mardi, avril 21, 2009

CUBA RESTE DANS LA MIRE DES ÉTATS-UNIS

[Billet pour le prochain numéro d'Alternatives]

C’était écrit : le 5e Sommet des Amériques, tenu à Trinité-et-Tobago, n’a pas permis aux 34 pays présents d’atteindre sur la question cubaine un consensus qui aurait permis de lever l’embargo imposé à Cuba depuis … 47 ans!

Les Etats-Unis, seuls de leur camp, persistent donc, contre le reste du monde, à affamer, à faire souffrir, à rendre malades et à priver de médicaments et d’appareils médicaux adéquats tous les Cubains. Plusieurs pays d’Amérique Latine, le Venezuela en tête, ont donc, pour cette raison, refusé de signer la déclaration finale du sommet.
Depuis un demi-siècle, les Etats-Unis maintiennent sur Cuba une politique où se mêlent à cet embargo d’innombrables actes terroristes, des complots pour assassiner Castro et de multiples tentatives de coups d’État. Cette politique reste inflexible et elle n’a cessé d’être appliquée avec une rigueur et un fanatisme réellement inouïs.

Tout cela, y compris l’embargo lui-même, a pourtant été condamné à maintes reprises par toutes les instances pouvant se prononcer et a été déclaré illégal par de nombreuses autres, conformément au droit international, qui interdit notamment d’utiliser la privation de nourriture comme moyen de pression politique ou économique. La population américaine, comme le reste de la population mondiale, désapprouve en bloc cette politique.

Mais rien n’y fait. L’administration Kennedy, qui a initié toutes ces choses, tenait à ce que le reste du monde pense que les Etats-Unis, quand il est question de Cuba, «deviennent légèrement cinglés». C’est le cas depuis lors; ce l’est encore aujourd’hui.
Car il faut en effet être cinglé — et beaucoup plus que légèrement — pour voir dans Cuba une menace pour les États-Unis. Un ambassadeur mexicain à qui le Gouvernement américain demandait de dire que Cuba présentait un danger pour son pays, avait expliqué qu’il ne pouvait le faire : s’il affirmait une telle chose, expliquait-t-il, il serait responsable du décès de 40 millions de mexicains, qui mourraient aussitôt de rire.

Reste une question : pourquoi, envers et contre tous, le gouvernement américain a-t-il fait de Cuba une question à ce point personnelle et maintient-il cet anachronique vestige de la Guerre Froide?

La réponse me semble assez simple: Cuba était le terrain de jeu des États-Unis et ils ne peuvent tolérer le mauvais exemple de quelqu’un qui ose s’émanciper. Au total, même si Obama, en campagne, avait promis de grands changements, ceux-ci, on le voit à présent, seront finalement bien modestes — les autorisations de voyages et les transferts d’argent seront notamment plus libéralement accordés.

Il faut déplorer cette impasse de toutes nos forces. C’est qu’en ce moment historique où Cuba, très fragilisée par la crise économique, par la montée des inégalités, de la pauvreté, du marché noir et de l’économie informelle doit imaginer une voie politique et économique qui lui permettrait de sortir de l’autoritarisme, de la planification centrale, de la bureaucratie et de l’organisation hiérarchique du travail, mais sans entrer dans l’économie de marché, en un tel moment, l’absence de levée de l’embargo est une véritable catastrophe.

C’est une catastrophe pour le peuple cubain, d’abord, qui réclame des changements.

C’en est une aussi pour ces valeurs de droits de l’homme et de liberté d’expression dont se drapent rhétoriquement les Etats-Unis pour justifier leur délirante et mortifère politique : car ces valeurs elles-mêmes exigeraient des Etats-Unis non seulement qu’ils lèvent l’embargo, mais aussi qu’ils ferment la base militaire de Guantanamo illégalement occupée et qu’ils compensent Cuba pour tous les dommages subis depuis un demi-siècle.

Finalement, le maintien de l’embargo est une catastrophe pour l’espoir d’un socialisme plus authentique, celui dont les parrains ne peuvent en aucun cas tolérer l’existence —ceci expliquant cela.

L’audace d’espérer obamienne, semble-t-il, ce n’est pas pour les Cubains et leur l’Île pour l’avenir prévisible, reste donc dans la mire de la mafia et de son nouveau parrain.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Il me semble qu'il n'y ait aucun fanatisme dans l'attitude des Etats-Unis face à Cuba, juste un exemple de ce que Jean de La Bruyère (1645-1696) décrivait déjà à son époque, à savoir l'éternelle indifférence des nantis envers les gueux et les crève-la-faim.

"Champagne, au sortir d'un long dîner qui lui enfle l'estomac, et dans les douces fumées d'un vin d'Avenay ou de Sillery, signe un ordre qu'on lui présente, qui ôterait le pain à toute une province si l'on y remédiait. Il est excusable : quel moyen de comprendre, dans la première heure de la digestion, qu'on puisse quelque part mourir de faim ?" ("Les Caractères", VI, 18)

http://www.rom.uga.edu/mac/fassaf/labruyere.html

P.S. : le livre sur Voltairine de Cleyre est-il disponible en France ?

Normand Baillargeon a dit…

Bonjour, anonyme,
je pense qu'il y a plus que ce que La Bruyère énonce — et qui existe indubitablement. Une part substantielle de la politique étrangère américaine a été motivée par la crainte de ce que pourrait enseigner aux dominés un «mauvais exemple». La politique américaine en Amérique Latine, tout particulièrement, doit se comprendre en partie dans cette perspective. Si le Parrain de la Mafia ne saurait tolérer qu'une personne refuse de payer, même un petit montant, c'est moins pour ce montant que pour le principe et le mauvais exemple qu'il donne.

Pour le Voltairine: je en suis plus chez Lux et ne suis donc pas au courant de la disponibilité du livre en France. S'il n'est pas disponible chez vous, je me ferai un plaisir de vous en envoyer une copie à l'adresse que vous m'indiquerai par courriel privé (baillargeon.normand@uqam.ca]

Bonne journée,

Normand

Anonyme a dit…

Bonjour,

Merci de votre réponse.

Habitant la région parisienne (personne n'est parfait), j'irai faire un tour à la Librarie du Québec à Paris, rue Gay-Lussac. Si je ne trouve rien, je prendrai la liberté de vous contacter à l'adresse que vous m'avez indiqué.

P.S. : excusez-moi pour mon anonymat, mais utiliser un pseudo ridicule me répugne, et je n'ai qu'une confiance modérée, non pas en des personnes comme vous, mais envers les fournisseurs d'accès qui vous suivent à la trace sur Internet, soi-disant "lieu de liberté" où le flicage s'est généralisé.

Cf. : http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1673

Normand Baillargeon a dit…

Bonjour,
Je serais curieux de savoir si le livre est à la librairie du Québec. Sinon, ne vous gênes pas pour m le demander et je vous en enverrai un exemplaire.

En 2010-2011, je serai probablement en congé sabbatique et j'espère de tout coeur être aussi imparfait que vous :-), je veux dire vivre à Paris un an — et y écrire un livre sur mon cher Condorcet.

Normand