèse et expliquer son efficacité, on se trouve au niveau 4 de plausibilité, ce qui est rarissime quand il s’agit de problèmes sociaux.
La piste de solution que je veux indiquer est certainement de niveau 3 et s’approche même du niveau 4. Ce qui est singulier, c’est qu’elle est largement inconnue en éducation et que lorsqu’elle est connue, on persiste à ne pas la prendre en considération. J’ai des explications à ce formidable paradoxe. Mais je me contenterai ici de rappeler en quoi consiste cette prometteuse piste de lutte au décrochage.
Entre 1967 et 1995, on a mené aux Etats-Unis la recherche la plus coûteuse et la plus longue de l’histoire de l’éducation.
Appelée Follow Through, cette recherche de niveau 3 a porté à chaque année sur des dizaines de milliers d’enfants dans des dizaines d’écoles. On y aurait englouti environ 1$ milliard. Elle visait précisément à identifier les méthodes pédagogiques les plus efficaces pour les enfants pauvres, les futurs décrocheurs. L’évaluation a été confiée à des évaluateurs indépendants.
Neuf modèles pédagogiques ont été testés. Certains empiraient la situation. D’autres ne l’amélioraient guère. Un seul a montré une réelle efficacité sur toutes les variables évaluées — les variables académiques bien sûr, mais aussi l’estime de soi des enfants. Ce modèle, appelé Direct Instruction, a littéralement écrasé tous les autres.
Il mise sur un enseignement structuré et centré sur l’enseignant. Il mise exactement sur le contraire de ce qu’on met trop souvent en oeuvre en éducation et notamment sur le contraire de ce que préconise la réforme de l’éducation en cours chez nous — ce qui fait que l’on pouvait s’attendre à ce qu’elle empire le décrochage.
Et puisque la psychologie cognitive ainsi que la philosophie de l’éducation, chacune de leur côté, expliquent pourquoi il était prévisible que ce que préconise Follow Through fonctionne, cela invite à penser que ce qu’on est peut-être devant un résultat qui tend vers le niveau 4.
Reste un mystère : pourquoi tout cela n’est-il ni plus connu ni plus utilisé? Je vous laisse essayer de le percer.
En attendant, si vous connaissez le président de BMO Groupe financier, vous seriez gentil de lui transmettre ce texte.
Libellés :
décrochage,
éducation,
Follow through,
Normand Baillargeon
lundi, avril 06, 2009
DES MOTS D’ESPRIT DE BERTRAND RUSSELL
[Un autre encadré pour le livre Humour et Philosophie]
Je l’ai souvent écrit et je l’ait dit plus souvent encore : Bertrand Russell (1872-1970) est, entre tous, mon philosophe du XXe siècle préféré.
Je lui voue cette grande admiration pour plusieurs raisons. Pour commencer, à cause de la profondeur de son travail en philosophie et en mathématiques, qui est, indiscutablement, celui d’un génie. Mais j’admire aussi Russell pour sa grande intégrité et pour son engagement politique constant et indéfectible, un engagement qui fut, sa vie durant, celui d’un radical et d’un compagnon de route des libertaires.
Russell, ce qui ne gâte rien, avait de surcroît un grand sens de l’humour, caractérisé notamment par sa capacité à produire des mots d’esprits fins et souvent caustiques.
Ceux que je vous propose ici sont de deux genres. Les premiers seront compris par tout le monde; les suivants demandent, pour être pleinement appréciés, des connaissances en philosophie.
Mais laissons le parole est à Russell :
***
Je tombai un jour sur un écolier de taille moyenne qui était en train de maltraiter un écolier plus petit. Je lui fis des remontrances, mais il rétorqua : «Les grands me tapent dessus, alors je tape sur les bébés : c’est ça qui est juste».
Par ces mots, il venait de résumer l’histoire de l’espèce humaine.
***
L’art de la propagande, tel que le pratiquent les politiciens et les Gouvernements modernes, est dérivé de l’art de la publicité. La psychologie, en tant que science, doit beaucoup à ceux qui pratiquent cet art. Autrefois, la plupart des psychologues n’auraient jamais cru que l’on puisse convaincre un grand nombre de personnes de l’excellence d’une marchandise simplement en affirmant avec emphase qu’elle est excellente.
L’expérience a démontré qu’ils se trompaient.
***
On dit souvent que c’est un grand mal de s’attaquer aux religions parce que la religion rend l’homme vertueux. C’est ce qu’on dit; je ne l’ai jamais observé.
***
Les êtres humains naissent ignorants, pas stupides : c’est l’éducation qui les rend ainsi.
***
L’absence de ligne de démarcation claire entre les humains et les singes est très gênante pour la théologie. Quand les humains ont-il eu une âme? Le Chaînon Manquant pouvait-il pécher et en ce cas pouvait-il aller en enfer? La responsabilité morale s’applique-t-elle au Pithecanthropus Erectus? L’Homo Pekiniensis était-il damné? L’Homme de Piltdown allait-il au Paradis?
***
Kant nous assure que c’est Hume qui, par sa critique du concept de causalité, le réveilla de son sommeil dogmatique : mais le réveil ne fut que temporaire et il inventa bien vite un somnifère qui lui permit de retourner dormir.
***
Il existe en Enfer une salle de souffrance réservée exclusivement aux philosophes qui pensent avoir réfuté Hume. Ces philosophes, quoiqu’ils soient en Enfer, ne sont toujours pas devenus plus sages et ils continuent de mener leur vie selon leur animale propension à l’induction. Mais à chaque fois qu’ils procèdent à une induction, l’instance suivante la falsifie. Ceci, cependant, ne vaut que pour le premier siècle de leur damnation. Après cela, ils apprennent à s’attendre à voir falsifié ce qu’ils ont induit; mais ce n’est cependant plus le cas durant tout le siècle de torture logique qui suit, qui modifie leur expectative. Les surprises se succèdent durant toute l’éternité, et à chaque fois elles sont portées à un niveau logique supérieur.
***
Si nous énumérons les choses qui sont chauves, puis les choses qui en sont pas chauves, nous ne trouverons l’actuel Roi de France sur aucune des listes.
Les hégéliens, qui adorent les synthèses, concluront probablement qu’il porte une perruque.
***
Le réalisme naïf conduit à la physique et la physique, si elle est vraie, montre que le réalisme naïf est faux. Il s’ensuit que si le réalisme naïf est vrai, alors il est faux; donc il est faux.
***
Les mathématiques sont une science où on ne sait ni de quoi on parle, ni ce qu’on dit est vrai.
***
L’école philosophique aujourd’hui la plus influente en Grande-Bretagne soutient une doctrine linguistique à laquelle je suis incapable de souscrire. […] Ces philosophes me rappellent un marchand à qui un jour je demandais le plus court chemin pour aller à Winchester. Il appela un homme qui se trouvait dans l’arrière boutique :
— Le monsieur veut connaître le plus court chemin pour aller à Winchester.
Une voix répondit :
— Winchester?
— Ouais.
—Comment s’y rendre?
— Ouais.
— Le plus court chemin?
— Ouais.
— J’sais pas…
Il voulait savoir clairement et précisément ce qu’était de la question, mais la réponse ne l’intéressait pas. C’est exactement l’effet que produit la philosophie moderne sur ceux qui recherchent sincèrement la vérité.
Je l’ai souvent écrit et je l’ait dit plus souvent encore : Bertrand Russell (1872-1970) est, entre tous, mon philosophe du XXe siècle préféré.
Je lui voue cette grande admiration pour plusieurs raisons. Pour commencer, à cause de la profondeur de son travail en philosophie et en mathématiques, qui est, indiscutablement, celui d’un génie. Mais j’admire aussi Russell pour sa grande intégrité et pour son engagement politique constant et indéfectible, un engagement qui fut, sa vie durant, celui d’un radical et d’un compagnon de route des libertaires.
Russell, ce qui ne gâte rien, avait de surcroît un grand sens de l’humour, caractérisé notamment par sa capacité à produire des mots d’esprits fins et souvent caustiques.
Ceux que je vous propose ici sont de deux genres. Les premiers seront compris par tout le monde; les suivants demandent, pour être pleinement appréciés, des connaissances en philosophie.
Mais laissons le parole est à Russell :
***
Je tombai un jour sur un écolier de taille moyenne qui était en train de maltraiter un écolier plus petit. Je lui fis des remontrances, mais il rétorqua : «Les grands me tapent dessus, alors je tape sur les bébés : c’est ça qui est juste».
Par ces mots, il venait de résumer l’histoire de l’espèce humaine.
***
L’art de la propagande, tel que le pratiquent les politiciens et les Gouvernements modernes, est dérivé de l’art de la publicité. La psychologie, en tant que science, doit beaucoup à ceux qui pratiquent cet art. Autrefois, la plupart des psychologues n’auraient jamais cru que l’on puisse convaincre un grand nombre de personnes de l’excellence d’une marchandise simplement en affirmant avec emphase qu’elle est excellente.
L’expérience a démontré qu’ils se trompaient.
***
On dit souvent que c’est un grand mal de s’attaquer aux religions parce que la religion rend l’homme vertueux. C’est ce qu’on dit; je ne l’ai jamais observé.
***
Les êtres humains naissent ignorants, pas stupides : c’est l’éducation qui les rend ainsi.
***
L’absence de ligne de démarcation claire entre les humains et les singes est très gênante pour la théologie. Quand les humains ont-il eu une âme? Le Chaînon Manquant pouvait-il pécher et en ce cas pouvait-il aller en enfer? La responsabilité morale s’applique-t-elle au Pithecanthropus Erectus? L’Homo Pekiniensis était-il damné? L’Homme de Piltdown allait-il au Paradis?
***
Kant nous assure que c’est Hume qui, par sa critique du concept de causalité, le réveilla de son sommeil dogmatique : mais le réveil ne fut que temporaire et il inventa bien vite un somnifère qui lui permit de retourner dormir.
***
Il existe en Enfer une salle de souffrance réservée exclusivement aux philosophes qui pensent avoir réfuté Hume. Ces philosophes, quoiqu’ils soient en Enfer, ne sont toujours pas devenus plus sages et ils continuent de mener leur vie selon leur animale propension à l’induction. Mais à chaque fois qu’ils procèdent à une induction, l’instance suivante la falsifie. Ceci, cependant, ne vaut que pour le premier siècle de leur damnation. Après cela, ils apprennent à s’attendre à voir falsifié ce qu’ils ont induit; mais ce n’est cependant plus le cas durant tout le siècle de torture logique qui suit, qui modifie leur expectative. Les surprises se succèdent durant toute l’éternité, et à chaque fois elles sont portées à un niveau logique supérieur.
***
Si nous énumérons les choses qui sont chauves, puis les choses qui en sont pas chauves, nous ne trouverons l’actuel Roi de France sur aucune des listes.
Les hégéliens, qui adorent les synthèses, concluront probablement qu’il porte une perruque.
***
Le réalisme naïf conduit à la physique et la physique, si elle est vraie, montre que le réalisme naïf est faux. Il s’ensuit que si le réalisme naïf est vrai, alors il est faux; donc il est faux.
***
Les mathématiques sont une science où on ne sait ni de quoi on parle, ni ce qu’on dit est vrai.
***
L’école philosophique aujourd’hui la plus influente en Grande-Bretagne soutient une doctrine linguistique à laquelle je suis incapable de souscrire. […] Ces philosophes me rappellent un marchand à qui un jour je demandais le plus court chemin pour aller à Winchester. Il appela un homme qui se trouvait dans l’arrière boutique :
— Le monsieur veut connaître le plus court chemin pour aller à Winchester.
Une voix répondit :
— Winchester?
— Ouais.
—Comment s’y rendre?
— Ouais.
— Le plus court chemin?
— Ouais.
— J’sais pas…
Il voulait savoir clairement et précisément ce qu’était de la question, mais la réponse ne l’intéressait pas. C’est exactement l’effet que produit la philosophie moderne sur ceux qui recherchent sincèrement la vérité.
LANCEMENT D'À BÂBORD, # 29
J'y serai!
Lancement de la revue À bâbord ! (# 29 -- avril/mai 2009)
le jeudi 9 avril de 18h à 21h.
au Bar populaire
6546 rue St-Laurent
entre Beaubien et St-Zotique
[métro Beaubien ou autobus 55, rue St-Laurent]
Dossier : Le Saint-Laurent en eaux troubles
coordonné par Sophie Vaillancourt et Normand Baillargeon
En cette année du 50e anniversaire de la Voie maritime du Saint-Laurent,
inaugurée en 1959, la majestuosité du célèbre fleuve masque sa santé
déclinante et son omniprésence dans le paysage québécois n'a d'égale que
l'ignorance des problèmes qui l'accablent.
La construction de la Voie maritime a entraîné le déplacement de milliers de
personnes et inondé des villages entiers. Alors que le contrôle de son débit
fera l'objet d'un rapport important de la Commission mixte internationale en
juin 2009, il est urgent de se pencher sur le sort du fleuve. Outre le
projet de port méthanier à Rabaska, le Saint-Laurent pâtit également des
déversements des rivières remplies de purin de porc, de produits chimiques
et de sédiments provenant de l'érosion des berges qu'on refuse de protéger.
Lancement de la revue À bâbord ! (# 29 -- avril/mai 2009)
le jeudi 9 avril de 18h à 21h.
au Bar populaire
6546 rue St-Laurent
entre Beaubien et St-Zotique
[métro Beaubien ou autobus 55, rue St-Laurent]
Dossier : Le Saint-Laurent en eaux troubles
coordonné par Sophie Vaillancourt et Normand Baillargeon
En cette année du 50e anniversaire de la Voie maritime du Saint-Laurent,
inaugurée en 1959, la majestuosité du célèbre fleuve masque sa santé
déclinante et son omniprésence dans le paysage québécois n'a d'égale que
l'ignorance des problèmes qui l'accablent.
La construction de la Voie maritime a entraîné le déplacement de milliers de
personnes et inondé des villages entiers. Alors que le contrôle de son débit
fera l'objet d'un rapport important de la Commission mixte internationale en
juin 2009, il est urgent de se pencher sur le sort du fleuve. Outre le
projet de port méthanier à Rabaska, le Saint-Laurent pâtit également des
déversements des rivières remplies de purin de porc, de produits chimiques
et de sédiments provenant de l'érosion des berges qu'on refuse de protéger.
Libellés :
À bâbord,
Fleuve St-Laurent,
Normand Baillageon,
Sophie Vaillancourt
dimanche, avril 05, 2009
SOCRATE, IRONISTE
[Ce qui suit est le premier jet d'un encadré pour le prochain volume — après Le hockey et la philosophie — de la collection Quand la Philosophie fait Pop, lequel sera consacré à l'humour. Commentaires — et corrections: je me suis à peine relu — bienvenus].
Socrate, cette figure de proue de la philosophie occidentale, celui dont la vie même en signale le véritable commencement, celui dont la mort reste emblématique des persécutions qu’on peut encourir à penser librement et à dire non, Socrate, le sait-on?, n’a rien écrit.
C’est Platon, qui fut au nombre de ces jeunes gens qui s’attachèrent au vieil home déambulant dans Athènes pour interroger les uns et les autres sur ce qu’il prétendaient savoir, qui mit Socrate en scène dans ses Dialogues et en fit ainsi l’emblème que l’on connaît.
Platon a certainement magnifié son maître et, le temps passant, Socrate devient très certainement, peu à peu, dans les Dialogues, le simple porte-voix des idées de son sur-doué disciple. Où termine le Socrate réel et où commence le Socrate platonicien? Répondre à cette question, c’est affronter ce que les philosophes appellent le «problème de Socrate». Passons outre et attardons-nous simplement au Socrate de la tradition.
Un de ses amis ayant consulté la Pythie, l'Oracle de Delphes, et appris d’elle que Socrate serait le plus sage des hommes, rapporte cette réponse à Socrate, qui en est très étonné : comment est-ce possible alors qu’il ne sait rien? Comment peut-il être le plus sage, alors que tant de gens assurent savoir ou sont simplement engagés dans des activités qui supposent un savoir?
Socrate va s'efforcer d'élucider cette énigme : le voici donc au milieu des hommes, sur la place publique, questionnant chacun sur ses activités ordinaires et quotidiennes et sur le savoir dont ils se réclament ou qu'elles présupposent. Le questionneur propose une réponse et Socrate l’examine et la réfute. Une nouvelle définition est alors mise de l’avant, et le processus recommence. Socrate interroge de la sorte le sculpteur sur la beauté, le militaire sur le courage, le sophiste sur la vertu et sur l'éducation, le politique sur la justice et ainsi de suite.
Cette méthode socratique, appelée elenchos, cherche à produire des concepts : il s’agit d’éprouver une opinion et dégager de l'examen de cas particuliers une définition universelle. En s’y adonnant, Socrate découvrira le sens de l'oracle : s’il est le plus sage, c’est parce qu'il sait qu'il ne sait rien : tandis que les autres croient savoir ce qu'ils ne savent pas.
C’est dans ce contexte qu’apparaît la célèbre ironie socratique. Le mot ironie vient du grec eironeia, qui signifie «feinte ignorance». Socrate fait le modeste devant la personne qu’il s’apprête à interroger : elle sait tant de choses alors que lui est si ignare! Va-t-elle daigner l’instruire? Sûre d’elle, cette personne avance une définition. Socrate feint d’être ébloui, mais remarque une toute petite chose qui le chicote. Il formule donc une première objection, à laquelle l’interrogé va répondre. Il y en aura de nombreuses autres.
Peu à peu, notre supposé savant est empêtré dans des contradictions dont il ne pourra se sortir qu’en avouant qu’il ne sait pas.
Le type d’humour que produit l’ironie socratique est singulier.
Pour commencer, l’ironie peut échapper — et de fait, quand Socrate la pratique, elle échappe, parfois longuement — à ses victimes, qui ne voient d’abord pas qu’on se joue d’eux. Sa drôlerie augmente d’ailleurs, à tout le moins pour nous, spectateurs, à proportion que les victimes ignorent leur sort.
Ensuite, Socrate, en pratiquant l’ironie, parvient à faire tomber le masque de faux sérieux et de vraie prétention de ses adversaires, qui sont en certains cas de dangereux démagogues. L’ironique socratique est une salubre et décapante ascèse intellectuelle, qui enlève unes à unes toutes les barrières sociales et idéologiques derrière lesquelles se cachent volontiers les importants et les met ainsi à nu, face au monde, certes, mais surtout face à eux-mêmes.
Il y a enfin, pour Socrate, une manière de morale philosophique à cet exercice : confronté à son ignorance, débarrassé de ses fausse certitudes et de ses opinions que rien ne justifie, la victime de Socrate, certes secouée, est désormais prête à s’engager sur la voie de la vraie recherche et de la philosophie. En ce sens, l’ironie socratique est, ironiquement, une affaire très sérieuse!
Je terminerai comme il se doit en donnant un échantillon d’ironie socratique. J’ai choisi un texte qui me semble être d’une brûlante actualité et dans lequel le philosophe fait mine de se trouver d’accord avec son interlocuteur pour vanter le sort de ceux qui meurent à la guerre.
Écoutons-le :
— Certes, Ménexène, c'est pour plus d'une raison qu'il est beau de mourir dans les combats. Celui qui perd ainsi la vie, quelque pauvre qu'il soit, obtient des obsèques pompeuses et magnifiques; et fût-il sans mérite, il est sûr d'un éloge public, fait par des hommes habiles qui ne se fient pas à l'inspiration du hasard, mais qui composent leurs discours longtemps à l'avance, admirables panégyristes qui célébrant les qualités qu'on a et celles qu'on n'a pas, embellissant tout ce qu'ils touchent, enchantent nos âmes par les éloges de toute espèce qu'ils prodiguent à la république, et à ceux qui sont morts dans la guerre, et à tous nos ancêtres, et enfin à nous-mêmes, qui vivons encore. Aussi, Ménexène, leurs louanges me donnent une grande opinion de moi-même, et toutes les fois que je les écoute, je m'estime aussitôt plus grand, meilleur et plus vertueux. Souvent des étrangers m'accompagnent : ils écoutent, et à l'instant même je leur semble plus respectable ; ils paraissent absolument partager mes sentiments et pour moi-même et pour un pays qui n'est pas le leur; entraînés par l'orateur, ils le trouvent bien plus admirable qu'auparavant. Pour moi, cette exaltation me reste plus de trois jours ; l'harmonie du discours, et la voix de celui qui l'a prononcé, sont tellement dans mon oreille, qu'à peine le quatrième ou le cinquième jour je parviens à me reconnaître et à savoir où j'en suis : jusque-là je crois presque habiter les îles Fortunées, tant nos orateurs sont habiles ! (Ménexène, 234c- 235c)
Socrate, cette figure de proue de la philosophie occidentale, celui dont la vie même en signale le véritable commencement, celui dont la mort reste emblématique des persécutions qu’on peut encourir à penser librement et à dire non, Socrate, le sait-on?, n’a rien écrit.
C’est Platon, qui fut au nombre de ces jeunes gens qui s’attachèrent au vieil home déambulant dans Athènes pour interroger les uns et les autres sur ce qu’il prétendaient savoir, qui mit Socrate en scène dans ses Dialogues et en fit ainsi l’emblème que l’on connaît.
Platon a certainement magnifié son maître et, le temps passant, Socrate devient très certainement, peu à peu, dans les Dialogues, le simple porte-voix des idées de son sur-doué disciple. Où termine le Socrate réel et où commence le Socrate platonicien? Répondre à cette question, c’est affronter ce que les philosophes appellent le «problème de Socrate». Passons outre et attardons-nous simplement au Socrate de la tradition.
Un de ses amis ayant consulté la Pythie, l'Oracle de Delphes, et appris d’elle que Socrate serait le plus sage des hommes, rapporte cette réponse à Socrate, qui en est très étonné : comment est-ce possible alors qu’il ne sait rien? Comment peut-il être le plus sage, alors que tant de gens assurent savoir ou sont simplement engagés dans des activités qui supposent un savoir?
Socrate va s'efforcer d'élucider cette énigme : le voici donc au milieu des hommes, sur la place publique, questionnant chacun sur ses activités ordinaires et quotidiennes et sur le savoir dont ils se réclament ou qu'elles présupposent. Le questionneur propose une réponse et Socrate l’examine et la réfute. Une nouvelle définition est alors mise de l’avant, et le processus recommence. Socrate interroge de la sorte le sculpteur sur la beauté, le militaire sur le courage, le sophiste sur la vertu et sur l'éducation, le politique sur la justice et ainsi de suite.
Cette méthode socratique, appelée elenchos, cherche à produire des concepts : il s’agit d’éprouver une opinion et dégager de l'examen de cas particuliers une définition universelle. En s’y adonnant, Socrate découvrira le sens de l'oracle : s’il est le plus sage, c’est parce qu'il sait qu'il ne sait rien : tandis que les autres croient savoir ce qu'ils ne savent pas.
C’est dans ce contexte qu’apparaît la célèbre ironie socratique. Le mot ironie vient du grec eironeia, qui signifie «feinte ignorance». Socrate fait le modeste devant la personne qu’il s’apprête à interroger : elle sait tant de choses alors que lui est si ignare! Va-t-elle daigner l’instruire? Sûre d’elle, cette personne avance une définition. Socrate feint d’être ébloui, mais remarque une toute petite chose qui le chicote. Il formule donc une première objection, à laquelle l’interrogé va répondre. Il y en aura de nombreuses autres.
Peu à peu, notre supposé savant est empêtré dans des contradictions dont il ne pourra se sortir qu’en avouant qu’il ne sait pas.
Le type d’humour que produit l’ironie socratique est singulier.
Pour commencer, l’ironie peut échapper — et de fait, quand Socrate la pratique, elle échappe, parfois longuement — à ses victimes, qui ne voient d’abord pas qu’on se joue d’eux. Sa drôlerie augmente d’ailleurs, à tout le moins pour nous, spectateurs, à proportion que les victimes ignorent leur sort.
Ensuite, Socrate, en pratiquant l’ironie, parvient à faire tomber le masque de faux sérieux et de vraie prétention de ses adversaires, qui sont en certains cas de dangereux démagogues. L’ironique socratique est une salubre et décapante ascèse intellectuelle, qui enlève unes à unes toutes les barrières sociales et idéologiques derrière lesquelles se cachent volontiers les importants et les met ainsi à nu, face au monde, certes, mais surtout face à eux-mêmes.
Il y a enfin, pour Socrate, une manière de morale philosophique à cet exercice : confronté à son ignorance, débarrassé de ses fausse certitudes et de ses opinions que rien ne justifie, la victime de Socrate, certes secouée, est désormais prête à s’engager sur la voie de la vraie recherche et de la philosophie. En ce sens, l’ironie socratique est, ironiquement, une affaire très sérieuse!
Je terminerai comme il se doit en donnant un échantillon d’ironie socratique. J’ai choisi un texte qui me semble être d’une brûlante actualité et dans lequel le philosophe fait mine de se trouver d’accord avec son interlocuteur pour vanter le sort de ceux qui meurent à la guerre.
Écoutons-le :
— Certes, Ménexène, c'est pour plus d'une raison qu'il est beau de mourir dans les combats. Celui qui perd ainsi la vie, quelque pauvre qu'il soit, obtient des obsèques pompeuses et magnifiques; et fût-il sans mérite, il est sûr d'un éloge public, fait par des hommes habiles qui ne se fient pas à l'inspiration du hasard, mais qui composent leurs discours longtemps à l'avance, admirables panégyristes qui célébrant les qualités qu'on a et celles qu'on n'a pas, embellissant tout ce qu'ils touchent, enchantent nos âmes par les éloges de toute espèce qu'ils prodiguent à la république, et à ceux qui sont morts dans la guerre, et à tous nos ancêtres, et enfin à nous-mêmes, qui vivons encore. Aussi, Ménexène, leurs louanges me donnent une grande opinion de moi-même, et toutes les fois que je les écoute, je m'estime aussitôt plus grand, meilleur et plus vertueux. Souvent des étrangers m'accompagnent : ils écoutent, et à l'instant même je leur semble plus respectable ; ils paraissent absolument partager mes sentiments et pour moi-même et pour un pays qui n'est pas le leur; entraînés par l'orateur, ils le trouvent bien plus admirable qu'auparavant. Pour moi, cette exaltation me reste plus de trois jours ; l'harmonie du discours, et la voix de celui qui l'a prononcé, sont tellement dans mon oreille, qu'à peine le quatrième ou le cinquième jour je parviens à me reconnaître et à savoir où j'en suis : jusque-là je crois presque habiter les îles Fortunées, tant nos orateurs sont habiles ! (Ménexène, 234c- 235c)
mercredi, avril 01, 2009
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