lundi, novembre 23, 2009
LE QUÉBEC EN QUÊTE DE LAÏCITÉ
[J'ai coordonné le dossier du prochain numéro d'À Bâbord, qui porte sur la laïcité. Il sera lancé le 15 décembre. En voici l'introduction.]
Le débats politiques qui opposent des gens que tout divise sont presqu’immanquablement prévisibles, stériles et partant sans intérêt.
A contrario, il arrive que des gens possédant en commun des valeurs et des positions politiques fondamentales, s’opposent néanmoins sur certaines questions précises et ayant des répercussion pratiques importantes.
Quand cela se produit, on peut espérer que leurs débats et discussions seront féconds et que chacun apprendra de ces échanges, pour autant qu’ils soient sereins et respectueux.
Le dossier que nous vous présentons vous propose précisément d’entendre des arguments déployés par des personnes et des regroupements politiques qui, s’ils partagent en commun ce que je qualifierai simplement comme étant des idéaux humanistes et progressistes, divergent néanmoins d’avis sur toute un série de questions ayant globalement trait au modèle de laïcité que le Québec devrait adopter et de ce qui s’ensuit et est impliqué par ce choix.
Faut-il le rappeler? Le processus de laïcisation, au Québec, ne s’est amorcé que très récemment. Il reste inabouti et cherche encore à se définir, comme en témoignent notamment la constante résurgence dans l’opinion de débats sur les accommodements raisonnables, sur la place à accorder dans l’espace public aux croyances religieuses, sur les modalités d’accueil des population immigrantes et sur la question d’une éventuelle hiérarchisation des droits, qui surgit dès lors que s’opposent liberté de pratique religieuse et égalité des sexes.
Le manque de volonté politique explique-t-il, à lui seul, que le fameux concept de laïcité ouverte mis de l’avant au terme du vaste chantier consultatif de la Commission Bouchard-Taylor comme cadre conceptuel pour penser résoudre ces questions, ne les ait pas, au yeux de plusieurs observateurs, résolu de manière satisfaisante et convaincante? Ou est-ce plutôt en raison de carences inhérentes à ce concept lui-même?
La première partie de ce dossier vous présente des vues divergentes sur ces questions.
Le premier texte, qui ouvre ce dossier, est de Daniel Weinstock, un philosophe de l’Université de Montréal, qui se porte avec finesse à la défense de cette forme, ouverte, de laïcité.
Ces idées trouvent ensuite un autre solide avocat en Jean-Marc Larouche, un sociologue de l’UQAM. Certains des meilleurs arguments en faveur de ce type de laïcité, qui s’applique aux institutions plutôt qu’aux individus ou à la société, qui entend promouvoir l’«amitié civique» (Weinstock) et «ouvrir la raison séculière à la raison de la religion» (Larouche), sont déployés dans ces textes, qui ne maquent pas de mettre en garde conte le périls d’une laïcité «républicaine».
Daniel Baril, vice-président du Mouvement laïque québécois, est en complet désaccord : le concept de laïcité ouverte est à ses yeux un dangereux oxymoron, qui repose sur une vison angélique des religions qui en oblitère abusivement les dimensions sociales et politiques : en bout de piste, il participerait d’une forme de traitement préférentiel consenti aux croyances religieuses et déboucherait inévitablement sur d’intolérables compromissions avec la laïcité bien comprise.
Ces deux positions laissent deviner des conceptualisations et des sensibilités fort différentes, qui ne peuvent manquer de surgir dans les manières de se situer et de réagir face à certaines demandes précises émanant de groupes religieux.
La deuxième partie de ce dossier l’illustre en donnant à entendre les arguments et les conclusions, divergents, de la Fédération des Femmes du Québec et du Conseil du Statut de la Femme, sur l’interdiction du port de symboles religieux ostentatoire par le personnel de la fonction publique. Jean-Marc Piotte ajoute sa voix à celle de ces deux organismes et prône quant à lui pour une véritable et pleine laïcité.
La troisième et dernière partie de ce dossier confronte elle aussi deux points de vue, cette fois sur le cours d’Éthique et Culture religieuse qui vient de se mettre en place dans les écoles primaires et secondaires du Québec.
Ce cours trouve un solide défenseur en Louis Rousseau, du département des sciences des religions de l’UQAM et une critique impitoyable en la philosophe Marie-Michèle Poisson, présidente du Mouvement Laïque québécois.
Nous avons souhaité donner en ces pages la parole à certaines des plus solides et convaincantes des personnes représentants les options les plus crédibles qui se présentent aujourd’hui au Québec. Une chose au moins semble faire l’unanimité : l’urgence de définir collectivement le type de laïcité que nous voulons et de l’implanter sérieusement
Ce dossier aurait accompli le voeu le plus cher que les artisans de la revue À Bâbord avaient en le préparant s’il parvenir à alimenter la réflexion de ses lectrices et lecteurs et s’il contribuait à enrichir la conversation démocratique, qui doit se poursuivre ( et aboutir!) sur ces questions aussi importantes qu’incontournables.
Normand Baillargeon
Le débats politiques qui opposent des gens que tout divise sont presqu’immanquablement prévisibles, stériles et partant sans intérêt.
A contrario, il arrive que des gens possédant en commun des valeurs et des positions politiques fondamentales, s’opposent néanmoins sur certaines questions précises et ayant des répercussion pratiques importantes.
Quand cela se produit, on peut espérer que leurs débats et discussions seront féconds et que chacun apprendra de ces échanges, pour autant qu’ils soient sereins et respectueux.
Le dossier que nous vous présentons vous propose précisément d’entendre des arguments déployés par des personnes et des regroupements politiques qui, s’ils partagent en commun ce que je qualifierai simplement comme étant des idéaux humanistes et progressistes, divergent néanmoins d’avis sur toute un série de questions ayant globalement trait au modèle de laïcité que le Québec devrait adopter et de ce qui s’ensuit et est impliqué par ce choix.
Faut-il le rappeler? Le processus de laïcisation, au Québec, ne s’est amorcé que très récemment. Il reste inabouti et cherche encore à se définir, comme en témoignent notamment la constante résurgence dans l’opinion de débats sur les accommodements raisonnables, sur la place à accorder dans l’espace public aux croyances religieuses, sur les modalités d’accueil des population immigrantes et sur la question d’une éventuelle hiérarchisation des droits, qui surgit dès lors que s’opposent liberté de pratique religieuse et égalité des sexes.
Le manque de volonté politique explique-t-il, à lui seul, que le fameux concept de laïcité ouverte mis de l’avant au terme du vaste chantier consultatif de la Commission Bouchard-Taylor comme cadre conceptuel pour penser résoudre ces questions, ne les ait pas, au yeux de plusieurs observateurs, résolu de manière satisfaisante et convaincante? Ou est-ce plutôt en raison de carences inhérentes à ce concept lui-même?
La première partie de ce dossier vous présente des vues divergentes sur ces questions.
Le premier texte, qui ouvre ce dossier, est de Daniel Weinstock, un philosophe de l’Université de Montréal, qui se porte avec finesse à la défense de cette forme, ouverte, de laïcité.
Ces idées trouvent ensuite un autre solide avocat en Jean-Marc Larouche, un sociologue de l’UQAM. Certains des meilleurs arguments en faveur de ce type de laïcité, qui s’applique aux institutions plutôt qu’aux individus ou à la société, qui entend promouvoir l’«amitié civique» (Weinstock) et «ouvrir la raison séculière à la raison de la religion» (Larouche), sont déployés dans ces textes, qui ne maquent pas de mettre en garde conte le périls d’une laïcité «républicaine».
Daniel Baril, vice-président du Mouvement laïque québécois, est en complet désaccord : le concept de laïcité ouverte est à ses yeux un dangereux oxymoron, qui repose sur une vison angélique des religions qui en oblitère abusivement les dimensions sociales et politiques : en bout de piste, il participerait d’une forme de traitement préférentiel consenti aux croyances religieuses et déboucherait inévitablement sur d’intolérables compromissions avec la laïcité bien comprise.
Ces deux positions laissent deviner des conceptualisations et des sensibilités fort différentes, qui ne peuvent manquer de surgir dans les manières de se situer et de réagir face à certaines demandes précises émanant de groupes religieux.
La deuxième partie de ce dossier l’illustre en donnant à entendre les arguments et les conclusions, divergents, de la Fédération des Femmes du Québec et du Conseil du Statut de la Femme, sur l’interdiction du port de symboles religieux ostentatoire par le personnel de la fonction publique. Jean-Marc Piotte ajoute sa voix à celle de ces deux organismes et prône quant à lui pour une véritable et pleine laïcité.
La troisième et dernière partie de ce dossier confronte elle aussi deux points de vue, cette fois sur le cours d’Éthique et Culture religieuse qui vient de se mettre en place dans les écoles primaires et secondaires du Québec.
Ce cours trouve un solide défenseur en Louis Rousseau, du département des sciences des religions de l’UQAM et une critique impitoyable en la philosophe Marie-Michèle Poisson, présidente du Mouvement Laïque québécois.
Nous avons souhaité donner en ces pages la parole à certaines des plus solides et convaincantes des personnes représentants les options les plus crédibles qui se présentent aujourd’hui au Québec. Une chose au moins semble faire l’unanimité : l’urgence de définir collectivement le type de laïcité que nous voulons et de l’implanter sérieusement
Ce dossier aurait accompli le voeu le plus cher que les artisans de la revue À Bâbord avaient en le préparant s’il parvenir à alimenter la réflexion de ses lectrices et lecteurs et s’il contribuait à enrichir la conversation démocratique, qui doit se poursuivre ( et aboutir!) sur ces questions aussi importantes qu’incontournables.
Normand Baillargeon
mercredi, novembre 18, 2009
SALON DU LIVRE DE MONTRÉAL
Je serai au Salon du livre de Montréal dans les prochains jours pour:
Contre la réforme, au stand des PUM, jeudi de 20 à 21 h;
Raison Oblige, au stand des PUL, vendredi de 18 à 19 h;
Heureux sans Dieu, au stand de VLB, jeudi, de 19 à 20 h, vendredi, de 13h 30 à 15 h et samedi, de 16 à 17h 30.
Au plaisir de vous y croiser.
Contre la réforme, au stand des PUM, jeudi de 20 à 21 h;
Raison Oblige, au stand des PUL, vendredi de 18 à 19 h;
Heureux sans Dieu, au stand de VLB, jeudi, de 19 à 20 h, vendredi, de 13h 30 à 15 h et samedi, de 16 à 17h 30.
Au plaisir de vous y croiser.
Libellés :
Normand Baillargeon,
Salon du livre de Montréal 2009
VOLTAIRINE ET L'ACTION DIRECTE
J'ai eu l'été dernier le bonheur d'être contacté par une personne fort sympathique oeuvrant pour une aussi sympathique jeune maison d'édition indépendante appelée Le passager clandestin.
On s'apprêtait à rééditer «L'action directe», un texte de Voltairine de Cleyre, une anarchiste du siècle dernier (1866-1912) que les lecteurs de ce blogue connaissent et qu'avec Chantal Santerre nous avons cherché à faire connaître. (Nous avons publié son premier ouvrage en langue française, visible ici). On me demandait de faire la présentation de ce texte, ce que j'ai fait avec avec un immense plaisir.
Voici la couverture du livre, que je viens de trouver sur Internet:
Je vous invite à aller faire un tour sur le site Internet de la maison d'édition, où vous trouverez notamment de nombreuses rééditions de textes politiques importants.
On s'apprêtait à rééditer «L'action directe», un texte de Voltairine de Cleyre, une anarchiste du siècle dernier (1866-1912) que les lecteurs de ce blogue connaissent et qu'avec Chantal Santerre nous avons cherché à faire connaître. (Nous avons publié son premier ouvrage en langue française, visible ici). On me demandait de faire la présentation de ce texte, ce que j'ai fait avec avec un immense plaisir.
Voici la couverture du livre, que je viens de trouver sur Internet:
Je vous invite à aller faire un tour sur le site Internet de la maison d'édition, où vous trouverez notamment de nombreuses rééditions de textes politiques importants.
dimanche, novembre 15, 2009
COUVERTURE DE RAISON OBLIGE
Voici le couverture de Raison Oblige, un ouvrage qui vient de paraître aux Presses de l'Université Laval. Je l'aime beaucoup; c'est une création d'un camarade français, Sébastien Marchal, que je remercie de tout coeur.
Libellés :
Normand Baillargeon,
Raison Oblige,
Sébastien Marchal
mardi, novembre 10, 2009
RICHARD FEYNMAN: THE LAST JOURNEY OF A GENIUS
Connaissez-vous Feynman? C'était un personnage ... jugez-en plutôt.
Je l'ai pour ma part beaucoup lu et ai été très content de retrouver cette émission de télé:
Je l'ai pour ma part beaucoup lu et ai été très content de retrouver cette émission de télé:
Libellés :
biographie,
Normand Baillargeon,
richard Feynman
dimanche, novembre 08, 2009
DES MURS DANS NOS TÊTES
[Pour le prochain Monde Libertaire]
Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, le mur de Berlin est tombé. Il avait commencé à être érigé entre le 12 et le 13 août 1961.
Vingt ans plus tard, on s’apprête à commémorer en grandes pompes cet événement (qu’on appelle outre-Rhin die Wende, le tournant), en tenant à Berlin un «Festival de la liberté». Mais il y a fort à parier qu’on tiendra simultanément un peu partout un «Festival de la propagande».
Je doute qu’on nous resserve la Fin de l’histoire, de l’hilarant Francis Fukuyama, qui nous avait tant fait rire à l’époque : on n’oserait plus. Mais quelque chose de cette trope sera immanquablement présent dans les discours, nous rappelant que la Chute du mur et la fin de la Guerre Froide symbolisent la fin du communisme ou du socialisme réels et de ce à quoi ils conduisent immanquablement et la victoire, certes encore incomplète et imparfaite, de la démocratie libérale et du libre marché.
Pour décrire l’inachèvement de la réunification de leurs pays, les Allemands évoquent parfois ce qu’ils appellent le Mauer im Kopf, le mur dans la tête. C’est sur un tel Mauer im Kopf que pourra s’appuyer le déferlement de propagande qu’on nous servira, et qui nous exposera une fois de plus la doctrine officielle en ce qui concerne le monde bipolaire de la Guerre Froide, sa terminaison et ce que celle-ci a impliqué pour le monde actuel, celui de l’après Guerre Froide.
La thèse officielle
La thèse officielle, qui est une sorte d’orthodoxie en histoire, en sciences politiques (et en journalisme!) veut que la Guerre Froide ait essentiellement été une réaction défensive des Etats-Unis et du bloc de l’Ouest contre un empire soviétique hostile et expansionniste : cette posture réactive aura été le facteur déterminant de la politique étrangère américaine, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale jusqu’à la chute du mur de Berlin. (Certains des promoteurs de cette thèse officielle, ne reculant devant aucune contrefaçon, font souvent un point tournant de l’histoire de la Guerre Froide le discours prononcé à Berlin par Ronald Reagan le 12 juin 1987, avec son célèbre : «M. Gorbatchev, démolissez ce mur!»).
Aux Etats-Unis, cette thèse officielle est typiquement déclinée en deux versions. La première, plus conservatrice (ou républicaine), justifie pleinement les dépenses militaires et les interventions armées comme autant de réponses nécessaires à la menace soviétique. La deuxième, plus libérale, reconnaît que certaines de ces dépenses ont pu être excessives et certaines de ces interventions malencontreuses voire injustifiées, malgré la bonne volonté de ceux qui les ont menées : mais elles étaient néanmoins globalement légitimes.
Chacune de ces versions de la thèse officielle se heurte cependant à un minuscule problème, à savoir que trop de faits la contredisent : un regard, même superficiel, sur la politique étrangère américaine depuis la fin de la deuxième Guerre montre en effet, et à répétition, que la réaction à une menace soviétique ne peut en être le facteur déterminant.
C’est ainsi que l’explication de nombre des interventions militaires menées jusqu’en 1989 exige de faire intervenir d’autres facteurs, parmi lesquels la présence de ressources naturelles (par exemple au Moyen-Orient où les ÉU, interviennent avant même que l’URSS y soit présente), la volonté de contrer des nationalismes, ou l’accès à des marchés de matières premières ou de main-d’oeuvre qui seul explique les politiques poursuivies envers certains pays, l’appui accordé à certains régimes et celui refusé à d’autres.
Mais la simple lecture de certains documents officiels définissant la politique étrangère étatsunienne suggérait déjà la distance séparant les prétextes invoqués des véritables motifs. George Kennan, qui est généralement reconnu comme le père de cette «politique de l'endiguement» ou de «refoulement politique» (containment) menée durant la Guerre Froide, écrivait ainsi dès 1948, dans un célèbre énoncé de politique étrangère:
Nous possédons environ 50% de la richesse du monde, mais nous ne sommes que 6, 3% de sa population […] La tâche qui nous incombe dans l’immédiat est de mettre en place des réseaux de relations qui nous permettront de maintenir cette disparité […] Pour cela, il nous faudra ne pas succomber à la sentimentalité ou aux vœux pieux et nous rester concentrés sur l’atteinte de nos objectifs nationaux. [..] Nous devons cesser d’invoquer des objectifs vagues et irréalistes comme les droits de l’homme, l’augmentation du niveau de vie ou la démocratisation. Le jour approche où il nous faudra confronter de stricts rapports de force : et moins nous serons à ce moment-là empêtrés dans des slogans idéalistes, mieux nous nous porterons [1].
La lutte contre l’expansionnisme soviétique fournissait pour cela un précieux prétexte, permettant en outre le fabuleux déploiement de propagande auquel on a assisté. (Dois-je souligner qu’en disant cela je ne cautionne aucunement les régimes de l’Est [2]? La critique de l’URSS était faite dans les milieux anars les mieux informés dès les années 20 et 30; et c’est sans doute la réaction de Michael Moore à sa chute qui a le mieux résumé celle de la plupart de mes camarades : Evil empire : one gone, one to go!)
L’après Guerre Froide et la thèse officielle
Quoiqu’il en soit, la chute du mur de Berlin, et ce qui s’en est suivi, offre à qui le veut bien une superbe occasion de tester de nouveau la validité de la thèse officielle.
En effet, si elle marque bien, comme on le dit, la fin de la Guerre Froide et si celle-ci était le facteur déterminant de la politique étrangère (américaine en particulier et occidentale en général), la Chute du Mur devrait aussi signaler une discontinuité dans le déploiement de cette politique et le retour en force de nos grands idéaux, un moment mis en veilleuse, et qui sont les droits humains, la démocratie, le libéralisme économique et le souci de développer des institutions internationales oeuvrant à limiter les conflits armés.
Là encore, la thèse officielle est amplement contredite par ce qu’on observe depuis vingt ans.
Les relations Nord-Sud étaient supposément subordonnées à celle Est-Ouest : mais rien n’a changé et les inégalités persistent ou s’accroissent; les dépenses en arme se poursuivent et même s’accroissent, tout comme les guerres et autres interventions armées; la course au nucléaire se poursuit; la présence militaire américaine reste forte partout dans le monde, tandis que l’OTAN, loin d’être en déclin, se renforce; au total, l’unilatéralisme politique (mais plus économique, il faut le reconnaître) persiste.
Sur le plan économique, enfin, on a assisté à une croissance dont n’a bénéficié qu’une minorité et qui s’accompagne de stagnation des salaires et des revenus réels pour la majorité de la population, d’une régression des services publics, d’une progression des inégalités dans les pays du Nord et entre eux et les pays du Sud — sans oublier ces démentes bulles spéculatives et immobilières qui viennent d’exploser et dont le public doit payer les dégâts en remboursant ceux qui les ont causés.
Les nouveaux prétextes désormais invoqués sont bien connus et, cette fois encore, dès lors qu’on abat quelques murs dans nos têtes, il n’est pas très difficile d’en arracher le masque : la sécurité; la guerre au terrorisme; l’humanisme militaire; le devoir d’intervention.
Tout cela invite à conclure qu’il convient de fortement nuancer le discours officiel qui voit dans la Guerre Froide un épisode historique très singulier — car elle a essentiellement été la poursuite de politiques anciennes sous de nouveaux prétextes — et dans sa fin est un événement qui a tout changé — car tout au plus a-t-elle signifié qu’il a fallu trouver de nouveaux prétextes pour justifier la poursuite de mêmes politiques au service des mêmes fins.
Et tous ces autres murs
On le constate sans surprise : comme c’est généralement le cas, la lecture que font du passé les institutions dominantes, loin d’être neutre et désintéressée, tend au contraire à être au service de leurs intérêts présents. Et c’est justement pourquoi porter attention à ce qu’on occulte est au moins aussi éclairant que porter attention à ce qu’on met évidence.
C’est ainsi qu’en ce moment, ce mur abattu dont on nous parle tant nous cache tous ces nombreux autres qu’on érige.
Murs invisibles, d’abord, ceux qui font que toutes ces années de prétendue libéralisation, de globalisation et de mondialisation n’auront finalement été celles que de la circulation des marchandises et non des personnes.
Murs bien réels, encore — et je ne songe pas ici seulement à ceux qu’Israel construit. Qu’on en juge.
Le programme de «relance économique» américain poursuit la construction d’un mur virtuel entre les Etats-Unis et le Mexique, malgré les ratés technologiques du coup d’essai de 26 miles en Arizona où plus de 600$ millions ont déjà été engloutis en injectant, sur plusieurs années 6. 7$ milliards dans ce projet. Conformément à ce que la lecture non standard de la Guerre Froide et de ce qui s’en est suivi, défendue ici, les principaux bénéficiaires de ces travaux sont aujourd’hui les mêmes corporations et le même complexe militaro-industriel qui bénéficiaient hier des budgets d’armement — dans le cas du mur virtuel EU/Mexique, l’heureux récipiendaire principal de l’«aide gouvernementale» s’appelle Boeing.
Les corporations européennes ne sont pas en reste avec tout le travail que leur procure dès aujourd’hui et que leur procurera encore demain la construction de la «Forteresse Européenne» destinée à refermer l’«espace Schengen». Des pays ambitieux d’y pénétrer sont aussi de grands clients potentiels, à l’instar de la Roumanie qui vient de signer un contrat de 670$ millions pour sécuriser les quelque 3000 kilomètres de ses frontières.
Ailleurs aussi, le marché de la construction de murs (et plus généralement de la «sécurité») est en pleine expansion : l’Arabie Saoudite vient de signer avec l’EADS (i.e. l’European Aeronautic Defence and Space company, qui est, en gros, l’équivalent européen de Boeing) un contrat de sécurisation de frontières de 3$ milliards; le Qatar a fait de même pour 360$ millions.
Les Etats-Unis et l’Europe ne sont bien entendu pas les seuls joueurs dans ce lucratif marché : l’expertise acquise dans la construction de murs et la sécurisation de territoire par les quelque 450 entreprises israélienens qui y travaillent s’exporte en effet de plus en plus.
«Sous l'effet de ces appels d'offres internationaux et de l'émergence d'un véritable marché de la sécurité frontalière, conclut Julien Saada, à qui je dois certaines des données qui précèdent, de nombreuses entreprises privées, en particulier les groupes industriels de défense, se sont ainsi reconverties à travers l'exploitation d'un nouveau secteur économique». «Il faut dire que l'attrait est réel, poursuit-il. En effet, selon la Homeland Security Research Corporation, l'ensemble du marché devrait atteindre 178 milliards de dollars d'ici 2015. Et ce cabinet de consultants basé à Washington laisse entendre que ces chiffres pourraient s'envoler et dépasser 700 milliards de dollars, advenant une attaque majeure en sol américain, européen ou nippon.»[3]
Murs invisibles, donc. Et murs bien réels.
Mais les pires de tous les murs , ce sont probablement ceux qui sont construits avec le cynisme, le manque de vision et le désespoir et qui se trouvent dans chacune de nos têtes.
Chacun de ces murs peut bien entendu être abattu et il ne dépend que de nous qu’ils le soient.
Notes
[1] KENNAN, G., Foreign Relations of the United States, 1948.
[2] William Blum rapporte ce savoureux proverbe qu’inspirera la chute du Mur aux Allemands de l’Est : «Tout ce que les communistes nous disaient du communisme état faux; mais tout ce qu’ils nous disaient du capitalisme était vrai».
[3] SAADA, J., «L’économie du mur : un marché en pleine expansion», Le Devoir, 27 octobre 2009, page A-8.
Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, le mur de Berlin est tombé. Il avait commencé à être érigé entre le 12 et le 13 août 1961.
Vingt ans plus tard, on s’apprête à commémorer en grandes pompes cet événement (qu’on appelle outre-Rhin die Wende, le tournant), en tenant à Berlin un «Festival de la liberté». Mais il y a fort à parier qu’on tiendra simultanément un peu partout un «Festival de la propagande».
Je doute qu’on nous resserve la Fin de l’histoire, de l’hilarant Francis Fukuyama, qui nous avait tant fait rire à l’époque : on n’oserait plus. Mais quelque chose de cette trope sera immanquablement présent dans les discours, nous rappelant que la Chute du mur et la fin de la Guerre Froide symbolisent la fin du communisme ou du socialisme réels et de ce à quoi ils conduisent immanquablement et la victoire, certes encore incomplète et imparfaite, de la démocratie libérale et du libre marché.
Pour décrire l’inachèvement de la réunification de leurs pays, les Allemands évoquent parfois ce qu’ils appellent le Mauer im Kopf, le mur dans la tête. C’est sur un tel Mauer im Kopf que pourra s’appuyer le déferlement de propagande qu’on nous servira, et qui nous exposera une fois de plus la doctrine officielle en ce qui concerne le monde bipolaire de la Guerre Froide, sa terminaison et ce que celle-ci a impliqué pour le monde actuel, celui de l’après Guerre Froide.
La thèse officielle
La thèse officielle, qui est une sorte d’orthodoxie en histoire, en sciences politiques (et en journalisme!) veut que la Guerre Froide ait essentiellement été une réaction défensive des Etats-Unis et du bloc de l’Ouest contre un empire soviétique hostile et expansionniste : cette posture réactive aura été le facteur déterminant de la politique étrangère américaine, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale jusqu’à la chute du mur de Berlin. (Certains des promoteurs de cette thèse officielle, ne reculant devant aucune contrefaçon, font souvent un point tournant de l’histoire de la Guerre Froide le discours prononcé à Berlin par Ronald Reagan le 12 juin 1987, avec son célèbre : «M. Gorbatchev, démolissez ce mur!»).
Aux Etats-Unis, cette thèse officielle est typiquement déclinée en deux versions. La première, plus conservatrice (ou républicaine), justifie pleinement les dépenses militaires et les interventions armées comme autant de réponses nécessaires à la menace soviétique. La deuxième, plus libérale, reconnaît que certaines de ces dépenses ont pu être excessives et certaines de ces interventions malencontreuses voire injustifiées, malgré la bonne volonté de ceux qui les ont menées : mais elles étaient néanmoins globalement légitimes.
Chacune de ces versions de la thèse officielle se heurte cependant à un minuscule problème, à savoir que trop de faits la contredisent : un regard, même superficiel, sur la politique étrangère américaine depuis la fin de la deuxième Guerre montre en effet, et à répétition, que la réaction à une menace soviétique ne peut en être le facteur déterminant.
C’est ainsi que l’explication de nombre des interventions militaires menées jusqu’en 1989 exige de faire intervenir d’autres facteurs, parmi lesquels la présence de ressources naturelles (par exemple au Moyen-Orient où les ÉU, interviennent avant même que l’URSS y soit présente), la volonté de contrer des nationalismes, ou l’accès à des marchés de matières premières ou de main-d’oeuvre qui seul explique les politiques poursuivies envers certains pays, l’appui accordé à certains régimes et celui refusé à d’autres.
Mais la simple lecture de certains documents officiels définissant la politique étrangère étatsunienne suggérait déjà la distance séparant les prétextes invoqués des véritables motifs. George Kennan, qui est généralement reconnu comme le père de cette «politique de l'endiguement» ou de «refoulement politique» (containment) menée durant la Guerre Froide, écrivait ainsi dès 1948, dans un célèbre énoncé de politique étrangère:
Nous possédons environ 50% de la richesse du monde, mais nous ne sommes que 6, 3% de sa population […] La tâche qui nous incombe dans l’immédiat est de mettre en place des réseaux de relations qui nous permettront de maintenir cette disparité […] Pour cela, il nous faudra ne pas succomber à la sentimentalité ou aux vœux pieux et nous rester concentrés sur l’atteinte de nos objectifs nationaux. [..] Nous devons cesser d’invoquer des objectifs vagues et irréalistes comme les droits de l’homme, l’augmentation du niveau de vie ou la démocratisation. Le jour approche où il nous faudra confronter de stricts rapports de force : et moins nous serons à ce moment-là empêtrés dans des slogans idéalistes, mieux nous nous porterons [1].
La lutte contre l’expansionnisme soviétique fournissait pour cela un précieux prétexte, permettant en outre le fabuleux déploiement de propagande auquel on a assisté. (Dois-je souligner qu’en disant cela je ne cautionne aucunement les régimes de l’Est [2]? La critique de l’URSS était faite dans les milieux anars les mieux informés dès les années 20 et 30; et c’est sans doute la réaction de Michael Moore à sa chute qui a le mieux résumé celle de la plupart de mes camarades : Evil empire : one gone, one to go!)
L’après Guerre Froide et la thèse officielle
Quoiqu’il en soit, la chute du mur de Berlin, et ce qui s’en est suivi, offre à qui le veut bien une superbe occasion de tester de nouveau la validité de la thèse officielle.
En effet, si elle marque bien, comme on le dit, la fin de la Guerre Froide et si celle-ci était le facteur déterminant de la politique étrangère (américaine en particulier et occidentale en général), la Chute du Mur devrait aussi signaler une discontinuité dans le déploiement de cette politique et le retour en force de nos grands idéaux, un moment mis en veilleuse, et qui sont les droits humains, la démocratie, le libéralisme économique et le souci de développer des institutions internationales oeuvrant à limiter les conflits armés.
Là encore, la thèse officielle est amplement contredite par ce qu’on observe depuis vingt ans.
Les relations Nord-Sud étaient supposément subordonnées à celle Est-Ouest : mais rien n’a changé et les inégalités persistent ou s’accroissent; les dépenses en arme se poursuivent et même s’accroissent, tout comme les guerres et autres interventions armées; la course au nucléaire se poursuit; la présence militaire américaine reste forte partout dans le monde, tandis que l’OTAN, loin d’être en déclin, se renforce; au total, l’unilatéralisme politique (mais plus économique, il faut le reconnaître) persiste.
Sur le plan économique, enfin, on a assisté à une croissance dont n’a bénéficié qu’une minorité et qui s’accompagne de stagnation des salaires et des revenus réels pour la majorité de la population, d’une régression des services publics, d’une progression des inégalités dans les pays du Nord et entre eux et les pays du Sud — sans oublier ces démentes bulles spéculatives et immobilières qui viennent d’exploser et dont le public doit payer les dégâts en remboursant ceux qui les ont causés.
Les nouveaux prétextes désormais invoqués sont bien connus et, cette fois encore, dès lors qu’on abat quelques murs dans nos têtes, il n’est pas très difficile d’en arracher le masque : la sécurité; la guerre au terrorisme; l’humanisme militaire; le devoir d’intervention.
Tout cela invite à conclure qu’il convient de fortement nuancer le discours officiel qui voit dans la Guerre Froide un épisode historique très singulier — car elle a essentiellement été la poursuite de politiques anciennes sous de nouveaux prétextes — et dans sa fin est un événement qui a tout changé — car tout au plus a-t-elle signifié qu’il a fallu trouver de nouveaux prétextes pour justifier la poursuite de mêmes politiques au service des mêmes fins.
Et tous ces autres murs
On le constate sans surprise : comme c’est généralement le cas, la lecture que font du passé les institutions dominantes, loin d’être neutre et désintéressée, tend au contraire à être au service de leurs intérêts présents. Et c’est justement pourquoi porter attention à ce qu’on occulte est au moins aussi éclairant que porter attention à ce qu’on met évidence.
C’est ainsi qu’en ce moment, ce mur abattu dont on nous parle tant nous cache tous ces nombreux autres qu’on érige.
Murs invisibles, d’abord, ceux qui font que toutes ces années de prétendue libéralisation, de globalisation et de mondialisation n’auront finalement été celles que de la circulation des marchandises et non des personnes.
Murs bien réels, encore — et je ne songe pas ici seulement à ceux qu’Israel construit. Qu’on en juge.
Le programme de «relance économique» américain poursuit la construction d’un mur virtuel entre les Etats-Unis et le Mexique, malgré les ratés technologiques du coup d’essai de 26 miles en Arizona où plus de 600$ millions ont déjà été engloutis en injectant, sur plusieurs années 6. 7$ milliards dans ce projet. Conformément à ce que la lecture non standard de la Guerre Froide et de ce qui s’en est suivi, défendue ici, les principaux bénéficiaires de ces travaux sont aujourd’hui les mêmes corporations et le même complexe militaro-industriel qui bénéficiaient hier des budgets d’armement — dans le cas du mur virtuel EU/Mexique, l’heureux récipiendaire principal de l’«aide gouvernementale» s’appelle Boeing.
Les corporations européennes ne sont pas en reste avec tout le travail que leur procure dès aujourd’hui et que leur procurera encore demain la construction de la «Forteresse Européenne» destinée à refermer l’«espace Schengen». Des pays ambitieux d’y pénétrer sont aussi de grands clients potentiels, à l’instar de la Roumanie qui vient de signer un contrat de 670$ millions pour sécuriser les quelque 3000 kilomètres de ses frontières.
Ailleurs aussi, le marché de la construction de murs (et plus généralement de la «sécurité») est en pleine expansion : l’Arabie Saoudite vient de signer avec l’EADS (i.e. l’European Aeronautic Defence and Space company, qui est, en gros, l’équivalent européen de Boeing) un contrat de sécurisation de frontières de 3$ milliards; le Qatar a fait de même pour 360$ millions.
Les Etats-Unis et l’Europe ne sont bien entendu pas les seuls joueurs dans ce lucratif marché : l’expertise acquise dans la construction de murs et la sécurisation de territoire par les quelque 450 entreprises israélienens qui y travaillent s’exporte en effet de plus en plus.
«Sous l'effet de ces appels d'offres internationaux et de l'émergence d'un véritable marché de la sécurité frontalière, conclut Julien Saada, à qui je dois certaines des données qui précèdent, de nombreuses entreprises privées, en particulier les groupes industriels de défense, se sont ainsi reconverties à travers l'exploitation d'un nouveau secteur économique». «Il faut dire que l'attrait est réel, poursuit-il. En effet, selon la Homeland Security Research Corporation, l'ensemble du marché devrait atteindre 178 milliards de dollars d'ici 2015. Et ce cabinet de consultants basé à Washington laisse entendre que ces chiffres pourraient s'envoler et dépasser 700 milliards de dollars, advenant une attaque majeure en sol américain, européen ou nippon.»[3]
Murs invisibles, donc. Et murs bien réels.
Mais les pires de tous les murs , ce sont probablement ceux qui sont construits avec le cynisme, le manque de vision et le désespoir et qui se trouvent dans chacune de nos têtes.
Chacun de ces murs peut bien entendu être abattu et il ne dépend que de nous qu’ils le soient.
Notes
[1] KENNAN, G., Foreign Relations of the United States, 1948.
[2] William Blum rapporte ce savoureux proverbe qu’inspirera la chute du Mur aux Allemands de l’Est : «Tout ce que les communistes nous disaient du communisme état faux; mais tout ce qu’ils nous disaient du capitalisme était vrai».
[3] SAADA, J., «L’économie du mur : un marché en pleine expansion», Le Devoir, 27 octobre 2009, page A-8.
Libellés :
Chute du mur de berlin,
Monde Libertaire,
Normand Baillargeon
mercredi, novembre 04, 2009
ENTREVUE AVEC PETER SINGER
L'entrevue avec Singer est disponible ici, avec ses illustrations.
Libellés :
Normand Baillargeon,
Peter Singer,
Philosophie magazine
ÇA VOUS INTÉRESSERA PEUT-ÊTRE, VOUS AUSSI
Jean Bricmont, dont je me sens bien proche et dont je suis les travaux (pas ceux de physique: je ne comprendrais pas!) depuis que je l'ai découvert avec l'affaire Sokal, sort, sous le titre: Raison contre pouvoir. Le pari de Psscal, des entretiens avec Chomsky que j'ai très hâte de lire. Arrivée du livre au Québec début décembre, me dit-on.
En attendant, il y a cette Philosophie de la Mécanique quantique, qu'il co-signe avec Hervé Zwirn.(En espérant qu'il y aura plus de philo que de MQ!)
Dans Le réformistes, Éric Bédard se penche sur l’histoire de ces acteurs politiques d’après la rébellion des Patriotes et parmi lesquels figurent Étienne Parent, Louis-Hyppolite Lafontaine, Augustin-Norbert Morin, Georges-Étienne Cartier, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, François-Xavier Garneau: ce faisant, il sort d’un oubli relatif des gens qui, après avoir été des héros nationaux, ont ensuite été jugés très sévèrement par le Québec d’après la Révolution Tranquille. Lecture passionnante.
Dieu déteste-t-il les femmes? C'est la question que pose ce livre passionnant. Je vous laisse deviner la réponse.
Vous l'ai-dit? J'ai adoré Logicomix et même offert mes services bénévoles au traducteur français.
Les US Steelworkers s'associent à Mondragon, le réseau de coopératives du pays Basque. C'est à suivre de près.
Dany Laferrière, que j'ai le bonheur de connaître un peu, est un homme merveilleux, d'un immense talent et d'une grande intelligence: il vient de gagner le Médicis! Youppi! Le roman s'appelle: L'énigme du retour. On lui fait fête mercredi chez Olivieri (une librairie comme on n'en fait plus, avec de bons livres dedans et des gens qui les aiment et les connaissent). J'y serai avec un immense plaisir. Bravo Dany!
En attendant, il y a cette Philosophie de la Mécanique quantique, qu'il co-signe avec Hervé Zwirn.(En espérant qu'il y aura plus de philo que de MQ!)
Dans Le réformistes, Éric Bédard se penche sur l’histoire de ces acteurs politiques d’après la rébellion des Patriotes et parmi lesquels figurent Étienne Parent, Louis-Hyppolite Lafontaine, Augustin-Norbert Morin, Georges-Étienne Cartier, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, François-Xavier Garneau: ce faisant, il sort d’un oubli relatif des gens qui, après avoir été des héros nationaux, ont ensuite été jugés très sévèrement par le Québec d’après la Révolution Tranquille. Lecture passionnante.
Dieu déteste-t-il les femmes? C'est la question que pose ce livre passionnant. Je vous laisse deviner la réponse.
Vous l'ai-dit? J'ai adoré Logicomix et même offert mes services bénévoles au traducteur français.
Les US Steelworkers s'associent à Mondragon, le réseau de coopératives du pays Basque. C'est à suivre de près.
Dany Laferrière, que j'ai le bonheur de connaître un peu, est un homme merveilleux, d'un immense talent et d'une grande intelligence: il vient de gagner le Médicis! Youppi! Le roman s'appelle: L'énigme du retour. On lui fait fête mercredi chez Olivieri (une librairie comme on n'en fait plus, avec de bons livres dedans et des gens qui les aiment et les connaissent). J'y serai avec un immense plaisir. Bravo Dany!
VIEILLIR ... Ô, VIEILLIR
[Je tiens désormais une chronique «Essais» pour le magazine Le Libraire. Je me suis donné comme consigne de ne parler, autant que faire se peut, que de livres que j'ai aimés et de tenter d'en donner le goût à un public le pus large possible. Ceci est mon premier texte , dans le numéro en kiosque. Il traite d vieillissement: ça s'en vient, pour moi...]
Mourir, cela n’est rien
Mourir, la belle affaire
Mais vieillir … Ô vieillir!
(J. Brel)
Puisque vieillir reste le seul moyen que nous ayons de vivre longtemps, c’est le sort qui attend ceux et celles d’entre nous qui auront la chance de ne pas mourir jeune.
Pourtant, la perspective du vieillissement ne nous réjouit guère puisqu’elle implique aussi, bien souvent, la maladie, la diminution de certaines de nos capacités, de même qu’un appauvrissement parfois considérable — entre autres choses guère réjouissantes.
Redoutée, la vieillesse conserve aussi une grande part de mystère. Qu’est-ce que cela fait, d’être vieux? Comment se sent-on et comment vit-on cet état?
On le devine aisément: entre les éclairages que des sciences comme la sociologie, la psychologie et la médecine peuvent jeter sur elle et l’expérience vécue du vieillissement, la vieillesse ouvre de vastes territoires de questionnements et de recherches, et cela aujourd’hui plus que jamais, compte tenu de la démographie des populations des pays du Nord.
La grande Simone de Beauvoir avait écrit à la fin de sa vie un livre majeur sur la question, La vieillesse. Je lai lu très jeune, sans doute trop jeune pour pleinement l’apprécier. C’est donc avec bonheur que, m’approchant désormais de cet état, j’ai découvert dans le lot des essais de la rentrée trois ouvrages portant sur ce sujet.
***
Le premier est de Laurent Laplante.
M. Laplante est l’auteur d’une œuvre vaste et à l’écoute de laquelle j’ai toujours entendu les accents d’une grande sincérité. Ses ouvrages ont en outre typiquement sur moi, comme sur d’autres je le présume, la merveilleuse capacité de créer un climat d’intimité dans laquelle on s’installe avec bonheur. Il me semblait donc qu’il serait la personne toute désignée pour me parler de vieillissement. Je ne m’étais pas trompé.
Son livre alterne ses souvenirs et réflexions avec des commentaires plus personnels, sortes de mises à distance et de retours réflexifs qu’il nomme des «marges de l’écriture». Tous ensemble, ils brossent le tableau d’une vie et donnent à entendre les «échos d’un vieillissement».
Le regard porté sur notre société est lucide et courageux. Laplante reconnaît ainsi les bienfaits que procurent aux aînés les «chèques de vieux» (p. 126) (mais surtout les hommes, comme on va le voir), tout en affirmant qu’il a beau «porter le regard loin en arrière, [il] ne trouve nulle part un massif de leaders politique aussi inculte et amoral que celui d’aujourd’hui» (p. 145).
Cette même lucidité caractérise le regard porté sur la marée (descendante) du vieillissement. Il n’est pas toujours rassurant; pourtant, je retiens surtout de la lecture de Laplante une invitation faite aux personnes âgées à «transmettre le fondamental», l’éthique et la culture, ces «legs qui assurent la vie d’un peuple» et qu’on ne saurait attendre «du libéralisme marchand». (p.137)
***
Le collectif que dirigent Charpentier et Quéniart regroupe une douzaine de textes qui, partant du double constat que la vieillesse «est et sera un monde de femmes, particulièrement au grand âge où on dénombre 2 femmes pour un homme chez les plus de 80 ans» (p. 11) mais que ce monde reste pourtant peu étudié, cherchent à combler cette carence.
Que signifie vieillir pour une femme qui vit au sein d’un monde patriarcal et inégalitaire? La question est ici explorée en deux grands volets : le rapport à soi, d’abord (le corps, la santé, l’intimité); puis le rapport aux autres, à la société et aux institutions. Il en résulte que des éclairages précieux sont projetés sur une partie méconnue de la réalité, tant dans la sphère privée que publique, sur diverses modalités d’exclusion sociale, mais aussi sur des dynamiques d’inclusion et de solidarités.
Les sujets abordés ici sont nombreux et variés, tout comme les approches et méthodologies mises en œuvre. Mais l’ensemble apporte une contribution remarquable sur des questions qui méritent amplement qu’on s’y intéresse de plus près. D’autant que, comme nous le rappelle le texte de Ruth Rose sur la situation économique des femmes âgées, les inégalités risquent fort de persister longtemps encore.
***
Je l’avoue : je ne connaissais pas Joan Chittister.
Moniale bénédictine depuis plus d’un demi-siècle, cette femme très engagée a notamment milité pour l’ordination des femmes et a déjà publié de nombreux livres, dont plusieurs ont paru chez Bellarmin.
Son plus récent se compose d’une quarantaine de réflexions sur des thèmes liées au vieillissement — comme l’âgisme, la liberté, la solitude, les souvenirs.
Les réserves que le mécréant en moi pouvait avoir ont vite été levées : on ne trouve ni bondieuseries de pacotille ni camelote de spiritualité sous cette plume. Surtout, le message livré est fondamentalement optimiste. Aux Etats-Unis, rappelle-t-elle entre tant d’autres données précieuses à connaître, seulement 5% des personnes âgées de plus de 65 dans résident ans des institutions de soins spécialisés; la décrépitude et les incapacités liés à l’âge ne surviennent en moyenne que durant les trois derniers mois de la vie; les cerveaux âgés se comparent avantageusement aux plus jeunes; et bien d’autres encore, qui tordent le cou à bien des préjugés.
Chittister mobilise tout un arsenal pour lutter contre la crainte de vieillir et défendre l’idée que la vieillesse peut être, dès lors que nous le voulons, un moment où nous grandissons encore, une période active, productive et engagée de notre vie. Elle rappelle notamment des résultats de recherche qui intéresseront les personnes comme vous qui lisent des essais et qui montrent que l’apprentissage permanent trace la ligne entre un vieillissement sain et un vieillissement morbide (p.121).
Parsemé de remarques fines, ce livre est surtout d’un optimisme qu’il fait bon entendre et dont le passage suivant donne une idée : «Une personne dont on a besoin — réellement besoin — ne se sent jamais esseulée, jamais isolée, jamais inutile. Suffit de sortir et de se rendre utile. Le monde nous attend les bras grands ouverts» (p. 215)
***
Ce que j’ai appris en bout de piste? De quoi apprivoiser en le redoutant moins ce qui s’en vient fatalement. Et de la sorte tempérer quelque peu le célèbre propos du grand Brel qui, lui, est vraiment mort trop jeune.
***
CHARPENTIER, Michèle, et QUÉNIART, Anne, (Sous la direction de) Vieilles, et après! Femmes, vieillissement et société, Les éditions du remue-ménage, Montréal, 2009. (Avec une préface de Lise Payette)
CHITTISTER, Joan, Vieillir et se réaliser pleinement, Bellarmin, Montréal, 2009. (Traduit de l’anglais par Jean Chapdelaine Gagnon)
LAPLANTE, Laurent, Par marée descendante. Échos d’un vieillissement, Éditions Multimondes, Québec, 2009.
Mourir, cela n’est rien
Mourir, la belle affaire
Mais vieillir … Ô vieillir!
(J. Brel)
Puisque vieillir reste le seul moyen que nous ayons de vivre longtemps, c’est le sort qui attend ceux et celles d’entre nous qui auront la chance de ne pas mourir jeune.
Pourtant, la perspective du vieillissement ne nous réjouit guère puisqu’elle implique aussi, bien souvent, la maladie, la diminution de certaines de nos capacités, de même qu’un appauvrissement parfois considérable — entre autres choses guère réjouissantes.
Redoutée, la vieillesse conserve aussi une grande part de mystère. Qu’est-ce que cela fait, d’être vieux? Comment se sent-on et comment vit-on cet état?
On le devine aisément: entre les éclairages que des sciences comme la sociologie, la psychologie et la médecine peuvent jeter sur elle et l’expérience vécue du vieillissement, la vieillesse ouvre de vastes territoires de questionnements et de recherches, et cela aujourd’hui plus que jamais, compte tenu de la démographie des populations des pays du Nord.
La grande Simone de Beauvoir avait écrit à la fin de sa vie un livre majeur sur la question, La vieillesse. Je lai lu très jeune, sans doute trop jeune pour pleinement l’apprécier. C’est donc avec bonheur que, m’approchant désormais de cet état, j’ai découvert dans le lot des essais de la rentrée trois ouvrages portant sur ce sujet.
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Le premier est de Laurent Laplante.
M. Laplante est l’auteur d’une œuvre vaste et à l’écoute de laquelle j’ai toujours entendu les accents d’une grande sincérité. Ses ouvrages ont en outre typiquement sur moi, comme sur d’autres je le présume, la merveilleuse capacité de créer un climat d’intimité dans laquelle on s’installe avec bonheur. Il me semblait donc qu’il serait la personne toute désignée pour me parler de vieillissement. Je ne m’étais pas trompé.
Son livre alterne ses souvenirs et réflexions avec des commentaires plus personnels, sortes de mises à distance et de retours réflexifs qu’il nomme des «marges de l’écriture». Tous ensemble, ils brossent le tableau d’une vie et donnent à entendre les «échos d’un vieillissement».
Le regard porté sur notre société est lucide et courageux. Laplante reconnaît ainsi les bienfaits que procurent aux aînés les «chèques de vieux» (p. 126) (mais surtout les hommes, comme on va le voir), tout en affirmant qu’il a beau «porter le regard loin en arrière, [il] ne trouve nulle part un massif de leaders politique aussi inculte et amoral que celui d’aujourd’hui» (p. 145).
Cette même lucidité caractérise le regard porté sur la marée (descendante) du vieillissement. Il n’est pas toujours rassurant; pourtant, je retiens surtout de la lecture de Laplante une invitation faite aux personnes âgées à «transmettre le fondamental», l’éthique et la culture, ces «legs qui assurent la vie d’un peuple» et qu’on ne saurait attendre «du libéralisme marchand». (p.137)
***
Le collectif que dirigent Charpentier et Quéniart regroupe une douzaine de textes qui, partant du double constat que la vieillesse «est et sera un monde de femmes, particulièrement au grand âge où on dénombre 2 femmes pour un homme chez les plus de 80 ans» (p. 11) mais que ce monde reste pourtant peu étudié, cherchent à combler cette carence.
Que signifie vieillir pour une femme qui vit au sein d’un monde patriarcal et inégalitaire? La question est ici explorée en deux grands volets : le rapport à soi, d’abord (le corps, la santé, l’intimité); puis le rapport aux autres, à la société et aux institutions. Il en résulte que des éclairages précieux sont projetés sur une partie méconnue de la réalité, tant dans la sphère privée que publique, sur diverses modalités d’exclusion sociale, mais aussi sur des dynamiques d’inclusion et de solidarités.
Les sujets abordés ici sont nombreux et variés, tout comme les approches et méthodologies mises en œuvre. Mais l’ensemble apporte une contribution remarquable sur des questions qui méritent amplement qu’on s’y intéresse de plus près. D’autant que, comme nous le rappelle le texte de Ruth Rose sur la situation économique des femmes âgées, les inégalités risquent fort de persister longtemps encore.
***
Je l’avoue : je ne connaissais pas Joan Chittister.
Moniale bénédictine depuis plus d’un demi-siècle, cette femme très engagée a notamment milité pour l’ordination des femmes et a déjà publié de nombreux livres, dont plusieurs ont paru chez Bellarmin.
Son plus récent se compose d’une quarantaine de réflexions sur des thèmes liées au vieillissement — comme l’âgisme, la liberté, la solitude, les souvenirs.
Les réserves que le mécréant en moi pouvait avoir ont vite été levées : on ne trouve ni bondieuseries de pacotille ni camelote de spiritualité sous cette plume. Surtout, le message livré est fondamentalement optimiste. Aux Etats-Unis, rappelle-t-elle entre tant d’autres données précieuses à connaître, seulement 5% des personnes âgées de plus de 65 dans résident ans des institutions de soins spécialisés; la décrépitude et les incapacités liés à l’âge ne surviennent en moyenne que durant les trois derniers mois de la vie; les cerveaux âgés se comparent avantageusement aux plus jeunes; et bien d’autres encore, qui tordent le cou à bien des préjugés.
Chittister mobilise tout un arsenal pour lutter contre la crainte de vieillir et défendre l’idée que la vieillesse peut être, dès lors que nous le voulons, un moment où nous grandissons encore, une période active, productive et engagée de notre vie. Elle rappelle notamment des résultats de recherche qui intéresseront les personnes comme vous qui lisent des essais et qui montrent que l’apprentissage permanent trace la ligne entre un vieillissement sain et un vieillissement morbide (p.121).
Parsemé de remarques fines, ce livre est surtout d’un optimisme qu’il fait bon entendre et dont le passage suivant donne une idée : «Une personne dont on a besoin — réellement besoin — ne se sent jamais esseulée, jamais isolée, jamais inutile. Suffit de sortir et de se rendre utile. Le monde nous attend les bras grands ouverts» (p. 215)
***
Ce que j’ai appris en bout de piste? De quoi apprivoiser en le redoutant moins ce qui s’en vient fatalement. Et de la sorte tempérer quelque peu le célèbre propos du grand Brel qui, lui, est vraiment mort trop jeune.
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CHARPENTIER, Michèle, et QUÉNIART, Anne, (Sous la direction de) Vieilles, et après! Femmes, vieillissement et société, Les éditions du remue-ménage, Montréal, 2009. (Avec une préface de Lise Payette)
CHITTISTER, Joan, Vieillir et se réaliser pleinement, Bellarmin, Montréal, 2009. (Traduit de l’anglais par Jean Chapdelaine Gagnon)
LAPLANTE, Laurent, Par marée descendante. Échos d’un vieillissement, Éditions Multimondes, Québec, 2009.
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