Voici un amusant petit problème à poser à vos amis.
Vous prenez une feuille de papier de format ordinaire. Vous faites remarquer qu’on peut convenir qu’elle a un dixième de millimètre d’épaisseur. Vous la pliez en deux par son milieu et expliquez que vous avez désormais entre les mains un petit cahier constitué de deux feuilles et quatre pages, lequel a donc deux dixièmes de millimètres d’épaisseur.
Vous pliez une fois de plus et faites alors remarquer que votre petit cahier a désormais quatre dixièmes de millimètres d’épaisseur. Vous dépliez ensuite lentement votre cahier, pour revenir à la feuille initiale. Pendant ce temps, vous dites : «Chaque pli ne m’a guère pris plus d’une seconde et si j’avais continué pendant une minute, j’aurais certainement pu faire, disons, 50 plis. Mais je ne veux pas vous faire perdre de temps.»
Vous posez ensuite aussitôt la question suivante: «Supposons cependant que j’aie continué jusqu’à 50 plis, quelle aurait selon vous été l’épaisseur du petit cahier que j’aurais ainsi confectionné devant vos yeux en moins d’une minute?»
Les réponses varieront beaucoup, mais vous aurez typiquement les suivantes: 5 centimètres (50 fois 1 dixième de millimètre!); plusieurs centimètres; un mètre; plusieurs mètres; et, chez ceux et celles qui se méfieront avec raison de la vitesse à laquelle croissent ces progressions géométriques, des estimations parlant de «la hauteur d’un building», voire encore plus haut.
Mais peu de gens vont imaginer le résultat auquel on parviendrait si on pouvait réaliser cette expérience — ce qui est impossible étant donné qu’après 7 ou 8 plis, on ne peut physiquement la poursuivre. Ce résultat? 122 millions de kilomètres! Quelque chose comme les deux tiers de la distance de la Terre au Soleil !
Ce résultat fait bien voir l’extraordinaire vitesse de ces progressions où on multiplie à chaque fois le résultat par deux.
On l’aura deviné : quelque chose d’aussi spectaculaire et étonnant peut par définition être obtenu en … divisant par deux.
Prenez par exemple un numéro de téléphone à 7 chiffres, n’importe lequel. Le plus grand de ces numéros sera : 999-9999. En combien de questions pensez-vous pouvoir identifier, avec certitude, le numéro d’une personne que vous venez de rencontrer.
La réponse, inattendue, est 24 et elle repose sur un principe de classification binaire, par laquelle on «divise par deux», si je peux dire.
Avez-vous une idée de la manière de procéder?
RÉPONSE
Supposons qu’on veuille identifier un élément parmi deux (1 ou 2). On voit immédiatement qu’une seule question suffira, nommément : «Est-ce 1?».
Si on veut cette fois identifier un élément parmi 4 (1, 2, 3, 4), deux questions suffiront, mais à condition de diviser par deux notre ensemble — c’est justement cela la classification binaire. Par exemple : «Est-ce un nombre plus grand que 2?». Que la réponse soit oui ou non, une dernière question permet de l’identifier.
Selon le même principe, si on veut identifier un élément parmi 8, trois questions suffiront. «Est-ce un nombre plus grand que 4?» Puis, selon la réponse : «Est-ce un nombre plus grand que 2?» ou «Est-ce un nombre plus grand que 6?».
Si on généralise cette idée, on trouvera que n questions suffisent pour identifier un élément particulier d’un ensemble de 2 n éléments.
Considérons notre numéro de téléphone. 2 23 donne 8 388 608. C’est énorme et très intéressant pour ce qu’on cherche, mais ça ne permet d’identifier aucun des numéros de téléphone depuis 838- 8609 jusqu’à 999-9999. Considérons donc 2 24.
Cette fois, cela donne : 16 777 216, ce qui est plus qu’il ne nous faut. Il s’ensuit qu’avec 24 questions au maximum, en procédant par classification binaire, on est assuré de trouver le numéro de téléphone à 7 chiffres d’une personne.
Essayez-le avec une personne dont vous ne connaissez pas le numéro de téléphone.
mercredi, avril 30, 2008
samedi, avril 26, 2008
SURPRISE! IL Y A UNE VIE APRÈS LE FMI
[Ce qui est suit est la version longue d'un texte rédigé pour Alternatives.]
Le 9 décembre 2007, une nouvelle banque est née.
Son nom? El Banco del Sur, c’est-à-dire la Banque du Sud. Elle réunit sept pays d’Amérique du Sud (Argentine, Bolivie, Brésil, Équateur, Paraguay, Venezuela et Uruguay) dans un projet commun de financement d’infrastructures, de développement social et de protection contre les secousses financières.
On ne s’en étonnera pas : sa création, d’abord voulue par Hugo Chavez, a été largement passée sous silence dans nos grands médias. Elle traduit pourtant une volonté nettement populaire exprimée dans les pays de cette région du monde (et plus généralement de tous les pays pauvres) de se libérer de l’emprise des institutions issues de Bretton Woods et qui régissent l’architecture de l’économie mondiale — le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale.
Pour comprendre pourquoi, on peut remonter à la crise financière asiatique de 1997, qui marque ici un point tournant.
À ce moment-là, des voix prônant la résistance et invitant notamment au rejet des plans d’ajustement structurel, des voix qui étaient restées jusque là presque inaudibles, commencent à se faire entendre. Peu à peu, la crédibilité des analyses du FMI et de la Banque Mondiale s’effrite, à proportion qu’on cesse de les craindre et qu’ils sont perçus, avec raison, comme le bras armé financier des élites des pays riches en général et des État-Unis en particulier.
Attardons-nous un moment aux cas exemplaires de l’Argentine et du Venezuela.
L’Argentine, d’abord.
Le pays a longtemps été un élève modèle des doctrines néolibérales et a été mis de l’avant comme tel par le FMI pour ses politiques de privatisations et son contrôle de dépenses publiques.
Pourtant, et en partie à cause de cela, l’aube du millénaire augure particulièrement mal pour l’Argentine, étranglée qu’elle est par les dettes et des taux d’intérêt réel vertigineux. Imperturbable, le FMI, qui conseillait le pays, prévoit, dans ses prestigieux et influents World Economic Outlook, une importante croissance du PIB pour 2000, puis pour 2001, puis encore 2002.
Le Fonds s’est à chaque fois lourdement trompé: d’abord sur l’ampleur de la récession en cours, qu’il a largement sous estimée; ensuite sur la croissance du PIB, qu’il a cette fois largement surestimée — respectivement de 2, 3%, 8,1 % et 13, 5%.
Puis, en 2001, dans un geste spectaculaire, l’Argentine cesse de rembourser sa dette publique et envoie promener le FMI. Le pays entreprend alors … une forte reprise, que le même FMI, toujours imperturbable, va largement sous-estimer, à chaque année entre 2003 et 2006.
Le cas du Venezuela est particulier, puisque le pays n’a plus de prêt avec le FMI depuis juillet 1997. Cette fois encore, le Fonds, à chaque année entre 2004 et 2006, va sous-estimer la croissance du PIB — respectivement de 10, 6%, 6,8 % et 5, 8%.
Mais ce que le cas de ce pays illustre surtout, c’est un aspect particulièrement sombre du FMI et un autre motif de la colère populaire contre cette institution et le consensus de Washington qu’elle représente. On se souviendra certainement de ces événements dramatiques.
Le 11 avril 2002, le gouvernement démocratiquement élu du Venezuela est renversé par un coup militaire. Dans les heures qui suivent, avec une célérité jamais vue, le FMI se déclare publiquement «prêt à appuyer la nouvelle administration de toutes les manières qu’elle le voudra». Or, la nouvelle administration (de Pedro Carmona) est une dictature : et après le gouvernement élu, ce sont la Constitution et la Cour suprême qu’elle s’apprête à dissoudre!
Les cas de l’Argentine et du Venezuela se généralisent et on ne s’étonnera pas que le FMI ait si mauvaise réputation — en Amérique du Sud comme ailleurs. Plusieurs pays ont d’ailleurs commencé à (quand ce n’est pas fini de) solder leur dette envers le Fonds et à s’en émanciper. Avec ce résultat que le FMI est à toutes fins utiles en train d’être mis à la porte de l’Amérique du Sud, tandis que ses réserves s’épuisent en raison des dettes impayées ou restructurées de ses créanciers.
Dans ce contexte, la création de la Banco del Sur constitue bien un événement d’une très grande importance et son développement, comme ses activités, méritent d’être suivis de très près. À commencer par ce projet d’un gigantesque pipeline de plusieurs milliers de kilomètres reliant des gisements des Caraïbes et du Venezuela au Brésil et à l’Argentine, ce qui contribuerait à l’autonomie énergétique des pays concernés.
Plus encore, la Banque pourrait bien marquer un premier pas vers une réunification d’une Amérique du Sud qui a si longtemps été, littéralement, désintégrée.
Elle réunit en tout cas des gouvernements de gauches aussi différentes que celui de Lula (au Brésil) et de Chavez et sa création a eu comme condition et comme contrepartie l’arrivée au pouvoir de nombreux gouvernements démocratiques.
C’est le cas de la Bolivie et du gouvernement de Juan Evo Morales, qui appartient à la Banque du Sud et a entrepris la nationalisation de ses réserves d’hydrocarbure.
C‘est également le cas de l’Équateur dont le président Rafael Correa vient de déclarer le représentant de la Banque Mondiale «persona non grata» au pays.
Il n’y a pas si longtemps, de tels intolérables agissements auraient entraîné, de la part des Etats-Unis, soit par la force, soit par la restructuration des économies, un renversement des gouvernements concernés et de l’inadmissible démocratie qu’ils incarnent. La première option est désormais de plus en plus difficile à envisager; la deuxième le devient à son tour, notamment grâce à la Banque du Sud.
L’Amérique du Sud, qui a si longtemps eu les veines ouvertes, panse en ce moment ses plaies et en s’émancipant du «consensus de Washington» est en train de faire la preuve que si on n’est jamais si bien asservi que par le FMI, on n’est jamais si bien servi que par soi-même.
Nestor Kirchner, alors président de l’Argentine, déclarait en 2005 : «Il y a une vie après le FMI et c’est même une très bonne vie».
La très bonne nouvelle est que ça commence à se savoir.
Le 9 décembre 2007, une nouvelle banque est née.
Son nom? El Banco del Sur, c’est-à-dire la Banque du Sud. Elle réunit sept pays d’Amérique du Sud (Argentine, Bolivie, Brésil, Équateur, Paraguay, Venezuela et Uruguay) dans un projet commun de financement d’infrastructures, de développement social et de protection contre les secousses financières.
On ne s’en étonnera pas : sa création, d’abord voulue par Hugo Chavez, a été largement passée sous silence dans nos grands médias. Elle traduit pourtant une volonté nettement populaire exprimée dans les pays de cette région du monde (et plus généralement de tous les pays pauvres) de se libérer de l’emprise des institutions issues de Bretton Woods et qui régissent l’architecture de l’économie mondiale — le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale.
Pour comprendre pourquoi, on peut remonter à la crise financière asiatique de 1997, qui marque ici un point tournant.
À ce moment-là, des voix prônant la résistance et invitant notamment au rejet des plans d’ajustement structurel, des voix qui étaient restées jusque là presque inaudibles, commencent à se faire entendre. Peu à peu, la crédibilité des analyses du FMI et de la Banque Mondiale s’effrite, à proportion qu’on cesse de les craindre et qu’ils sont perçus, avec raison, comme le bras armé financier des élites des pays riches en général et des État-Unis en particulier.
Attardons-nous un moment aux cas exemplaires de l’Argentine et du Venezuela.
L’Argentine, d’abord.
Le pays a longtemps été un élève modèle des doctrines néolibérales et a été mis de l’avant comme tel par le FMI pour ses politiques de privatisations et son contrôle de dépenses publiques.
Pourtant, et en partie à cause de cela, l’aube du millénaire augure particulièrement mal pour l’Argentine, étranglée qu’elle est par les dettes et des taux d’intérêt réel vertigineux. Imperturbable, le FMI, qui conseillait le pays, prévoit, dans ses prestigieux et influents World Economic Outlook, une importante croissance du PIB pour 2000, puis pour 2001, puis encore 2002.
Le Fonds s’est à chaque fois lourdement trompé: d’abord sur l’ampleur de la récession en cours, qu’il a largement sous estimée; ensuite sur la croissance du PIB, qu’il a cette fois largement surestimée — respectivement de 2, 3%, 8,1 % et 13, 5%.
Puis, en 2001, dans un geste spectaculaire, l’Argentine cesse de rembourser sa dette publique et envoie promener le FMI. Le pays entreprend alors … une forte reprise, que le même FMI, toujours imperturbable, va largement sous-estimer, à chaque année entre 2003 et 2006.
Le cas du Venezuela est particulier, puisque le pays n’a plus de prêt avec le FMI depuis juillet 1997. Cette fois encore, le Fonds, à chaque année entre 2004 et 2006, va sous-estimer la croissance du PIB — respectivement de 10, 6%, 6,8 % et 5, 8%.
Mais ce que le cas de ce pays illustre surtout, c’est un aspect particulièrement sombre du FMI et un autre motif de la colère populaire contre cette institution et le consensus de Washington qu’elle représente. On se souviendra certainement de ces événements dramatiques.
Le 11 avril 2002, le gouvernement démocratiquement élu du Venezuela est renversé par un coup militaire. Dans les heures qui suivent, avec une célérité jamais vue, le FMI se déclare publiquement «prêt à appuyer la nouvelle administration de toutes les manières qu’elle le voudra». Or, la nouvelle administration (de Pedro Carmona) est une dictature : et après le gouvernement élu, ce sont la Constitution et la Cour suprême qu’elle s’apprête à dissoudre!
Les cas de l’Argentine et du Venezuela se généralisent et on ne s’étonnera pas que le FMI ait si mauvaise réputation — en Amérique du Sud comme ailleurs. Plusieurs pays ont d’ailleurs commencé à (quand ce n’est pas fini de) solder leur dette envers le Fonds et à s’en émanciper. Avec ce résultat que le FMI est à toutes fins utiles en train d’être mis à la porte de l’Amérique du Sud, tandis que ses réserves s’épuisent en raison des dettes impayées ou restructurées de ses créanciers.
Dans ce contexte, la création de la Banco del Sur constitue bien un événement d’une très grande importance et son développement, comme ses activités, méritent d’être suivis de très près. À commencer par ce projet d’un gigantesque pipeline de plusieurs milliers de kilomètres reliant des gisements des Caraïbes et du Venezuela au Brésil et à l’Argentine, ce qui contribuerait à l’autonomie énergétique des pays concernés.
Plus encore, la Banque pourrait bien marquer un premier pas vers une réunification d’une Amérique du Sud qui a si longtemps été, littéralement, désintégrée.
Elle réunit en tout cas des gouvernements de gauches aussi différentes que celui de Lula (au Brésil) et de Chavez et sa création a eu comme condition et comme contrepartie l’arrivée au pouvoir de nombreux gouvernements démocratiques.
C’est le cas de la Bolivie et du gouvernement de Juan Evo Morales, qui appartient à la Banque du Sud et a entrepris la nationalisation de ses réserves d’hydrocarbure.
C‘est également le cas de l’Équateur dont le président Rafael Correa vient de déclarer le représentant de la Banque Mondiale «persona non grata» au pays.
Il n’y a pas si longtemps, de tels intolérables agissements auraient entraîné, de la part des Etats-Unis, soit par la force, soit par la restructuration des économies, un renversement des gouvernements concernés et de l’inadmissible démocratie qu’ils incarnent. La première option est désormais de plus en plus difficile à envisager; la deuxième le devient à son tour, notamment grâce à la Banque du Sud.
L’Amérique du Sud, qui a si longtemps eu les veines ouvertes, panse en ce moment ses plaies et en s’émancipant du «consensus de Washington» est en train de faire la preuve que si on n’est jamais si bien asservi que par le FMI, on n’est jamais si bien servi que par soi-même.
Nestor Kirchner, alors président de l’Argentine, déclarait en 2005 : «Il y a une vie après le FMI et c’est même une très bonne vie».
La très bonne nouvelle est que ça commence à se savoir.
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FMI,
Normand Baillargeon
vendredi, avril 25, 2008
AIMÉ CÉSAIRE (1913-2008)
Aimé Césaire (1913-2008), un immense poète, est mort.
J'ai eu le bonheur de pouvoir reproduire des passages de son Cahier d'un retour au Pays natal dans Sève et Sang.
Dans le vidéo qui suit, il évoque son ami L.S. Senghor, leur travail commun et le concept de négritude.
J'ai eu le bonheur de pouvoir reproduire des passages de son Cahier d'un retour au Pays natal dans Sève et Sang.
Dans le vidéo qui suit, il évoque son ami L.S. Senghor, leur travail commun et le concept de négritude.
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Marché de la poésie,
Normand Baillargeon
mardi, avril 22, 2008
ABRACADABRA! … ET POURQUOI ÇA FONCTIONNE
Bien des enfants ont joué à l’ amusant et intriguant petit jeu qui suit.
Se présentant comme une magicienne capable de prédire l’avenir, une personne inscrit un nombre sur une feuille de papier qu’elle plie et remet à une autre personne pour que celle-ci la conserve et s’assure que la magicienne ne pourra modifier ce qui y est écrit.
On demande ensuite à un autre participant d’écrire sur une feuille un nombre de trois chiffres différents. Ce participant est ensuite invité à retourner ce nombre (i.e. s’il a écrit 572, il obtiendra par ce retournement 275), à faire la différence entre le plus grand et le plus petit, à retourner le nombre ainsi obtenu avant de l’ajouter au résultat de la soustraction précédente.
Le participant est alors invité à lire le résultat obtenu. On lit alors le nombre que la magicienne avait inscrit sur la feuille de papier : abracadabra! C’est le même!
Pour prendre de nouveau l’exemple précédent, on aurait :
572-275= 297; 297+ 792= 1089
Vous l’avez deviné : il ne s’agit aucunement de prémonition et le truc fonctionnera à tout coup. La magicienne écrit toujours 1089 sur sa feuille de papier : et tel est bien le résultat auquel parviendra le participant, quel que soit le nombre de trois chiffres différents dont il partira.
Ce petit truc est amusant en soi. Mais une question se pose : pourquoi cela marche-t-il à tous les coups? La réponse fait pénétrer dans cette branche des mathématiques qui s’appelle l’algèbre et constitue une très amusante manière d’en apprécier la nature et l’utilité.
POURQUOI ÇA FONCTIONNE
On se souviendra que nous commençons en choisissant un nombre de trois chiffres quel qu’il soit. L’algèbre nous permettra de raisonner sur ce nombre en le désignant par des lettres. Appelons ce nombre: abc.
Ici, a désigne des centaines, b des dizaines et c des unités.
Ce nombre correspond donc à :
100a +10b + c.
La première étape de notre tour nous demande de le retourner : ce qui nous donne : 100c + 10b + a; puis de soustraire le nombre obtenu du nombre de départ, ce qui revient à :
100a +10b + c – (100c + 10b + a).
Dans cette opération, on peut éliminer les b (10b-10b = 0); le reste donne : 99 a – 99c, ce qui revient à : 99 (a-c). Et comme a et c sont des entiers, l’opération aboutit toujours à un multiple de 99 comprenant trois chiffres. Les seules possibilités sont les suivantes:
198; 297; 396; 495; 594; 693; 792; 891.
Or, comme vous pouvez le constater, à chaque fois, si on additionne le premier chiffre et le troisième (et le troisième avec le premier), on obtient toujours un 9! Et justement, la dernière partie du tour nous demande de renverser ce nombre et à l’ajouter à celui qui a été renversé.
Qu’obtiendra-t-on de la sorte? Supposons qu’on parte avec 198. On aura : 198+891= 1089. Et ce sera le cas pour tous les autres multiples de 99 à trois chiffres. Pourquoi? Parce qu’à tout coup on obtient 9 paquets de 100 pour les centaines, i.e. 9a; 2 paquets de 9 pour les dizaines, i.e. 18b; et 9 paquets de 1 pour les unités, i.e. 9c.
On arrive donc, immanquablement à:
900+ 180+ 9 = 1089
C’est tout de même amusant, l’algèbre.
Se présentant comme une magicienne capable de prédire l’avenir, une personne inscrit un nombre sur une feuille de papier qu’elle plie et remet à une autre personne pour que celle-ci la conserve et s’assure que la magicienne ne pourra modifier ce qui y est écrit.
On demande ensuite à un autre participant d’écrire sur une feuille un nombre de trois chiffres différents. Ce participant est ensuite invité à retourner ce nombre (i.e. s’il a écrit 572, il obtiendra par ce retournement 275), à faire la différence entre le plus grand et le plus petit, à retourner le nombre ainsi obtenu avant de l’ajouter au résultat de la soustraction précédente.
Le participant est alors invité à lire le résultat obtenu. On lit alors le nombre que la magicienne avait inscrit sur la feuille de papier : abracadabra! C’est le même!
Pour prendre de nouveau l’exemple précédent, on aurait :
572-275= 297; 297+ 792= 1089
Vous l’avez deviné : il ne s’agit aucunement de prémonition et le truc fonctionnera à tout coup. La magicienne écrit toujours 1089 sur sa feuille de papier : et tel est bien le résultat auquel parviendra le participant, quel que soit le nombre de trois chiffres différents dont il partira.
Ce petit truc est amusant en soi. Mais une question se pose : pourquoi cela marche-t-il à tous les coups? La réponse fait pénétrer dans cette branche des mathématiques qui s’appelle l’algèbre et constitue une très amusante manière d’en apprécier la nature et l’utilité.
POURQUOI ÇA FONCTIONNE
On se souviendra que nous commençons en choisissant un nombre de trois chiffres quel qu’il soit. L’algèbre nous permettra de raisonner sur ce nombre en le désignant par des lettres. Appelons ce nombre: abc.
Ici, a désigne des centaines, b des dizaines et c des unités.
Ce nombre correspond donc à :
100a +10b + c.
La première étape de notre tour nous demande de le retourner : ce qui nous donne : 100c + 10b + a; puis de soustraire le nombre obtenu du nombre de départ, ce qui revient à :
100a +10b + c – (100c + 10b + a).
Dans cette opération, on peut éliminer les b (10b-10b = 0); le reste donne : 99 a – 99c, ce qui revient à : 99 (a-c). Et comme a et c sont des entiers, l’opération aboutit toujours à un multiple de 99 comprenant trois chiffres. Les seules possibilités sont les suivantes:
198; 297; 396; 495; 594; 693; 792; 891.
Or, comme vous pouvez le constater, à chaque fois, si on additionne le premier chiffre et le troisième (et le troisième avec le premier), on obtient toujours un 9! Et justement, la dernière partie du tour nous demande de renverser ce nombre et à l’ajouter à celui qui a été renversé.
Qu’obtiendra-t-on de la sorte? Supposons qu’on parte avec 198. On aura : 198+891= 1089. Et ce sera le cas pour tous les autres multiples de 99 à trois chiffres. Pourquoi? Parce qu’à tout coup on obtient 9 paquets de 100 pour les centaines, i.e. 9a; 2 paquets de 9 pour les dizaines, i.e. 18b; et 9 paquets de 1 pour les unités, i.e. 9c.
On arrive donc, immanquablement à:
900+ 180+ 9 = 1089
C’est tout de même amusant, l’algèbre.
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énigme,
jeu mathématique,
Normand Baillargeon
dimanche, avril 20, 2008
INVITATION À UN LANCEMENT (ENQUÊTE SUR LE SECRET)
Jean-Charles Condo et Natacha Condo-Dinucci signent: Enquête sur Le Secret, Montréal, Amérik Média, 2008.
Il s'agit d'un ouvrage critique et décapant portant sur le best-seller ésotérico-nouvel-âgiste-pensée-positvistico-gnagnan Le Secret.
Louis Dubé, des Sceptiques du Québec en signe la préface avec votre serviteur.
Le lancement du livre a lieu:
DATE : JEUDI, LE 24 AVRIL 2008
HEURE : 17H00
ENDROIT : PUB L'ILE NOIRE
342, RUE ONTARIO EST
MONTREAL, QC H2X 1H8
Pour plus de renseignements: Julien Brault, (514) 652-5950, julien@amerikmedia.com
Je compte y être.
Il s'agit d'un ouvrage critique et décapant portant sur le best-seller ésotérico-nouvel-âgiste-pensée-positvistico-gnagnan Le Secret.
Louis Dubé, des Sceptiques du Québec en signe la préface avec votre serviteur.
Le lancement du livre a lieu:
DATE : JEUDI, LE 24 AVRIL 2008
HEURE : 17H00
ENDROIT : PUB L'ILE NOIRE
342, RUE ONTARIO EST
MONTREAL, QC H2X 1H8
Pour plus de renseignements: Julien Brault, (514) 652-5950, julien@amerikmedia.com
Je compte y être.
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samedi, avril 19, 2008
vendredi, avril 18, 2008
UN ENTRETIEN RADIO
Entretien avec Guillaume Lamy sur deux livres que je viens d'éditer: Propaganda d'E. Bernays, Principes de reconstruction sociale de Bertrand Russell; ainsi que sur un numéro de la revue À Bâbord consacré à l'Institut Économique de Montréal, que j'ai récemment dirigé.
lundi, avril 14, 2008
dimanche, avril 13, 2008
ENTREVUE DANS LA REVUE DÉCOUVRIR 2/2
[Sous la plume de Johanne Lebel, la revue Découvrir, de l'ACFAS, publie dans son numéro d'avril-mai 2008 une entrevue avec moi sur le thème Science et société. En voici la deuxième partie]
Découvrir : On voit d’un côté les systèmes de recherche qui multiplient les efforts de dialogue et, de l’autre, des indices de méfiance du public face aux recherches scientifiques. Quelle posture critique un citoyen devrait-il selon vous avoir face à la science ?
N. Baillargeon : Disons d’abord qu’il y a de bonnes raisons objectives d’entretenir une certaine méfiance. La science est au centre de notre mode de vie; ses effets sont partout, souvent bénéfiques voire salutaires, mais certains sont aussi dramatiques et, depuis Hiroshima, on sait qu’il y en a qui sont proprement terrifiants. On peut ainsi penser en ce moment au réchauffement planétaire où la courbe d’inquiétude ne cesse de monter; ou encore à la manipulation du code génétique. Toutes ces questions-là inquiètent le grand public, qui veut, avec raison, y voir un peu plus clair. Mais ce sont des questions complexes. Pour aller à l’essentiel, je dirai que je pense qu’une éducation scientifique digne de ce nom est désormais indispensable aux citoyennes et citoyens et qu’elle doit se doubler d’une véritable compréhension des enjeux politiques de la science et de la recherche scientifique. Ce qui est ici en jeu est d’une importance qu’on ne peut minimiser. Ceci dit, il faut dans cette réflexion résister à la tentation du relativisme, qui nous ferait réduire la science à n’être qu’un discours parmi d’autres, sans plus de prétention à la vérité. Je me suis beaucoup battu et je me bats encore contre un certain relativisme cognitif, qui a malheureusement investi une partie des sciences humaines. Le manque de culture scientifique est la route qui conduit à de telles déplorables positions. Pour ne pas l’emprunter, il faut persister à penser clairement : notre salut passe par l’usage de notre raison.
Découvrir : Vous avez justement participé au Science on blogue de l’Agence Science-Presse, dans la section sur la science sceptique. Un blogue est-il un bon moyen d’échanger avec le public?
N. Baillargeon : Le dialogue qu’un blogue permet d’installer avec les lecteurs est souvent riche et stimulant. Mais l’exercice est aussi exigeant. Qui écrit un commentaire s’attend à une réponse rapide et de qualité, et c’est bien normal. Mais tenir un blogue est aussi un plaisir. L’écriture et la réflexion y sont très libres. Tu lis ton journal; tu discutes avec des gens; un sujet se pointe; tu rédiges; très vite, il y a des réactions. Tout cela est très libre tant sur le plan des sujets que sur celui de la forme. J’ai ainsi pu traiter en quelques paragraphes de la mémoire comme source incertaine de connaissance, mais aussi en plusieurs pages de l’ouvrage de Richard Dawkin, The God Delusion, qui est le plaidoyer d’un scientifique en faveur de l’athéisme. C’est à regret, et faute de temps, que j’ai dû mettre un terme à cette aventure.
Découvrir : Comme éducateur, comment voyez-vous la transmission du savoir et l’initiation à la pensée rationnelle?
N. Baillargeon : Je suis content de pouvoir revenir sur ce sujet, que je n’ai fait qu’effleurer. Il faut selon moi donner à tous les jeunes une éducation scientifique permettant de comprendre le monde d’aujourd’hui. Et je crois qu’il est possible de le faire. Ce que je privilégierais n’a rien à voir avec l’augmentation du nombre de jeunes qui choisissent d’étudier en sciences à l’université: il s’agit plutôt d’atteindre un massif accroissement qualitatif d’une éducation scientifique dispensée au plus grand nombre possible de gens — je soutiens que cette éducation, telle que je la conçois, est accessible à tout le monde. Cette éducation scientifique, dans mon esprit, est encore distincte de l’éducation technologique — celle qui nous prépare à utiliser les technologies dans nos vies privées et au travail.
Dès la première année, et de manière progressive jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, il y aurait des cours consacrés à la science, selon un programme cumulatif introduisant aux théories et aux concepts des diverses sciences. L’élève y acquerrait peu à peu du vocabulaire spécialisé, des faits et des théories, mais aussi le sens de l’historicité de la science . Il est possible de faire tout cela, j’y insiste, avec un bagage mathématique minimal. On ferait de la sorte un tour des différentes sciences fondamentales: astrophysique et physique, sciences de la terre, chimie, biologie, écologie, anthropologie. Parallèlement, les jeunes seraient initiés aux vertus épistémiques : l’honnêteté intellectuelle, l’intégrité, la capacité de soumettre à la critique d’autrui ce qu’on avance, une certaine et indispensable méfiance à l’endroit de nos sens et de notre mémoire, la capacité d’envisager des hypothèses alternatives, la pratique du doute constructif, la reconnaissance du caractère faillible de nos connaissances et ainsi de suite. On apprendrait aussi que si la science est une aventure humaine exaltante, elle est également inscrite dans un contexte social et politique. À la fin de ce parcours, on peut espérer que les élèves auraient acquis des vertus épistémiques indispensables aux citoyens.
Découvrir : En conclusion, pourrait-on dire que pour former un esprit critique il faut à la fois les connaissances et une certaine perspective sur elles — ce que vous appelez des vertus épistémique?
N. Baillargeon : Je pense que c’est bien là l’essentiel. C’est que ce n’est pas tout de posséder des savoirs : il faut aussi avoir la détermination de s’en servir et les vertus épistémiques que cela suppose. Parfois, comme dans l’exemple irakien cité plus haut, il suffira d’avoir le réflexe de s’arrêter trois secondes pour faire un peu d’arithmétique. Plus généralement, on devrait toujours avoir le réflexe de demander : « Comment le savez-vous ? Est-ce que cela a du sens ? ». Et cela s’apprend en s’exerçant. « C'est en posant des gestes courageux qu’on devient courageux», disait Aristote. Et c’est en travaillant sa pensée critique qu’on devient un penseur critique capable de faire des choix éclairés. La contribution que des citoyens ayant acquis de telles habitudes et habiletés peuvent faire pour rendre notre monde meilleur est incommensurable et nous en avons aujourd’hui plus que jamais besoin.
Découvrir : On voit d’un côté les systèmes de recherche qui multiplient les efforts de dialogue et, de l’autre, des indices de méfiance du public face aux recherches scientifiques. Quelle posture critique un citoyen devrait-il selon vous avoir face à la science ?
N. Baillargeon : Disons d’abord qu’il y a de bonnes raisons objectives d’entretenir une certaine méfiance. La science est au centre de notre mode de vie; ses effets sont partout, souvent bénéfiques voire salutaires, mais certains sont aussi dramatiques et, depuis Hiroshima, on sait qu’il y en a qui sont proprement terrifiants. On peut ainsi penser en ce moment au réchauffement planétaire où la courbe d’inquiétude ne cesse de monter; ou encore à la manipulation du code génétique. Toutes ces questions-là inquiètent le grand public, qui veut, avec raison, y voir un peu plus clair. Mais ce sont des questions complexes. Pour aller à l’essentiel, je dirai que je pense qu’une éducation scientifique digne de ce nom est désormais indispensable aux citoyennes et citoyens et qu’elle doit se doubler d’une véritable compréhension des enjeux politiques de la science et de la recherche scientifique. Ce qui est ici en jeu est d’une importance qu’on ne peut minimiser. Ceci dit, il faut dans cette réflexion résister à la tentation du relativisme, qui nous ferait réduire la science à n’être qu’un discours parmi d’autres, sans plus de prétention à la vérité. Je me suis beaucoup battu et je me bats encore contre un certain relativisme cognitif, qui a malheureusement investi une partie des sciences humaines. Le manque de culture scientifique est la route qui conduit à de telles déplorables positions. Pour ne pas l’emprunter, il faut persister à penser clairement : notre salut passe par l’usage de notre raison.
Découvrir : Vous avez justement participé au Science on blogue de l’Agence Science-Presse, dans la section sur la science sceptique. Un blogue est-il un bon moyen d’échanger avec le public?
N. Baillargeon : Le dialogue qu’un blogue permet d’installer avec les lecteurs est souvent riche et stimulant. Mais l’exercice est aussi exigeant. Qui écrit un commentaire s’attend à une réponse rapide et de qualité, et c’est bien normal. Mais tenir un blogue est aussi un plaisir. L’écriture et la réflexion y sont très libres. Tu lis ton journal; tu discutes avec des gens; un sujet se pointe; tu rédiges; très vite, il y a des réactions. Tout cela est très libre tant sur le plan des sujets que sur celui de la forme. J’ai ainsi pu traiter en quelques paragraphes de la mémoire comme source incertaine de connaissance, mais aussi en plusieurs pages de l’ouvrage de Richard Dawkin, The God Delusion, qui est le plaidoyer d’un scientifique en faveur de l’athéisme. C’est à regret, et faute de temps, que j’ai dû mettre un terme à cette aventure.
Découvrir : Comme éducateur, comment voyez-vous la transmission du savoir et l’initiation à la pensée rationnelle?
N. Baillargeon : Je suis content de pouvoir revenir sur ce sujet, que je n’ai fait qu’effleurer. Il faut selon moi donner à tous les jeunes une éducation scientifique permettant de comprendre le monde d’aujourd’hui. Et je crois qu’il est possible de le faire. Ce que je privilégierais n’a rien à voir avec l’augmentation du nombre de jeunes qui choisissent d’étudier en sciences à l’université: il s’agit plutôt d’atteindre un massif accroissement qualitatif d’une éducation scientifique dispensée au plus grand nombre possible de gens — je soutiens que cette éducation, telle que je la conçois, est accessible à tout le monde. Cette éducation scientifique, dans mon esprit, est encore distincte de l’éducation technologique — celle qui nous prépare à utiliser les technologies dans nos vies privées et au travail.
Dès la première année, et de manière progressive jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, il y aurait des cours consacrés à la science, selon un programme cumulatif introduisant aux théories et aux concepts des diverses sciences. L’élève y acquerrait peu à peu du vocabulaire spécialisé, des faits et des théories, mais aussi le sens de l’historicité de la science . Il est possible de faire tout cela, j’y insiste, avec un bagage mathématique minimal. On ferait de la sorte un tour des différentes sciences fondamentales: astrophysique et physique, sciences de la terre, chimie, biologie, écologie, anthropologie. Parallèlement, les jeunes seraient initiés aux vertus épistémiques : l’honnêteté intellectuelle, l’intégrité, la capacité de soumettre à la critique d’autrui ce qu’on avance, une certaine et indispensable méfiance à l’endroit de nos sens et de notre mémoire, la capacité d’envisager des hypothèses alternatives, la pratique du doute constructif, la reconnaissance du caractère faillible de nos connaissances et ainsi de suite. On apprendrait aussi que si la science est une aventure humaine exaltante, elle est également inscrite dans un contexte social et politique. À la fin de ce parcours, on peut espérer que les élèves auraient acquis des vertus épistémiques indispensables aux citoyens.
Découvrir : En conclusion, pourrait-on dire que pour former un esprit critique il faut à la fois les connaissances et une certaine perspective sur elles — ce que vous appelez des vertus épistémique?
N. Baillargeon : Je pense que c’est bien là l’essentiel. C’est que ce n’est pas tout de posséder des savoirs : il faut aussi avoir la détermination de s’en servir et les vertus épistémiques que cela suppose. Parfois, comme dans l’exemple irakien cité plus haut, il suffira d’avoir le réflexe de s’arrêter trois secondes pour faire un peu d’arithmétique. Plus généralement, on devrait toujours avoir le réflexe de demander : « Comment le savez-vous ? Est-ce que cela a du sens ? ». Et cela s’apprend en s’exerçant. « C'est en posant des gestes courageux qu’on devient courageux», disait Aristote. Et c’est en travaillant sa pensée critique qu’on devient un penseur critique capable de faire des choix éclairés. La contribution que des citoyens ayant acquis de telles habitudes et habiletés peuvent faire pour rendre notre monde meilleur est incommensurable et nous en avons aujourd’hui plus que jamais besoin.
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vendredi, avril 11, 2008
ENTREVUE DANS LA REVUE DÉCOUVRIR 1/2
[Sous la plume de Johanne Lebel, la revue Découvrir, de l'ACFAS, publie dans son numéro d'avril-mai 2008 une entrevue avec moi sur le thème Science et société. En voici la première partie]
Philosophe, vulgarisateur scientifique, pédagogue, traducteur, essayiste, auteur de jeux mathématiques et libre-penseur, Normand Baillargeon possède un parcours marqué par la curiosité et l’engagement.
Durant son enfance au Cameroun et au Sénégal, dans les années 1960, avec des parents coopérants, il côtoie le racisme et l’inégalité et il en héritera son goût pour le combat contre l’injustice. Son intérêt pour les sciences humaines et les modèles mathématiques que l’on peut y appliquer l’ont d’abord mené du côté de l’épistémologie. Pour l’étudier, c’est Mario Bunge, physicien et philosophe des sciences professant à l’Université McGill, qu’il a alors approché. « Très bien, lui répondit celui-ci. Mais pour se lancer dans l’étude critique d’un domaine, il faut d’abord posséder un doctorat dans celui-ci… » Baillargeon commencera donc par faire un doctorat dans une science humaine (il choisira l’éducation), avant d’en faire un en philosophie.
Ses très nombreux écrits, articles, essais, traductions, préfaces et autres, témoignent d’un esprit encyclopédique. Le suivre, c’est fréquenter tour à tour Bertrand Russell, Lewis Carroll, Gilbert Langevin ou encore Albert Einstein.
Si on connait bien son engagement sur la place publique, il faut aussi souligner qu’il initie les bacheliers du programme d’éducation de l’UQÀM aux fondements de l’éducation et donc à Platon, John Dewey, Pierre Bourdieu et compagnie. Et il le fait, assure-t-il, avec un grand bonheur.
Découvrir : Vous soutenez qu’une formation scientifique est nécessaire à la formation d’un esprit critique, nécessaire même pour former des citoyens capables de penser et d’agir dans le monde. Pourquoi croyez-vous qu’il soit si important de former les gens à la pensée rationnelle en général et à la pensée scientifique en particulier?
Normand Baillargeon : Je m’inscris au sein d’une tradition de gens de gauche issue du Siècle des Lumières et qui comprend des personnes qui sont typiquement rationalistes et, sinon anarchistes, du moins proches d’une tendance libérale très radicale. Ce sont des gens comme Condorcet, Pierre Kropotkine, Bertrand Russell ou encore Noam Chomsky. Comme eux, je suis persuadé que la diffusion de la rationalité est essentielle à l’émancipation des individus et à la survie de l’espèce. Ce qui est mis en jeu par là est une conception de l’être humain et de la rationalité : c’est celle que défendait déjà Aristote quand il affirmait que les êtres humains sont fait pour penser et pour comprendre et qu’il est dans leur nature d’y prendre plaisir; mais on y trouve aussi un volet politique, la conviction que nous sommes faits pour coopérer et que la rationalité, indispensable à l’émancipation de l’individu, a aussi un rôle majeur à jouer dans la conversation démocratique, c’est-à-dire dans les délibérations puis dans l’action collective. Or, sur ce plan, je pense qu’il se joue dans nos sociétés une véritable bataille, souvent occulte, pour façonner l’opinion et ceci a une grande importance sociale et politique. Considérez par exemple ces firmes de relations publiques, qui mettent en œuvre diverses techniques et stratégies pour façonner l’opinion publique. Je viens justement de faire la présentation de Propaganda, un livre du principal fondateur de cette industrie, Edward Bernays (1891-1995). C’est une lecture fascinante et instructive. En toute candeur il explique comment on doit utiliser la psychologie, les sciences sociales et la psychanalyse pour faire adopter à la masse des gens des valeurs, des comportements, des modes de pensée. Écrit en 1928, ce bouquin n’a rien perdu de sa pertinence. Mais si on prend au sérieux l’idéal démocratique, l’existence de telles institutions rend plus urgent encore, pour le citoyen, de développer sa capacité à penser de manière critique, d’ acquérir des savoirs , des concepts et des habiletés permettant d’apprécier les données et les informations qui nous sont proposées.
La pensée rationnelle permet donc de se prémunir contre des discours, parfois séduisants et qui peuvent sembler vraisemblables, mais qui ne résistent pas à l’analyse. Parmi ceux-ci, outre cette propagande dont je viens de parler, il y a encore les pseudosciences. Il n’est hélas pas besoin de chercher bien loin. Par exemple, le livre le plus vendu au Québec depuis deux ans s’appelle « Le secret ». On y soutient, en un mot, que selon une supposée loi physique dite d’attraction, les choses peuvent arriver par la seule force de nos souhaits. Or, avec un minimum de culture scientifique, il est impossible d’adhérer à ces sornettes et on pourra ainsi éviter de se faire rouler dans la farine de cette imbuvable et même dangereuse mixture de mécanique quantique mal digérée et de pensée positive. Condorcet serait bien désespéré devant le succès de ce livre; comme il le serait de constater que la majorité des journaux possèdent une rubrique quotidienne d’astrologie — alors qu’ils ne couvrent que si peu l’actualité scientifique, notamment celle qui pourrait avoir une si grande portée politique.
Découvrir : Vous avez donc trouvé utile de nous proposer un Petit cours d’autodéfense intellectuelle?
N. Baillargeon : En effet. J’ai écrit ce livre, vous l’avez deviné, parce que je suis très préoccupé d’une part par le fait que la rationalité n’occupe pas toute la place qu’elle devrait dans nos discussions sociales, politiques et économiques, et d’autre part par le fait que la propagande occupe une si grande place dans nos sociétés, où elle ne rencontre que trop peu de résistance. J’ai en fait écrit le livre que j’aurais aimé que l’on me donne à 20 ans, quand se développait mon intérêt pour toutes ces questions, à la fois scientifiques, philosophiques et politiques.
Découvrir : Vous commencez par présenter deux outils indispensables à la pensée critique : le langage et les chiffres. Pourquoi?
N. Baillargeon : Il le fallait. C’est que le langage est un outil extrêmement puissant et tous les charlatans et tous les manipulateurs le savent bien, depuis toujours. Considérez par exemple ces mots qu’on appelle des mots-fouines. La fouine attaque un nid d’oiseau en gobant le contenu de l’œuf et en laissant derrière elle une coquille apparemment intacte, mais vide. Les mots-fouines font de même pour des propositions : ils les vident de leur substance. La publicité en raffole. Telle crème contient jusqu’à 60 p. 100 de XYZ, dit-on. Le terme « jusqu’à » est un mot-fouine et il pourrait bien avoir vidé la proposition de sa substance. Peut, aide, contribue, sont aussi des mots-fouines potentiels. Vous en reconnaîtrez vite de nombreux autres.
Mais l’innumérisme est aussi dommageable que l’illettrisme. Et c’est pourquoi, après le chapitre sur le langage, je propose dans un assez long chapitre des outils de ce que j’appellerais des «mathématiques citoyennes», comprenant notamment un rappel de notions de statistiques et de probabilités. Elles sont indispensables pour tout le monde, y compris les universitaires. Permettez-moi une anecdote. Je participais il y a quelque années à un colloque universitaire, quand un conférencier a affirmé, très sérieusement, que 2 000 enfants iraquiens mouraient à chaque heure du fait de l’embargo américano-britannique, et cela depuis 10 ans. Cet embargo a certes été une abomination. Mais cette affirmation l’est aussi. Pour le constater, comptons — ce qui est un bien utile outil d’autodéfense intellectuelle. Selon le conférencier, 48 000 enfants meurent à tous les jours; en multipliant par 365, nous obtenons plus de 17 millions de morts. Au bout de 10 ans, l’Iraq, un pays de 20 millions aurait donc perdu plus de 170 millions d’enfants…
Cet exercice ne demande que le réflexe de réfléchir à une donnée chiffrée qui est avancée et ne requiert pas un grand savoir mathématique. En fait, quand une donnée chiffrée est avancée, il est crucial de se demander qui a compté, comment a été défini ce qui est compté et comment on a compté. Cela, encore une fois, peut avoir une grande importance politique. En voici un autre exemple. L’an dernier, quand le président américain ou les porte-paroles militaires du Gouvernement américain parlaient du nombre de morts en Iraq, un chiffre était régulièrement cité dans de nombreux médias: 30 000 victimes. Pourtant, au même moment, les mêmes officiels américains affirmaient, sans semble-t-il être trop gênés de l’inconsistance de leur discours : We don’t do body count.
Précisément à ce moment-là, la revue The Lancet publiait les travaux d’une équipe d’épidémiologistes ayant mené sur le terrain une enquête sur le nombre de civils morts depuis les débuts de la guerre. The Lancet comme on sait, est une excellente publication, avec comité de lecture. Or, en utilisant des méthodes épidémiologiques reconnues, l’article arrivait à 654 965 morts. Le plus triste est qu’à peu près aucun des grands quotidiens québécois n’a repris cette information — mais elle s’est cependant retrouvée dans la presse indépendante ou alternative. On le voit sur cet exemple : être vigilant et multiplier les sources auxquelles on s’informe sont deux stratégies efficaces pour assurer son autodéfense intellectuelle.
Philosophe, vulgarisateur scientifique, pédagogue, traducteur, essayiste, auteur de jeux mathématiques et libre-penseur, Normand Baillargeon possède un parcours marqué par la curiosité et l’engagement.
Durant son enfance au Cameroun et au Sénégal, dans les années 1960, avec des parents coopérants, il côtoie le racisme et l’inégalité et il en héritera son goût pour le combat contre l’injustice. Son intérêt pour les sciences humaines et les modèles mathématiques que l’on peut y appliquer l’ont d’abord mené du côté de l’épistémologie. Pour l’étudier, c’est Mario Bunge, physicien et philosophe des sciences professant à l’Université McGill, qu’il a alors approché. « Très bien, lui répondit celui-ci. Mais pour se lancer dans l’étude critique d’un domaine, il faut d’abord posséder un doctorat dans celui-ci… » Baillargeon commencera donc par faire un doctorat dans une science humaine (il choisira l’éducation), avant d’en faire un en philosophie.
Ses très nombreux écrits, articles, essais, traductions, préfaces et autres, témoignent d’un esprit encyclopédique. Le suivre, c’est fréquenter tour à tour Bertrand Russell, Lewis Carroll, Gilbert Langevin ou encore Albert Einstein.
Si on connait bien son engagement sur la place publique, il faut aussi souligner qu’il initie les bacheliers du programme d’éducation de l’UQÀM aux fondements de l’éducation et donc à Platon, John Dewey, Pierre Bourdieu et compagnie. Et il le fait, assure-t-il, avec un grand bonheur.
Découvrir : Vous soutenez qu’une formation scientifique est nécessaire à la formation d’un esprit critique, nécessaire même pour former des citoyens capables de penser et d’agir dans le monde. Pourquoi croyez-vous qu’il soit si important de former les gens à la pensée rationnelle en général et à la pensée scientifique en particulier?
Normand Baillargeon : Je m’inscris au sein d’une tradition de gens de gauche issue du Siècle des Lumières et qui comprend des personnes qui sont typiquement rationalistes et, sinon anarchistes, du moins proches d’une tendance libérale très radicale. Ce sont des gens comme Condorcet, Pierre Kropotkine, Bertrand Russell ou encore Noam Chomsky. Comme eux, je suis persuadé que la diffusion de la rationalité est essentielle à l’émancipation des individus et à la survie de l’espèce. Ce qui est mis en jeu par là est une conception de l’être humain et de la rationalité : c’est celle que défendait déjà Aristote quand il affirmait que les êtres humains sont fait pour penser et pour comprendre et qu’il est dans leur nature d’y prendre plaisir; mais on y trouve aussi un volet politique, la conviction que nous sommes faits pour coopérer et que la rationalité, indispensable à l’émancipation de l’individu, a aussi un rôle majeur à jouer dans la conversation démocratique, c’est-à-dire dans les délibérations puis dans l’action collective. Or, sur ce plan, je pense qu’il se joue dans nos sociétés une véritable bataille, souvent occulte, pour façonner l’opinion et ceci a une grande importance sociale et politique. Considérez par exemple ces firmes de relations publiques, qui mettent en œuvre diverses techniques et stratégies pour façonner l’opinion publique. Je viens justement de faire la présentation de Propaganda, un livre du principal fondateur de cette industrie, Edward Bernays (1891-1995). C’est une lecture fascinante et instructive. En toute candeur il explique comment on doit utiliser la psychologie, les sciences sociales et la psychanalyse pour faire adopter à la masse des gens des valeurs, des comportements, des modes de pensée. Écrit en 1928, ce bouquin n’a rien perdu de sa pertinence. Mais si on prend au sérieux l’idéal démocratique, l’existence de telles institutions rend plus urgent encore, pour le citoyen, de développer sa capacité à penser de manière critique, d’ acquérir des savoirs , des concepts et des habiletés permettant d’apprécier les données et les informations qui nous sont proposées.
La pensée rationnelle permet donc de se prémunir contre des discours, parfois séduisants et qui peuvent sembler vraisemblables, mais qui ne résistent pas à l’analyse. Parmi ceux-ci, outre cette propagande dont je viens de parler, il y a encore les pseudosciences. Il n’est hélas pas besoin de chercher bien loin. Par exemple, le livre le plus vendu au Québec depuis deux ans s’appelle « Le secret ». On y soutient, en un mot, que selon une supposée loi physique dite d’attraction, les choses peuvent arriver par la seule force de nos souhaits. Or, avec un minimum de culture scientifique, il est impossible d’adhérer à ces sornettes et on pourra ainsi éviter de se faire rouler dans la farine de cette imbuvable et même dangereuse mixture de mécanique quantique mal digérée et de pensée positive. Condorcet serait bien désespéré devant le succès de ce livre; comme il le serait de constater que la majorité des journaux possèdent une rubrique quotidienne d’astrologie — alors qu’ils ne couvrent que si peu l’actualité scientifique, notamment celle qui pourrait avoir une si grande portée politique.
Découvrir : Vous avez donc trouvé utile de nous proposer un Petit cours d’autodéfense intellectuelle?
N. Baillargeon : En effet. J’ai écrit ce livre, vous l’avez deviné, parce que je suis très préoccupé d’une part par le fait que la rationalité n’occupe pas toute la place qu’elle devrait dans nos discussions sociales, politiques et économiques, et d’autre part par le fait que la propagande occupe une si grande place dans nos sociétés, où elle ne rencontre que trop peu de résistance. J’ai en fait écrit le livre que j’aurais aimé que l’on me donne à 20 ans, quand se développait mon intérêt pour toutes ces questions, à la fois scientifiques, philosophiques et politiques.
Découvrir : Vous commencez par présenter deux outils indispensables à la pensée critique : le langage et les chiffres. Pourquoi?
N. Baillargeon : Il le fallait. C’est que le langage est un outil extrêmement puissant et tous les charlatans et tous les manipulateurs le savent bien, depuis toujours. Considérez par exemple ces mots qu’on appelle des mots-fouines. La fouine attaque un nid d’oiseau en gobant le contenu de l’œuf et en laissant derrière elle une coquille apparemment intacte, mais vide. Les mots-fouines font de même pour des propositions : ils les vident de leur substance. La publicité en raffole. Telle crème contient jusqu’à 60 p. 100 de XYZ, dit-on. Le terme « jusqu’à » est un mot-fouine et il pourrait bien avoir vidé la proposition de sa substance. Peut, aide, contribue, sont aussi des mots-fouines potentiels. Vous en reconnaîtrez vite de nombreux autres.
Mais l’innumérisme est aussi dommageable que l’illettrisme. Et c’est pourquoi, après le chapitre sur le langage, je propose dans un assez long chapitre des outils de ce que j’appellerais des «mathématiques citoyennes», comprenant notamment un rappel de notions de statistiques et de probabilités. Elles sont indispensables pour tout le monde, y compris les universitaires. Permettez-moi une anecdote. Je participais il y a quelque années à un colloque universitaire, quand un conférencier a affirmé, très sérieusement, que 2 000 enfants iraquiens mouraient à chaque heure du fait de l’embargo américano-britannique, et cela depuis 10 ans. Cet embargo a certes été une abomination. Mais cette affirmation l’est aussi. Pour le constater, comptons — ce qui est un bien utile outil d’autodéfense intellectuelle. Selon le conférencier, 48 000 enfants meurent à tous les jours; en multipliant par 365, nous obtenons plus de 17 millions de morts. Au bout de 10 ans, l’Iraq, un pays de 20 millions aurait donc perdu plus de 170 millions d’enfants…
Cet exercice ne demande que le réflexe de réfléchir à une donnée chiffrée qui est avancée et ne requiert pas un grand savoir mathématique. En fait, quand une donnée chiffrée est avancée, il est crucial de se demander qui a compté, comment a été défini ce qui est compté et comment on a compté. Cela, encore une fois, peut avoir une grande importance politique. En voici un autre exemple. L’an dernier, quand le président américain ou les porte-paroles militaires du Gouvernement américain parlaient du nombre de morts en Iraq, un chiffre était régulièrement cité dans de nombreux médias: 30 000 victimes. Pourtant, au même moment, les mêmes officiels américains affirmaient, sans semble-t-il être trop gênés de l’inconsistance de leur discours : We don’t do body count.
Précisément à ce moment-là, la revue The Lancet publiait les travaux d’une équipe d’épidémiologistes ayant mené sur le terrain une enquête sur le nombre de civils morts depuis les débuts de la guerre. The Lancet comme on sait, est une excellente publication, avec comité de lecture. Or, en utilisant des méthodes épidémiologiques reconnues, l’article arrivait à 654 965 morts. Le plus triste est qu’à peu près aucun des grands quotidiens québécois n’a repris cette information — mais elle s’est cependant retrouvée dans la presse indépendante ou alternative. On le voit sur cet exemple : être vigilant et multiplier les sources auxquelles on s’informe sont deux stratégies efficaces pour assurer son autodéfense intellectuelle.
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samedi, avril 05, 2008
EXPÉRIENCES DE PENSÉE ?!?
[Ce texte paraîtra dans le prochain Couac.]
En mars dernier, le Parlement canadien a adopté à Ottawa, en deuxième lecture, un projet de loi appelé C-484. Ce projet de loi, s’il aboutit, modifierait le Code criminel en faisant du fœtus une personne légale.
De nombreux groupes et observateurs craignent que cela ne constitue le premier pas vers une re- criminalisation de l’avortement. D’autres, on le devine, s’en réjouissent et espèrent bien que C-484 sera le premier pas vers la re-criminalisation de l’avortement.
Faut-il dès lors s’attendre à une reprise du débat public sur cette question? C’est possible. Mais quoiqu’il en soit, le débat sur l’avortement n’est jamais entièrement sorti des pages des écrits des philosophes, où il figure en bonne place, depuis des décennies, comme l’archétype du problème éthique où les deux camps échangent, inlassablement, des arguments qu’ils jugent décisifs.
L’un de ces arguments, très célèbre, prend la forme de ce qu’on appelle une «expérience de pensée». Et c’est là le sujet dont je voudrais vous entretenir cette fois.
Pour commencer, je vous dirai ce qu’est, précisément, cette chose étrange qu’on appelle une «expérience de pensée».
Ensuite, je vous en raconterai une, célèbre et importante, tirée de l’histoire de la physique.
Pour finir, je vous raconterai l’expérience de pensée concernant l’avortement que j’évoquais plus haut et nous tenterons ensemble de voir, sur ce cas précis, les avantages et les inconvénients, la portée et les limites de cette manière de réfléchir à une question donnée.
Ce que sont les expériences de pensée
La catégorie est large, mais on pourra dire, en première approximation, qu’il s’agit de situations idéales et imaginées qui nous permettent de réaliser, «de tête», quelque chose comme des tests ou des mises à l’épreuve d’idées et d’hypothèses et d’explorer les conséquences de certaines de nos intuitions.
De telles expériences de pensée ont été réalisées tout au long de l’histoire de la philosophie et de l’histoire des sciences et elles ont parfois joué un rôle prépondérant dans leur développement. Les meilleures d’entre elles aident en effet à clarifier nos idées, à formuler plus précisément des problèmes, à faire remarquer des contradictions et même à établir la plausibilité de certaines idées ou théories.
Mais tout cela reste bien abstrait et le mieux est encore de donner un exemple.
Un exemple : le seau de Newton
Qu’est-ce au juste que l’espace? La question est immensément difficile et quand la physique classique s’est constituée, deux réponses s’affrontaient.
La première assurait que l’espace n’est rien d’autre que les relations entre les objets du monde. Si vous voulez, l’espace, ici, est compris un peu sur le modèle d’un contrat, dans le sens où un contrat est quelque chose qui lie deux personnes. Supprimez l’une ou l’autre de ces personnes (ou les deux) ou leur relation et il n’y a plus de contrat, lequel n’existe donc pas en dehors des contractants et des relations qui les lient. De même, le monde est constitué d’objets en relation et l’espace, assurent les partisans de cette théorie, n’est rien d’autre que ces objets et leurs relations. Cette position était défendue par plusieurs personnes, dont le philosophe et mathématicien G. W. von Leibniz (1646-1716).
Le fondateur de la physique moderne, Isaac Newton (1643-1727), n’était pas d’accord. Il pensait, lui, qu’il existe un espace (et un temps) absolu(s). Newton, si on ose simplifier beaucoup, pense l’espace sur le modèle d’une boîte de céréales. De ce point de vue, il existe bel et bien un espace (l’intérieur de la boîte) dans lequel les objets (les morceaux de céréales) se trouvent et on peut décrire les relations de ces objets par rapport à ce référent absolu.
Vous l’avez deviné : il y a une grosse différence entre la boîte de céréales et l’espace absolu. Pour Newton, l’espace absolu est un contenant comme la boîte, mais qui se prolonge infiniment dans toutes les directions. De la même façon, pour Newton, il existe un temps absolu. Comment décider entre ces deux théories, celle de Newton et celle de Leibniz ? Newton a cru pouvoir trancher en faveur de la sienne à l’aide, justement, d’une expérience de pensée. La voici.
Imaginez un seau à demi rempli d’eau. Il est suspendu par une longue corde au plafond d’une pièce.
Moment 1 : l’eau est immobile relativement au seau et la surface de l’eau est plane. À présent, vous tournez la corde de très nombreuses fois. Puis, vous relâchez.
Moment 2 : le seau se met à tourner ; l’eau reste plane et immobile pendant que le seau est en mouvement (il tourne) par rapport à l’eau.
Moment 3 : le seau continue à prendre de la vitesse et communique son mouvement à l’eau qui se meut avec lui et à sa vitesse ; eau et seau sont alors immobiles l’un par rapport à l’autre ; on constate alors aussi que l’eau a monté sur la paroi du seau et que sa surface n’est plus plane, mais se creuse au centre.
Newton pose la question suivante : qu’est-ce qui fait monter l’eau sur les parois du seau au moment 3 ? Son mouvement, sans doute. Mais mouvement par rapport à quoi ? Pas par rapport au seau, évidemment puisqu’ils sont alors immobiles l’un par rapport à l’autre, comme au moment 1.
Newton répond à sa propre question : l’eau est en mouvement par rapport à l’espace absolu et c’est ce qui explique la courbature de sa surface. C’est aussi ce qui permet de distinguer absolument le moment 1 du moment 3. L’espace absolu existe donc, conclut Newton, et il a, on vient de le voir, des effets observables.
Brillant? Sans l’ombre d’un doute. Permettant d’éclaircir une question et d’en dégager les divers aspects? Certes. Mais, concluant? Pas vraiment. En fait, la conception newtonienne de l’espace sera justement remise en cause par la physique moderne, plus précisément par Albert Einstein dans le cadre de la relativité (restreinte puis générale).
On soupçonne donc que s’il y a des avantages à pratiquer des expériences de pensée, il a aussi des limites à ce qu’on peut en attendre. Nous y reviendrons.
Pour le moment, venons-en à cette expérience de pensée concernant l’avortement à laquelle je voulais arriver. Elle a été imaginée en 1971 par Judith Jarvis Thomson et en voici une version simple.
Une expérience de pensée sur l’avortement : le violoniste virtuose
Une personne déambule tranquillement dans la rue et se réveille quelques heures plus tard à l’hôpital, où elle apprend qu’elle a été droguée et enlevée par des membres de l’Association des Amoureux de la Musique.
Elle aperçoit, horrifiée, des câbles et des tubes qui sortent de son corps et qui se dirigent vers une autre personne, un homme, couché près d’elle. On l’informe que cet homme est un immensément célèbre violoniste virtuose. Hélas ! Certains de ses organes sont gravement malades, au point où il est récemment tombé dans le coma ; il mourra bientôt si rien n’est fait.
Heureusement, explique-t-on à la personne kidnappée, vous (et vous seul) êtes médicalement parfaitement compatible avec le pauvre violoniste comateux et c’est pourquoi on a branché certains de vos organes sur les siens : cela lui permet de régénérer ses organes malades et de se refaire une santé.
Et rassurez-vous, dit-on pour finir, cela ne durera pas éternellement : dans neuf mois (ou à peu près, estiment les médecins), le violoniste pourra survivre sans vous ! Et vous n’allez certainement pas demander qu’on vous débranche : si vous le faites, vous allez tuer un innocent qui a droit à la vie, ce qui est parfaitement immoral !
Pour bien comprendre ce que Thomson chercher à établir par cette expérience de pensée, il faut dire un mot d’un aspect du débat concernant l’avortement.
Typiquement, les opposants font valoir que le fœtus est, sinon dès la conception du moins très tôt durant son développement, un être vivant qui a droit à la vie : avorter est donc selon eux un meurtre, puisque cela revient à causer la mort d’un tel être.
À cela, les défenseurs de l’avortement répondent que le fœtus n’est pas un être vivant et qu’un avortement durant les X (x pouvant varier, mais laissons cela ici) premiers mois de la grossesse, n’est rien d’autre qu’enlever une masse de tissus du corps d’une femme.
Le débats reprennent donc, interminables et difficiles, autour de la question de savoir ce qu’est un être vivant et si le fœtus en est un. L’expérience de pensée de Thomson accorde aux opposants à l’avortement que le fœtus est un être vivant, mais suggère qu’on peut néanmoins conclure que l’avortement est moralement justifié !
C’est ce que la situation de la personne kidnappée montrerait. Certes, ce serait généreux et noble se sa part de rester branchée sur le violoniste durant neuf mois : mais elle n’est aucunement moralement obligée de le faire. Et si le violoniste meurt de la décision de se débrancher, il serait inapproprié de dire que la personne qui l’a prise est un meurtrier.
L’expérience de pensée invite notamment à distinguer entre le droit à la vie et le droit à ce qui est nécessaire pour maintenir en vie. Le violoniste (et le fœtus) ont droit au premier, mais cela n’entraîne pas nécessairement le droit au deuxième.
On pourra chercher à montrer que le parallèle entre le passant kidnappé et la femme enceinte est boiteux. Celui-ci n’a rien fait pour mériter son sort ; la femme enceinte, si. On dira alors peut-être que l’expérience de pensée de Thomson ne vaut que pour les cas de grossesses résultant d’un viol. Mais il n’est pas difficile, comme el suggère Peter Singer, de reformuler l’expérience de pensée pour qu’elle s’applique plus généralement. Imaginez qu’ayant un peu trop fêté un soir, un employé d’un hôpital aboutisse à l’étage interdit de l’établissement et s’endort sur un lit. Au matin, il est branché comme tout à l’heure, parce qu’il a été pris par erreur pour un volontaire pour une expérience donnée. Ici encore, on ne dirait pas qu’il serait immoral de sa part de demander à être débranché.
On pourra d’autre part soutenir que la femme enceinte a plus que la personne branchée au violoniste le droit de se «débrancher». Elle ne sera pas branchée pendant seulement neuf mois, mais contractera envers le fœtus des obligations qui dureront toute sa vie à elle ; de plus, elle mettra fin à une vie potentielle, pas encore commencée et à l’accomplissement incertain, tandis que le violoniste vit d’une vie actuelle et accomplie.
Pourtant, répondront les adversaires de l’avortement, le foetus, faible et sans défense, a droit à la protection de sa mère. Et neuf mois à pouvoir se déplacer, voilà qui est moins difficile et contraignant que neuf mois branché et immobile. Et puis ce foetus n’est pas un être étranger pour qui le porte : le violoniste, si.
Je vous laisse poursuivre dans cette voie.
On voit ainsi les mérites et les limites des expériences de pensée, qui font ressortir des aspects de certaines questions et de divers problèmes, permettent d’y réfléchir ; mais ne les tranchent pas nécessairement pour autant.
Et cette fois encore, je suis tenté de dire : Brillant? Sans l’ombre d’un doute. Permettant d’éclaircir une question et d’en dégager les divers aspects? Certes. Mais, concluant? Pas vraiment.
Une lecture
COHEN, Martin, Wittgenstein’s Beetle. And Other Classic Thought Experiments, Blackwell, London, 2005. Cohen présente 26 célèbres expériences de pensée, qu’il décline de A à Z.
En mars dernier, le Parlement canadien a adopté à Ottawa, en deuxième lecture, un projet de loi appelé C-484. Ce projet de loi, s’il aboutit, modifierait le Code criminel en faisant du fœtus une personne légale.
De nombreux groupes et observateurs craignent que cela ne constitue le premier pas vers une re- criminalisation de l’avortement. D’autres, on le devine, s’en réjouissent et espèrent bien que C-484 sera le premier pas vers la re-criminalisation de l’avortement.
Faut-il dès lors s’attendre à une reprise du débat public sur cette question? C’est possible. Mais quoiqu’il en soit, le débat sur l’avortement n’est jamais entièrement sorti des pages des écrits des philosophes, où il figure en bonne place, depuis des décennies, comme l’archétype du problème éthique où les deux camps échangent, inlassablement, des arguments qu’ils jugent décisifs.
L’un de ces arguments, très célèbre, prend la forme de ce qu’on appelle une «expérience de pensée». Et c’est là le sujet dont je voudrais vous entretenir cette fois.
Pour commencer, je vous dirai ce qu’est, précisément, cette chose étrange qu’on appelle une «expérience de pensée».
Ensuite, je vous en raconterai une, célèbre et importante, tirée de l’histoire de la physique.
Pour finir, je vous raconterai l’expérience de pensée concernant l’avortement que j’évoquais plus haut et nous tenterons ensemble de voir, sur ce cas précis, les avantages et les inconvénients, la portée et les limites de cette manière de réfléchir à une question donnée.
Ce que sont les expériences de pensée
La catégorie est large, mais on pourra dire, en première approximation, qu’il s’agit de situations idéales et imaginées qui nous permettent de réaliser, «de tête», quelque chose comme des tests ou des mises à l’épreuve d’idées et d’hypothèses et d’explorer les conséquences de certaines de nos intuitions.
De telles expériences de pensée ont été réalisées tout au long de l’histoire de la philosophie et de l’histoire des sciences et elles ont parfois joué un rôle prépondérant dans leur développement. Les meilleures d’entre elles aident en effet à clarifier nos idées, à formuler plus précisément des problèmes, à faire remarquer des contradictions et même à établir la plausibilité de certaines idées ou théories.
Mais tout cela reste bien abstrait et le mieux est encore de donner un exemple.
Un exemple : le seau de Newton
Qu’est-ce au juste que l’espace? La question est immensément difficile et quand la physique classique s’est constituée, deux réponses s’affrontaient.
La première assurait que l’espace n’est rien d’autre que les relations entre les objets du monde. Si vous voulez, l’espace, ici, est compris un peu sur le modèle d’un contrat, dans le sens où un contrat est quelque chose qui lie deux personnes. Supprimez l’une ou l’autre de ces personnes (ou les deux) ou leur relation et il n’y a plus de contrat, lequel n’existe donc pas en dehors des contractants et des relations qui les lient. De même, le monde est constitué d’objets en relation et l’espace, assurent les partisans de cette théorie, n’est rien d’autre que ces objets et leurs relations. Cette position était défendue par plusieurs personnes, dont le philosophe et mathématicien G. W. von Leibniz (1646-1716).
Le fondateur de la physique moderne, Isaac Newton (1643-1727), n’était pas d’accord. Il pensait, lui, qu’il existe un espace (et un temps) absolu(s). Newton, si on ose simplifier beaucoup, pense l’espace sur le modèle d’une boîte de céréales. De ce point de vue, il existe bel et bien un espace (l’intérieur de la boîte) dans lequel les objets (les morceaux de céréales) se trouvent et on peut décrire les relations de ces objets par rapport à ce référent absolu.
Vous l’avez deviné : il y a une grosse différence entre la boîte de céréales et l’espace absolu. Pour Newton, l’espace absolu est un contenant comme la boîte, mais qui se prolonge infiniment dans toutes les directions. De la même façon, pour Newton, il existe un temps absolu. Comment décider entre ces deux théories, celle de Newton et celle de Leibniz ? Newton a cru pouvoir trancher en faveur de la sienne à l’aide, justement, d’une expérience de pensée. La voici.
Imaginez un seau à demi rempli d’eau. Il est suspendu par une longue corde au plafond d’une pièce.
Moment 1 : l’eau est immobile relativement au seau et la surface de l’eau est plane. À présent, vous tournez la corde de très nombreuses fois. Puis, vous relâchez.
Moment 2 : le seau se met à tourner ; l’eau reste plane et immobile pendant que le seau est en mouvement (il tourne) par rapport à l’eau.
Moment 3 : le seau continue à prendre de la vitesse et communique son mouvement à l’eau qui se meut avec lui et à sa vitesse ; eau et seau sont alors immobiles l’un par rapport à l’autre ; on constate alors aussi que l’eau a monté sur la paroi du seau et que sa surface n’est plus plane, mais se creuse au centre.
Newton pose la question suivante : qu’est-ce qui fait monter l’eau sur les parois du seau au moment 3 ? Son mouvement, sans doute. Mais mouvement par rapport à quoi ? Pas par rapport au seau, évidemment puisqu’ils sont alors immobiles l’un par rapport à l’autre, comme au moment 1.
Newton répond à sa propre question : l’eau est en mouvement par rapport à l’espace absolu et c’est ce qui explique la courbature de sa surface. C’est aussi ce qui permet de distinguer absolument le moment 1 du moment 3. L’espace absolu existe donc, conclut Newton, et il a, on vient de le voir, des effets observables.
Brillant? Sans l’ombre d’un doute. Permettant d’éclaircir une question et d’en dégager les divers aspects? Certes. Mais, concluant? Pas vraiment. En fait, la conception newtonienne de l’espace sera justement remise en cause par la physique moderne, plus précisément par Albert Einstein dans le cadre de la relativité (restreinte puis générale).
On soupçonne donc que s’il y a des avantages à pratiquer des expériences de pensée, il a aussi des limites à ce qu’on peut en attendre. Nous y reviendrons.
Pour le moment, venons-en à cette expérience de pensée concernant l’avortement à laquelle je voulais arriver. Elle a été imaginée en 1971 par Judith Jarvis Thomson et en voici une version simple.
Une expérience de pensée sur l’avortement : le violoniste virtuose
Une personne déambule tranquillement dans la rue et se réveille quelques heures plus tard à l’hôpital, où elle apprend qu’elle a été droguée et enlevée par des membres de l’Association des Amoureux de la Musique.
Elle aperçoit, horrifiée, des câbles et des tubes qui sortent de son corps et qui se dirigent vers une autre personne, un homme, couché près d’elle. On l’informe que cet homme est un immensément célèbre violoniste virtuose. Hélas ! Certains de ses organes sont gravement malades, au point où il est récemment tombé dans le coma ; il mourra bientôt si rien n’est fait.
Heureusement, explique-t-on à la personne kidnappée, vous (et vous seul) êtes médicalement parfaitement compatible avec le pauvre violoniste comateux et c’est pourquoi on a branché certains de vos organes sur les siens : cela lui permet de régénérer ses organes malades et de se refaire une santé.
Et rassurez-vous, dit-on pour finir, cela ne durera pas éternellement : dans neuf mois (ou à peu près, estiment les médecins), le violoniste pourra survivre sans vous ! Et vous n’allez certainement pas demander qu’on vous débranche : si vous le faites, vous allez tuer un innocent qui a droit à la vie, ce qui est parfaitement immoral !
Pour bien comprendre ce que Thomson chercher à établir par cette expérience de pensée, il faut dire un mot d’un aspect du débat concernant l’avortement.
Typiquement, les opposants font valoir que le fœtus est, sinon dès la conception du moins très tôt durant son développement, un être vivant qui a droit à la vie : avorter est donc selon eux un meurtre, puisque cela revient à causer la mort d’un tel être.
À cela, les défenseurs de l’avortement répondent que le fœtus n’est pas un être vivant et qu’un avortement durant les X (x pouvant varier, mais laissons cela ici) premiers mois de la grossesse, n’est rien d’autre qu’enlever une masse de tissus du corps d’une femme.
Le débats reprennent donc, interminables et difficiles, autour de la question de savoir ce qu’est un être vivant et si le fœtus en est un. L’expérience de pensée de Thomson accorde aux opposants à l’avortement que le fœtus est un être vivant, mais suggère qu’on peut néanmoins conclure que l’avortement est moralement justifié !
C’est ce que la situation de la personne kidnappée montrerait. Certes, ce serait généreux et noble se sa part de rester branchée sur le violoniste durant neuf mois : mais elle n’est aucunement moralement obligée de le faire. Et si le violoniste meurt de la décision de se débrancher, il serait inapproprié de dire que la personne qui l’a prise est un meurtrier.
L’expérience de pensée invite notamment à distinguer entre le droit à la vie et le droit à ce qui est nécessaire pour maintenir en vie. Le violoniste (et le fœtus) ont droit au premier, mais cela n’entraîne pas nécessairement le droit au deuxième.
On pourra chercher à montrer que le parallèle entre le passant kidnappé et la femme enceinte est boiteux. Celui-ci n’a rien fait pour mériter son sort ; la femme enceinte, si. On dira alors peut-être que l’expérience de pensée de Thomson ne vaut que pour les cas de grossesses résultant d’un viol. Mais il n’est pas difficile, comme el suggère Peter Singer, de reformuler l’expérience de pensée pour qu’elle s’applique plus généralement. Imaginez qu’ayant un peu trop fêté un soir, un employé d’un hôpital aboutisse à l’étage interdit de l’établissement et s’endort sur un lit. Au matin, il est branché comme tout à l’heure, parce qu’il a été pris par erreur pour un volontaire pour une expérience donnée. Ici encore, on ne dirait pas qu’il serait immoral de sa part de demander à être débranché.
On pourra d’autre part soutenir que la femme enceinte a plus que la personne branchée au violoniste le droit de se «débrancher». Elle ne sera pas branchée pendant seulement neuf mois, mais contractera envers le fœtus des obligations qui dureront toute sa vie à elle ; de plus, elle mettra fin à une vie potentielle, pas encore commencée et à l’accomplissement incertain, tandis que le violoniste vit d’une vie actuelle et accomplie.
Pourtant, répondront les adversaires de l’avortement, le foetus, faible et sans défense, a droit à la protection de sa mère. Et neuf mois à pouvoir se déplacer, voilà qui est moins difficile et contraignant que neuf mois branché et immobile. Et puis ce foetus n’est pas un être étranger pour qui le porte : le violoniste, si.
Je vous laisse poursuivre dans cette voie.
On voit ainsi les mérites et les limites des expériences de pensée, qui font ressortir des aspects de certaines questions et de divers problèmes, permettent d’y réfléchir ; mais ne les tranchent pas nécessairement pour autant.
Et cette fois encore, je suis tenté de dire : Brillant? Sans l’ombre d’un doute. Permettant d’éclaircir une question et d’en dégager les divers aspects? Certes. Mais, concluant? Pas vraiment.
Une lecture
COHEN, Martin, Wittgenstein’s Beetle. And Other Classic Thought Experiments, Blackwell, London, 2005. Cohen présente 26 célèbres expériences de pensée, qu’il décline de A à Z.
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jeudi, avril 03, 2008
L'ARITHMÉTIQUE AVEC RAYMOND QUENEAU...
...et c'est pas triste!
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Raymond Queneau
mercredi, avril 02, 2008
CONTRE LA PEINE DE MORT
[J'étais, il y a environ trois ans, impliqué dans une campagne pour obtenir la grâce de Farley Matchett, condamné à mort par l'État du Texas. Malgré nos efforts, Farley a été exécuté le 12 septembre 2006 . Il avait 43 ans. J'ai été surpris quand on m'a envoyé le texte suivant, repiqué sur Internet, et qui reprend, autant que je m'en souvienne, un texte que j'ai effectivement lu au Cabaret La Tulipe, à Montréal, le 4 décembre 2005. ]
En 1976, la Cour Suprême des Etats-Unis a rétabli la peine de mort. Le 2 décembre dernier, Kenneth Lee Boyd, 57 ans, a été exécuté.
Il était la 1000e personne à être mise à mort aux Etats-Unis, depuis 1976
Prenons le temps de ressentir le poids terrible de ces chiffres, de ce meurtre et des 999 autres qui l’ont précédé.
***
Le meurtre judiciaire est un affront à la dignité humaine, une sordide loi du Talion, indigne de nous, mais qui traverse, hélas, toute l’histoire humaine
Cela perdurera jusqu’en 1786. C’est en effet cette année-là que le Grand Duché de Toscane devient le premier État souverain à abolir la peine de mort.
On peut n’y voir, sans doute, qu’un mince trait de lumière dans la sombre nuit de la vengeance: mais il ne va plus cesser de grandir, de s’amplifier et de faire reculer les ténèbres.
En 1945, 13 États abolissent à leur tour la peine de mort. Aujourd’hui, 120 pays et Territoires l’ont abolie, de jure ou de facto. Ce sont là 120 traits de lumière lancés contre la nuit, 120 étincelles qui composent un vibrant brasier qui, si nous le voulons, finira par éclairer le monde comme un jour neuf. Si nous le voulons; et si nous luttons.
Car il ne faut pas se le cacher : la situation reste sombre et l’avenir incertain.
Aujourd’hui encore, hélas, 76 pays maintiennent la peine de mort. En 2004, au moins 3797 personnes dans 25 pays et territoires ont été exécutées. Et 7395 personnes ont été condamnées à mort dans 64 pays. 97% des exécutions, en 2004, ont eu lieu en Chine, en Iran, au Vietnam et aux Etats-Unis.
Aux Etats-Unis où, justement, Farley Matchett, pour qui nous sommes réunis ce soir, croupit, depuis 13 ans, dans une cellule du couloir de la mort, aux États-Unis où le système d’imposition de la peine capitale n’est pas seulement et comme toujours ignoble et inhumain, mais est aussi notoirement arbitraire et discriminatoire.
Il tue, de manière disproportionnée, des Afro-Américains et des pauvres
Il a tué des déficients intellectuels, il a tué des mineurs
Il condamne très certainement à mort des innocents — comme le montre le fait que 122 personnes ont été relâchées des couloirs de la mort en raison d’erreurs judiciaires
Sachez aussi que près de la moitié de ces 1000 exécutions qui ont été perpétrées aux États-Unis depuis 1976 ont eu lieu au Texas et en Virginie.
Que 80% d’entre elles ont eu lieu dans le Sud du pays.
Songez enfin que la peine de mort n’a aucun effet dissuasif particulier.
Vous comprenez alors, en partie, les raisons de lutter contre le meurtre légal, froid, planifié.
Mais en partie seulement. Car il y a plus important encore. C’est que, répétons-le, le meurtre judiciaire est un affront à la dignité humaine. Lors d’une exécution capitale, certains n’entendent résonner qu’un seul glas. C’est une erreur. Écoutez mieux. Il y en a deux. Le glas sonne d’abord pour le condamné à mort. Puis il sonne pour la société qui le tue, qui meurt elle aussi, à chaque fois, un peu, de ce meurtre qu’elle commet.
C’est que le meurtre judiciaire ne fait jamais une seule victime et le sang des condamnés à mort rejaillit sur chacun de nous. C’est ainsi qu’à chaque exécution, c’est un peu de notre humanité commune qui est mise à mort.
Chaque échafaud que l'on dresse, chaque guillotine que l’on monte, chaque chambre de mort que l’on prépare, retarde le jour où le sombre rocher de Sisyphe cessera de rouler et le fait s’abattre lourdement sur nous, fait grossir ce bloc de haine, de misère, de malheur et d'ignorance qui nous oppresse depuis trop longtemps.
Vous voulez absolument éliminer des coupables? Prenez vous–en a ceux-là! Tuez la misère! Tuez l’ignorance!
Tant que la peine de mort existera, il fera nuit. Nuit dans les tribunaux. Nuit sur la justice. Nuit sur nos vies. Nuit sur la Terre.
Arrivera-t-on bientôt à la levée du jour? Il y a des raisons de l’espérer. Il y a des raisons de le penser. Il y a des raisons de le croire. Notre présence ici ce soir en est une. Chaque geste posé, chaque note chantée, chaque mot prononcé contre la peine de mort fait grandir le rayon de lumière.Nous ne sommes d’ailleurs pas les premiers abolitionnistes.
D’autres, hier, aux Etats-Unis justement, luttaient pour abolir l’esclavage, cet autre crime suprême contre l’humanité.
Quand William Lloyd Garrison fonde sa société anti-esclavagiste, il est à toutes fins utiles seul. Dix ans plus tard, le nombre d’adhérents est énorme, de nombreux journaux et organisations existent, se battent, espèrent, se battent en espérant, espèrent parce qu’ils se battent. À une vitesse fulgurante, les idées abolitionnistes gagnent du terrain. Bientôt le mouvement est irrésistible et irréversible.Et il vaincra.Le fait est qu’il y eut un 13 juillet 1789, qu’il y eût une jour d’avant l’abolition de l’esclave, un jour d’avant la fin de chaque guerre. Qu’il y aura, demain, un jour d’avant la fin de la peine de mort, un jour d’avant le Jour.
La leçon des abolitionnistes d’hier vaut pour ceux d’aujourd’hui. Et c’est même à d’ex-esclaves ayant lutté pour l’abolition de la sordide institution que je demanderai de nous le rappeler, en leurs mots, comme autant d’encouragements à lutter à notre tour, sans désespérer et parce que la vérité et la justice finiront par l'emporter.
Voici Frederick Douglass, ex-esclave s’étant appris lui-même à lire et à écrire et devenu orateur, philosophe et homme politique : «Toute l’histoire des progrès de la liberté humaine démontre que chacune des concessions qui ont été faites à ses nobles revendications a été conquise de haute lutte. Là où il n'y a pas de lutte, il n'y a pas de progrès. »
Voici Harriett Tubman, ex-esclave étant retourné à de très nombreuses reprise dans le Sud, au risque de sa liberté et de sa vie, pour ramener au Nord des esclaves : «Je ne laisserai personne derrière moi, je n’abandonnerai personne»Nous non plus!
Je vous propose de laisser le mot de la fin à un proverbe africain qui nous dit sagement que «La meilleure façon de prédire l’avenir est de travailler à le faire advenir.»
Laissez-moi donc vous prédire l’avenir.La peine de mort sera universellement abolie.
La nuit finira.
Le jour se lève.
En 1976, la Cour Suprême des Etats-Unis a rétabli la peine de mort. Le 2 décembre dernier, Kenneth Lee Boyd, 57 ans, a été exécuté.
Il était la 1000e personne à être mise à mort aux Etats-Unis, depuis 1976
Prenons le temps de ressentir le poids terrible de ces chiffres, de ce meurtre et des 999 autres qui l’ont précédé.
***
Le meurtre judiciaire est un affront à la dignité humaine, une sordide loi du Talion, indigne de nous, mais qui traverse, hélas, toute l’histoire humaine
Cela perdurera jusqu’en 1786. C’est en effet cette année-là que le Grand Duché de Toscane devient le premier État souverain à abolir la peine de mort.
On peut n’y voir, sans doute, qu’un mince trait de lumière dans la sombre nuit de la vengeance: mais il ne va plus cesser de grandir, de s’amplifier et de faire reculer les ténèbres.
En 1945, 13 États abolissent à leur tour la peine de mort. Aujourd’hui, 120 pays et Territoires l’ont abolie, de jure ou de facto. Ce sont là 120 traits de lumière lancés contre la nuit, 120 étincelles qui composent un vibrant brasier qui, si nous le voulons, finira par éclairer le monde comme un jour neuf. Si nous le voulons; et si nous luttons.
Car il ne faut pas se le cacher : la situation reste sombre et l’avenir incertain.
Aujourd’hui encore, hélas, 76 pays maintiennent la peine de mort. En 2004, au moins 3797 personnes dans 25 pays et territoires ont été exécutées. Et 7395 personnes ont été condamnées à mort dans 64 pays. 97% des exécutions, en 2004, ont eu lieu en Chine, en Iran, au Vietnam et aux Etats-Unis.
Aux Etats-Unis où, justement, Farley Matchett, pour qui nous sommes réunis ce soir, croupit, depuis 13 ans, dans une cellule du couloir de la mort, aux États-Unis où le système d’imposition de la peine capitale n’est pas seulement et comme toujours ignoble et inhumain, mais est aussi notoirement arbitraire et discriminatoire.
Il tue, de manière disproportionnée, des Afro-Américains et des pauvres
Il a tué des déficients intellectuels, il a tué des mineurs
Il condamne très certainement à mort des innocents — comme le montre le fait que 122 personnes ont été relâchées des couloirs de la mort en raison d’erreurs judiciaires
Sachez aussi que près de la moitié de ces 1000 exécutions qui ont été perpétrées aux États-Unis depuis 1976 ont eu lieu au Texas et en Virginie.
Que 80% d’entre elles ont eu lieu dans le Sud du pays.
Songez enfin que la peine de mort n’a aucun effet dissuasif particulier.
Vous comprenez alors, en partie, les raisons de lutter contre le meurtre légal, froid, planifié.
Mais en partie seulement. Car il y a plus important encore. C’est que, répétons-le, le meurtre judiciaire est un affront à la dignité humaine. Lors d’une exécution capitale, certains n’entendent résonner qu’un seul glas. C’est une erreur. Écoutez mieux. Il y en a deux. Le glas sonne d’abord pour le condamné à mort. Puis il sonne pour la société qui le tue, qui meurt elle aussi, à chaque fois, un peu, de ce meurtre qu’elle commet.
C’est que le meurtre judiciaire ne fait jamais une seule victime et le sang des condamnés à mort rejaillit sur chacun de nous. C’est ainsi qu’à chaque exécution, c’est un peu de notre humanité commune qui est mise à mort.
Chaque échafaud que l'on dresse, chaque guillotine que l’on monte, chaque chambre de mort que l’on prépare, retarde le jour où le sombre rocher de Sisyphe cessera de rouler et le fait s’abattre lourdement sur nous, fait grossir ce bloc de haine, de misère, de malheur et d'ignorance qui nous oppresse depuis trop longtemps.
Vous voulez absolument éliminer des coupables? Prenez vous–en a ceux-là! Tuez la misère! Tuez l’ignorance!
Tant que la peine de mort existera, il fera nuit. Nuit dans les tribunaux. Nuit sur la justice. Nuit sur nos vies. Nuit sur la Terre.
Arrivera-t-on bientôt à la levée du jour? Il y a des raisons de l’espérer. Il y a des raisons de le penser. Il y a des raisons de le croire. Notre présence ici ce soir en est une. Chaque geste posé, chaque note chantée, chaque mot prononcé contre la peine de mort fait grandir le rayon de lumière.Nous ne sommes d’ailleurs pas les premiers abolitionnistes.
D’autres, hier, aux Etats-Unis justement, luttaient pour abolir l’esclavage, cet autre crime suprême contre l’humanité.
Quand William Lloyd Garrison fonde sa société anti-esclavagiste, il est à toutes fins utiles seul. Dix ans plus tard, le nombre d’adhérents est énorme, de nombreux journaux et organisations existent, se battent, espèrent, se battent en espérant, espèrent parce qu’ils se battent. À une vitesse fulgurante, les idées abolitionnistes gagnent du terrain. Bientôt le mouvement est irrésistible et irréversible.Et il vaincra.Le fait est qu’il y eut un 13 juillet 1789, qu’il y eût une jour d’avant l’abolition de l’esclave, un jour d’avant la fin de chaque guerre. Qu’il y aura, demain, un jour d’avant la fin de la peine de mort, un jour d’avant le Jour.
La leçon des abolitionnistes d’hier vaut pour ceux d’aujourd’hui. Et c’est même à d’ex-esclaves ayant lutté pour l’abolition de la sordide institution que je demanderai de nous le rappeler, en leurs mots, comme autant d’encouragements à lutter à notre tour, sans désespérer et parce que la vérité et la justice finiront par l'emporter.
Voici Frederick Douglass, ex-esclave s’étant appris lui-même à lire et à écrire et devenu orateur, philosophe et homme politique : «Toute l’histoire des progrès de la liberté humaine démontre que chacune des concessions qui ont été faites à ses nobles revendications a été conquise de haute lutte. Là où il n'y a pas de lutte, il n'y a pas de progrès. »
Voici Harriett Tubman, ex-esclave étant retourné à de très nombreuses reprise dans le Sud, au risque de sa liberté et de sa vie, pour ramener au Nord des esclaves : «Je ne laisserai personne derrière moi, je n’abandonnerai personne»Nous non plus!
Je vous propose de laisser le mot de la fin à un proverbe africain qui nous dit sagement que «La meilleure façon de prédire l’avenir est de travailler à le faire advenir.»
Laissez-moi donc vous prédire l’avenir.La peine de mort sera universellement abolie.
La nuit finira.
Le jour se lève.
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peine de mort,
philosophie politique
mardi, avril 01, 2008
UN NOUVEAU SUJET POUR NOS DÉBATS ÉLECTORAUX
[Une campagne vient d'être lancée au Québec pour que lors des prochaines élections, qu'elles soient fédérales ou provinciales, un débat entre les candidats ait pour objet la science et la technologie. On a demandé à diverses personnes de rédiger un texte faisant la promotion de cette idée. Ce qui suit est celui que j'ai remis aux orginisatuers d ecette campagne. J,ignore s'il sera publié et où, éventuellement. ]
***
Imaginez la scène.
Les candidates et candidats à la prochaine élection (fédérale ou provinciale) en sont à leur troisième et dernier débat télévisé. Après en avoir consacré un à l’économie et un autre aux questions sociales, ils discutent ce soir, et pour la première fois, d’un tout autre sujet. Lequel?
Écoutons-le.
— «C’est donc au vu de ces données qui font désormais consensus parmi la communauté scientifique que notre Parti, conscient de l’urgence de la situation, propose les mesures qui sont exposées dans notre programme pour contrer le réchauffement planétaire».
— «Nous convenons de ce consensus et nous partageons les inquiétudes de nos adversaires. Cependant, nous pensons, d’une part qu’ils ne vont pas assez loin dans les mesures qu’ils préconisent, d’autre part que leur défense de la réforme de l’éducation n’est pas compatible avec une volonté de promouvoir la science et la technologie. Toutes les enquêtes menées le montrent : les résultats des petits québécois baissent en sciences et en mathématiques. Cela est déplorable si on veut avoir une population capable de juger de questions aussi importantes que le réchauffement planétaire; mais ce l’est aussi pour que l’économie du Québec demeure compétitive tout en luttant contre le réchauffement planétaire.»
Vous l’avez deviné : le sujet de ce dernier débat électoral, c’est la science et la technologie. Et les mérites d’une telle discussion sont à ce point manifestes qu’on ne peut que se demander comment il se fait que nous n’y ayons pas pensé plus tôt.
Songez-y.
La science et la technologie sont et seront au cœur de la plupart des enjeux et des défis, souvent immenses, que nous réserve le futur. Environnement, économie, changement climatique, énergie, biotechnologie, médecine, transports, communications : sur chacun de ces sujets, et sur de nombreux autres, la contribution de la science et la technologie à la définition des problèmes, des enjeux, des possibles solutions et même au vocabulaire dans lequel tout cela s’exprime est de la plus haute importance. Les ignorer, c’est se condamner aux ténèbres de l’ignorance et se livrer aux idéologues de tout poil. Refuser d’en débattre collectivement, c’est refuser de faire bénéficier la conversation démocratique de certaines des lumières qui lui sont indispensables si elle ne veut pas sombrer dans la propagande.
Outre qu’il permettrait aux candidates et candidats d’exposer leurs positions sur tous ces sujets cruciaux évoqués plus haut, ce débat aurait une grande valeur pédagogique et contribuerait à l’acquisition, par chacun de nous, d’une culture scientifique, laquelle est désormais rigoureusement indispensable à une véritable compréhension de la plupart des enjeux politiques, sociaux et économiques.
Ce débat permettrait encore de vérifier l’attachement de nos politiciens et politiciens à certaines des valeurs qui caractérisent la science et qui devraient caractériser aussi la conversation démocratique — je pense notamment à l’honnêteté intellectuelle, à la capacité de soumettre à la critique d’autrui ce qu’on avance, à la capacité d’envisager des hypothèses alternatives, à la pratique du doute constructif et à la reconnaissance du caractère faillible de nos connaissances.
Pour toutes ces raisons, je souhaite ardemment la tenue d’un débat sur la science et la technologie lors de la prochaine campagne électorale.
***
Imaginez la scène.
Les candidates et candidats à la prochaine élection (fédérale ou provinciale) en sont à leur troisième et dernier débat télévisé. Après en avoir consacré un à l’économie et un autre aux questions sociales, ils discutent ce soir, et pour la première fois, d’un tout autre sujet. Lequel?
Écoutons-le.
— «C’est donc au vu de ces données qui font désormais consensus parmi la communauté scientifique que notre Parti, conscient de l’urgence de la situation, propose les mesures qui sont exposées dans notre programme pour contrer le réchauffement planétaire».
— «Nous convenons de ce consensus et nous partageons les inquiétudes de nos adversaires. Cependant, nous pensons, d’une part qu’ils ne vont pas assez loin dans les mesures qu’ils préconisent, d’autre part que leur défense de la réforme de l’éducation n’est pas compatible avec une volonté de promouvoir la science et la technologie. Toutes les enquêtes menées le montrent : les résultats des petits québécois baissent en sciences et en mathématiques. Cela est déplorable si on veut avoir une population capable de juger de questions aussi importantes que le réchauffement planétaire; mais ce l’est aussi pour que l’économie du Québec demeure compétitive tout en luttant contre le réchauffement planétaire.»
Vous l’avez deviné : le sujet de ce dernier débat électoral, c’est la science et la technologie. Et les mérites d’une telle discussion sont à ce point manifestes qu’on ne peut que se demander comment il se fait que nous n’y ayons pas pensé plus tôt.
Songez-y.
La science et la technologie sont et seront au cœur de la plupart des enjeux et des défis, souvent immenses, que nous réserve le futur. Environnement, économie, changement climatique, énergie, biotechnologie, médecine, transports, communications : sur chacun de ces sujets, et sur de nombreux autres, la contribution de la science et la technologie à la définition des problèmes, des enjeux, des possibles solutions et même au vocabulaire dans lequel tout cela s’exprime est de la plus haute importance. Les ignorer, c’est se condamner aux ténèbres de l’ignorance et se livrer aux idéologues de tout poil. Refuser d’en débattre collectivement, c’est refuser de faire bénéficier la conversation démocratique de certaines des lumières qui lui sont indispensables si elle ne veut pas sombrer dans la propagande.
Outre qu’il permettrait aux candidates et candidats d’exposer leurs positions sur tous ces sujets cruciaux évoqués plus haut, ce débat aurait une grande valeur pédagogique et contribuerait à l’acquisition, par chacun de nous, d’une culture scientifique, laquelle est désormais rigoureusement indispensable à une véritable compréhension de la plupart des enjeux politiques, sociaux et économiques.
Ce débat permettrait encore de vérifier l’attachement de nos politiciens et politiciens à certaines des valeurs qui caractérisent la science et qui devraient caractériser aussi la conversation démocratique — je pense notamment à l’honnêteté intellectuelle, à la capacité de soumettre à la critique d’autrui ce qu’on avance, à la capacité d’envisager des hypothèses alternatives, à la pratique du doute constructif et à la reconnaissance du caractère faillible de nos connaissances.
Pour toutes ces raisons, je souhaite ardemment la tenue d’un débat sur la science et la technologie lors de la prochaine campagne électorale.
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