dimanche, juillet 12, 2009

HUMOUR ET MATHÉMATIQUES

[Un travail en cours. Il s'agit de l'introduction de mon texte pour le livre: Je pense, dons je ris: l'humour et la philosophie, sous la direction de Christian Boissinot et moi-même, à paraître aux PUL. Vos commentaires sont les bienvenus]
***

J’ai un moment hésité à intituler cet article Humour et mathématiques. C’est que je soupçonnais qu’en y apercevant le mot mathématiques, bien des gens, qui ne se souviennent qu’avec angoisse ou douleur de leurs cours de mathématique, ne sautent aussitôt par-dessus mon texte.

Mais il est inutile de le cacher : nous parlerons bien ici de mathématiques et d’humour. Dont acte. Et qui sait? La curiosité de certains lecteurs l’emportera peut-être et au: «Les mathématiques, il n’y a vraiment pas de quoi rire!», succédera une certaine curiosité («Comment peut-on rapprocher ces deux choses-là?»), qui les incitera à au moins aller jeter un œil sur ma prose.

Si cela a été votre cas, je vous souhaite la bienvenue et salue votre courage!
Rapprocher mathématiques et humour, cela peut bien entendu se faire de bien des manières. En voici deux que je ne poursuivrai pas ici.


Rire des mathématiciens


La première serait de rire de travers réels ou présumés des mathématiciens et mathématiciennes [1]. Certains de ceux-ci, à tort ou à raison, sont notoires et donnent en effet à rire ou à sourire. Les gags ainsi produits ne nécessitent typiquement aucun savoir mathématique particulier.

Les mathématiciens sont par exemple présumés être lunatiques et incapables de comprendre que telle ou telle proposition ne soit pas immédiatement claire à chacun — et c’est là, il me semble, en pédagogie, une des sources des difficultés que tant de gens connaissent en mathématiques.

L’histoire qui suit illustre très bien ces deux travers.

Une délégation d’étudiantes et d’étudiants se rend au bureau du professeur de mathématiques pour se plaindre de son enseignement.

— « Pour vous professeur, plaident-ils, tout est clair et évident, comme vous le dites souvent; mais pas pour nous. Vous allez trop rapidement et nous n’avons pas le temps de prendre des notes. Si vous preniez le temps de donner des exemples et d’écrire des choses au tableau, nous pourrions mieux vous suivre. Les choses pourraient alors nous sembler, à nous aussi, claires et évidentes».

Le professeur assure en prendre bonne note et il promet de changer.

Le lendemain il donne son cours, mais, emporté par son sujet, il procède encore une fois comme à son habitude.

Quand il a terminé son exposé, il dit : «Et comme vous voyez, tout cela est parfaitement clair et évident».

Cela lui rappelle sa promesse et il reprend aussitôt : «Clair et évident comme deux et deux font quatre». Et il va au tableau où il écrit : 2+2 = 4.

Rire avec les mathématiques


Une deuxième manière de rapprocher humour et mathématiques serait de rire grâce ou bien à des concepts ou bien à des noms de concepts mathématiques. Mais contrairement à ce qui précède, on ne pourra dans ces deux cas comprendre le gag que si on possède le savoir mathématique qu’il présuppose.

Voici deux exemples d’un d’humour par lequel un concept mathématique permet de faire une blague.

Celle-ci, dit-on, était contée par le logicien et philosophe Ludwig Wittgenstein (1899-1951).

Un mathématicien rencontre un collègue à bout de souffle qui récite :… 9, 5, 1, 4, 1, 3. Ouf!
Il lui dit : — Tu as l’air épuisé. Qu’est-ce qui t’arrive?
Je viens de finir de réciter Pi à l’envers.

On le voit : ce gag ne marche que si la personne à qui on le conte connaît le concept mis en œuvre : Pi étant un nombre irrationnel, son développement est infini et on ne peut donc pas le réciter à l’envers.

Il en va de même de la blague suivante, qui présuppose un certain (bien qu’élémentaire) savoir mathématique :

— Le professeur de mathématiques: Supposons que la distance qu’on recherche est X.
— L’élève: Moi, je veux bien : mais qu’arrive-t-il si la distance n’est pas X?


Ces blagues reposent sur des concepts mathématiques; mais, comme je l’ai dit, on peut aussi rire grâce aux noms de certains concepts mathématiques. Voici quelques exemples de tels jeux de mots qui permettent de rire avec les mathématiques.

— Logarithme et exponentielle vont au restaurant. Qui paie l'addition?
— Exponentielle. Parce que logarithme népérien!

[Le jeu de mot népérien/ ne paie rien repose sur l’adjectif «népérien» qui désigne un type de logarithme. Il est tiré de John Napier ou Neper, un mathématicien écossais qui en est généralement reconnu comme l’inventeur.]

En voici un autre :
— Qu’est-ce qui vit dans la mer et qui n’est pas orientable? Möbius Dick!

Cette fois, le jeu de mot Moby Dick/ Möbius Dick est une référence au Ruban de Möbius. Celui-ci est si particulier (et si amusant?) que je ne résiste pas à la tentation d’en toucher un mot.

Prenez une bande de papier assez longue (disons 50 cm) et pas très large (disons 4 cm). Déposez-la sur la table puis, faites lui faire une demi-rotation et collez les deux extrémités avec du ruban adhésif.

Ce que vous venez de créer devrait ressembler à ce qui suit et est appelé Ruban de Möbius, en l’honneur de l’astronome Allemand qui l’a découvert au XIX ème siècle.

Votre création doit ressembler à ceci :



Ce ruban est très étrange. En fait, vous pouvez parier tout ce que vous voudrez avec vos amis et sans risque aucun qu’ils ne parviendront pas en colorer une face d’une couleur et l’autre face d’une autre couleur. Hésitant? Vérifiez!

Le ruban de Möbius a en effet cette étonnante propriété de n’avoir qu’une seule face! Vous le verrez bien en la suivant du doigt : vous revenez à votre point de départ.


***

J’espère qu’on en conviendra: on peut tout à fait rire avec les mathématiques et le rapprochement entre humour et mathématiques n’est pas si incongru qu’il pourrait semble de prime abord.

Ce je souhaite accomplir ici est cependant quelque chose d’un peu plus ambitieux que ces blagues anodines : je voudrais en effet tenter de rapprocher certains procédés humoristiques de certains types de raisonnements mathématiques.

Bien entendu, je ne soutiens nullement que les humoristes sont des mathématiciens qui s’ignorent ou que tous les mathématiciens soient drôles. Mais je voudrais néanmoins faire remarquer combien certains modes de pensée mis en œuvre quand on fait des mathématiques sont aussi à l’œuvre en humour, de sorte que la compréhension des uns aide à la compréhension des autres. C’est grâce à la philosophie des mathématiques, qui s’est beaucoup intéressé à eux, que je dégagerai ces modes de pensée qui sont mis en œuvre en mathématiques et en humour: de sorte que ce texte sera l’occasion d’apprendre, avec humour j’espère, quelques notions de philosophie des mathématiques.
Ce travail de rapprochment constituera l’essentiel du texte qui suit.

Je le terminerai en présentant une thèse très originale due au mathématicien contemporain Allen Paulos qui suggère, très finement, que les mathématiques peuvent nous aider à comprendre pourquoi, en certains cas du moins, nous trouvons que quelque chose est drôle. Pour pleinement apprécier la thèse de Paulos, il faut cependant comprendre cette notion d’axiomatique qui est si importante en mathématiques et en philosophie des mathématiques : je me ferai un devoir et un plaisir de l’expliquer plus loin.

Pour réaliser ce vaste programme, il nous faut commencer par toucher un mot de la philosophie des mathématiques, à laquelle nous demanderons de nous aider à rapprocher mathématiques et humour.

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Comment la poule a-t-elle traversé la rue?

Comment de célèbres mathématiciens répondraient-ils à cette fameuse question?

Je me suis amusé à imaginer quelques réponses possibles :

Zénon : La poule n’est jamais parvenue de l’autre côté de la rue.

Pythagore : Selon une diagonale, ce qui était le plus court chemin

Newton : Selon une accélération que permet de déterminer avec précision une nouvelle branche des mathématiques dont je suis l’inventeur.
Leibniz : Dont JE suis l’inventeur.

Einstein : Dans quel référentiel?

Weierstrass : En continu.

Fibonacci : En suivant un nombre d’or de lapins.

Russell : En se rendant chez le plumeur, puisqu’elle ne se plumait pas elle-même.

Descartes : Elle avait un bon plan.

Gödel : La proposition : «La poule a traversé la rue » est indécidable.

Fermat : Je l’ai découvert, mais je n’ai pas la place pour l’écrire.
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[1] Les mathématiques ont peut-être longtemps été l’apanage des hommes, mais elles ne le sont plus et nous avons à présent retrouvé la sagesse de Platon qui croyait que si les mathématiques, ou du moins les mathématiques avancées, ne sont pas pour tout le monde, certaines femmes, autant que certains hommes peuvent y exceller. Bien que parfaitement conscient de tout cela — et aussi du fait que de nombreuses femmes mathématiciennes ont, historiquement, apporté de significatives contributions à leur discipline — je vais néanmoins, pour alléger ce texte, utiliser le mot mathématiciens pour désigner les mathématiciens et les mathématiciennes.

12 commentaires:

NaOH a dit…

Bonjour,

A propos de celle-ci :
Un mathématicien rencontre un collègue à bout de souffle qui récite :… 9, 5, 1, 4, 1, 3. Ouf!
Il lui dit : — Tu as l’air épuisé. Qu’est-ce qui t’arrive?
Je viens de finir de réciter Pi à l’envers.

Kafka, lui, trouvait que l'éternité c'était long, surtout vers la fin...

Et à propos du ruban de Moebius, pour les lecteurs fatigués de tenter de le colorier sur les 2 faces qu'il n'a pas, ils pourraient néanmoins essayer de le couper en deux dans le sens de la longueur... Surprise garantie !

Normand Baillargeon a dit…

@NaOH: Surprise garantie en effet!

Normand

Unknown a dit…

«[Le jeu de mot népérien/ ne paie rien repose sur l’adjectif tiré de John Napier ou Neper, un mathématicien écossais qui est généralement reconnu comme l’inventeur des logarithmes] »

En fait, un logarithme népérien (qu'on appelle aussi logarithme naturel) est un type de logarithme particulier qui, au lieu d'être à base 10 comme le logarithme décimal, et à base e (le gag de pi s'appliquerait aussi à e, puisqu'il est aussi irrationnel, avec une chaîne infinie de décimales : 2,718...). Donc, oui, le gag repose sur l'adjectif népérien, pas parce que mot vient de l'inventeur des logarithmes, mais parce qu'il s'agit d'un type de logarithme (qui fut nommé ainsi en l'honneur de Neper).

Et comme les mathématiciens sont lunatiques, il faudrait peut-être corriger cette phrase... Mais, comme je ne suis pas mathématicien, je n'y tiens pas plus qu'il ne le faut, enfin, pour l'instant (on peut être lunatique sans être mathématicien...) !

«[Le jeu de mot népérien/ ne paie rien repose sur l’adjectif «népérien» qui désigne un type de logarithme. Le terme «népérien» est tiré de John Napier ou Neper, un mathématicien écossais qui est généralement reconnu comme l’inventeur des logarithmes]»

Normand Baillargeon a dit…

@Frdéric: Merci de me signaler cela.Il vaut toujours mieux être précis.
Normand

Greg a dit…

Bonjour, j'aime beaucoup ca, bon moi je dois avouer etre l'eleve en classe qui était le seul a suivre le professeur quand les autres eleves patogeaient.
Moi les maths ça m'a toujours amusé même sans l'humour, mais si on peut y ajouter un peu d'humour c'est encore mieux.
Mais c'est amusant de voir aujourd'hui tant de gens se passionner pour les sudokus, alors que les maths ce ne sont sont souvent que des jeux logiques.

En tout cas merci M.Baillargeon pour tout cela, mais a propos tous ces livres que vous sortez, est-ce qu'il paraissent en France, car à part le manuel d'autodéfense intellectuel je n'ai jamais vu vos livres.

Anonyme a dit…

Une anecdote :

Mon chien a la chance de s'appelait Pythagore.
Et je souris souvent au moment de la promenade, quand je m'entends dire :

"Pythagore, va chercher ta laisse..."

Gnomon a dit…

Une petite blague reposant sur des concepts mathématiques.

Cos x, Sin x et e x vont dans un bar. Tandis que les deux premiers s'amusent bien, "e à la x" reste dans son coin.

Cos x va le voir et lui demande pourquoi il reste là.
"e à la X" répond: j'essaie de m'intégrer, mais ça change rien.

Normand Baillargeon a dit…

@ Greg:vous avez raison pour le sudokus; en ce moment, au Québec, à ne juegr par l'intense activité éditoriale, il semble même y avoir une grande passion pour les jeux mathématiques et les énigmes.

Certains de mes livres sont distribués en France, d'autres non - sinon via la Librairie Du Québec, à Paris.
Si vous voulez lire un truc et ne trouvez pas, faites moi signe en privé (baillargeon.normand@uqam.ca)

Normand

Normand Baillargeon a dit…

@gnomon et wouf is wouf: Merci!

Normand

Normand Baillargeon a dit…

@ Greg:vous avez raison pour le sudokus; en ce moment, au Québec, à ne juegr par l'intense activité éditoriale, il semble même y avoir une grande passion pour les jeux mathématiques et les énigmes.

Certains de mes livres sont distribués en France, d'autres non - sinon via la Librairie Du Québec, à Paris.
Si vous voulez lire un truc et ne trouvez pas, faites moi signe en privé (baillargeon.normand@uqam.ca)

Normand

Rozéfré a dit…

Très drôle . Bonne continuation

tosat a dit…

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