La revue de philosophie Médiane, à la création de laquelle j'ai eu le plaisir de participer et à laquelle je collabore depuis ses tout débuts, publiera sous peu son cinquième numéro. Celui-ci porte sur a religion. Je signe à chaque numéro une sorte d'éditorial en forme de Coup de Gueule; ce qui suit est celui de ce prochain numéro.]
***
Ni Dieu ni maître, mieux d’être.
Jacques Prévert
La grande famille de l’incroyance, qui comprend notamment les athées, les agnostiques, les libres penseurs, les humanistes, les défenseurs de la laïcité et, plus récemment, les brights, a été très active au cours des dernières années.
Il y a d’abord eu cette intense activité éditoriale qui a produit de nombreux ouvrages, dont certains ont connu d’inattendus mais retentissants succès de librairie. Citons pour mémoire, et entre de très nombreux autres : Pour en finir avec Dieu, de Richard Dawkins; Breaking the Spell, de Daniel Dennett; God is not Great, de Christopher Hitchens; Atheist Universe, de David Mills; et Traité d’athéologie, de Michel Onfray.
Mais les incroyants n’ont pas seulement écrit et ils sont aussi intervenus abondamment dans ces nombreux débats sociaux qui ont sollicité leur attention.
Au Québec, par exemple, l’idée d’un enseignement culturel des religions a paru à plus d’un d’entre nous représenter une grave menace à l’idée d’une école laïque et constituer une manière à peine déguisée de continuer à accorder dans l’école un traitement préférentiel aux croyances religieuses.
De même, les demandes d’accommodement religieux ont paru irrecevables à plus d’un défenseur de la laïcité et témoigner, encore une fois, de la tendance à accorder un traitement préférentiel aux religions parmi l’ensemble des croyances et ce au mépris de la laïcité bien comprise.
Le rapport produit par la commission Bouchard-Taylor n’a rien fait pour calmer ces inquiétudes, loin de là, et cet étrange concept de laïcité ouverte qu’il met de l’avant (parle-t-on de droits de l’homme ouverts ou de liberté ouverte?!?) aurait suffi, à lui seul, à inquiéter incroyants et partisans de la laïcité.
Cependant, à mon sens, c’est sur le plan (beaucoup moins visible du grand public) des explications naturalistes de la croyance en dieu et de la religion que les avancées les plus remarquables et les plus prometteuses de l’incroyance se sont produites.
De quoi s’agit-il exactement?
Deux avenues
Pour comprendre le sens et la portée de ces nouvelles percées théoriques, il sera utile de les situer dans le prolongement de ces explications naturalistes de la religion qui sont mises de l’avant depuis longtemps déjà au sein de la tradition occidentale. Deux avenues convergentes ont tout particulièrement été explorées.
La première, qu’on pourrait appeler génétique, concerne l’explication de l’origine de la religion et des croyances religieuses.
Épicure puis Lucrèce, on s’en souviendra, avaient ici ouvert la voie, en suggérant que les religions sont essentiellement « une maladie née de la peur».
Avec sa fameuse Loi des trois états, Auguste Comte invitait pour sa part à considérer la religion comme un moment historiquement situé et désormais dépassé — d’abord par la métaphysique, puis par la science positive — de la compréhension du monde.
Marx et d’autres ont ensuite suggéré, en analysant sa fonction politique et idéologique, que la religion était à la fois une expression de la misère réelle et une protestation contre elle, un «soupir de la créature accablée par le malheur [et] l'âme d'un monde sans coeur » : bref, et selon la célèbre formule, un «opium du peuple».
Vint Freud, qui proposera que la religion est une forme de projection de l’image du père et de névrose infantile dont l’adulte et la société devront guérir pour devenir sains.
À ces hypothèses génétiques — et c’est la deuxième des avenues que je proposais de distinguer plus haut — se sont ajoutées des analyses qui proposent cette fois des explications naturalistes à des phénomène religieux présumés être, sinon inexplicables, du moins ne recevoir d’explication qu’en termes surnaturels.
Un travail en tous points exemplaire de ces démarches est celui qu’a accompli David Hume dans son examen critique de la notion de miracle. Ces miracles, explique Hume, sont par définition des « violations des lois de la nature». Or, notre connaissance de celles-ci, faillible sans doute, repose une vaste expérience, tandis que le miracle, fondé sur un témoignage, souvent unique, invoque lui aussi une expérience pour établir sa véracité. Or l’expérience montre aussi, très amplement, la faillibilité des témoignages, surtout s’ils portent sur le religieux et le merveilleux et plus encore si, par eux, un témoin devient très intéressant aux yeux des autres. Hume conclura: «Aucun témoignage n'est suffisant pour établir un miracle à moins que le témoignage soit d'un genre tel que sa fausseté serait plus miraculeuse que le fait qu'il veut établir».
La science contemporaine et la religion
La pensée scientifique récente, tout particulièrement à travers des disciplines comme la psychologie cognitive, la biologie et la psychologue évolutionniste, prolonge ces deux avenues de réflexion et propose de nouvelles explications naturalistes de la religion.
Les nouvelles explications génétiques cherchent notamment à rendre compte, en termes évolutionnistes, de la naissance et de la persistance de la religion. Un exemple, emprunté à R. Dawkins, permettra de saisir, sinon toute la substance, du moins la forme possible de ce type d’argument.
Un papillon de nuit qui en apparence s’auto-immole sur une bougie, suit, ce faisant, une règle de conduite qui lui a conféré un avantage évolutif en lui permettant de s’orienter la nuit sur des sources infiniment lointaines de lumière. Mais il le fait en ce cas dans des conditions nouvelles (celle de la lumière artificielle, récemment apparue) qui rend cette règle mortelle pour lui.
De même, suggère Dawkins, les croyances religieuses pourraient être une défaillance, un malheureux sous-produit de la règle recommandant de croire aux aînés, règle qui s’est avérée si utile aux fragiles petits de l’espèce humaine (et leur a épargné de faire par eux-mêmes l’expérience qu’il ne faut pas toucher aux serpents).
Sur le plan de l’explication naturaliste des phénomènes présumés surnaturels liés à la religion, d’innombrables études ont été menées. En voici un exemple.
On a réalisé des études expérimentales sur la neurobiologie des expériences dites mystiques qui ont permis d’établir les effets de la méditation et de la prière sur le lobe pariétal postéro-supérieur du cerveau, siège de la détermination par le sujet des limites de son corps : or, les descriptions des expériences «mystiques» ressemblent à s’y méprendre à ce que rapportent les sujets atteints de lésions à ces régions.
Et ce n’est pas tout* .
• On sait par exemple que l’augmentation de l’éthylène dans l’organisme permet de faire l’expérience de véritables moments mystiques et que c’est justement ce que provoque la respiration pratiquée par les yogis ou encore … une faille géologique située à Delphes, en Grèce, précisément le lieu où vivaient et s’exprimaient de célèbres oracles!
• Des drogues comme la mescaline ou l’acide lysergique provoquent des hallucinations visuelles ou auditives que des cultures préscientifiques pourront aisément interpréter — et ont de fait interprété — en un sens surnaturel.
• Des déficiences importantes en vitamines C et B, qui étaient communes au Moyen-Âge, alors que les fruits frais étaient rares, peuvent provoquer des maladies qui causent des hallucinations.
• Le fait de se flageller fait produire aux plaies suppurantes des toxines hallucinogènes; le fait de jeûner a le même effet sur l’organisme.
• Par la prière et la méditation, on atteint un état de privation de stimuli sensoriels qui semble produire diverses expériences mystiques ou religieuses : mais l’expérience montre que des cuves de privation sensorielle dans lesquelles les sujets flottent dans l’eau provoque le même effet et de manière plus forte encore.
Ces percées de la connaissance et de nombreuses autres qui sont dans le même sens, seront accueillies avec bonheur par tous les incroyants, qui ne manqueront pas de se réjouir aussi du fait que la croyance religieuse, dans bien des pays occidentaux, soit de nos jours en net déclin.
Ni dieu, ni maître? Mieux d’être!
* Merci à Massimo Pigliucci, philosophe et biologiste, à qui je dois les exemples qui suivent, que je reprends de son très riche bogue que je vous invite à visiter: [http://www.rationallyspeaking.org/]
mercredi, juillet 09, 2008
EXPLICATIONS NATURALISTES DE LA RELIGION
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3 commentaires:
Le récit d'une hallucination au LSD est toujours quelque chose de saisissant pour qui l'écoute : entendre la lumière, voir les sons, voir la réalité se transformer, etc. Celui qui raconte a vraiment vécu ce qu'il dit, il est très convaincant dans son récit même si nous savons bien que la réalité, elle, n'a pas été modifiée comme la perception qu'il en a eu.
Il me semble évident que les expériences mystiques sincères (et il y en a eu) relèvent du même genre de phénomène, c'est à dire d'une confusion neurologique provoquée par un phénomène quelconque : intoxication, maladie, lésion, carence, dérèglement hormonal et même sans doute... la foi.
Ce qui m'intéresse plus que ces questions à mon avis faciles à trancher c'est de comprendre quels besoins permettent l'existence de la foi, de la religiosité et de la religion, malgré toutes les preuves qu'apporte la raison de l'inutilité de ces croyances. Car le grand secret, ce n'est pas que dieu n'existe pas, c'est que presque tout le monde (notamment les "croyants") sait au fond que dieu n'existe pas, et la preuve en est que personne n'agit comme si dieu existait. Je dis souvent que si le président américain (le président d'un état surpuissant, sur-armé et obsédé par le contrôle, y compris hors de ses frontières) découvrait qu'il existe réellement un dieu, il ne le prierait certainement pas, il consacrerait un budget colossal à l'observation et au "containement" de cette menace potentielle. Il est intéressant que les croyants ne soient jamais indifférents à Dieu ou opposés à Dieu (ou alors ils le deviennent lorsque la vie les a cruellement fait souffrir), c'est à dire qu'ils ne se positionnent pas vis-à-vis de Dieu comme on se positionne (contre-neutre-pour) vis-à-vis de n'importe quel objet, personne ou concept qui existe.
Tout ça prouve pour moi que Dieu est utilisé comme un axiome, un outil théorique indémontrable mais pratique pour tout un tas de choses, à commencer, bien sûr, par lé domination politique et l'ordre social.
Bonjour,
Vous parlez dans votre article de "laïcité".
D'abord, ce mot français est rigoureusement intraduisible en quelque langue que ce soit, ce qui contribue à jeter de sérieux doutes sur l'universalité du concept qu'il traduit (est-il besoin de le rappeler ? le mot anglais "secularism" n'est PAS la traduction du mot français "laïcité").
Ensuite, si l'on veut définir rigoureusement les termes que l'on emploie, la laïcité n'est pas une opinion de type philosophique, politique ou religieux ; ce n'est même pas une opinion du tout. C'est tout simplement un type de rapport institutionnel entre le pouvoir étatique et les différentes religions et croyances, qui consiste en l'affirmation de la neutralité du pouvoir étatique par rapport aux religions et autres croyances philosophiques ou politiques, et partant, la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Il ne me semble pas qu'un état qui dise à ses citoyens ce qu'il faut penser, fût-ce l'athéisme, soit quelque chose de compatible avec une société qui se veut démocratique. (Cette définition de la laïcité m'est personnelle, même si bien sûr je voudrais la voir plus répandue).
Il est tout à fait sain et louable de s'en prendre aux croyances irrationnelles telles que la religion. Néanmoins, la pratique montre qu'au nom de la laïcité, l'on s'en prend plus souvent à certaines religions qu'à d'autres. C'est tout à fait logique et compréhensible : étant donné le poids encore non négligeable du christianisme dans les sociétés occidentales (par exemple, l'Eglise catholique au Québec ou en France), on court moins de risques quand on s'en prend aux méchants imams qui font porter le voile à leurs femmes, quelle horreur, que quand on cherche à remettre en cause la pratique catholique bien plus barbare d'empêcher certains hommes d'avoir des relations sexuelles, voire d'emprisonner sur la base du volontariat femmes ou hommes (on aura reconnu, bien sûr, la prêtrise et le monachisme respectivement). Cela contribue à jeter de sérieux doutes sur l'universalité réelle du concept de laïcité, que peu de gens se donnent la peine de définir.
Enfin, une note personnelle : mes parents étaient incroyants, et je le suis aussi. Ils m'ont néanmoins fait prendre, quand j'étais jeune, des cours de catéchisme (dans la religion catholique) : je ne leur serai jamais assez reconnaissant, car le fait d'avoir une connaissance intime de la religion m'a toujours aidé à la combattre bien plus efficacement que si j'avais été ignorant sur ce sujet-là. Et puis, on peut être incroyant et apprécier la Bible d'un point de vue purement littéraire et esthétique (au même titre qu'Homère, par exemple).
@Sardon : bizarre, vous commencez par rappeler que la laïcité n'est pas une opinion, puis vous l'assimilez justement à une opinion (celle des gens qu'on appelle parfois les "laïcards" ?). La laïcité, c'est la soumission du religieux aux lois humaines et, en échange, le droit à croire ou non-croire ce que l'on veut. Séparer le pouvoir temporel des questions spirituelles, quoi. L'amalgame se comprend puisque les militants de l'athéisme sont précisément toujours opposés au pouvoir temporel des religions, et donc favorables à la laïcité. Mais on peut être pour la laïcité et en même temps être religieux.
Sur le côté "deux poids deux mesures", il me semble naturel pour chacun de s'en prendre à ce qui le concerne en premier lieu, de ses propres traditions culturelles, ne serait-ce que pour ne pas avoir l'air de donner des leçons aux "autres". Vous parlez de l'Islam, mais il y a d'autres exemples de cas bien plus tabous, comme le Tibet des lamas, théocratie sanglante jusqu'à ce que la Chine annexe le pays, que les occidentaux considèrent pourtant avec bienveillance et dont ils réclament le retour.
Sur l'utilité qu'il y a à taper sur l'église catholique, croyez-moi, elle est grande, car cette vénérable institution, comme toutes les religions, doit être bridée. Chaque fois que l'on relâche la bride, justement, elle reprend du poil de la bête et retombe dans ses mauvaises habitudes. Il est vital de ne pas baisser la garde.
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