[Cet article est paru en 2006 dans la revue Réfractions].
[…] c’est lorsque nous avons discuté de la
nature humaine et des problèmes politiques
que sont apparues des différences entre nous.
Michel Foucault
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La catégorie de pouvoir est à l’évidence cardinale dans toute définition de l’anarchisme et sitôt qu’elle est mise en jeu se posent, entre de nombreuses autres, les questions de sa nature, de sa genèse et de son éventuelle légitimité.
De telles questions sont à n’en pas douter immensément difficiles et complexes, mais elles présentent aussi un indéniable intérêt intrinsèque. De plus, les réponses qu’on leur donne conduisent à des enjeux qui ont de décisives répercussions stratégiques et militantes. On peut donc raisonnablement penser qu’elles continueront longtemps encore à être tenues pour incontournables par les libertaires.
Ces questions et ces enjeux étaient justement au cœur d’un désormais célèbre échange entre Noam Chomsky (1928) et Michel Foucault (1926-1984) tenu à Eindhoven en 1971 et transmis à la télévision Néerlandaise sous le titre : Nature humaine : Justice versus pouvoir (1).
À cette date, faut-il le rappeler, Chomsky et Foucault jouissent déjà, l’un comme l’autre, d’un immense prestige et d’une grande notoriété qui tiennent d’une part à ce que chacun d’eux a substantiellement transformé le domaine intellectuel dans lequel il œuvre (Foucault, la philosophie et Chomsky, la linguistique), d’autre part à l’ampleur et à la visibilité de leurs engagements politiques respectifs (2).
En fait, il n’est sans doute pas excessif de soutenir que cette rencontre réunissait les deux personnes qui, plus que quiconque à ce moment-là, alliaient un statut d’intellectuel de premier plan et un substantiel engagement politique. Et puisque tous deux pouvaient en outre, mutatis mutandis, être donnés pour des compagnons de route des libertaires, on conviendra, je pense, de l’intérêt d’un retour sur cet échange.
Celui-ci est divisé en deux parties, respectivement consacrées, la première à l’histoire des sciences et des idées et à certains des apports de chacun des protagonistes sur ces plans, la deuxième au politique — et c’est surtout durant cette deuxième partie que de profonds et substantiels désaccords entre les deux penseurs seront mis à jour.
Au total, les sujets abordés sont nombreux et le territoire conceptuel couvert est particulièrement vaste. Mais, et avec ce recul que seul procure le passage du temps, il me semble que la principale raison de la brûlante actualité de ce document est de permettre d’assister à la confrontation de deux systèmes de pensée profondément différents mais ayant tous deux exercé une immense influence sur l’histoire intellectuelle et militante récente.
Pour le dire de manière un peu brutale et qui ne rend peut-être pas justice à l’ensemble des oeuvres des protagonistes, Chomsky représente ici une pensée qui se réclame des Lumières et donc d’un projet moderniste et fondationnaliste, à la fois épistémologique (rationaliste) et politique (émancipationniste). Foucault, quant à lui, s’inscrit dans cette nouvelle perspective anti-fondationnaliste et poststructuraliste qu’on baptisera bientôt postmoderniste, en voyant justement en lui un de ses principaux créateurs. Ce projet postmoderniste conjugue, lui aussi, une perspective épistémologique et une perspective politique. Sur le plan épistémologique, il est en particulier très critique des prétentions rationalistes et débouche sur un rejet du projet philosophique occidental traditionnel et de ses catégories et distinctions fondatrices — comme l’apparence et la réalité, le savoir et l’opinion; sur le plan politique, il est notamment caractérisé par son attention aux singularités, aux différences, à la multiplicité des cultures, des valeurs et des identités.
Relu dans cette perspective, l’échange entre Foucault et Chomsky permet de mesurer d’une part à quel point sont crucialement différentes voire opposées certaines de leur présuppositions fondatrices, d’autre part comment ces différences conduisent ces deux système de pensée à adopter, sur des plans cruciaux pour toute réflexion sur le pouvoir et pour l’action militante, des positions profondément antinomiques.
Mon ambition sera ici de tracer, dans l’échange entre Chomsky et Foucault, les lignes de partage qui permettent de dessiner les contours de ces différences et de ces antinomies afin d’en dégager le sens et la portée.
Plus précisément, je voudrais souligner la radicale divergence des analyses avancées sur les thèmes que j’évoquais en ouverture de ce texte — la nature et l’origine du pouvoir; son éventuelle légitimité; les conséquences des réponses données à ces questions pour le combat politique; — et dégager les implications théoriques et pratiques de ces différences.
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Chomsky ouvre la discussion par un rappel de certaines de ces thèses méta-linguistiques qui l’ont conduit à la promulgation du programme de recherche de la linguistique contemporaine et ont permis son rattachement aux sciences cognitives.
En substance, il fait remarquer que l’utilisation normale du langage par les locuteurs adultes témoigne de la maîtrise par eux d’un vaste répertoire de capacités et de savoirs permettant le déploiement d’une remarquable créativité — et notamment la formulation et la compréhension d’un nombre en principe infini d’énoncés. Or, cet état complexe, atteint, sauf exception, par tous les sujets adultes, l’est malgré le fait qu’ils n’aient été exposés qu’à un nombre limité d’énoncés de qualité inégale : c’est là, comme on sait, l’argument de la pauvreté des stimuli.
La question qui se pose alors est de rendre compte de ce fossé entre la modicité des données auxquelles le sujet est exposé, d’une part et, de l’autre, la richesse, la systématicité et la créativité du savoir qu’il possède ultimement. Chomsky a plus tard baptisé ce problème le «Problème de Platon» en référence notamment à ce passage du Ménon où un esclave ignorant tout de la géométrie retrouve de — et selon Platon en — lui-même comment il faut procéder pour construire un carré qui soit le double d’un carré donné.
Parvenu à ce point de son argumentation, Chomsky rappelle l’hypothèse innéiste qu’il a avancée dans ses travaux, hypothèse selon laquelle la capacité humaine au langage est attribuable à des structures mentales spécifiques dont bon nombre de caractéristiques constituent un ensemble de propriétés biologiques et innées propres à l’espèce humaine.
La conclusion qu’il invite à tirer est que ce qui est ainsi mis à jour, en tant qu’objet de recherche scientifique, est précisément une composante de la nature humaine. Mieux : une composante fondamentale de la nature humaine — fondamentale «compte tenu du rôle que joue le langage non seulement dans la communication, mais aussi dans l’expression des idées et dans les interactions entre les personnes». Chomsky ajoute qu’il assume volontiers que «quelque chose de semblable doit être vrai dans d’autres domaines de l’intelligence, de la cognition et des comportements humains».
Un long et passionnant échange s’amorce alors, qui va occuper la plus grande part de la première partie de la discussion. Il y est notamment question d’histoire des idées et d’histoire des sciences; du développement des idées de Chomsky et des auteurs l’ayant influencé; du statut des concepts scientifiques; ainsi que de la question de la créativité.
Il est remarquable que tout au long de cet échange les protagonistes parviennent, pour l’essentiel, à des accords sinon complets, du moins très substantiels. S’agissant par exemple de la question de la créativité, il n’ont d’abord aucun mal à reconnaître qu’ils abordent sous ce même concept des problématiques distinctes, nées au sein de traditions disciplinaires différentes et où elles se sont posées de manières profondément divergentes.
C’est ainsi que Foucault a entièrement raison de rappeler que Chomsky, en linguistique, s’opposait au behaviorisme alors dominant, lequel «n’attribuait à peu près rien à la créativité du locuteur», tandis que, dans son propre champ d’intérêt, le problème était complètement différent, puisqu’on y exaltait la créativité de quelques individus au détriment de l’examen des conditions socio-historiques de la production du savoir scientifique. En ce sens, sous le même mot de créativité, ce sont donc bien deux problématiques différentes qui sont abordées. Et comme elles sont traitées ici à un très haut niveau d’abstraction et que la conversation reste nécessairement schématique, la complémentarité de leurs points de vue apparaît plausible aux deux interlocuteurs. Mais examiner tout cela nous entraînerait trop loin de notre sujet et je préfère en venir immédiatement au premier moment de l’échange où un désaccord assez marqué se manifeste. Il se produit lorsque la discussion sur la créativité s’étend à la question du développement des théories scientifiques et à la nature des contraintes qui pèsent sur lui.
Tout en reconnaissant l’importance de l’apport de Foucault, qui permet d’une part de souligner qu’on n’est pas en présence d’un processus de simple accumulation de connaissances, d’autre part de rappeler le poids de ces contraintes qu’on pourrait appeler historico-institutionnelles — Foucault parlera de «grilles» — Chomsky propose une perspective dont on peut penser qu’il la juge comme étant simplement complémentaire à la perspective foucaldienne.
Plus spécifiquement, et de manière très prévisible, il aborde le problème de la genèse des théories scientifiques à partir de l’idée d’un système de règles dans l’esprit du sujet envisagées comme un ensemble de conditions initiales limitant l’étendue du savoir possible et permettant ce «saut inductif» par lequel on passee d’un nombre limité de données à des systèmes de savoir complexe (3) . La perspective ainsi ouverte, est-on tenté de dire, est avant la lettre celle de l’épistémologie évolutionniste.
Foucault, pour la première fois, se déclare explicitement en désaccord et il est important de prendre la mesure de ce qui est ici en jeu puisque ce désaccord est lourd de conséquences — même si Foucault le présente pour commencer comme une «petite difficulté».
Foucault fait d’abord valoir que la position de Chomsky semble impliquer qu’un nombre limité de théories scientifiques sont possibles : or cette conclusion, assure-t-il, n’est plausible que si on se limite à observer de brèves périodes historiques. Envisagée dans la longue durée, l’histoire des sciences, suggère Foucault, donne au contraire à voir une étonnante «prolifération de possibilités par divergence» et ce qu’il appellera justement la mise en œuvre d’un «principe de divergence» — plutôt que d’«accumulation». Foucault invoque ensuite l’idée d’une surabondance de faits et de données pour les systèmes possibles à une époque donnée, puis, préfigurant des thèmes qui seront abondamment discutés en épistémologie durant le dernier quart du XX ème siècle, il formule à sa manière cette idée de sous détermination des théories par les faits à laquelle les nom de Duhem et de Quine sont typiquement associés.
Ce qui est ainsi peu à peu mis en jeu échappe d’autant moins à Chomsky qu’à terme le relativisme épistémologique vers lequel tend ici Foucault («Si tout est possible, rien ne serait possible», dira Chomsky) remet radicalement en cause le fondement même de tout programme de recherche scientifique — et en particulier le réalisme extérieur et l’idée de vérité correspondance. C’est donc l’idée même de connaissance scientifique et de son accroissement qu’il s’agit de défendre, l’idée que la science — du moins les sciences naturelles dont il est seules question ici et auxquelles Chomsky rattache son travail — porte sur un monde extérieur indépendant des représentations du sujet connaissant, monde qu’elle décrit de manière plus ou moins exacte; l’idée, enfin, que si la science a bien une histoire, elle n’en est pas moins cumulative.
S’il reconnaît qu’il est tout à fait possible que certaines questions (et même certaines de celles qui nous intéressent le plus, comme justement la nature humaine ou l’organisation d’une société saine) pourraient fort bien rester inaccessibles à la connaissance scientifique, Chomsky insiste donc pour réitérer le rôle indispensable des propriétés de l’esprit dans la genèse et, il le dira explicitement, l’accroissement du savoir scientifique.
Foucault mesure lui aussi fort bien l’enjeu de cette discussion. Il accorde que de telles règles sont bien mises en œuvre par l’esprit humain, reconnaît qu’il est légitime pour le linguiste ou l’historien de chercher à les penser : mais il refuse de concéder que «ces régularités puissent être reliées (connected), comme conditions d’existence, à l’esprit humain ou à sa nature.». On l’aura deviné : Foucault préconise de chercher les conditions d’apparition de ces régularités dans des pratiques humaines comme «l’économie, la technologie, la politique, la sociologie», en tous les cas «hors de l’esprit humain, dans des formations sociales, dans des relations de production, des luttes de classes etc.».
Cette passe d’armes tourne court et s’achève sans que le sujet ne soit repris ou approfondi et Foucault et Chomsky en tirent tous deux, provisoirement, un bilan conciliant : mais ces débats et leurs substantiels enjeux vont ressurgir dans la deuxième partie de l’entretien.
Pour le moment, Foucault conclut qu’il se pourrait que leurs divergences tiennent à ce que lui et Chomksy ne parlent pas de la même chose sous la catégorie de savoir : le linguiste entendrait pas là «l’organisation formelle du savoir » tandis que lui-même a en tête «le contenu des différents savoirs qui sont dispersés au sein d’une société […] et qui se donne comme le fondement de l’éducation, des théories, des pratiques, etc.».
Quant à Chomsky, il suggère que la création scientifique met en jeu deux facteurs : des propriétés intrinsèques de l’esprit et «un ensemble de conditions sociales et intellectuelles données». Comprendre la création scientifique demande de penser simultanément ces deux facteurs et leur interaction : or Foucault s’intéresse particulièrement à un des ces facteurs, tandis que lui-même s’intéresse à l’autre.
Ces deux explications sont loin d’être convaincantes et masquent mal de profonds désaccords — épistémologiques, ontologiques et politiques — qui vont surgir dès le moment où, la discussion venant de s’engager sur le terrain politique, Chomsky va explicitement lier son esquisse d’une théorie de la nature humaine à une double ambition.
D’abord, étant admis d’une part la centralité des idées de liberté et de créativité dans cette conception de la nature humaine et, d’autre part, le fait qu’une «société décente devrait maximiser les possibilités de réalisation de ces potentialités», l’ambition d’œuvrer à l’élimination des structures et institutions coercitives qui ne peuvent se justifier.
Ensuite, ou plutôt conjointement, celle de tenter d’esquisser une vision, plausible et désirable, d’une société juste et humaine.
Chomsky rappelle à cette occasion son attachement à l’idée d’un système décentralisé de libres associations incorporant des institutions économiques, sociales et politiques et dont il pense qu’elle est particulièrement adaptée à nos actuelles sociétés occidentales technologiquement avancées : «Il n’y a plus de nécessité à traiter les êtres humains comme des éléments mécaniques d’un procès de production, dira-t-il. Cela peut être aboli et nous devons l’abolir au profit d’une société de liberté et de libre association au sein de laquelle les pulsions créatrices que je pense être intrinsèques à la nature humaine pourront s’accomplir de toutes les manières qu’elles le voudront.»
La position défendue par Chomsky, placée sous le signe de l’anarcho-syndicalisme ou du socialisme libertaire, trace ainsi un programme pour une théorie et une pratique politiques — et même, plus généralement, pour une science sociale digne de ce nom. À ce programme et à la conception de la nature humaine qui le sous-tend, Foucault objectera divers arguments de grande portée et auxquels toute son œuvre a donné des formulations exemplaires. Je propose de les présenter en deux moments.
Le premier ensemble d’arguments pourrait être décrit comme historiciste et perspectiviste — j’emploie ce mot parce qu’on y devine la forte influence de Nietzsche qui ne cesse de s’affirmer sur lui depuis que Foucault l’a lu en août 1953 (4) — et soutient que cette postulation a-historique d’une nature humaine permanente et essentielle, «à la fois idéale et réelle», «cachée et jusqu’à présent opprimée» court, peut-être inévitablement, le risque de reproduire les catégories mêmes au sein desquelles nous la pensons. Il s’ensuivrait que nous serions toujours, et même à notre insu, inscrits dans notre historicité, jusque dans les catégories par lesquelles nous pouvions croire y échapper.
Selon ce point de vue, qui est finalement celui du constructivisme social, des notions et des concepts comme ceux de «nature humaine», de «justice», ou «d’accomplissement par les êtres humains de leur essence» ont été forgés au sein même de notre civilisation et donc dans le cadre de notre mode de connaissance, de notre manière de philosopher et sont engendrés par notre système de classes. Foucault en conclut qu’il est pour sa part incapable d’étendre ces notions à la description ou à la justification d’un combat destiné à «mettre à bas les fondements même de notre société».
De plus, et c’est la deuxième série d’arguments qu’il déploie, cette nature humaine hypostasiée opérerait au détriment de la nécessaire et souhaitable reconnaissance de la pluralité des différences et des singularités historiques, culturelles et sociales. Sous des dehors de savoir pur et désintéressé, de neutralité objective, cet échafaudage théorique sert en réalité aux institutions dominantes d’instrument d’oppression, de contrôle, de classification et de négation des différences. On reconnaît bien entendu ici ces thèses auxquelles le livre suivant de Foucault, Surveiller et Punir, va bientôt donner leur pleine extension. L’appel à l’universalisme abstrait est alors identifié pour ce qu’il serait: le masque par lequel, à travers tout un ensemble de pratiques discursives et de «biopouvoir», les institutions de la modernité ont assuré la gouvernementalité des individus et de la société.
Cette fois encore se dessinent les programmes d’une théorie et d’une action politique. Leur ambition, rappelle Foucault, sera notamment de travailler à dissiper l’illusion que le pouvoir réside dans le Gouvernement et ne s’exerce qu’à travers quelques institutions spécifiques (administration, police, armée, etc.); puis de montrer qu’il est aussi dans ces multiples médiations «d’institutions qui semblent n’avoir rien en commun avec le pouvoir politique et être indépendantes de lui — mais ne le sont pas».
Que penser, aujourd’hui, de ces deux programmes? C’est la question à laquelle je voudrais essayer de répondre dans la dernière partie de ce texte.
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Il s’est agi, tout au long de cet échange, de lier une théorie à une pratique et puisque les deux protagonistes semblent convenir — à partir de perspectives certes différentes et pour des raisons elles-mêmes différentes — qu’ils oeuvrent dans un domaine au savoir profondément incertain, faisons de cette catégorie d’incertitude le point de départ à notre réflexion. C’est qu’à mon sens on y mesure toute la différence qui existe, en théorie comme en pratique, entre une position fondationnaliste et une position anti-fondationnaliste.
Selon le premier point de vue, notre savoir — et Chomsky l’admet sans ambages (5) — est limité et faillible . Pourtant, des vérités empiriques au moins partielles et qu’il est raisonnable d’admettre provisoirement, nous sont accessibles. Elles décrivent des faits concernant en particulier l’état actuel et passé du monde et notre militantisme doit en tenir le plus grand compte. Disposant en outre d’une idée, même partielle et spéculative, de la nature humaine, nous sommes en mesure, compte tenu de ce que nous savons de l’état du monde, d’identifier des structures de pouvoir et de domination comme étant illégitimes et de justifier qu’il faille travailler à les abattre. Nous sommes enfin en mesure de juger des progrès accomplis selon qu’ils pointent, ou non, vers un accroissement de la justice et de la décence. Le travail à réaliser ne sera sans doute jamais achevé, comme le souligne Chomsky :
Ce que je pense être l’apport le plus important de l’anarchisme [...] c’est cette reconnaissance qu’il y aura toujours à découvrir et à surmonter des structures de hiérarchie, d’autorité, de domination et de contraintes qui seront imposées à la liberté : l’esclavage, l’esclavage salarial, le racisme, le sexisme, les écoles autoritaires, etc. […] Si la société progresse et surmonte ces formes d’oppression, elle en découvrira d’autres (6).
La perspective que je viens de dessiner reconnaît les embûches et les immenses difficultés qui se dressent devant toute volonté de comprendre le monde et d’agir sur lui; mais elle refuse de faire de ces difficultés une impossibilité. Elle pense qu’il convient au contraire d’y faire face avec les moyens les plus efficaces que l’on puisse déployer : la raison, les faits et un idéal le plus explicitement formulé compte tenu de ce qu’il est raisonnable de penser. Une telle attitude est finalement celle de la phronesis des Anciens, qui se propose d’agir prudemment après avoir au mieux délimité l’incertitude et pour cela déterminé ce qui est vrai, ce qui est seulement vraisemblable, ce qui est faux et ce qui est souhaitable.
Les catégories de sujet, de vérité, de justice, d’émancipation bien qu’incertaines et perfectibles sont, on l’aura noté, indispensables à la réalisation de ce programme. Sans elles, en fait, il apparaît même impossible d’identifier les formes légitimes et illégitimes de pouvoir, de justifier d’abattre les unes et pas les autres, bref, de simplement formuler de manière cohérente un projet politique libertaire.
Or, me semble-t-il, Foucault s’est justement privé du recours à ces catégories, toutes suspectes dans la perspective de la rupture postmoderniste. Les conséquences de cette rupture apparaissent clairement dans la deuxième partie de son échange avec Chomsky, durant laquelle se mesure l’abîme qui sépare une position fondationnaliste d’une position anti- fondationnaliste.
Un premier et immense problème surgit sitôt que l’on cesse de prendre au sérieux les concepts de vérité et de savoir, ainsi que semble l’impliquer le constructivisme social et le perspectivisme défendus par Foucault. Si tout, en effet, n’est qu’affaire que de perspective et de construction sociale, comment l’action militante peut-elle invoquer une état (déplorable) du monde pour justifier que l’on se mobilise contre lui? Ou encore arguer contre les représentations fausses qu’en donnent les institutions dominantes et la propagande (7)?
Foucault a en tout cas publié de nombreux textes où il parle de la vérité et de savoir en des termes pour le moins étonnants et qui interdisent que l’on puisse répondre de manière satisfaisante à ces questions. Par exemple :
[…] par vérité, entendre un ensemble de procédures réglées pour la production, la loi, la répartition, la mise en circulation et le fonctionnement des énoncés; la vérité est liée circulairement à des systèmes de pouvoir qui le produisent et le soutiennent et à des effets de pouvoir qu’elle induit et la reconduisent. Régime de la vérité […][la question] est de savoir s’il est possible de constituer une nouvelle politique de la vérité. Le problème n’est pas de changer la conscience des gens […] mais le régime politique, économique, institutionnel de production de la vérité. […] La question politique, en somme, ce n’est pas l’erreur, l’illusion, la conscience aliénée ou l’idéologie; c’est la vérité elle-même (8).
Ou encore :
L’analyse historique de ce grand vouloir-savoir qui parcourt l’humanité fait donc apparaître à la fois qu’il n’y a pas de connaissance qui ne repose sur l’injustice (qu’il n’y a donc pas, dans la connaissance même, un droit à la vérité ou un fondement du vrai) et que l’instinct de connaissance est mauvais, (qu’il y a en lui quelque chose de meurtrier, et qu’il ne peut, qu’il ne veut rien pour le bonheur de l’humanité) (9).
De telles analyses de la vérité et du savoir sont intenables notamment parce qu’elle sont inconsistantes et je les pense suicidaires pour un mouvement qui aspire à comprendre et à changer le monde.
Quoiqu’il en soit, Foucault, semble-t-il, préconise de remplacer ces catégories philosophiques traditionnelles par le couple pouvoir/savoir. Il écrira :
Peut-être fait-il renoncer à croire que le pouvoir rend fou et qu’en retour la renonciation au pouvoir est une des conditions auxquelles on peut devenir savant. Il faut plutôt admettre que le pouvoir produit du savoir (et pas simplement en le favorisant parce qu’il le sert ou en l’appliquant parce qu’il lui est utile); que pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre; qu’il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ne de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir. Ces rapports de «pouvoir-savoir» ne sont donc pas à analyser à partir d’un sujet de connaissance qui serait libre ou non par rapport au système de pouvoir; mais il faut considérer au contraire que le sujet qui connaît, les objets à connaître et les modalités de connaissance sont autant d’effets de ces implications fondamentales du pouvoir-savoir et de leurs transformations historiques. En bref, ce n’est pas l’activité du sujet de connaissance qui produirait un savoir, utile ou rétif au pouvoir, mais le pouvoir-savoir, les processus et les luttes qui le traversent et dont il est constitué, qui déterminent les formes et les domaines possibles de la connaissance (10).
Mais, ici encore, cette catégorie de pouvoir est problématique et pour la pensée et pour l’action. C’est que le pouvoir au sens foucaldien est un destin, il est la substance permanente de l’histoire, dont seuls varieraient les attributs comme autant d’espèces d’un même genre : son analyse est nominaliste et révèle une sorte de pancratisme hobbesien, proche du concept nietzschéen de volonté de puissance. Ce pouvoir-là est partout et vient de partout : « [il] n’est pas une institution, dira Foucault, et ce n’est pas une structure, ce n’est pas une certaine puissance dont certains seraient dotés : c’est le nom qu’on prête à une situation stratégique complexe dans une société donnée» (11).
Le danger est ici que l’on confonde savoir et pouvoir là où il y aurait lieu de les distinguer. On aura un exemple de cette confusion vers la fin de l’échange, et de manière particulièrement intéressante, lorsque Foucault invoquera la catégorie de maladie mentale, sur laquelle il a tant travaillé, pour affirmer qu’elle est historiquement située et que «les définitions de la maladie et de la folie, ainsi que leur classification, ont été construits de telle sorte qu’ils excluent de notre société un certain nombre de personnes». Bref : ces catégories ne seraient que le nom et le masque d’un certain pouvoir. Mais cela est loin d’être évident. Et c’est ainsi que Chomsky, qui n’ignore bien entendu rien du caractère fallacieux et idéologique de tant de catégories des sciences sociales, répond, et avec raison : «Je dois dire mon désaccord [sur ce point] avec Monsieur Foucault et exprimer mon point de vue selon lequel le concept de maladie mentale a probablement un caractère absolu, au moins dans une certaine mesure».
Le point de vue défendu par Foucault me semble également problématique sur un plan stratégique en ce qu’il ne permet pas de justifier le choix des cibles dans les combats qui sont entrepris. Doit-on, par exemple, lutter en priorité sur le plan économique et nous en prendre aux Corporations Transnationales (comme le suggère d’ailleurs Chomsky), ou autre chose encore, peut-être de l’ordre de ce qu’esquisse Foucault? Rien, dans la perspective foucaldienne, ne semble permettre de le décider. De même, rien ne permet de décider de ce qui, dans les structures de pouvoir existantes, peut être considéré comme légitime ou illégitime ou comme constituant un gain et partant être mis en œuvre pour l’obtention de gains ultérieurs. Les échanges que les deux philosophes ont sur la désobéissance civile et sur droit international sont à cet égard emblématiques de leurs positions respectives.
Chomsky conçoit la désobéissance civile comme s’exerçant au nom d’une présomption de justice supérieure. Il insistera même pour souligner que certaines lois existantes incorporent des valeurs humaines décentes et que l’on puisse donc, en certains cas, s’appuyer sur le système légal et ses possibilités pour justifier que l’on doive poser des gestes que l’État qualifiera d’illégaux.
De même, dira-t-il, le droit international, s’il permet que des interventions armées se fassent «au profit de structures de pouvoir qui se donnent pour des États et agissent contre les intérêts des masses» n’est pas que cela. Les principes de Nuremberg, la Charte des Nations Unies existent également et «exigent du citoyen qu’il agisse contre son propre État en posant des gestes que ce dernier tiendra pour illégaux». On doit donc, et c’est là un point théorique et stratégique crucial, en appeler dans nos combats à une certaine idée de la justice; et on peut même, en certains cas, en appeler, contre les institutions dominantes, à l’idée de justice qu’elles admettent.
Chomsky résume comme suit ce qu’on peut tirer de ces analyses:
Il est trop irréfléchi et précipité de ne faire de nos actuels systèmes de justice que des outils d’oppression au service d’une classe : ils ne le sont pas. Bien sûr ils incorporent des systèmes d’oppression de classe et des éléments d’autres types d’oppression également; mais on y trouve aussi une tendance vers la vraie humanité et vers des concepts valables de justice, de décence, d’amour, de bonté et de sympathie qui sont bien réels. Et je pense que dans toute société future, qui ne sera bien évidemment jamais parfaite, nous aurons de tels concepts, incorporant de plus en plus une défense des besoins humains fondamentaux, y compris des besoins de solidarité, de sympathie et ainsi de suite, mais qui reflèteront sans doute toujours en quelque manière, les inégalités et les éléments d’oppression de cette société.
De ce point de vue, de la même façon que la délimitation de l’incertitude de la théorie présuppose un concept de vérité, la décision d’agir dans un jeu à information incomplète comme celui de l’action militante présuppose les concepts de raisonnable, de plausible et de but désirable. Foucault semble, à en juger sur cette conversation, s’en être privé.
C’est que si le «fatum» de l’Histoire est l’éternelle imposition par le pouvoir d’un ordre social et politique aliénant et arbitraire, le combat mené contre lui ne saurait avoir de justification dans l’idéal d’un ordre social moins oppressif, plus humain et plus juste — toutes catégories pour lesquelles Foucault professe la plus extrême méfiance. Et si nous acceptons son analyse, nous sommes incapables de justifier les combats que nous menons en termes de justice et dès lors conduits à ce qui ressemble fort à un sorte de nihilisme politique :
Foucault : Le prolétariat est en guerre contre la classe dominante parce que, pour la première fois de l’histoire, il veut prendre le pouvoir. Et parce qu’il va renverser le pouvoir de la classe dominante, il considère cette guerre comme juste.
Chomsky : Eh bien, je ne suis pas d’accord.
Foucault : On fait la guerre pour la gagner, pas parce qu’elle et juste.
Chomsky : Personnellement, je ne suis pas d’accord avec ça. Par exemple, si j’étais convaincu que l’arrivée au pouvoir du prolétariat signifierait l’avènement d’un État policier terroriste au sein duquel la liberté, la dignité et la décence des relations humaines seraient détruites, alors je ne souhaiterais pas que le prolétariat prenne le pouvoir. En fait, on ne peut vouloir l’accession au pouvoir du prolétariat, me semble-t-il, que parce qu’on pense, à tort ou à raison, que par un tel transfert de pouvoir on actualisera certaines valeurs humaines fondamentales.
Comme le dira Michael Walzer, Foucault en appelle à la résistance, «mais à la résistance au nom de quoi? Au bénéfice de qui? Et dans quel but? Il n’est pas possible [dans le cadre de sa pensée] de répondre […] de manière satisfaisante à ces questions . (12)»
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C’est dans toute sa radicale opposition au projet même d’une pensée du politique — et plus généralement d’une philosophie — moderniste que s’est défini le postmodernisme anti-fondationnaliste dont Foucault a été un des principaux penseurs.
Sur le plan du politique, son ambition a été de montrer que les concepts et les valeurs à portée transcendante par lesquelles le projet traditionnel d’une théorie du politique s’était articulé — le vrai, le juste, le sujet et son émancipation — n’ont aucune des vertus qu’on leur attribue et ne peuvent donc servir de points d’appui sur lesquels construire une politique libérée des immanences.
Cette analyse, si elle était juste, aurait pour conséquence de demander que nous sortions du projet philosophique occidental. Je pense que la démonstration n’est pas convaincante.
Mais il y a plus, puisque la perspective théorique ici ouverte s’étant privée d’emblée des ressources des catégories transcendantes se trouve placée devant un dilemme qu’a bien vu Habermas. En effet, ou bien, pour se maintenir comme ensemble de propositions à prétention théorique, elle est contrainte de réintroduire dans son argumentaire les catégories dont elle a voulu s’émanciper — et en ce cas de nier par sa pratique ce qu’elle condamne en théorie; ou bien elle est vouée à ne pas pouvoir se défendre devant quiconque la décrète insignifiante ou refuse de la considérer.
Ce dilemme, qui est celui de tout relativisme, apparaît à quelques reprises dans l’échange entre Foucault et Chomsky; mais il est aussi au cœur de bon nombre des critiques adressées à son oeuvre depuis quelques années, par exemple dans tous ce cas de figure où on conteste ses analyses, les faits qu’il invoque, les données qu’il présente (13) .
Plus généralement, me semble-t-il, on devrait considérer attentivement ce dilemme par lequel Gary Gutting conclut l’article de la Routledge Encyclopedia of Philosophy consacré à Foucault :
Pour Foucault, la philosophie n’est toujours qu’un moyen de surmonter un ensemble donné de limitations historiques. Elle n’a pas plus de finalité propre qu’elle ne recèle de vérité particulière ou ne produit d’effet spécifique. Elle n’est qu’un ensemble de techniques intellectuelles, liées à une prise de conscience de l’entreprise historiquement connue sous le nom de philosophie. S’il advient que la philosophie modifie la compréhension qu’elle a d’elle-même selon la perspective dessinée par la pratique de Foucault, alors celui-ci sera reconnu comme un grand philosophe — ou, ce qui est plus probable, comme quelqu’un ayant joué un rôle majeur dans l’élimination de la philosophie telle qu’elle avait été conçue depuis Platon. Dans le cas contraire, il restera, selon toute vraisemblance, une figure mineure, intéressante pour ses perspectives historiques bizarres et pour sa critique sociale bien particulière (14).»
Je suis de ceux qui considèrent que c’est la deuxième hypothèse proposée par Gutting est la bonne. Et si c’est bien le cas, il conviendra alors de s’interroger sur l’immense succès remporté par la pensée de Foucault — et pas seulement dans le milieux libertaires ou sympathisants, mais dans l’intelligentsia en général.
Avec peu d’assurance, je l’admets, je proposerais que cette popularité s’explique par l’inscription de cette pensée dans un moment historique où la fin de l’espoir en la possibilité d’un changement social radical porté par les années soixante engendre une profonde remise en question des catégories conceptuelles qui avaient permis de l’envisager et de le penser, et en particulier de leur dogmatisme. Foucault, brillant, inassignable à une perspective théorique précise, sensible à la multiplicité des combats, arrivait à un moment opportun. La perspective discursive qu’il déployait offrait en outre la consolation de pouvoir penser que puisque le pouvoir est partout et jusque dans le langage et les silences, la formulation d’un projet de critique radicale, fut-il formulé de manière ésotérique et ne s’adresser qu’à un auditoire limité, était néanmoins un geste politique radical.
Mais, au total, le centrement, de manière massivement prévalente, de la critique sociale sur l’individu et sur les différences a, il faut le craindre, engendré une certaine dilution de la critique sociale qui a contribué à divertir les radicaux de nombreux et importants combats économiques et politiques tout en entretenant la dangereuse illusion qu’une rébellion dans les mots était une rébellion dans les choses.
***
Mais si, presque quarante ans plus tard, on est tenté de déplorer que Foucault et ses disciples aient si complètement accompli le programme qu’il proposait en 1971, il faut aussi déplorer que Chomsky n’ait qu’à moitié réalisé le sien. C’est que celui-ci n’est pas resté entièrement fidèle au programme qu’il avait esquissé — ou plutôt n’en a accompli qu’une part sur les deux qu’il annonçait.
Ce qu’il a accompli est certes important et restera sans doute comme un témoignage particulièrement riche et bien documenté de certains des plus troublants aspects de la vie économique et politique des quarante dernières années. Mais Chomsky a aussi, hélas, renoncé à travailler à imaginer des institutions désirables.
Cette deuxième tâche était, j’en suis persuadé, la plus difficile des deux qu’il esquissait et c’est justement celle qui nous fait le plus cruellement défaut aujourd’hui, au moment où quiconque désire s’informer peut aisément découvrir toute l’horreur et toute la misère du monde, mais est alors amené, devant l’absence d’alternative crédible, à conclure avec un fatalisme souvent teinté de cynisme qu’on peut rien changer .
C’est à lutter contre ce cynisme et ce fatalisme que les libertaires devraient aujourd’hui œuvrer, avec les armes de la raison, des faits, mais aussi avec l’espoir raisonnable qu’un monde plus humain est possible et que l’anarchisme détient (au moins) quelques–unes des clés qui en ouvrent la porte (15).
Notes:
(1) L’échange a été retranscrit et publié par l’organisateur et animateur de la rencontre : ELDERS, F., «Human nature : justice versus power. Noam chomsky and Michel Foucault», dans : DAVIDSON, Arnold I., Foucault and His Interlocutors, The University of Chicago Press, 1997. Une version française de ce dialogue est récemment parue: CHOMSKY, N., FOUCAULT, M. et ELDERS, F. (Interviewer), Sur la nature humaine : Comprendre le pouvoir, La Petite Bibliothèque d'Aden, 2006. Je citerai ici des extraits que j’aurai moi-même traduits de la version anglaise disponible sur Internet à : [http://www.chomsky.info/debates/1971xxxx.htm]. Document consulté le 16 juin 2006.
(2) Michel Foucault (1926-1984) , au moment où ce débat a lieu, est professeur au Collège de France et a publié certains ouvrages qui sont désormais considérés comme des pièces majeures de son corpus (Histoire de la folie à l’âge classique, 1961; Naissance de la clinique, 1963; Les Mots et les Choses, 1966; L’archéologie du savoir, 1969); en 1971, il vient de fonder le GIP, Groupe d’information sur les Prisons. Noam Chomsky (1928) est quant à lui professeur au Massachusetts Institute of technology où il a formulé et commencé à réaliser le programme de recherche de la linguistique contemporaine fondé sur l’hypothèse innéiste d’une grammaire universelle (Syntactic structures, 1957). Deux ouvrages viennent de faire connaître ces thèses auprès d’un large public francophone : La Linguistique cartésienne (1966) et Le langage et la pensée (1968). Par ces travaux, Chomsky est reconnu comme un des principaux acteurs de la toute récente révolution cognitive. Politiquement, il est alors engagé dans la lutte contre la guerre du Vietnam; il a notamment publié : American Power and the New Mandarins, 1969 et At War with Asia, 1970.
(3) Bien qu’il ne développe pas cette idée durant cet échange, on sait que Chomsky invoquera à ce propos l’abduction peircéenne.
(4) Foucault citera d’ailleurs Nietzsche dans son dialogue avec Chomsky. Il m’a toujours été impossible de lire sans penser à Foucault ce passage du Gai savoir (§ 7) dans lequel Nieztsche dresse une liste des histoires à écrire: «Toutes les catégories de passions doivent être méditées séparément à travers les temps, les peuples, les individus grands et petits […] ! Jusqu'à présent, tout ce qui a donné de la couleur à l'existence n'a pas encore d'histoire : où trouverait-on, par exemple, une histoire de l'amour, de l'avidité, de l'envie, de la conscience, de la piété, de la cruauté? Nous manquons même complètement jusqu'à ce jour d'une histoire du droit, ou même seulement d'une histoire de la pénalité.» (Traduction : Henri Albert)
(5) Il dira : «[…] nous devons avoir le courage de spéculer et de créer des théories sociales, même fondées sur un savoir partiel et tout en restant ouverts à la forte possibilité — en fait à la substantielle probabilité — qu’au moins sur certains aspects nous serons bien loin de la vérité».
(6) «The Manufacture of Consent», dans : CHOMSKY, N., Language and Politics, Édité Par C.P. Otero, Black Rose Books, Montréal et New York, 1998. Page 395.
(7) C’était notamment le sens de la percutante critique adressée par Jürgen Habermas à Foucault. Voir : Habermas, Jurgen, The Philosophical Discourse of Modernity, The MIT Press, Massachusetts, 1990.
(8) «Entretiens avec Michel Foucault», dans : Dits et écrits, Tome II, Quarto Gallimard, Paris, 2001. Page 160.
(9) «Nietzsche, la généalogie, l’histoire», dans : Dits et écrits, Tome I, Quarto Gallimard, Paris, 2001. Page 1023.
(10) FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Bibliothèque des histoires, NRF, Gallimard, Paris, 1975. Pages 32.
(11)FOUCAULT, Michel, La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976. Page 123.
(12) WALZER, M. The Company of Critics. Social criticism and Political Commitment in the Twentieth Century, Peter Haben, London, 1989.
(13) Voir notamment : WINDSCHUTTLE, K., The Killing of History. How Literary Critics and Social Theorists are Murdering our Past, Encounter Books, San Francisco, 1996; et : WOLIN, Richard, The Seduction of Unreason. The Intellectual Romance with Fascism from Nietzsche to Postmodernism, Princeton University Press, Princeton and Oxford, 2004.
(14) GUTTING, GARY (1998, 2003). Foucault, Michel. In E. Craig (Ed.), Routledge Encyclopedia of Philosophy, London: Routledge. Cunsulté le 23 mars 2006 de : http://www.rep.routledge.com/article/DD019SECT6.
(15) C’est contre ce fatalisme et ce cynisme que travaille le Projet International pour une Société Participative (International Project for a Participatory Society) dont je fais partie et dont certains des travaux peuvent être consultés à : [http://www.zmag.org/pps.htm]. Lien consulté le 2 juillet 2006.
mardi, mai 20, 2008
À PROPOS DE L’ÉCHANGE ENTRE NOAM CHOMSKY ET MICHEL FOUCAULT
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