samedi, février 16, 2008

DROGUE ET SPORTS

Selon un rapport rendu public en janvier dernier, plusieurs joueurs des ligues majeures de baseball ont recours à de drogues interdites pour améliorer leurs performances. Le Québécois Eric Gagné faisait partie des 87 joueurs incriminés par ce rapport.

Cette situation n’est pas propre au baseball et, dans de très nombreux sports, le recours à des drogues interdites est répandu — le cas le plus flagrant étant peut-être celui du cyclisme.

Dans la Ligue Nationale de Hockey, toutefois, les dirigeants nient vigoureusement que des joueurs se droguent. Mais les fans sont sceptiques, si on en croit un récent sondage (La Presse Canadienne et Harris/Decima) qui rapporte que «près de la moitié des Canadiens croient que plusieurs, ou à tout le moins un bon nombre de joueurs de la Ligue nationale de Hockey, font usage de produits dopants»

Qui a raison? Je n’en sais rien et je n’ai aucune compétence pour me prononcer. Mais il y a dans toute cette question de la drogue et du sport un aspect sur lequel la philosophie peut jeter un éclairage. Le voici : est-il légitime de vouloir interdire aux athlètes le recours à des drogues?

Comme vous allez le voir, poser cette question nous conduit à devoir faire des distinctions conceptuelles et à affronter des questions normatives qui sont, conjointement, la marque des problèmes philosophiques.

Des arguments en faveur de l’interdiction des drogues dans le sport

Convenons de limiter notre discussion aux adultes qui pratiquent des sports de haut niveau (olympisme, par exemple) ou qui sont des professionnels (joueurs de hockey, de baseball, de football, etc.). Distinguons aussi des drogues destinées à améliorer les performances (dorénavant DP) et celles qu’on appellera récréatives (le pot, le haschisch).

Avec le philosophe du sport (oui, oui : ça existe!) Drew Hayland, je propose de distinguer cinq arguments principaux qui sont avancés pour interdire à ces sportifs adultes d’utiliser des DP.

Les voici : 1. Les dangers pour la santé de l’utilisateur; 2. l’inéquité qui résulte de la prise de la drogue; 3. la pression ainsi exercée sur les autres joueurs; 4. la dénaturation de la personne et du sport que la drogue entraîne; 5. le manquement à des devoirs liés au statut de modèle des athlètes de haut niveau.

Voyons cela de plus près.

1. Les drogues que prennent les athlètes (par exemple, les stéroïdes anabolisants), sont réputées, surtout dans la quantité qu’ils ou elles les prennent, avoir des effets nocifs sur la santé. Ces effets présumés seraient physiques (cancer, perte de cheveux, masculinisation des femmes, par exemple) et psychologiques (augmentation de l’agressivité, instabilité de l’humeur, etc.).

2. Ceux et celles qui décident malgré tout de prendre des DP et qui peuvent le faire (ils en ont les moyens, ont accès à ces produits, etc.) vont, par là, bénéficier d’un avantage injuste sur les autres, qui ne veulent ou ne peuvent se les payer.

3. Dans les sports de haut niveau, les différences entre les performances individuelles sont minimes. Entre le gagnant du 100 mètres et le deuxième, il y aura typiquement un faible écart. Mais au premier iront la fortune et la gloire et personne ne se souviendra du deuxième. Au total, cela constitue une incitation à utiliser les DP, voire même une forme de coercition.

4. Le sport met en compétition des personnes qui, par des efforts et du travail, performent plus ou moins bien. Faire intervenir les drogues dénature les personnes et le sport : au bout du compte, ce sont des produits chimiques issus de technologies (et qu’on cherche à masquer) qui sont en compétition. Poussons cette logique jusqu’au bout et imaginons un homme «bionique» avec des jambes et des bras artificiels super performants. Cet homme pourrait bien patiner à une vitesse jamais vue et avoir un lancer frappé impossible à bloquer : mais beaucoup refuseront de dire qu’il s’agit encore d’une personne qui joue au hockey ou de le laisser jouer dans la LNH.

5. Finalement, comment oublier que ces athlètes sont des modèles, en particulier pour tant de jeunes? Apprendre que Saku Koivu prend de la DP pourra inciter certains de ses admirateurs qui jouent au hockey à en prendre eux et elles aussi et pourra laisser à de nombreux autres l’impression que prendre des drogues n’est pas si terrible : après tout, Koivu le fait bien.

Ce sont là de solides arguments et ils ont convaincu bien des gens qu’il est raisonnable d’interdire le DP aux athlètes adultes de haut niveau. Et pourtant, contre chacun d’eux, il existe des contre-arguments qui méritent réflexion.

Je vous suggère d’essayer d’en imaginer quelques-uns avant de poursuivre votre lecture.

Des contre-arguments

Ici encore, je suivrai Drew Hayland pour présenter certaines des répliques qu’on pourra mettre de l’avant contre les arguments précédents. Comme on va le voir, la stratégie consiste typiquement à montrer que les choses sont moins claires qu’on pourrait le penser.

Songez par exemple au concept de «drogue» et, bien vite, vous conviendrez que rien n’est simple. C’est ainsi que les athlètes, comme tout le monde, consomment un bon nombre de drogues sans qu’on trouve à y redire : aspirine, café, bière, vin, et bien d’autres. On dira sans doute que ce sont les DP et non les drogues récréatives qu’on veut bannir; mais, là encore, rien n’est simple.La caféine a un effet sur la performance et bien d’autres produits également, qui ne sont pas bannis.

Mais venons-en à nos cinq arguments.

1. Le premier faisait valoir les dangers des DP sur la santé. Mais les effets néfastes des DP sur la santé ne sont pas toujours clairement établis – comme le sont les effets de la cigarette, par exemple. De plus, dans certains cas, on interdit en faisant comme s’il s’agissait de prises de drogues des pratiques dont on sait qu’elles n’en sont pas et ne sont même pas néfastes : par exemple, le fait de se réinjecter son propre sang. Enfin, même si on accorde que certaines drogues en certaines quantités ont des effets néfastes sur la santé, il se trouve que la simple pratique de certains des sports où l’on interdit leur usage est plus dangereuse encore. C’est ainsi que la boxe, le football, l’alpinisme et le hockey font très probablement plus de blessés, souvent graves, et parfois même de morts, que les anabolisants. Ce premier argument est donc moins clair et a moins de poids qu’on a pu le penser à première vue.

2. L’usage de drogues, disait-on ensuite, donne un avantage injuste à qui les consomme. Mais est-ce vrai? Un sport est juste quand son règlement est appliqué de la même manière à tous les participants.Après quoi, ce que le sport permet justement de mettre en évidence ce sont des inégalités, qui ne sont pas injustes. Gretzky jouait mieux au hockey que tous les autres joueurs : la situation était inégale, mais pas injuste, puisqu’il était soumis au même règlement. L’athlète qui s’entraîne plus fort et plus longtemps et qui donne ensuite une performance meilleure que les autres leur est inégale, mais ce n’est pas injuste. La personne qui mesure 7 pieds a un avantage énorme sur celle qui en mesure 6 pour jouer au basket-ball : est-ce injuste? Qui fait de la musculation a dans bien des sports un avantage sur les autres : faut-il interdire la musculation? Encore une fois, il y a place à la discussion quant à ce qui est juste et injuste et soutenir que le fait de prendre certains produits procure d’emblée un avantage injuste est loin d’être toujours clair.

3. Mais la pression exercée sur les autres athlètes pour qu’ils se droguent eux aussi : voilà un bon argument, non? Pas sûr, rétorquent certaines personnes. Dans tous les métiers, les personnes décident en partie de ce qu’ils y investissent et certains choisissent de travailler plus fort, plus longtemps que les autres. Cela ne constitue pas une pression indue sur les autres. Pourquoi dire que c’est le cas avec les DP?

4. Et la dénaturation de la personne, puis du sport lui-même? Ici encore, certains feront valoir que ce que signifient personne et sport au «naturel» est plein d’ambiguïtés. Bobby Orr (le meilleur joueur de tous les temps, selon moi…) jouait en 1976 sous l’effet de fortes injections de cortisone pour soulager son genou blessé : était-ce naturel? La testostérone, qui compose les stéroïdes anabolisants, est naturelle, mais pourtant interdite. On le voit : ici encore, on trouvera une foule d’ambiguïtés et d’imprécisions.

5. Reste l’argument du rôle de modèles que jouent les athlètes, surtout auprès des plus jeunes. Certes, on voudrait que les personnes que nos jeunes admirent aient de belles qualités morales et personnelles : qu’elles soient intelligentes, généreuses, sensibles, nobles, qu’elles s’expriment bien et tout ce que vous voudrez. Mais tout cela, qui est souhaitable, ne saurait être exigé. Car si on se mettait à avoir de telles exigences, où arrêterait-on? Exigera-t-on des athlètes le célibat, l’abstinence à l’alcool? Non? Alors pourquoi en serait-il autrement avec les DP?

***

C’est certes un sujet bien complexe et je n’ai pu ici que l’effleurer. Mais une chose est certaine : les philosophes du sport ont jeté un doute sérieux sur les interdits pesant sur les DP. Et ils commencent à être entendus. C’est ainsi qu’un récent éditorial de la prestigieuse revue Nature (448 : 2, 2007, p. 512) soutient que ces interdictions sont des relents d’un autre âge et ne résistent pas à l’analyse. Les athlètes, pensent de plus en plus de gens, devraient pouvoir, en toute connaissance de cause et sous suivi médical, prendre toutes les drogues qu’ils désirent. Et on devrait éduquer plutôt qu’interdire.

Qu’en pensez-vous? Où vous vous situez sur la question vous donnera une indication de votre position sur une question centrale en philosophie politique. Terminons là-dessus, si vous le permettez.

Paternalisme et libéralisme

Nos sociétés sont libérales — pas au sens de notre Parti Libéral, mais au sens philosophique du terme. Cela signifie notamment que l’État n’a pas le droit de vous imposer une conception de ce que vous devriez faire de votre vie, qui reste un sujet sur lequel chaque adulte est libre de choisir en fonction de sa conception de ce qu’est une vie bonne.

Cela a pour corollaire qu’à moins que ce ne soit pour protéger les autres, on ne peut limiter la liberté d’un adulte (le cas des enfants est différent), même pour son bien.

Voici comment un des principaux fondateurs du libéralisme politique exprime et justifie cette idée : «La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un de ses membres est de l'empêcher de nuire aux autres. Contraindre quiconque pour son propre bien, physique ou moral, ne constitue pas une justification suffisante. [on peut certes] lui faire des remontrances, le raisonner, le persuader ou le supplier, mais non le contraindre ou lui causer du tort s'il agit autrement. La contrainte ne se justifie que lorsque la conduite dont on désire détourner cet homme risque de nuire à quelqu'un d'autre. […] Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l'individu est souverain.» (John Stuart Mill, De la liberté, 1859)

Cette attitude libérale, si vous la partagez entièrement, tendra à vous faire affirmer qu’on n’a pas le droit d’empêcher des athlètes adultes de prendre les produits qu’ils veulent, même des DP. Le faire, selon vous, serait commettre ce péché qu’en philosophie politique on appelle le paternalisme, i.e. prétendre agir au nom du bien d’une autre personne, en pensant qu’on le connaît mieux qu’elle.

À cela, d’autres vont répliquer qu’il y a pourtant bien des cas où la collectivité impose des choses à ses adultes pour leur bien. Il y aurait donc, selon certains, à côté du paternalisme usuel et toujours répréhensible, une version modérée du paternalisme, qui serait, lui, justifiable.

Si vous adhérez à cette idée, vous pourrez tenter de justifier qu’on limite la liberté des athlètes de se droguer au nom d’un paternalisme faible. Qui a raison? Pour vous aider à y réfléchir, voici justement des exemples où notre société a fait des choix qui vont dans le sens d’un paternalisme modéré — et ont pris des décisions que des libéraux plus purs auront tendance à dénoncer comme du paternalisme. Je vous suggère de chercher à préciser où vous vous situez sur tous ces cas, comme sur celui de la DP :

Obliger les gens à porter la ceinture de sécurité au volant; ou le casque à moto; interdire les duels; interdire l’achat de certains médicaments sans prescription médicale; interdire la baignade à certains endroits; interdire la prostitution; légiférer la pornographie; donner à des enfants des traitements même si leurs parents les refusent pour eux; imposer une retenue sur salaire pour un régime de retraite.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un dangereux individu au volant du véhicule immatriculé M23 HGB de couleur rouge foncée metalisée Caprice Classic de 1992 intérieur couleur cuir créme sévit sur le Plateau Mont-Royal , de race blanche entre 25 et 30 ans , 160 livres , 6 pieds, vétu de noir de sexe masculin, peut à tout moment sortir de son véhicule et vous attaquer. Tout le temps sous l'influence de la drogue, il peut etre armé, si vous l'appercevez n'hésitez pas à appeler le service de Police, cet individu au comportement psychopathe et visage mince avec les cheveux courts noirs est dangereux

samedi, octobre 11, 2014 7:06:00 PM