mardi, mars 17, 2009

ALBERT EINSTEIN (1879-1955), PHYSICIEN ET REBELLE (6/8)

Un militant radical méconnu

Un drapeau est un symbole qui nous rappelle que l’homme vit en troupeau.

A. Einstein


Les lecteurs des livres dans lesquels sont réunis certains des écrits qu’Einstein destinait au grand public savent qu’il était socialiste et pacifiste. Mais ses idées sociales, politiques et économiques restent généralement peu ou mal connues et son militantisme et ses engagements le sont encore moins. Il y a à cela l’excellente raison qu’ils ne sont que trop rarement évoqués et étudiés en tant que tel.

L’intérêt d’Einstein pour de tels sujets a pourtant été un des constantes de sa vie et est même apparu très tôt. C’est ainsi, on l’a vu, que son anti-militarisme a été extrêmement précoce et on imagine aisément ce qu’il fallait de maturité politique à un tout jeune homme de 15 ans pour conclure que la fidélité à ses convictions l’obligeaient à renoncer à sa citoyenneté. En nous fondant sur des travaux récents , on peut reconstruire les grandes lignes du parcours politique du physicien militant.

Lors de ses années zurichoises, le jeune étudiant qui sèche volontiers les cours qu’il juge peu stimulants, fréquente le Café Odéon — où se rencontrent des radicaux russes en exil comme Alexandra Kollontai, Léon Trotski et, plus tard, Lénine . Il fréquente aussi, à la même époque, des membres de la toute récente et anti-militariste Société Suisse pour la Culture Éthique — et celle-ci pourrait bien avoir joué un rôle important dans le façonnement et la maturation de ses convictions politiques .

Après l’Annus mirabilis, Einstein devient peu à peu célèbre dans la communauté scientifique et de nombreuses universités lui présentent des offres d’emploi. En 1914, il accepte un poste à Berlin. Mais la Première Guerre Mondiale éclate et Einstein, on le devine, s’y oppose et cette prise de position le laisse à peu près seul face à la quasi-unanimité des intellectuels et des savants du pays, qui signent un Manifeste au Monde Civilisé, belliciste et ultranationaliste, fustigeant les «Nègres», les Mongols, les hordes russes et ainsi de suite. Einstein (et trois autres personnes seulement!) signe quant à lui un texte qui dénonce comme haineux le précédent manifeste. L’un des signataires est emprisonné, mais sa réputation épargne à Einstein des difficultés qu’il aurait certainement connues sans elle. Ce ne sera pas la dernière fois qu’Einstein devra à sa notoriété d’être préservé de petites contrariétés ou de grandes catastrophes personnelles.

À la fin de la Guerre et après l’abdication du Kaiser Wilhelm II, de nombreuses monarchies européennes sont remplacées par des gouvernements libéraux ou socialistes, ce qui enchante Einstein qui annule même un jour son cours «pour cause de révolution». Mais ses écrits et déclarations de cette époque le montrent également inquiet de la montée de la violence, du revanchisme, de l’ultranationalisme et de l’antisémitisme. Dès 1920, ce dernier le touche personnellement, alors qu’il est pris pour cible par le Parti de Savants Allemands Oeuvrant pour la Préservation de la Pureté Académique [Sic!] qui dénonce la théorie de la relativité comme une «perversion juive».

Einstein commence à revoir des menaces de mort. En 1921, on lui octroie le Prix Nobel de physique et des dignitaires, pour sauver la face, travaillent à faire cesser les attaques contre lui. Einstein en profite pour utiliser sa notoriété encore accrue pour s’exprimer, publiquement et de plus en plus, sur des questions sociales, politiques, économiques. En 1928, il accepte la présidence de la Ligue des Droits de l'Homme.

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Einstein, zélateur de l’astrologie ?!?


Une citation attribuée à Einstein et vantant les mérites de l’astrologie circule depuis des années. La voici: «L’astrologie est une science en soi, illuminatrice. J’ai beaucoup appris grâce à elle et je lui dois beaucoup. Les connaissances géophysiques mettent en relief le pouvoir des étoiles et des planètes sur le destin terrestre. À son tour, en un certain sens, l’astrologie le renforce. C’est pourquoi c’est une espèce d’élixir de vie pour l’humanité. »

Le prestige d’Einstein est si grand que la caution qu’il semble ici donner aux astrologues est pour eux extrêmement précieuse — ce qui explique que la citation soit si souvent invoquée. Mais l’idée qu’Einstein ait pu croire à l’astrologie est totalement et parfaitement saugrenue. Et on n’a, en fait, jamais retrouvé cette phrase dans aucun de ses écrits, ni le moindre indice qu’il ait pu penser quoi que ce soit se rapprochant, même un peu, des conceptions que lui attribue ce texte.

D’où provient-elle, alors? Après un long et patient travail d’enquête, Denis Hamel a établi qu’il s’agit d’un faux très probablement forgé par Carl Heinnrich Huter et paru dans le Huters Astrologischer Kalender de 1960, publié en 1959. La canular a donc été commis environ cinq ans après la mort d'Einstein.

Pour en savoir plus, on consultera: HAMEL, Denis, «Albert Einstein, astrologue? Vous voulez rire? La fin d’un canular», Québec Sceptique, no 57, Été 2005, pages 31-40.


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Si la fin des années 20 et le début des années 30 sont pour l’Allemagne le moment de la montée du National Socialisme , elles sont pour Einstein des années de voyages et de conférences, surtout en Europe et aux Etats-Unis. Typiquement, il demandera à ses hôtes qu’on lui permette de faire deux conférences : la première pour parler de physique à son auditoire; la deuxième pour l’entretenir de politique.

Le 30 janvier 1933, sa maison de Berlin est pillée et saisie par les Nazis. En mai de la même année, Goebbels organise un autodafé de ses livres («L’humanité fait des progrès, observera malicieusement Einstein; autrefois, on m’aurait brûlé : aujourd’hui on ne brûle que mes livres!»). La campagne contre lui bat son plein, et se mène au grand jour, sans aucune retenue. Dans les journaux nazis, des sommes d’argent sont promises pour son meurtre. À l’été 1933, Einstein et sa nouvelle compagne, sa cousine Elsa (elle mourra en 1936), qui se trouvent aux Etats-Unis, au California Institute of Technology, décident de rester dans ce pays et Einstein accepte le poste à vie qui lui est proposé à l’université Princeton.

On sait désormais, depuis que les dossiers du FBI le concernant ont été rendus publics, qu’Einstein, aux Etats-Unis, a été sans cesse mis sous écoute, suivi, espionné; que ses faits, gestes et déclarations ont été compilés et scrutés à la loupe. John Edgar Hoover (1895-1972), alors chef du FBI, lui vouait d’ailleurs une haine personnelle, où se mêlaient anti-communisme et anti-sémitisme — Heinrich Himmler (1900-1945) sera jusqu’en 1939 un de ses correspondants! Rien de tout cela n’empêchera cependant Einstein de prendre publiquement position sur toute une série de questions polémiques et de s’impliquer dans de nombreuses luttes.

À l’instar de Bertrand Russell, Einstein avait vite compris, à compter de 1933, que ses convictions pacifistes ne pouvaient être maintenues devant la menace nazie. Le 2 août 1939 se place un des plus douloureux événements de sa vie. Encouragé par Leo Szilard, un collègue physicien, Einstein signe en effet ce jour-là une lettre informant le président Franklin Delano Rossevelt (1882-1945) que l’Allemagne nazie pourrait bien mettre au point une bombe atomique. Cette lettre contribua à lancer le Projet Manhattan, dirigé par Robert Oppenheimer (1904-1967), et qui devait aboutir à la fabrication de la première bombe atomique. Einstein ne prit aucune part aux travaux de ce Projet, dont il fut tenu à l’écart et dans une ignorance à peu près entière.

En mars 1945, il écrivit une nouvelle lettre à Roosevelt, cette fois pour lui demander de ne pas utiliser l’arme atomique. Le 6 août de la même année, une première bombe tombait sur Hiroshima; une deuxième devait suivre peu après, cette fois sur Nagasaki. Einstein condamne aussitôt ces largages, à ses yeux inutile et barbares, et les attribue à la politique étrangère antisoviétique de Harry Truman (1884-1972), successeur de Roosevelt en avril 1945.

Très critique devant le supposé socialisme de l’URSS, Einstein mesure par ailleurs très bien la part que joue l’instrumentalisation de l’anticommunisme dans le paysage idéologique de ces années : «À mes yeux, la «conspiration communiste» est essentiellement un slogan […] qui laisse les gens entièrement sans défense. Ici encore, je suis bien obligé de repenser à l’Allemagne de 1932, dont le corps social démocratique avait été affaibli par des moyens similaires, de telle sorte que [...] Hitler à très facilement été capable de lui asséner son coup fatal. C’est ce qui arrivera ici aussi, à moins que des gens sensés et capables de sacrifice ne s’interposent .»

La Deuxième Guerre Mondiale terminée, Einstein luttera notamment contre la Guerre froide, contre la course aux armements et en faveur d’un gouvernement mondial et de la paix. Il participera à la création du Emergency Committee of Atomic Scientists, en 1946, et prendra part aux travaux du Comité à l'Énergie atomique des Nations Unies, dont il démissionnera bientôt, le jugeant «inutile». Il est en outre membre de très nombreuses organisations politiques que le FBI ne manquera pas de classer comme subversives . Il y travaillera entre autres : pour la défense du socialisme (voir encadré); pour promouvoir une éducation rationaliste; pour lutter contre le McCarthysme (Einstein appellera à refuser de témoigner devant le comité du tristement célèbre sénateur); pour la défense des Rosenberg; pour appuyer la création d’Israël, en rapelant d’un l’exigence pour les Juifs et les Palestiniens de vivre ensemble — il écrira : « sans coopération honnête avec les Arabes, pas de paix, ni de prospérité. Cela concerne le long terme, pas l'instant présent. » Rappelons encore qu’on lui proposera, en 1952, de devenir Président d’Israël : ce qu’il s’empressera de refuser, au grand soulagement, on peut le présumer, de ceux qui lui avaient fait cette proposition en forme d’exercice de relations publiques.

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Un credo socialiste


[…] l’essence de la crise de notre époque [tient à] la relation de l’individu à la société. L’individu est plus que jamais conscient de sa dépendance envers la société. Mais au lieu de concevoir cette dépendance comme un atout, comme un lien organique, comme une force protectrice, il la perçoit au contraire comme une menace à ses droits naturels ou même à sa survie économique. […] Le chaos économique de la société capitaliste telle qu’elle existe aujourd’hui est selon moi la véritable source du mal. [...] La situation qui [y] prévaut est caractérisée par deux principes : d’abord, les moyens de production (le capital) sont possédés privément et leurs propriétaires en disposent à leur guise; ensuite, le contrat de travail est libre. Bien entendu, il n’existe pas en ce sens de société capitaliste pure. Il faut en particulier noter que les travailleurs, par de longs et amers combats politiques, ont réussi à obtenir, pour certaines catégories d’emplois, une forme légèrement améliorée de «contrat de travail libre». Mais prise dans son ensemble, l’économie actuelle ne diffère guère du capitalisme «pur». On produit pour le profit et non pour l’usage. Aucune disposition n’est prévue pour assurer que tous ceux qui peuvent et désirent travailler pourront trouver de l’emploi et une armée de sans travail existe presque toujours. Le travailleur a constamment peur de perdre son emploi. […] Le progrès technologique entraîne souvent un accroissement du chômage, au lieu de servir à alléger à tous le fardeau du travail. [...] La compétition sans freins produit un gigantesque gaspillage de travail, ainsi que cette décrépitude de la conscience individuelle dont je parlais plus haut. Celle-ci est à mes yeux le plus grand des maux que cause le capitalisme. Notre système d’éducation tout entier en souffre. Une excessive compétitivité est inculquée à l’élève, qui est formé pour idolâtrer le succès dans l’accumulation de biens […] Je suis persuadé qu’il n’y a qu’une manière d’éliminer ces terribles maux, à savoir par l’établissement d’une économie socialiste et d’un système d’éducation qui serait orienté vers des buts sociaux.

EINSTEIN, A., Out of my later years, passim, pages 127-130. Traduction: Normand Baillargeon

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